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En s’attaquant à la constitution de nos espaces publics, Michèle Dagenais interpelle à la fois l’historien et le citoyen. Un choix judicieux (quelques fois surprenant) lui permet de mettre à découvert les contradictions qui demeurent ancrées dans ces « […] lieux accessibles à tous et pourtant normés […] » Ce sont la bibliothèque municipale, le jardin botanique et les bords de l’île, autant que les jardins et terrains de jeu, qui révèlent une progressive « municipalisation de l’espace urbain » et signalent en même temps les entraves qui persistent.
Particulièrement intéressant est l’enchaînement des interrogations sur l’accès aux espaces publics (chap. 1 sur le tramway « pour donner au peuple le parc de la montagne »), les stratégies de leur acquisition dans les deux villes (chap. 2) et la régulation de ces espaces (chap. 5 et 6). Cet enchaînement est le fruit d’un programme de recherche cohérent et d’un suivi exceptionnel.
Réputée pour sa connaissance de la littérature et des éléments théoriques, l’auteure nous restitue l’histoire de Montréal – la « petite histoire » de nos dimanches et nos soirées d’été – dans la grande – la Grande Guerre, la Grande Crise – et dans les grands courants de pensée tels la modernité, le virage culturel et la « réconciliation de l’urbain avec la nature ». Lieu de démocratie et lieu de dernier recours, la Ville subit la tutelle perpétuelle de la Province. En retraçant les efforts requis pour « municipaliser l’espace urbain », l’auteure offre à l’historien un modèle pour répondre au défi : comment municipaliser notre histoire et notre pratique de l’histoire ?
Avec une grande sensibilité, Madame Dagenais nous offre une perspective rafraîchissante sur l’histoire de l’environnement montréalais. Sur la culture « populaire », elle renouvelle un chantier fondé par Yvan Lamonde et Lucia Ferretti il y a déjà trente ans. Dans le traitement des terrains de jeu, des camps de jour et des consultations d’écoliers (1912), son interrogation sur l’enfance contribue au défrichage exigé par Fernand Dumont (lieu d’une culture « première »), et commencé par Denyse Baillargeon, Ollivier Hubert et André Turmel. On pourrait souhaiter une analyse complémentaire de la finance municipale et de l’enjeu fiscal.
Malgré une démarche si attrayante, j’ai ressenti une certaine déception en découvrant que j’avais déjà lu les huit papiers « légèrement remaniés ». Aurais-je acheté le livre ? Les illustrations si bien choisies, malgré leur pertinence et leur charme, sont assez mal reproduites. Un plan d’époque très parlant est réduit à une échelle illisible (p. 96). Un brin d’imagination transformerait une cartographie ordonnée, et un léger ajustement de la mise en pages soulignerait mieux la riche comparaison entre les deux villes. (Il suffirait de placer face à face les plans jumelés, p. 56 et 58, 63 et 64, 67 et 69, 72 et 74). La compétence des Presses de l’Université Laval étant reconnue, les lecteurs autant que les auteurs et la maison elle-même seraient mieux servis par un travail d’édition plus exigeant.