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Il y a près de 15 ans, Phillip Buckner, alors président de la Société historique du Canada, déplorait l’absence d’études sur les colonies canadiennes dans l’historiographie de l’Empire britannique d’après 1783. L’histoire des possessions coloniales des autres hémisphères monopolisait alors ce champ d’études. Buckner reprochait également aux historiens et historiennes du Canada d’écarter la composante impériale au profit d’une perspective téléologique axée sur la marche vers l’autonomie politique et la formation du sentiment national canadien. Depuis cet appel, plusieurs aspects de l’impérialisme britannique au Canada ont été étudiés avec brio. Il suffit d’évoquer les excellentes monographies d’Adèle Perry et de H. V. Nelles. Le collectif dirigé par Nancy Christie se distingue cependant par sa contribution magistrale non seulement à l’étude de l’Empire britannique mais également à l’histoire de l’identité sous toutes ses formes.
Fruit d’une collaboration amorcée lors d’un colloque à l’Université McMaster en 2004, cet ouvrage réunit des articles variés articulés autour des diverses dimensions de l’identité britannique telle que définit par J. G. A. Pocock, qui est d’ailleurs l’auteur de la préface. Dans l’introduction, Nancy Christie réussit cependant à définir une trame commune unissant chaque texte, ce qui fait en sorte que la valeur de ce collectif dépasse la valeur individuelle de chaque texte.
Donald Fyson étudie dans son chapitre l’attitude des nouveaux sujets francophones face aux institutions implantées par les autorités britanniques, de la Conquête aux Rébellions de 1837-1838. Il avance que, malgré certaines résistances, les habitants s’adaptèrent rapidement au nouvel ordre politique. Les francophones du Bas-Canada s’approprièrent à leur avantage les instances judiciaires du régime britannique et les utilisèrent tant en ce qui concerne les causes civiles et criminelles que la gouvernance locale. Les conflits politiques qui apparaissent à la fin des années 1820 viennent toutefois ébranler leur confiance envers les institutions impériales.
Pour sa part, Nancy Christie expose comment l’analyse du portrait des domestiques féminines dépeint dans les documents familiaux révèle des aspects méconnus de la société haut-canadienne. Malgré les discours officiels à cet égard, la réalité socio-économique relativement égalitaire de cette colonie se prêtait mal à une transposition fidèle des hiérarchies métropolitaines. Les hommes et les femmes aspirant au statut d’élite ne pouvaient donc pas étayer leurs revendications sur une aisance matérielle. C’est en insistant sur leurs manières distinguées et leur rythme de vie élitaire qu’ils tentèrent d’asseoir leurs prétentions. En ce sens, la rareté de la main-d’oeuvre domestique féminine et son esprit d’indépendance en découlant mettaient en péril le projet identitaires des élites haut-canadiennes.
Dans son texte sur le xixe siècle québécois, Brian Young souligne également la nécessité d’intégrer les facteurs culturels et idéologiques dans l’analyse des élites et de leur influence. Il cite à titre d’exemple le parcours de deux familles francophones qu’il qualifie de patriciennes. Il affirme que parallèlement à la montée des libéralismes politique et économique, une conception paternaliste, antimoderniste et conservatrice de la société a persisté tout au long de la période grâce, entre autres, à des institutions telles que l’Église catholique et le système seigneurial.
La dimension religieuse et les liens qu’elle tisse avec les catégories d’identités impériales sont l’objet de plusieurs textes fort intéressants. Les articles de Todd Webb et de Michael Gauvreau évaluent l’importance de la notion de « Britishness » dans les discours des Méthodistes, des Anglicans et des Presbytériens. Webb soutient en effet que les conflits entre les Wesleyens canadiens et britanniques du milieu du xixe siècle s’articulent autour des conceptions contradictoires de l’identité britannique. À l’opposé, Gauvreau démontre que les Églises anglicanes et presbytériennes des Canadas et des Maritimes en viennent progressivement à insister sur leurs identités ethnoculturelles particulières au détriment du référent impérial. À partir de la décennie 1840, les Presbytériens coloniaux revendiquent leurs racines écossaises, ce qui entraîne le même réflexe chez les fidèles de l’Église d’Angleterre. Bruce Curtis aborde, quant à lui, les circonstances spécifiques au Bas-Canada dans l’échec du projet éducatif lancastrien. Comme dans la métropole, les autorités ecclésiastiques combattent activement cette réforme scolaire. Selon Curtis, la colonie francophone se distingue toutefois par le monopole qu’y exerce l’Église catholique au niveau religieux, par une classe ouvrière de type industriel de peu d’importance et la présence d’élites laïques aux ambitions réformistes avouées. L’affrontement entre ces dernières et le clergé catholique fera achopper la réforme, mais à l’inverse de son homologue anglicane, la hiérarchie catholique se refuse de profiter de l’occasion pour mettre en place une infrastructure fournissant un système d’enseignement rural dépassant la simple éducation catéchistique, du moins avant les années 1840.
Les textes de Jeffrey McNairn, Darren Ferry et de Michael Eamon traitent également de la diffusion des idées dans les sociétés à l’étude. Ce dernier soutient que l’influence intellectuelle du « Scottish Enlightenment » sur les sociétés coloniales a été nettement sous-estimée et s’emploie à le démontrer en analysant le parcours des médecins formés en Écosse qui ont pratiqué en Amérique du Nord britannique. Jeffrey McNairn aborde l’économie politique des Maritimes telle qu’elle est décrite dans les journaux de voyages britanniques. Il insiste sur l’impact majeur des idées de Thomas Malthus sur les récits de ces auteurs de passage. Dans son chapitre, Darren Ferry souligne pour sa part les nombreuses caractéristiques qui distinguent les Mechanics Institutes du Canada-Uni de leurs homologues métropolitains tant en ce qui concerne leur évolution intellectuelle qu’organisationnelle. Michelle Vosburgh démontre d’ailleurs que les agents des terres de la Couronne au Haut-Canada ont joué un rôle de médiateur essentiel en interprétant les politiques foncières impériales selon les besoins locaux des colons et de leur communauté de petits producteurs. Par son texte, Bryan Palmer nous rappelle cependant que la société haut-canadienne est divisée par de nombreuses tensions politiques et sociales qui favorisent l’éclosion d’idées radicales et révolutionnaires dans les années 1830.
Ce collectif mérite une place de choix dans la bibliothèque de tous ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire britannique et canadienne mais également aux spécialistes de l’histoire politique, culturelle, économique, idéologique et du genre. Grâce à la multiplicité des thèmes étudiés, les textes ici réunis apportent une perspective fascinante des diverses dimensions de l’identité. Bien entendu, certaines interprétations présentées seront sans doute contestées. À titre d’exemple, le parallèle que Todd Webb fait, en guise de conclusion à son texte, entre les mésaventures du mouvement méthodiste et l’obtention de la responsabilité ministérielle semble plutôt fragmentaire puisqu’il ne prend pas en compte l’importance du facteur bas-canadien dans le processus décisionnel métropolitain. Il demeure toutefois que cet ouvrage apporte une contribution exceptionnelle à plusieurs champs de la discipline historique. Il reste à espérer qu’il sera rapidement traduit en français.