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Du siège d’Arcate au coup de main de Zierenberg, le Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la Guerre de Sept Ans de Jean-Claude Castex recense 137 combats livrés en Amérique du Nord (56), en Europe (33), aux Indes (41), aux Antilles (5) et en Afrique occidentale (2) entre 1754 et 1764. Chaque entrée donne le nom et la date de la bataille, la situe géographiquement, évoque son contexte, identifie les commandants et les effectifs engagés, décrit les stratégies et les tactiques adoptées, résume le déroulement de l’action, chiffre les pertes, brosse les conséquences de la défaite ou de la victoire, puis se termine par une courte liste de sources publiées.
S’atteler à l’écriture d’un dictionnaire n’est pas chose aisée. Celui-ci n’est pas le premier de l’auteur, qui publiait un Dictionnaire des batailles navales franco-anglaises aux Presses de l’Université Laval en 2004. Les deux ouvrages sont de facture identique et correspondent aux mêmes ambitions. Castex se donne comme premier objectif « de satisfaire aux besoins de rêve et d’évasion de ceux que passionnent les hauts faits des soldats » en leur proposant de « suivre les grandes épopées des sans-grades et des capitaines légendaires ». Son second objectif, « plus technique », est de permettre aux militaires d’approfondir leur connaissance des tactiques du xviiie siècle en étudiant les batailles à la lumière de la pensée des grands théoriciens militaires (p. ix-x). L’introduction de l’ouvrage met en évidence un constat clé, qui par ailleurs n’est pas entièrement nouveau : « Les soldats français, le plus souvent victorieux sur les champs de bataille, perdirent cette guerre par l’incompétence de leurs diplomates et de leur roi » (p. xvii). Ces premiers, calcule l’auteur, remportèrent 61 % des batailles qu’ils livrèrent aux Anglais pendant cette période.
Ce dictionnaire fera peut-être rêver de nombreux lecteurs et renseignera peut-être utilement quelques militaires. Malheureusement, en tant qu’outil de référence historique il affiche d’importantes faiblesses. De prime abord, la liste des entrées manque de rigueur. Par inattention, peut-être, ou parce qu’elles avaient échappé à l’ouvrage précédent, quatre batailles navales – du Cap-Français, du Cap Race, du Red Head of Angus et de la Ristigouche – se sont faufilées dans ce dictionnaire de batailles terrestres. De même, la décision de ranger 14 affrontements de la Guerre dite de Pontiac parmi les batailles franco-anglaises est mal justifiée. Alors que des batailles comme celles-là paraissent être de trop, d’autres manquent à l’appel. Celle de Signal Hill (1762), par exemple, qui fut pourtant la dernière livrée par des troupes françaises en Amérique du Nord pendant la Guerre de Sept Ans. Enfin, parce qu’il s’en tient aux batailles les mieux documentées, ce dictionnaire risque de donner la fausse impression que la guerre de parti (petite guerre ou guérilla) ne se pratiquait qu’en Amérique du Nord. Le calcul de 61 %, tout compte fait, n’offre qu’une précision trompeuse.
La masse des données accumulées aurait de quoi impressionner si l’ouvrage n’était pas truffé d’incongruités et d’inexactitudes. Regrettant dans son introduction que de courageux combattants se soient battus inutilement pour satisfaire aux désirs d’une noblesse parasite et d’un roi incapable et pédophile, monsieur Castex donne à fond dans le stéréotype. Il répète, sans évaluer de façon critique, diverses interprétations vétustes ou controversées. Par moment, son vocabulaire trahit un certain manque de sensibilité historique et culturelle. Il évoque, par exemple, les « guérilleros » ou « maquisards » acadiens, Vaudreuil le « pied-noir », l’orgueil des peuples de « race germanique », les « crimes contre l’humanité » de Jeffery Amherst et d’Henry Bouquet, les « Indiens » qui ne font pas de quartier « selon la loi du talion ». Des distinctions élémentaires lui échappent lorsque les Rangers se fusionnent aux Highlanders, ou les engagés trans-atlantiques aux engagés de la traite des fourrures. Les noms et chiffres fournis sont fiables dans l’ensemble, mais parfois erronés : Port La Joye, à l’Île Saint-Jean, devient Port La Joyce ; les quelque 3500-5000 assiégeants britanniques et autochtones du Fort Niagara se multiplient en 15 000. Enfin, l’iconographie est riche, mais elle pose aussi problème, dans la mesure où des représentations d’époque se mêlent sans indication aux reconstitutions romantiques du xixe et du début du xxe siècle.
Cet ouvrage ne fait pas honneur aux Presses de l’Université Laval. En plus des faiblesses conceptuelles et de contenu décrites jusqu’ici, que la relecture d’un spécialiste aurait exposées et permis de corriger, le livre comporte une foule d’irrégularités du point de vue de l’édition. Les redondances sont fort nombreuses. Quelques citations s’avèrent trop longues : l’une d’entre elles, tirée de l’Histoire populaire du Québec, tome 1 : Des origines à 1791 de Jacques Lacoursière, s’étale sur sept pages ! Une poignée d’annexes est maladroitement distribuée à travers l’ouvrage. On s’étonne notamment de retrouver un interlude de cinq pages sur les persécutions religieuses en Écosse, accompagné d’une photographie du mouton Cheviot (« le prétexte, qui permit à l’Angleterre le nettoyage ethnique de la Haute-Écosse » [p. 368]), insérée au beau milieu de l’entrée dédiée au siège de Mazulipatan aux Indes. En publiant cet ouvrage, les Presses de l’Université Laval n’auront rendu service ni aux lecteurs ni à l’auteur, qui, mieux encadré, aurait assurément pu produire un ouvrage de référence beaucoup plus solide et apprécié. Un ouvrage qui aurait satisfait aux besoins de rêve et d’évasion, certes, mais qui se serait aussi plié aux règles de l’art et de la science historique.