Le cimetière Mont-Royal de Montréal fut établi au milieu du xixe siècle à l’époque des premiers « cimetières ruraux ». À cette période certaines questions soulèvent un intérêt grandissant : l’hygiène, une certaine vision romantique d’un paysage contrôlé et qui élève moralement, l’ambivalence victorienne entre le bouillonnement de la ville et la pureté de la campagne, et les valeurs de la classe moyenne de respectabilité jusqu’après la mort. Dans le contexte particulier de la plus grande ville du Canada, le cimetière Mont-Royal est également un symbole de l’ascension des protestants sur le mont Royal et au-delà, vers les cieux. De fait, son emplacement retiré (à l’origine, dans ce qui constitue la banlieue de Montréal) contribue à un objectif encore plus important, celui de faire disparaître la mort de la vie quotidienne. En plus de cacher la mortalité humaine, la conception du cimetière s’inscrit dans une vision moderne de parcs agréables, où les vivants peuvent se retirer pour y régénérer leur âme. Dès cette époque, la relation entre le cimetière et les Montréalais est complexe, et parfois même, ambiguë. Professeur d’histoire à l’Université McGill, Brian Young publie un livre qui, à certains égards, reflète les multiples facettes, parfois contradictoires, de son sujet. L’ouvrage devient même parfois un conte lugubre, avec ses descriptions d’épisodes grotesques de pestilence, du travail des fossoyeurs, de cours d’anatomie, de dissections, de processions funéraires extravagantes, d’incinérations et d’érections de mausolées monumentaux. Le macabre côtoie le gothique dans ce texte, où sont également décrits les plants d’eau soigneusement conçus, les forêts urbaines amoureusement préservées, les pelouses artistiquement tondues, les massifs de pivoines incomparables, sans oublier la gentillesse des étrangers, les enterrements poignants de pompiers et de soldats, les jeunes couples ou les familles qui trouvent un coin isolé pour pique-niquer dans cette vallée de la mort. Ce texte scolaire multidimensionnel est présenté avec soin, les illustrations sont magnifiques et il a, comme le cimetière, certains côtés horribles et d’autres plus charmants. L’histoire du cimetière Mont-Royal débute dans les années 1840. Le moment est important ; les Rébellions sont encore bien présentes dans la mémoire des Montréalais et la ville est nettement divisée entre catholiques et protestants. Le nouveau cimetière est l’occasion d’étaler les idéaux anglo-canadiens victoriens de « respectabilité », un concept qui se traduit en termes de « britannicité » et protestantisme. Le fait que les dirigeants du cimetière choisissent d’exposer cette respectabilité en s’implantant juste à côté du nouveau cimetière catholique de Notre-Dame-des-Neiges contribue à attirer l’attention sur les différences entre les deux lieux de sépulture. La relation entre ces deux institutions montréalaises est esquissée, mais jamais analysée en profondeur ; cela serait l’objet d’une étude en soi. L’ouvrage ne manque pas d’intensité dramatique, notamment lorsqu’il montre les difficultés répétées des fondateurs du cimetière à mettre en place des pratiques de deuil modernes. Tout comme n’importe quel autre artefact de modernité, le cimetière Mont-Royal délimite des frontières de genre, d’ethnie, de classe sociale ou de race. Le capitalisme anglo-canadien construit son nid sur un côté du mont Royal et enterre ses morts sur l’autre. Les deux versants expriment la philosophie et les idéologies de l’élite économique sur les plans individuels, de réussite, de virilité, de féminité et de l’empire. Young commente, au sujet du genre et du marbre, que dans les années qui précèdent la Grande Guerre : « Awhile the headstones of men generally speak of work, church, club, and other public service, the epitaphs of women emphasize morality, family heirs, friendship, and faithful service. » (p. 44) Le clivage entre protestants pauvres et riches est encore plus frappant : les premiers sont enterrés …
YOUNG, Brian, Respectable Burial : Montreal’s Mount Royal Cemetery (Montreal, McGill-Queen’s University Press, 2003), lvi-226 p.[Notice]
…plus d’informations
John Douglas Belshaw
Université Thompson Rivers
Kamloops, Colombie-Britannique