Comptes rendus

MURRAY, David, Colonial Justice : Justice, Morality, and Crime in the Niagara District, 1791-1849 (Toronto, University of Toronto Press, 2003), 285 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Garneau

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  • Jean-Philippe Garneau
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Par petites touches, ce livre dévoile les multiples visages que la justice criminelle a revêtus pour la population du district de Niagara avant 1850. Délaissant les hautes sphères de l’appareil judiciaire et les causes à saveur politique, plus exceptionnelles, l’auteur se concentre sur les significations locales de l’activité régulière de la cour des sessions trimestrielles de la paix (Quarter Sessions of the Peace), particulièrement pour les années 1820 à 1840. De ce point de vue, la British justice en sol haut-canadien n’apparaît plus comme un objet de pouvoir aux mains de l’establishment colonial, mais comme une institution reproduite localement par les acteurs de la scène judiciaire, depuis les juges de paix jusqu’aux témoins en passant par les jurés et les constables. David Murray entend donc remettre en question l’historiographie qui véhicule ce « paradigme » de la corruption (Robert Fraser et Paul Romney sont particulièrement visés), tout en prônant une approche « from the bottom up » caractérisant les plus récents travaux sur le sujet (notamment ceux de Donald Fyson ou Susan Lewthwaite). Après une description succincte du cadre socio-économique du district de Niagara (chapitre 1), l’ouvrage se divise en trois parties. La première partie présente en deux chapitres, principalement sous l’angle du pouvoir, les principaux responsables de l’activité des sessions trimestrielles. De tous ces personnages, seul le shérif représente clairement les intérêts de la couronne, alors que les juges de paix oscillent entre le pouvoir colonial et la communauté locale dont ils sont issus. Les jurés, ceux qui forment le grand jury, conservent leur allégeance à la population du district qu’ils représentent et défendent parfois. Selon Murray, ceux-ci permettent même de légitimer le processus judiciaire « for the local community » (p. 64). On aurait tout de même aimé en savoir plus sur l’identité sociale de ces derniers, tout comme sur celle des juges de paix dont le portrait est à peine esquissé. L’exercice s’imposait dans la mesure où l’auteur insiste pour faire du tribunal un lieu de tensions opposant parfois les grands jurés aux juges de paix. Le profil des constables est plus précis : appartenant à la communauté, sans distinction de classe semble-t-il, ils assument un service public efficace et apprécié de la population, ce qui diffère assez de la situation montréalaise à la même époque. Étant donné l’intérêt de l’auteur pour les rapports entre la justice et la population, d’autres « serviteurs » de la cour auraient pu être étudiés. Je pense ici au greffier de la paix et aux avocats dont on sait par ailleurs qu’ils sont bien présents. Dans ce dernier cas, l’oubli est d’autant plus remarquable que le livre conclut sur la profonde inégalité de la justice coloniale, notamment « [for] those too poor to employ lawyers to assist them » (p. 223). La seconde partie de l’ouvrage, plus hétérogène, explore les liens entre la morale (morality) et la justice criminelle, les deux étant indissolublement liés dans l’esprit des contemporains. Sont tour à tour abordés les usages judiciaires de la loi du sabbat (chapitre 4), le traitement pénal des aliénés accusés de crime (chapitre 5) et la prise en charge des paupers par les sessions trimestrielles (chapitre 6), de loin le thème le plus intéressant à mon avis. Dans l’ensemble, D. Murray trace un portrait assez glauque de la justice en tant qu’outil de moralisation de la population. Ainsi, le tribunal parvient à faire respecter le sabbat uniquement dans les cas où l’immoralité « became blatant or caused offence ». Les aliénés, plutôt que de recevoir un traitement adéquat, croupissent en prison ou au pénitencier, la solution ne venant …