Le sous-titre de cette étude dit bien son intention et son contenu. L’auteur, qui a peaufiné au fil des ans sa thèse de doctorat et lu 19 journaux du Bas-Canada de l’époque, une quarantaine de brochures, une bonne partie des écrits et de la correspondance de Papineau et fouillé maints fonds d’archives, montre de façon systématique que le terme d’« américanité » n’est pas qu’un mot à la mode, mais qu’il réfère fondamentalement à la géopolitique historique et actuelle du Québec. L’exploration par les Patriotes après 1774, et surtout après la deuxième crise d’Union de 1822, de la mouvance républicaine des États-Unis et des autres colonies émancipées d’Amérique latine dit d’entrée de jeu comment américanité et républicanisme sont alors liés. Et c’est précisément la découverte et l’exploration de cette voie républicaine qui ont donné à l’anticolonialisme son visage le plus expressif, celui de la recherche d’institutions et d’une forme de gouvernement non monarchiques. Parce qu’il est bien familier avec l’histoire des États-Unis et parce qu’il a suivi de façon systématique et concentrée la piste américaine de l’histoire de la période, L.-G. Harvey a raison de dire qu’il fait une « tout autre appréciation des revendications anticoloniales du mouvement patriote » (p. 17). La nouveauté de cette interprétation réside davantage dans l’énoncé et le déroulement de la preuve que dans le jugement qui est porté sur l’aboutissement du processus en 1837. Si le lecteur informé acquiesce à l’idée que le vocabulaire politique est alors « bien républicain » et que la cohérence de la démarche républicaine des Patriotes est « plus marquée » qu’on n’a pu l’affirmer, l’analyse de l’admiration première (dans le temps) des Canadiens pour la Constitution et les « libertés anglaises » vaut toujours. Le débat me semble porter sur le moment et les causes du changement d’orientation de la lecture de la situation coloniale d’un Papineau, par exemple. L’auteur montre bien – tout comme la correspondance de Papineau en cours de publication – que ce tournant se situe au moment du projet d’Union de 1822. Dès lors, et avant 1830, s’amorce une prise de conscience d’une alternative politique propre au Nouveau Monde dont l’expérience étatsunienne de 1776 deviendra le modèle le plus général et le plus convaincant. En ne limitant pas la définition du « libéralisme » à la seule tradition des « libertés » intellectuelles et politiques - qu’elles aient été anglaise, française ou étatsunienne -, mais en adaptant la thèse de Pocock, L.-G. Harvey lie la critique patriote du capitalisme marchand à la tradition jeffersonnienne de la vertu et de la dénonciation de la corruption, mercantile entre autres. Pour ce faire, l’auteur a des pages (p. 28-31) fascinantes d’histoire des mentalités sur la formation classique des élites bas-canadiennes exposées à la rhétorique des grands auteurs dénonciateurs du luxe et de la corruption à Rome et promoteurs des devoirs du citoyen. Non seulement cette approche permet-elle de comprendre autrement la tradition québécoise de critique du « matérialisme » des Américains, mais on voit comment elle parcourt la trame de l’époque, de l’initiative du projet d’Union des marchands britanniques de la colonie en 1822 jusqu’à la critique soutenue de la liste civile, corruptrice. Cette analyse fine et magnifiquement documentée de la trame américaine de l’histoire du Bas-Canada permet encore de comprendre, par exemple, pourquoi on passe en 1826 du Parti canadien au Parti patriote. Le changement d’appellation indique à la fois une identification aux Patriots de 1776 et un rapprochement avec tous les « patriotes » de la colonie, « Canadiens » et autres, dans un mouvement civique d’inclusion. Le Bas-Canada était la « patrie » (p. …
HARVEY, Louis-Georges, Le printemps de l’Amérique française. Américanité, anticolonialisme et républicanisme dans le discours politique québécois, 1805-1837 (Montréal, Boréal, 2005), 296 p.[Notice]
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Yvan Lamonde
Département de langue et littérature françaises
Université McGill