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L’ouvrage présenté ici est une édition d’un document manuscrit du xviie siècle, qui est en fait un « Abrégé des vies et moeurs et autres Particularitez de la Nation Irokoise… ». Si l’on fait exception des récits laissés par Pierre-Esprit Radisson, ce très bref document (d’une quinzaine de feuillets recto-verso) vraisemblablement rédigé dans les années 1660, représente l’un des premiers témoignages sur les pratiques politiques, conjugales, religieuses et martiales des Cinq Nations iroquoises à l’époque coloniale. Y figure notamment une description particulièrement intéressante de la procédure suivie lors des conseils civils et militaires. Comme l’auteur semble avoir vécu en captivité chez les Iroquois pendant plusieurs mois, le document représente une source de première importance pour les chercheurs en histoire autochtone, qui devraient d’ailleurs se réjouir de l’impressionnant dynamisme que connaît, dans leur champ d’étude, la publication de documents historiques. Cette fois, cependant, on reste sceptique quant à la pertinence d’une nouvelle édition du document, qui a déjà fait l’objet de deux publications en 1996, soit aux Éditions 101, sous la forme d’une petite monographie préparée par Aurélien Boisvert, et dans la revue Recherches amérindiennes au Québec (XVI,2). Certes, la traduction proposée par Brandão rendra le document beaucoup plus accessible pour les étudiants et les chercheurs anglophones — d’autant plus que la notoriété des presses de l’Université du Nebraska devrait en faciliter la diffusion —, mais on peut douter que le succès soit très important auprès du lectorat francophone.
Si le document édité ici n’est pas nouveau en soi, il convient néanmoins de reconnaître quelques mérites à l’entreprise de Brandão. D’abord, une longue introduction offre au chercheur une mise en contexte du document, nettement plus approfondie que celles faites à ce jour. Les éditeurs précédents s’étaient en effet contentés d’intuitions sur la paternité du document, alors que Brandão scrute plus attentivement son histoire afin d’en dater la rédaction et de déceler avec plus de certitude l’identité de l’auteur. Le résultat est une argumentation étoffée de l’hypothèse émise par A. Boisvert, qui avait attribué le document à René Cuillerier, un habitant de Lachine capturé par les Iroquois en 1661 et qui passa un an et demi en captivité chez les Onéiouts. La qualité de la transcription est aussi nettement supérieure à celle proposée par A. Boisvert, qui avait pris le parti de moderniser la graphie originale ; la minutie de Brandão lui permet même de corriger, au passage, quelques « coquilles » oubliées par les éditeurs de Recherches amérindiennes au Québec.
On ne peut que saluer le caractère scientifique de l’annotation ajoutée au texte par Brandão, qui présente les études ethnographiques les plus récentes sur la culture iroquoise. Cette attitude tranche radicalement avec celle d’A. Boisvert, dont les quelque 191 notes explicatives, souvent plus lourdes que pertinentes, projettent une vision extrêmement archaïque de la société iroquoise, décrite comme déraisonnable, « inhumaine » et « sanguinaire ». Seulement, comparée à ces 191 commentaires, l’annotation de Brandão paraît peu ambitieuse et l’on aurait souhaité qu’une nouvelle édition du document fasse une mise en parallèle plus systématique avec d’autres sources et propose davantage de références bibliographiques. Ou peut-être aurait-il été plus judicieux de publier un recueil colligeant plus d’un document sur les moeurs iroquoises ?