Comptes rendus

DORLAND, Michael et Maurice CHARLAND, Law, Rhetoric, and Irony in the Formation of Canadian Civil Culture (Toronto, University of Toronto Press, 2002), 359 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Garneau

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  • Jean-Philippe Garneau
    Centre interuniversitaire d’études québécoises
    Université Laval

À l’heure des remises en question de l’État-nation, les thèmes abordés dans cet ouvrage sont on ne peut plus actuels : citoyenneté, identité nationale, culture et lien politiques. Préoccupés par « l’alphabétisation politique » au Canada (p. 315), Michael Dorland et Maurice Charland ont recours à l’histoire et à une approche résolument postmoderne pour tracer les contours de la « culture civile » canadienne. Convaincus qu’un destin éclairé de cette collectivité repose sur une meilleure compréhension du passé, les auteurs analysent plus particulièrement les liens historiques qui, dans le contexte canadien, se sont tissés entre le droit, la rhétorique ou l’ironie et cette culture civile « basée sur la communication et la persuasion, faite de diversité et de consensus » (p. 15). Généralement conçu comme système normatif ou répressif, le droit est d’abord envisagé, dans cet ouvrage, comme un langage ou un système de communication qui crée et structure la sphère publique, le lien politique ou le débat démocratique (J. Habermas). En tant que cons-titution, le droit est également perçu comme un référent culturel important (ex. : la clause « paix, ordre et bon gouvernement » du préambule de la constitution de 1867). Enfin, comme expression des institutions publiques, le droit constitue un matériau discursif articulé par la rhétorique ou, parfois, par l’ironie ouverte ou involontaire. Pour chacun de ces niveaux d’analyse, l’histoire générale du Canada est sollicitée par les auteurs. Faisant écho au débat sur le déclin de l’histoire nationale au profit d’histoires fragmentées, Dorland et Charland empruntent particulièrement à l’histoire (culturelle) du droit pour montrer qu’un récit global (i.e. canadien) peut très bien s’accommoder de la diversité. C’est dans cet esprit que les auteurs envisagent la difficile cohabitation des droits français et anglais instaurée par l’Acte de Québec en 1775, véritable « ambilinguisme » qui marque durablement la culture civile canadienne sous le sceau de la complexité et de l’ambivalence (chapitre III). La Conquête britannique, changement radical et durable (chapitres I et III), introduit par ailleurs un nouvel ordre constitutionnel fondé sur la Règle de droit (Rule of Law). À la faveur de l’émergence d’une sphère publique, le débat sur le droit devient d’ailleurs, à partir de 1760, « the matrix of the social relation of the colony’s civil cultures » (p. 31). Dans le chapitre IV, les auteurs identifient les « structures profondes » des constitutions qui se succèdent de 1763 à 1867. La loi britannique — et non le peuple — constituerait le principe « métaphysique » de base, de même qu’une attitude de prudence définie « within a largely English tradition of political liberties and their institutional forms » (p. 153). L’efficacité et la légitimité de la constitution reposent tant sur cette éthique qui cherche l’adhésion des sujets que sur une culture civile correspondante, sorte de « constitution-behind-constitution » (Kenneth Burke). Ainsi, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique serait nimbé d’une « culture of deferral » (p. 150). Deux luttes bien connues de l’histoire canadienne illustrent toutefois les limites et les transformations de cet ordre constitutionnel après la Confédération. Les rébellions des métis de l’Ouest canadien (chapitre V) rappellent d’abord que la loi a exclu des segments importants de la population canadienne. Pour Dorland et Charland, l’affaire Riel, loin d’offrir un récit glorieux, hypothèque le projet national canadien, désormais stigmatisé par le ressentiment et une « unhappy consciousness » (p. 190). La justice et les libertés anglaises cèdent le pas à une raison d’État désincarnée, dépourvue des impératifs de prudence caractérisant jusqu’alors le mode de gouvernance dominant. En ce sens, l’événement fait figure de tournant pour la culture civile canadienne. L’avènement de …