Réflexions sur l’application de l’histoire[Notice]

  • Marc Riopel

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  • Marc Riopel
    Fédération des sociétés d’histoire du Québec

Au Québec, depuis la fin des années 1990, l’histoire dite publique gagne en popularité auprès des historiens universitaires. Même si cette pratique de l’histoire commence à peine à intéresser ces derniers, de nombreux historiens diplômés exercent leur métier à l’extérieur du milieu universitaire, et ce, depuis fort longtemps. Par contre, la reconnaissance, à sa juste valeur, de cette pratique tarde encore à venir. Cette situation s’explique en partie par le fait que la réflexion sur les concepts et sur la nature de l’histoire publique est encore à l’état embryonnaire, malgré les 25 ans d’existence formelle de ce mouvement. Ce texte veut contribuer à corriger cette lacune en revisitant le terme histoire publique et en proposant une définition de cette pratique basée sur l’historiographie et sur ma pratique professionnelle en collaboration avec le milieu local et régional. Précisons d’entrée de jeu que l’histoire locale et régionale se prêtent fort bien à ce genre de collaboration et qu’elles donnent lieu généralement à la publication de documents s’adressant au grand public. Il n’en va pas de même de tous les domaines de l’histoire dite publique. Certains cas s’avèrent, en effet, plus délicats, par exemple quand l’historien reçoit le mandat de faire l’histoire d’une entreprise, où les risques de découvrir un squelette dans le placard sont sans doute plus grands, ou encore quand il s’agit de commandes de recherche provenant de ministères ou de communautés autochtones, où les questions à l’étude sont toujours très politisées. Mais il faut dire que dans ce dernier cas plus particulièrement, l’historien n’interagit que rarement avec le grand public, la production historique qui découle de ses recherches visant davantage des buts internes, dont l’évaluation des politiques de gestion, que la diffusion pour un public large. Ce texte fait donc surtout référence à la situation dans laquelle se retrouve l’historien qui pratique l’histoire locale et régionale, une pratique basée sur des méthodes de recherche historique classiques, en un mot sur l’histoire universitaire, mais en fonction d’un auditoire plus large. Afin de bien situer les particularités de cette pratique, il s’avère nécessaire, dans un premier temps, de préciser le contexte qui a présidé à l’apparition du mouvement de la Public History, mouvement qui a pris forme à la suite d’une remise en question de la pratique de l’histoire universitaire et de la crise de l’emploi en histoire. Malgré les orientations communes acceptées par les promoteurs de ce mouvement, ils ne s’entendent pas sur le nom officiel à lui donner, hésitant entre histoire appli-quée et histoire publique. De mon côté, insatisfait de la précision de ces termes, je suggère plutôt d’utiliser l’expression application de l’histoire pour désigner la pratique associée à la Public History, ce dont je m’explique dans un deuxième temps. Une fois cette démarche terminée, il convient de s’interroger sur le sens de l’application de l’histoire. Aussi, je propose, dans la dernière partie de ce texte, une définition originale de l’application de l’histoire, basée sur la collaboration avec le milieu de la diffusion de l’histoire et du patrimoine, tout en soulignant certains des problèmes associés à une telle démarche. Les progrès de l’historiographie, à la fin du xixe siècle, engendrent la séparation de l’historien et du milieu étudié dans le sillage du débat entourant le caractère scientifique et l’objectivité de l’histoire. Dès lors, les historiens se divisent en deux groupes plus ou moins étanches : les historiens amateurs, engagés dans leur milieu, et les historiens universitaires, généralement coupés du milieu étudié. Ces derniers entreprennent alors de reconstruire le passé selon une méthodologie scientifique qui vise à souligner les lois générales de la société. Cette constitution …

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