Comptes rendus

PARENT, Étienne, Discours, édition critique par Claude Couture et Yvan Lamonde (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau monde », 2000), 466 p.[Notice]

  • Fernande Roy

…plus d’informations

  • Fernande Roy
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

L’intellectuel canadien-français le plus célèbre du xixe siècle méritait certainement une réédition de ses conférences dans la prestigieuse « Bibliothèque du Nouveau monde ». Pourtant, Claude Couture et Yvan Lamonde évitent bien soigneusement de qualifier ainsi Étienne Parent. Journaliste, écrivain, essayiste, conférencier, penseur, fonctionnaire, ce dernier a droit à toutes les étiquettes, sauf à celle d’intellectuel. Néanmoins, après la lecture de l’introduction et, a fortiori, après avoir lu Parent, les lecteurs seront convaincus : à son époque, Étienne Parent s’avère l’intellectuel par excellence, utilisant son prestige d’homme cultivé pour convaincre ses contemporains de la justesse de sa vision de l’organisation sociopolitique et de l’avenir des Canadiens français. Cette édition comporte principalement les conférences prononcées entre 1846 et 1852, à Montréal et à Québec, auxquelles s’ajoutent, en appendice, quelques articles publiés dans Le Canadien ainsi que deux autres conférences, l’une sur la presse, en 1844, et l’autre sur la Confédération, en 1868. Comme à l’habitude, l’ouvrage comporte une chronologie, plutôt sommaire, ainsi qu’une bibliographie exhaustive. Les deux historiens signent une introduction substantielle, qui révèle une connaissance approfondie des textes de Parent, même des nombreux articles du Canadien, qu’ils ne rééditent pas. Couture et Lamonde présentent un résumé des principales convictions de Parent et ils soulignent son intérêt pour la conjoncture internationale. Ils concluent au libéralisme et au nationalisme modérés du journaliste. Je suis toujours étonnée des glissements de sens lorsqu’on parle de la modération de Parent (ou de son conservatisme). Les auteurs emploient l’expression « nationalisme de conservation », au sens propre de « conserver la nation », expression qu’ils assimilent, bien traditionnellement, au « nationalisme de survivance ». À mon avis, Parent est très ardemment nationaliste, malgré un découragement passager à la suite du rapport Durham. C’est cette forte conviction qui l’amène à repousser la rébellion qui mettrait en danger, selon lui, la nationalité canadienne-française. La modération du journaliste ne concerne pas ses principes ou ses valeurs. Elle renvoie à son analyse pragmatique de la réalité et des rapports de force dans lesquels se trouvent les Canadiens français. Favorable au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il croit inopportun d’en demander l’application tant que les Canadiens français ne seront pas en mesure de défendre leur nationalité vis-à-vis de l’exploitation appréhendée des Américains. « Notre unique recours, c’est nous [...] », écrit-il avec beaucoup de clairvoyance (Le Canadien, 19 avril 1837). Cet intellectuel bien informé recommande à ses contemporains la sagesse politique précisément parce qu’il tient à sa nation. C’est aussi un pacifiste. À la suite d’O’Connell, il répète que « toute la liberté du monde ne vaut pas une goutte de sang répandue pour l’acquérir » (Le Canadien, 25 avril 1834). Peut-être est-il temps, pour les historiens, de cesser d’opposer nationalisme culturel à nationalisme politique, comme si le premier n’était qu’un pis-aller ou une pâle consolation face à une impossible indépendance. D’une part, la revendication de droits culturels touche forcément au politique et, d’autre part, dans un certain contexte, renoncer à une chimère n’a rien d’une abdication. En même temps, Parent est profondément libéral, ses conférences le montrent bien. C’est son absence d’anticléricalisme qui lui vaut l’appellation de modéré, comme pour la majorité des libéraux canadiens-français du xixe siècle. Les présentateurs se penchent aussi sur la réception critique des conférences. Ils distinguent trois phases : d’abord, dans les journaux, du vivant du conférencier ; puis, de 1874 à 1960, un siècle où il est devenu une sorte de légende, une référence obligée pour manuels ou anthologies, mais qu’on lit peu, me semble-t-il ; enfin, depuis 1960, période où les études …