Rodolphe Duguay (1891-1973), peintre paysagiste de Nicolet, a laissé de nombreux écrits : une correspondance abondante, quelques articles et son journal. Ce journal est une riche contribution à la documentation déjà existante sur les artistes canadiens et permettra de mieux comprendre les conditions d’existence et de création des artistes de la première moitié du xxe siècle. Au cours des premières années durant lesquelles Duguay rédige son journal, soit de 1907 à 1913, il se limite à quelques entrées chronologiques d’événements marquants tels que la maladie et la mortalité dans la famille, des incendies, des voyages, des déménagements et des changements d’emploi. De très courtes et peu nombreuses au début, les entrées deviennent de plus en plus longues et fréquentes à mesure que Duguay vieillit. Le journal couvre les années qui ont sûrement été les plus décisives de sa vie de peintre. En fait, Duguay commence à le rédiger à l’époque de ses 16 ans ; les premières pages font état de la naissance de son désir de devenir peintre : « Je rêve d’aller étudier la peinture à Paris. Qu’en diront papa et maman ? » (le 20 mars 1911). Les pages qui suivent rendent bien la progression et la réalisation de son rêve. À son retour à Nicolet, alors qu’il est âgé de 37 ans, après 7 ans d’études en France, il est enfin formé pour sa carrière d’artiste. Qui est le Rodolphe Duguay que son journal nous fait découvrir ? Dans son récit, il divulgue ses sentiments, ses frustrations, ses joies, ses peines, ses élans spirituels et, bien sûr, ses progrès artistiques. (« Lundi j’ai fait une pochade que le professeur... trouva très bien. Il me dit que je n’avais plus qu’à continuer, que j’étais sur la voie, que j’avais compris. » (24 février 1926) À travers les pages, nous découvrons un Duguay dévot, émotif, sentimental, contemplatif, solitaire, hésitant, ouvert aux conseils et aux corrections, pieux et pratiquant jusqu’à l’extrême. Les entrées commencent typiquement par les événements, sorties et rencontres de la journée, pour finir comme un dialogue intérieur et souvent comme une prière écrite : « Tendre Jésus... Doux Trésor, fais-moi t’aimer, fais-moi avoir confiance en Toi, confiance sans limite, voilà mon plus grand désir... » (7 novembre 1926). En 1924, Duguay fera la découverte de sainte Thérèse ; sa dévotion pour elle est pour le moins obsessive, se manifestant dès le début comme une sorte de fanatisme, de ravissement ou d’extase religieuse. Dorénavant il s’adresse directement à sainte Thérèse, sa « mignonne » (6 juillet 1926) dans presque toutes les entrées de son journal. « Ma petite Thérèse d’Amour, comme tu fais du bien à mon âme, aussi je t’aime de tout mon coeur, Enfant Chérie ! » (8 janvier 1925). Duguay révèle également les états d’âme d’un déraciné en exil, terriblement fragile et déprimé, souffrant d’un mal du pays constant : « [...] je languis [...] et j’ai du vide dans la tête, les miens me manquent de plus en plus. Marie donnez-moi du talent pour que plus tôt je retourne chez nous. » (5 février 1921) Parfois sévère dans ses croyances, Duguay est néanmoins capable de compassion : « Nous avions un charmant petit modèle, jeune fille de 17 ans [...] Pauvre gosse [...] Que deviendra-t-elle dans ce métier [...] ? C’est triste de voir ces pauvres petites femmes qui sont nées pour être bonnes, finissent par n’être que de pauvres petites brutes. Marie, veillez du moins sur cette pauvre petite, elle semble encore être bonne. » (26 juin 1923) En parcourant ce récit, le lecteur s’intéressera à la rencontre des deux mondes …
DUGUAY, Rodolphe, Journal, 1907-1927. Texte intégral, présenté et annoté par Jean-Guy DAGENAIS (Montréal, Les Éditions Varia, 2002), 752 p.[Notice]
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Alison Longstaff
Centre interuniversitaire d’études québécoises
Université du Québec à Trois-Rivières