Résumés
Résumé
La morphologie et les dépôts de la plaine au sud-ouest de Montréal révèlent une dynamique glaciaire complexe. Des formes allongées (drumlinoïdes) subparallèles à l’axe du Saint-Laurent sont constituées d’un corps de till d’accrétion fissile et compact parfois recouvert d’un till de fusion ou d’un matériel grossier d’origine littorale, probablement glacielle. Ce modelé sous-glaciaire a d’abord été façonné par un important écoulement glaciaire du nord-est qui remontait les basses terres du Saint-Laurent en direction sud-ouest. Ceci est démontré par la présence de traceurs pétrographiques d’origine appalachienne, ainsi que par les trames de till et les microformes orientées dans ce même axe NE-SO. La genèse initiale de ce modelé s’apparente donc plus à celle des drumlins qu’à celle des formes transverses à l’écoulement, telles les moraines de Rogen ou côtelées. Ce sont avant tout des formes d’accumulation, mais la forte correspondance entre la plus grande partie des constituants du till et la lithologie locale, et l’excellent état de conservation des morceaux de lit glaciaire polis et striés montrent que la source de ces matériaux était proche. Ces drumlinoïdes fraîchement forgés ont été chevauchés par un second écoulement glaciaire, du nord-ouest ou du nord celui-là, sans qu’il y ait eu déglaciation. Bien qu’il ait laissé ses traces un peu partout sur le territoire, ce second flux glaciaire a peu transformé le modelé initial du nord-est. Toute la partie glaciaire des drumlinoïdes appartient à un seul et même épisode glaciaire du Wisconsinien supérieur. Les tills d’accrétion formant leur noyau sont corrélables entre eux, mais aussi à la presque totalité des tills les plus récents trouvés dans la région.
Abstract
Landforms and deposits of Huntingdon plain, southwest of Montréal, reveal a complex glacial history. Of that glacial heritage, we have considered elongated landforms nearly parallel to the St. Lawrence River axis. The core of these drumklin-like (drumlinoids) forms is a fissile and compact lodgement till, occasionally covered by a melt-out till or by coarse littoral material of probable drift ice (ice-rafted) origin. These subglacial landforms were first moulded by an important ice flow from the northeast moving up St. Lawrence Lowlands south-westwards. This is shown by indicator stones of appalachian origin, but also by till fabrics and microforms of glacial erosion both oriented northeast-southwest. Thus, the initial part of their genesis makes the drumlinoids more similar to drumlins than to subglacial transverse landforms like Rogen or ribbed moraines. Characteristics of the lodgement till indicate than the drumlinoids were constructed by accumulation processes, but that erosion processes responsible for an important fraction of the till were in action near by. The first ice flow from the northeast was followed by a second one from the northwest or the north without deglaciation. Even if this second ice flow let its traces all over the studied area, the initial glacial morphology was only slightly modified. The entire glacial portion of the drumlinoids belongs to the same Late Wisconsinan glacial Stage. The last important phase in the genesis of the drumlinoids was accumulation of drift ice sediments in the end of Champlain Sea episode which altered their crest but mainly their southeastern side.
Corps de l’article
Introduction
Un vaste champ de drumlinoïdes occupe la plaine du Saint-Laurent entre la région de Valleyfield (Québec) et les environs de Brockville (Ontario) (fig. 1). Partiellement fossilisé par les dépôts de la Mer de Champlain, ce relief a fait l’objet de maintes études sans qu’aucune n’en explique, de manière satisfaisante, l’origine. En témoigne la conclusion de Carl (1984) au terme d’une mise au point particulièrement lucide : I proposed an hypothesis (pour expliquer les formes)... The concept proved... slippery to comprehend... I abandoned the surface stuff and returned to work on Precambrian metamorphic rocks.
On a tantôt pensé que ces drumlinoïdes pouvaient être des formes frontales ou sous-aquatiques, et tantôt qu’ils avaient une origine sous-glaciaire. Cette dernière interprétation sous-tendait elle-même plus d’une possibilité. Ou bien ces formes étaient transverses à l’écoulement glaciaire, ou bien elles avaient été façonnées parallèlement à celui-ci. Des auteurs les ont comparées ou identifiées aux moraines de Rogen ou moraines côtelées, d’autres aux drumlins. Certains y voient un passage de moraines côtelées vers des drumlins à l’amorce du piémont des Adirondacks. Enfin, quelques auteurs ont émis l’hypothèse d’une genèse polygénique. Le tableau I résume les conclusions de plusieurs auteurs qui ont étudié ces formes. En corollaire, transparaît la question d’un ou de plusieurs épisodes glaciaires distincts. Les scénarios bipartites ou même tripartites traditionnels Malone—Fort Covington—post-Fort Covington sont ainsi opposés à celui d’un seul et même épisode glaciaire.
Nos travaux jettent un éclairage neuf sur la genèse complexe des drumlinoïdes et autorisent une révision des conclusions des travaux antérieurs. La bonne compréhension de la genèse de ces formes est essentielle car elle influence notre perception de la séquence des écoulements glaciaires. En effet, nombre d’éléments prouvent que ces formes ont une origine sous-glaciaire proche de celle des drumlins, mais qu’elles ont été forgées par deux écoulements glaciaires successifs sans période de déglaciation.
Dix-neuf tranchées, creusées à la rétrocaveuse dans huit drumlinoïdes éclairent les modalités complexes de leur mise en place au sud-ouest de Montréal, près de la frontière canado-américaine.
Description des formes
Le secteur analysé se localise à 75 km au sud-ouest de Montréal. Il couvre 540 km2 (feuilles topographiques de Cazaville et Huntingdon ; Ministère de l’Énergie et des Ressources, 1984a, 1984b). Il est traversé par une construction sablo-caillouteuse : la forme de Lee’s Corner-Beaver Crossing que nous interprétons comme une forme de marge glaciaire (Bariteau, 1988 ; Delage et Gangloff, 1993 ; Delage, 1998) (fig. 2).
Un groupe témoin de huit drumlinoïdes a été sélectionné sur ce territoire. Ils se divisent en deux sous-groupes de quatre répartis de part et d’autre de la forme de Lee’s Corner-Beaver Crossing, entre 50 et 80 m d’altitude. Sept des huit formes se trouvent au-dessus d’une lithologie principalement dolomitique à laquelle se greffent du calcaire et du shale (Formation de Beauharnois-Groupe de Beekmantown, d’âge ordovicien), alors que le grès et la dolomie de la Formation de Theresa (Groupe de Beekmantown, id.) sous-tendent la huitième (Globensky, 1981, 1982, 1986). Leur longueur fluctue de 619 à 2 905 m (moyenne : 1 633 m) et leur largeur de 175 à 619 m (moyenne : 395 m), le rapport longueur/largeur variant ainsi de 2,7 à 5,92. L’orientation de l’axe principal des formes oscille entre 46 et 79° N. La hauteur varie d’un minimum de 2 m à plus de 25 m.
Certaines formes sont constituées d’un seul ensemble alors que d’autres donnent l’impression d’une coalescence entre plusieurs îlots ou buttes glaciaires. D’un contour relativement rectiligne, quelques drumlinoïdes montrent, dans le détail, une ou plusieurs concavités tournées parfois vers le nord-ouest, parfois vers le sud-est (tabl. II et fig. 3 à 5). Bien que le profil de leurs versants soit presque toujours concave, trois drumlinoïdes ont des pentes convexes sur une portion ou sur l’ensemble de leur versant nord-ouest. Quelques-uns portent des crêtes secondaires tantôt parallèles, tantôt transverses au grand axe des formes. Enfin, cinq des huit formes présentent un talus abrupt sur une partie ou sur l’ensemble de leur versant sud-est (tabl. II, fig. 3 et 5).
Le tableau II résume les données générales des formes étudiées. Les figures 3 à 5 illustrent trois d’entre elles en plan et en profil, auxquels sont juxtaposées les trames de till et courbes granulométriques cumulatives correspondantes. Les huit drumlinoïdes ont été numérotés de l’ouest vers l’est (fig. 2).
Stratigraphie et faciès
Dix-neuf (19) excavations nous ont permis d’observer les drumlinoïdes en coupe. Toutes ont été réalisées à l’aide d’une rétrocaveuse. La profondeur des tranchées varie de 1,70 à 3,63 m, pour une moyenne de 2,83 m. À l’exception des deux excavations dans la forme no 2 creusées à son extrémité sud-ouest près de l’endroit où elle est partiellement chevauchée par un esker, les formes ont été percées le plus près possible de leur ligne de crête, et de manière à couvrir leurs deux versants.
La figure 6 illustre les 19 colonnes stratigraphiques. La numérotation des colonnes s’explique comme suit (ex. : 1B.3) : le premier chiffre renvoie au numéro de la forme, la lettre situe l’excavation sur la forme et le dernier chiffre localise la position de la couche à partir de la surface. Hormis une portion de 2A.3, la base des drumlinoïdes est toujours constituée par un diamicton massif, le plus souvent fissile. Ce faciès est généralement surmonté par une ou plusieurs couches, tantôt sableuses, tantôt composées de matériaux grossiers, mis en place pour la plupart au cours de la régression champlainienne.
Les diamictons massifs formant l’assise des coupes ont tous été formellement identifiés comme tills de fond : 17 tills d’accrétion (lodgement tills) et trois tills de fusion (melt-out tills). Ces tills ont été observés sur des épaisseurs variables de 0,32 à 2,98 m (moyenne : 1,67 m). Dans tous les cas, le till de fond est l’unité stratigraphique (meuble) la plus profonde atteinte par la rétrocaveuse.
Tills d’accrétion
Les tills d’accrétion s’étendent certainement au-delà des profondeurs atteintes par la rétrocaveuse et constituent sans doute le corps des drumlinoïdes, ce que confirment des coupes au bord des routes et d’autres excavations effectuées en marge de la présente étude. Ce sont tous des diamictons massifs à rudites flottantes (Dmm : Diamict-matrix supported-massive) (Eyles et al., 1983). À une exception près, la matrice réagit toujours au HCl 10 % reflétant en cela également le substrat dolomitique local. La proportion d’éléments autochtones atteint souvent 80-90 %. Ils présentent les caractéristiques suivantes : une absence de tri apparent ; une origine locale des matériaux des tills : la matrice et la fraction grossière reflètent la lithologie du substrat local ; une fréquente fissilité, souvent parallèle aux flancs des drumlinoïdes ; une forte compaction et une forte imperméabilité de la matrice ; la présence de nombreux galets polis et striés ; la présence d’éléments allochtones dont quelques-uns semblent avoir parcouru des distances considérables ; un émoussé faible : la plupart des galets sont sub-anguleux ; plusieurs trames de till parallèles ou subparallèles au grand axe des drumlinoïdes ; une insertion de grosses dalles quasi intactes arrachées aux strates du lit glaciaire. Les morceaux de lit glaciaire local sont facilement identifiables : l’une des faces du bloc est rigoureusement plane, polie et striée. L’excellente conservation de ces marques laisse supposer un transport faible pour ces fragments.
Accrétion
L’accrétion sous-glaciaire étant plus fréquente sous un glacier épais, actif et à base humide (Flint, 1971 ; Sugden et John, 1976 ; Eyles et al., 1983 ; Dreimanis, 1988 ; Bennett et Glasser, 1996), il appert que le corps des drumlinoïdes a été mis en place bien avant la récession glaciaire.
C’est ce que confirme la forme no 2, partiellement chevauchée par l’esker de Dundee (fig. 2 et 4). En coupe, au point de rencontre entre les deux formes, le diamicton massif du drumlinoïde (fig. 6 : colonnes 2A.2 et 2B) est de plus en plus délavé à mesure qu’on approche de l’esker (fig. 6 : 2A.3). Le résultat de ce délavage par les eaux de fusion est un matériel grossier sub-anguleux (signe d’un transport faible) et dépourvu de fines ; les galets sont orientés comme ceux au coeur même de l’esker : soit de direction NO-SE (fig. 7), tandis que la trame du till intact est trimodale avec le mode principal dans l’axe nord-sud (fig. 4 : trame A). Les éléments grossiers de l’esker sont aussi plus arrondis et d’une lithologie plus variée que ceux du till délavé. Ceci démontre que le drumlinoïde était déjà en place au moment de la formation de l’esker.
Tills de fusion
Trois faciès diamictiques (fig. 6 : 3B.2, 4A.2, 8B.4) se distinguent des tills d’accrétion, par une fissilité faible ou peu apparente et la présence de zones juxtaposées de sable et de fines très triés, dont certaines sous forme de rubanement. Ce dernier peut être déformé et redressé à contrepente (vers le sud) par rapport à la surface actuelle. Le matériel est compact.
Compacité élevée et fissilité (si faible soit-elle), rubanement et lentilles de matériel déformé, trié ou délavé, position stratigraphique, sont parmi les critères qui font que ces tills sont interprétés comme des tills basaux de fusion (basal melt-out tills) (Delage, 1998). La présence de lamines suggère une alternance de couches de glace et de débris (debris-banding) à la base du glacier (Bouchard, 1980 ; Dreimanis, 1988), résultant presque certainement de plans de cisaillement engendrés par un flux compressif (Sugden et John, 1976 ; Shaw, 1977, 1979 ; Bouchard, 1980 ; Bennett et Glasser, 1996).
La conservation des lamines a été rendue possible par une lente fusion sur place sous une glace stagnante (Bouchard, 1980 ; Dreimanis, 1988), les eaux de fusion favorisant le tri du matériel dans des cavités ou des crevasses à l’intérieur de la glace (Dreimanis, 1988), et possiblement le lessivage des carbonates. La préservation des structures intraglaciaires serait caractéristique des tills de fusion (Bouchard, 1980).
Plans de cisaillement (flux compressif) et préservation de ces structures impliquent que la glace devait nécessairement être en contact avec son lit à ces endroits. Ceci rend peu plausible le flottage du glacier et l’existence d’un glacier tabulaire.
Provenance des tills
Plusieurs indicateurs attestent que l’écoulement responsable de la mise en place du till d’accrétion constituant le noyau des drumlinoïdes provenait d’une source située au nord-est du territoire à l’étude. Un courant de glace canalisé par les bords de la vallée du Saint-Laurent s’écoulait vers le lac Ontario, vers l’amont du fleuve actuel.
Traceurs pétrographiques
Des cailloux de schistes ardoisiers rougeâtres et verdâtres ont été trouvés dans le till de six drumlinoïdes. Ils sont indurés, montrent une bonne schistosité et sont traversés par des veinules (Delage, 1998). Ces caractéristiques indiquent une origine appalachienne : les Formations de Mawcook et de Granby du Groupe de Shefford (Nappe de Granby), le Groupe de Sillery (Nappe de la Chaudière), ou peut-être même les formations de la région de Québec, comme celle de Bourret du Groupe de Laurier (Baer et al., 1977 ; Globensky, 1987). Ils pourraient également provenir d’une zone des basses terres voisines du front appalachien (fig. 8). D’autres échantillons semblables, mais à schistosité moins apparente et sans veinules, sont présents dans les tills et pourraient provenir du Groupe de Queenston (fig. 8). Une roche ignée paléozoïque, probablement une des laves typiques du front ouest des Appalaches, renforce l’hypothèse d’une origine appalachienne de certains cailloux du till (W.E. Trzcienski et H.J. Hofmann, communications personnelles).
La figure 8 montre la projection du grand axe des drumlinoïdes vers les sources probables des traceurs pétrographiques au nord-est. L’aire comprise entre les deux branches extrêmes de ces prolongements couvre la plus grande partie de la Nappe de Granby et du Groupe de Queenston, et englobe entièrement la Nappe de la Chaudière ainsi que la région de Québec (Globensky, 1987). Flint (1971) a déjà fait remarquer qu’une ligne joignant l’endroit où a été découvert le traceur et sa source était relativement parallèle aux formes fuselées et autres signes directionnels entre ces deux points. La distance minimum qu’ont pu parcourir les schistes appalachiens est de quelque 100 km, soit la distance séparant Huntingdon de Haseville, petite localité au sud-ouest de Granby où finit la Nappe de Granby (Globensky, 1987).
La présence de ces traceurs aussi loin de leur point d’origine laisse supposer qu’après leur prise en charge, ils ont pu échapper au broyage en étant transportés dans une position intra- ou supraglaciaire avant d’être incorporés au till de fond des drumlinoïdes. Les fragments trouvés sont sans doute les vestiges de blocs plus grands. La fusion basale pourrait être une cause de l’abaissement des débris intraglaciaires vers le lit (Boulton, 1972 ; Bennett et Glasser, 1996).
À l’ouest des monts Sutton, un train d’erratiques de laves en coussins montre une dispersion vers le OSO. Elson (1987) mentionne bon nombre d’observations faites par d’autres chercheurs indiquant un flux vers le sud-ouest à partir du piémont des Appalaches. Bien que Elson (1987) n’indique pas d’âge précis, il est tentant de les rapprocher du flux responsable de la mise en place de nos traceurs.
De même, l’abondance inhabituelle de grès dans le till 7B.2 (fig. 6) pourrait s’expliquer par un écoulement du nord-est. En effet, la forme no 7 n’est qu’à quelque 7 km à l’ouest de la plus proche limite stratigraphique avec le grès et la dolomie de la Formation de Theresa, et elle constitue le seul cas relevé au-dessus de la Formation de Beauharnois (principalement composée de dolomie) où le grès représente une part appréciable de la fraction grossière. Or cette part est négligeable dans les autres formes plus à l’ouest qui, rappelons-le, sont toutes situées au-dessus du substrat dolomitique.
Ajoutons que la projection vers le nord-est de l’axe de cette même forme no 7 montre qu’elle, plus que les autres formes étudiées, a pu bénéficier d’un apport de grès de la Formation de Cairnside ou des portions les plus gréseuses de la Formation de Theresa (Globensky, 1981, 1986).
Trames de till
Les trames de till confirment en partie cet écoulement du nord-est. Vingt-deux (22) trames ont été tirées de 19 des 20 tills analysés (Delage, 1998). Presque toutes ont été extraites à plus de 2 m sous la surface afin de limiter les effets du gel sur le redressement des cailloux depuis leur mise en place (Harris, 1972). Dans trois cas cependant, nous avons intentionnellement effectué les trames à une profondeur inférieure à 2 m (et même inférieure à 1,5 m), dans le but de vérifier d’éventuelles variations verticales dans une même unité stratigraphique. Les tranchées ont été échantillonnées de façon à ce que les cailloux parallèles aux parois ne soient pas sous représentés. Sauf pour un cas, plus de 50 cailloux ont été récoltés pour chacune des trames. Tous les cailloux de 20 mm et plus d’axe A avec un rapport axe A/axe B d’au moins 2/1 étaient considérés. Pour chaque caillou, nous avons mesuré l’orientation et la plongée de l’axe A, l’azimut étant toujours pris dans le sens de la plongée. Cette dernière étant aléatoire, nous avons choisi de dresser des diagrammes polaires ne représentant que l’orientation.
Les diagrammes montrent les données brutes d’orientation reportées sur la demi-lune sud (c’est-à-dire de 90 à 269°) du graphique, à savoir qu’on a ajouté 180° aux cailloux qui plongeaient entre 0 et 89°, et retranché 180° aux cailloux qui plongeaient entre 270 et 359°. Ceci n’affecte en rien la direction et nous permet de concentrer toutes les données dans le sens présumé de l’écoulement glaciaire. Ce faisant, nous présumons que l’écoulement glaciaire responsable de la mise en place des cailloux n’a pas pu venir du sud, ce qui rejoint ce qui est admis par la quasi totalité des recherches antérieures. La médiane et les modes sont calculés d’après ces données reportées. Les données sont regroupées par classes de 10°, le cercle extérieur indiquant une fréquence de 20 %. Le grisé, qui est le miroir de la partie inférieure, a pour seul but d’accentuer visuellement les orientations les plus marquées, les lecteurs étant aussi généralement plus familiers avec ce type d’expression graphique symétrique.
Description — Le tableau III compile les résultats selon qu’ils proviennent des versants nord-ouest, du centre, ou des versants sud-est des drumlinoïdes. Les orientations principales des trames bidirectionnelles ne sont pas nécessairement disposées à angle droit. Les 19 trames des tills d’accrétion ne sont pas distribuées au hasard. Les trames parallèles ou subparallèles à l’axe des drumlinoïdes proviennent surtout des versants sud-est, alors que les trames multimodales ou sans orientation dominante (que nous baptisons en marguerites) ainsi que celles pointant vers le sud-est ou le sud sont situées au centre ou sur les versants nord-ouest des formes. Les trames parallèles et subparallèles sont concentrées principalement dans les formes situées à l’est de Lee’s Corner-Beaver Crossing, alors que les trames en marguerites et pointant vers le sud-est sont à l’ouest. Ceci diffère nettement des trames transverses observées par Carl (1978) pour les moraines côtelées de la vallée du Saint-Laurent, moraines qui, selon nous, sont du même type que les drumlinoïdes du sud du Québec.
Interprétation — Dans les tills d’accrétion, les trames sont généralement orientées parallèlement au sens de l’écoulement glaciaire (Flint, 1971 ; Eyles et al., 1983 ; Eyles et Miall, 1984 ; Dreimanis, 1988), même si occasionnellement elles peuvent être transverses dans les zones de plissement et de cisaillement (Dreimanis, 1988). Avec la présence des traceurs appalachiens et la fissilité parallèle aux deux versants, l’existence des trames parallèles et subparallèles au grand axe des formes confirment que l’écoulement glaciaire responsable de leur mise en place était avant tout parallèle et non perpendiculaire au grand axe des drumlinoïdes. Effectivement, dans les formes sous-glaciaires transverses semblables, comme les moraines de Rogen ou moraines côtelées (ribbed moraine), le grand axe des cailloux est plutôt orienté perpendiculairement à l’axe des formes (Cowan, 1968 ; Lundqvist, 1969 ; Sugden et John, 1976 ; Shaw, 1979 ; Bouchard, 1980 ; Aario, 1987). Mêmes trames majoritairement perpendiculaires à l’axe des crêtes dans le cas de certaines moraines de De Geer probablement aussi d’origine sous-glaciaire (Zilliacus, 1987, 1989).
Les modes et, sauf un cas, les médianes des trames des tills d’accrétion des versants sud-est des drumlinoïdes sont tous parallèles ou subparallèles à l’axe des drumlinoïdes. Ils sont ainsi plutôt la règle que l’exception. Ce parallélisme s’observe aussi chez quelques trames du centre et des versants nord-ouest (tabl. III). Cette disposition ne peut s’expliquer que par une mise en place initiale dans le sens de l’axe des formes.
Comparaison avec les microformes de la roche en place
Tous les affleurements cartographiés par Globensky (1981) localisés sur le feuillet de Cazaville (Ministère de l’Énergie et des Ressources, 1984a), ainsi qu’un bon nombre de ceux figurant sur le feuillet de Huntingdon (Ministère de l’Énergie et des Ressources, 1984b) ont été visités. Neuf de ces affleurements portaient d’abondantes microformes glaciaires : stries, broutures, fractures de broutage et nervures.
Les broutures ont été observées sur toutes les lithologies régionales alors que les stries sont plus fréquentes sur la dolomie. La rareté des stries sur le grès quartzitique peut s’expliquer par le fait que, cette roche étant la plus dure de la région, les abrasifs capables de la rayer sont quasi inexistants dans le secteur. Les fractures de broutage n’ont été trouvées que sur le grès quartzitique, et les nervures qu’à un seul endroit du domaine dolomitique. L’orientation des microformes de quelques emplacements additionnels, localisés à l’est du cadre strict de l’étude, a également été notée. Il ne semble pas y avoir de lien entre l’orientation des microformes et la lithologie du substratum.
Un écoulement glaciaire du nord-est vers le sud-ouest, de loin le mieux enregistré par les microformes glaciaires, est bien illustré sur la figure 9. Le diagramme du feuillet de Cazaville témoigne également d’une forte tendance nord-sud. Et bien que minoritaires, des microformes ont aussi été gravées vers le sud-est et l’ouest.
Des drumlins de la première heure ...
Ces formes ont donc d’abord été modelées dans le sens de l’écoulement glaciaire (qui remontait les basses terres vers le sud-ouest), leur genèse s’apparentant ainsi à celle d’authentiques drumlins, du moins pour la phase initiale. En effet, bien que ces formes gardent encore aujourd’hui une grande part de cet héritage drumlin de la première heure, les transformations apportées par les agents subséquents ont motivé notre préférence pour le terme drumlinoïde. Parmi les huit formes étudiées, la forme no 7, qui est la seule où nous n’avons trouvé aucune forme ou dépôt d’origine glacielle, est aussi celle dont la silhouette en plan s’approche le plus de celle des drumlins typiques (Delage et Gangloff, 1993, fig. 6 ; Delage, 1998, fig. 11).
Ces drumlinoïdes sont-ils des formes d’accumulation ou d’érosion ? Si la fissilité est l’expression de la poussée glaciaire ou est directement attribuable au processus d’accrétion, son parallélisme avec les versants des drumlinoïdes suggère un héritage lié plutôt à l’accumulation qu’à l’érosion. Les couches de till auraient été pressées vers le centre par une poussée glaciaire s’appliquant plus ou moins également de part et d’autre de ces lieux d’accumulation que seraient les drumlinoïdes. Dans les drumlins sculptés uniquement par l’érosion, la structure interne ne correspond pas aux processus de formation (Aario, 1987).
L’étroite association du till avec le substrat rocheux montre aussi que la source d’une bonne partie des éléments constituants, et par voie de conséquence des processus d’érosion responsables de leur prise en charge, ne pouvait être bien éloignée du lieu d’accumulation. Cela expliquerait l’excellent état de conservation des morceaux de lit glaciaire polis et striés issus du substrat local. Ce lien étroit avec le substrat local les distingue des drumlins dont les matériaux constituants proviennent d’un apport lointain (Aario, 1987).
C’est comme si les processus d’érosion et d’accumulation avaient joué de concert, comme l’ont proposé Flint (1971) et Aario (1987). Des mouvements hélicoïdaux (vortex) à la base de la glace, tels ceux décrits par Shaw et Freschauf (1973), Aario (1977) et Shaw (1977), pourraient expliquer une prise en charge (érosion) dans la zone entre les drumlinoïdes et une accumulation au lieu même de ces formes. Il est possible d’interpréter dans ce sens certaines trames de till obliques par rapport au grand axe des drumlinoïdes. L’amplitude de ces mêmes vortex, alliée à l’abaissement des débris intraglaciaires sous une base chaude, expliquerait l’inclusion de matériel intraglaciaire (comme les traceurs appalachiens) au matériel local.
... chevauchés par une glace du nord-ouest ou du nord
De nombreux indices montrent qu’une glace venue du nord-ouest ou du nord a chevauché les drumlinoïdes déjà mis en place par une glace du nord-est. Ces indices sont d’ordre morphologique, stratigraphique et sédimentologique.
Indices morphologiques
Crêtes secondaires sur les drumlinoïdes
On relie fréquemment les sommets drumlinisés (fusiformes, fuselés) de bourrelets sous-glaciaires à un écoulement transverse à leur grand axe (Cowan, 1968 ; Lundqvist, 1969 ; Carl, 1978 ; Shaw, 1979 ; Bouchard, 1980 ; Goldthwait, 1988 ; Bennett et Glasser, 1996). Le drumlinoïde no 2 illustre le mieux cette particularité qui prend ici l’aspect de crêtes secondaires dont l’orientation nord-sud est plutôt oblique que perpendiculaire à l’axe principal de la forme porteuse (fig. 4). Dans l’état de New York (MacClintock et Stewart, 1965 ; Carl, 1978, 1984) et près de Cornwall (Terasmae, 1965), de semblables petits fuseaux sommitaux sont orientés eux aussi sensiblement nord-sud ou NNO-SSE. Ces fuseaux sommitaux sont perpendiculaires ou à peine obliques par rapport à l’axe principal des bourrelets.
Bien que l’hypothèse de formation des bourrelets porteurs varie d’un auteur à l’autre, tous s’accordent sur le fait que les petits drumlins sommitaux témoignent d’un écoulement venant du nord ou du NNO, soit parallèle à leur ligne de crête. Le fait que celle-ci soit souvent plutôt oblique que perpendiculaire relativement à l’orientation des drumlinoïdes renforce la thèse d’une sculpture sommitale distincte de l’écoulement primitif du nord-est. Si ces petits fuseaux sommitaux sont bien d’origine glaciaire, l’écoulement artisan de leur façonnement est, pour nous, nécessairement lié à un chevauchement postérieur à la mise en place des grands bourrelets qui, comme nous l’avons démontré, ont d’abord été modelés par une glace s’écoulant vers le sud-ouest.
Formes orientées NO-SE ou nord-sud
La figure 2 montre que de grands bourrelets glaciaires voisins des drumlinoïdes analysés, ou certains de leurs segments, sont nettement orientés NO-SE ou nord-sud. À 2,5 km à l’ESE de Huntingdon, un petit groupe de buttes constituées de till d’accrétion et allongées dans l’axe NNO-SSE en fournit un bon exemple (fig. 2). De plus, des bourrelets morainiques à l’ouest du dos structural (fig. 2) ne sont pas sans rappeler certaines formes de transition entre les accumulations transverses à l’écoulement glaciaire et les drumlins (Aario, 1977 ; Boulton, 1987). Comme les précédentes, ces formes résultent sans doute d’un écoulement du nord-ouest ou du nord.
Formes arquées
Il en va de même pour les trains de bourrelets décrivant des arcs de cercle, dont les plus imposants sont tous ouverts vers le nord-ouest sur le territoire à l’étude. Malgré une bonne dissémination de ces trains de formes, le plus beau d’entre eux est localisé à l’ouest et au nord du dos structural entre la pointe Latreille et la rivière à la Guerre (fig. 2). Celui-ci dessine un double arc de cercle à courbes peu prononcées (fig. 2). Les deux arcs se succèdent en direction ENE. Le premier est relayé par un second qui contourne une vaste zone organique appelée Small tea field (ou La Terre Noire) et se poursuit jusqu’au voisinage de Sainte-Barbe (à 3 km au sud-ouest de cette localité ; Énergie, Mines et Ressources du Canada, 1983). Entre les deux arcs, le drumlinoïde no 5 est approximativement au centre de cette longue suite qui est observable sur près de 19 km, ce qui prouve qu’au moins une portion de ce chapelet de formes a une origine a priori sous-glaciaire.
Les mentions rapprochant formes en arc de cercle et positions de marge glaciaire sont fréquentes. Se pourrait-il qu’une poussée glaciaire marginale ait pu déformer légèrement des bourrelets préexistants pour leur conférer cet aspect en arcs de cercle ? Le till des lobate ridges ne témoigne-t-il pas plutôt d’un till de fond chevauché (basal till of ground moraine-overthrust till), comme dans la classification des tills et moraines de Lavrushin (1980, in Dreimanis, 1988) ou les séquences de Bennett et Glasser (1996, fig. 9.20 Ac et Bc) ?
Qu’il s’agisse de marges glaciaires ou de formes chevauchées, elles témoigneraient dans les deux cas d’un écoulement du nord-ouest ou du nord. Dans le cas de positions marginales, nous pourrions présumer que cet écoulement fut le dernier à traverser la région.
Indices stratigraphiques
Les tills de quatre sites nous offrent les exemples les plus probants.
Rubanements, bourrelet et compacité extrême
Comme nous l’avons vu, la présence de structures rubanées dans les tills de fusion des formes no 4 et 8 proviendrait de plans de cisaillement issus d’un flux compressif. Le contexte montre que seul un écoulement du nord ou du nord-ouest peut expliquer ces structures rubanées à ces endroits. La compression aurait ainsi été induite par des obstacles sous-glaciaires : les drumlinoïdes eux-mêmes là où on trouve le rubanement sur le versant sud-est (comme dans la forme no 8), versant distal par rapport à un chevauchement du nord ou du nord-ouest (ceci est également attesté par les trames de galets des versants nord-ouest et sud-est toutes deux perpendiculaires à l’axe de ce même drumlinoïde no 8) ; ou une autre forme sous-glaciaire située en amont de cet écoulement du N-NO (forme elle aussi issue de l’écoulement antérieur du nord-est) lorsqu’on retrouve la structure rubanée sur le versant nord-ouest. Le petit bourrelet sur le versant nord-ouest de la forme no 4 constitué à la fois du till rubané et du till d’accrétion inférieur (de loin le plus compact que nous ayons observé dans la région) résulterait lui aussi d’une poussée sous-glaciaire liée au chevauchement du N-NO.
Couches redressées et troncature
Des structures redressées à contre-pente ont été observées dans les tills d’accrétion des versants nord-ouest du drumlinoïde no 1 et d’un autre bourrelet sous-glaciaire près de la municipalité de Sainte-Barbe. Ainsi, le faciès inférieur de la forme no 1 est traversé par une structure courbe faiblement exprimée, qui se redresse vers le sommet de la forme suivant un angle plus prononcé (15°) que celui du versant (4°). Cette structure est sans doute le fait du pendage de plusieurs cailloux dont quelques-uns esquissent un alignement, de même qu’à l’inclinaison d’une lentille sableuse. Les cailloux et la fissilité plongent vers le N-NO. L’ensemble de ce faciès inférieur est tronqué par une unité supérieure.
Ces observations suggèrent que ces tills d’accrétion ont subi une poussée du N-NO postérieure à leur mise en place. Les faciès de tills affectés par des macroplans de cisaillement (macrosheared till) sont classés avec les tills de fond chevauchés par Lavrushin (1980, in Dreimanis, 1988).
Indices sédimentologiques
L’agencement et parfois la seule présence de certains fragments grossiers apportent des renseignements additionnels allant dans le même sens que ceux révélés par la stratigraphie et les faciès proprement dits.
Trames de till plurimodales (en marguerite) et perpendiculaires à l’axe des formes
L’examen du tableau III montre qu’à l’exception de la forme no 8, les drumlinoïdes les plus à l’est ont mieux conservé l’enregistrement de l’écoulement initial du nord-est, que ceux situés à l’ouest. Pour les diagrammes polaires des seuls tills d’accrétion, les cas de distribution proprement plurimodale ne se rencontrent que dans les échantillons des versants nord-ouest et des parties centrales des formes. Si d’autre part on ne considère que les tills d’accrétion des versants sud-est, il n’y a ni modes, ni médianes occupant le quadrant sud-est ; alors que dans les versants nord-ouest et les parties centrales, les modes et les médianes se distribuent tantôt dans le quadrant sud-ouest et tantôt dans le quadrant sud-est. Les classes transverses à l’écoulement (du nord-ouest ou du nord dans ce cas-ci) sont presque partout présentes dans les trames des versants nord-ouest. Les trames des versants sud-est montrent, au contraire, que la composante transverse à l’écoulement (du nord-est) est l’exception.
Les trames transverses à l’écoulement sont souvent reliées aux zones de flux compressif (Harris, 1972 ; Stanford et Mickelson, 1985). De même, on rapporte des trames hautement variables dans des structures zonées (banding) à fort pendage de secteurs à flux également compressif. Une même trame montre des orientations à la fois transverses et parallèles (Shaw, 1979). Zilliacus (1989) rapproche les trames orientées au hasard avec les zones de chevauchement intraglaciaire et les plans de cisaillement. Cette double orientation (transverses et parallèles) s’observe aussi sur le versant proximal de moraines de Rogen (Aario, 1987) dont la genèse a été attribuée à des flux compressifs par Shaw (1979).
L’effet du chevauchement et de la compression sur les cailloux des tills des versants devenus proximaux aurait ainsi produit deux principaux types de trames : des trames véritablement plurimodales (en marguerite) ne montrant aucune tendance dominante, et des trames montrant une composante transverse à l’écoulement présumé souvent associée à une orientation parallèle à ce même écoulement. Les deux trames principalement nord-sud, soit perpendiculaires au grand axe de la forme no 8, témoigneraient ainsi du dernier écoulement à avoir chevauché la forme (grossièrement du nord). En effet, la préservation du rubanement dans du till de fusion de 8B atteste du peu de transformation subie par le dépôt au cours de sa mise en place.
Grandes dalles
D’autres indices de l’écoulement du nord-ouest (et de la compression) nous sont fournis par des excavations effectuées sur des bourrelets sous-glaciaires voisins des drumlinoïdes. Leur stratigraphie et leur faciès sont comparables (sinon identiques) à ceux des drumlinoïdes.
Des dalles dolomitiques de grande taille sont déposées à faible profondeur généralement sur les versants nord-ouest des bourrelets sous-glaciaires. Ainsi, à Maplemore (municipalité de Saint-Anicet), deux dalles de dolomie sub-anguleuses ou même anguleuses ont été extraites de la couche superficielle d’un de ces bourrelets : l’une a 2,20 m de grand axe pour une épaisseur de 0,16 m ; la seconde, 2,24 m de grand axe pour une épaisseur de 0,25 m (fig. 10). Une autre, d’une épaisseur de 0,12 m, laisse voir un cortex d’altération de 3 à 3,7 cm. Une quatrième est en place dans la coupe exactement à la limite du till d’accrétion et de la couche superficielle, interprétée comme un till de fusion. Ce phénomène a également été observé sur les versants nord-ouest d’autres formes glaciaires voisines.
La prise en charge puis la mise en place de ces grandes dalles ont pu être causées par un flux compressif engendré par une dépression située juste à l’amont du bourrelet sous-glaciaire, un phénomène semblable à celui décrit par Moran (1971), à la différence que les dalles ont été déposées près de la surface plutôt qu’au coeur de la forme. Pour une glace s’écoulant vers le sud-est ou le sud, les irrégularités du lit glaciaire héritées de l’écoulement du nord-est, notamment les espaces entre les drumlinoïdes ou autres bourrelets sous-glaciaires et ces formes elles-mêmes, forment autant de concavités ascendantes et d’obstacles propices au développement de flux compressifs (Flint, 1971 ; Moran, 1971 ; Sugden et John, 1976).
Un contexte analogue a été décrit par Aario (1987). Au cours de la formation des moraines de Rogen, se forme une dépression entre les crêtes, un creux proximal, exploité par les processus d’érosion, alors que l’accumulation prévaut au lieu même des moraines. De grandes quantités de matériel issu de la roche en place locale sont prélevées dans ces creux proximaux et déposées au sommet des moraines.
Les références reliant l’arrachement de dalles ou radeaux de roche en place à des flux compressifs (ou à du cisaillement avec composante ascendante) sont fréquentes (Flint, 1971 ; Moran, 1971 ; Shaw, 1979). De même, les faciès incluant de larges radeaux ou dalles (floes ou rafts) sont associés aux tills de fond chevauchés (basal till of ground moraine-overthrust till) (Dreimanis, 1988).
Ces larges dalles n’ont pas pu être transportées sur de longues distances et pourraient provenir d’un arrachement à la base d’un glacier à base froide (flux compressif) (Bennett et Glasser, 1996). L’élévation des fragments le long de plans de cisaillement à un niveau intraglaciaire les a peut-être préservés d’un trop fort broyage (Moran, 1971).
Indices complémentaires
Phénomènes de débitage
La tournée des affleurements nous a permis de noter un phénomène attribué à la glaciotectonique. En surface, de grands blocs, quelque peu séparés de la roche en place le long de diaclases, semblent en avoir été détachés par une poussée souvent perpendiculaire aux fractures. Le contexte nous persuade que seule une poussée d’origine glaciaire peut expliquer le phénomène. La figure 11 montre que le sens de décollement de ces blocs forme un éventail s’étalant du sud-est au sud, ce qui appuie un écoulement du nord ou du nord-ouest.
Certains de ces blocs portent des broutures et des fractures de broutage révélatrices d’une glace dont le sens d’écoulement oscillait du SSO à l’ouest, alors que les blocs eux-mêmes ont été déplacés vers le sud-est et le SSE. Cette chronologie relative est particulièrement bienvenue compte tenu des informations apparemment contradictoires obtenues des recoupements de stries (voir plus bas). Il est en effet logique que ces blocs prêts à être entraînés témoignent d’un écoulement final postérieur à celui ayant gravé leurs microformes, car tout écoulement subséquent d’une autre source les aurait déplacés dans un autre sens, sinon emportés.
Microformes et recoupements
Les microformes témoignent aussi des écoulements nord-sud et NO-SE. L’axe nord-sud, le deuxième en importance après celui du NE-SO, se retrouve dans sept des 11 diagrammes de la figure 9. Il est cependant absent du corridor compris entre le 73° 45’ et le 74° 00’ de longitude ouest (soit celui aligné sur Covey Hill), ainsi que du feuillet de Valleyfield. Noyée dans l’ensemble des écoulements relevés par les diagrammes de la figure 9, la direction NO-SE est néanmoins présente dans cinq des 11 diagrammes et presque exclusivement dans le secteur couvert par les feuillets de Cazaville et Huntingdon.
Les rares recoupements de stries ou de broutures relevés d’un site à l’autre sont très variables. En effet, selon les affleurements, on obtient tantôt une chaîne d’évènements dans laquelle l’écoulement le plus ancien est vers le sud-ouest, recoupé à son tour par des stries nord-sud, elles-mêmes recoupées par d’autres s’alignant vers le sud-est ; et tantôt l’inverse, et ce même pour des sites rapprochés. Ces variations ponctuelles dans la chronologie des recoupements sont aussi présentes lorsqu’on consulte les travaux d’autres auteurs pour le territoire couvert par la figure 9.
Compte tenu de cette variabilité, les microformes gravées dans l’axe NO-SE et nord-sud ne peuvent être rattachées hors de tout doute au chevauchement du nord-ouest ou du nord démontré par les autres indices. Inversement, les problèmes soulevés par la variabilité des enchaînements d’orientations n’autorisent pas non plus une remise en question d’un chevauchement du nord-ouest ou du nord en fin de séquence. Toutefois, de façon générale, pour le territoire à l’ouest et au nord-ouest des Adirondacks, les stries NO-SE ou nord-sud recoupent celles orientées NE-SO (MacClintock, 1954 ; MacClintock et Dreimanis, 1964 ; MacClintock et Stewart, 1965).
On a donc à un même endroit des preuves de deux comportements différents de la base glaciaire : les microformes attestent d’un régime basal humide (base chaude), et l’arrachement de blocs possiblement celui d’un régime à base sèche (froide) (Bennett et Glasser, 1996).
Tills superposés
À Franklin Centre en 1988, une très grande excavation a mis à jour deux tills d’accrétion superposés : un till inférieur rougeâtre est coiffé d’un second, lenticulaire, de couleur grise. Ce sont deux diamictons massifs à rudites flottantes, très compacts. La forte fissilité du till gris plonge vers le nord-ouest ou le nord. Des inclusions de matrice rougeâtre du till inférieur sont emprisonnées dans la matrice du till gris près du contact entre les deux tills. Près de 3 m de dépôts littoraux fossilisent ces dépôts glaciaires. Les inclusions du till rouge inférieur dans la matrice du till gris supérieur ainsi que leur position stratigraphique respective prouvent qu’il y a eu deux évènements glaciaires consécutifs, le till rouge représentant le plus ancien.
Le till rougeâtre (matrice et éléments grossiers) reflète bien le substrat local qu’il recouvre (c’est-à-dire le grès arkosique rougeâtre de la Formation de Covey Hill-Groupe de Potsdam, d’âge cambrien ; Globensky, 1986), et a pu être déposé par le même écoulement NE-SO qui a d’abord façonné les drumlinoïdes. Ceci est corroboré par un phénomène attribué à la glaciotectonique situé à quelques mètres au nord-est des tills superposés. En effet, à l’intérieur de la coupe, immédiatement au-dessus de la roche en place, le déplacement d’une dalle arrachée à ce même substrat arkosique indique un écoulement vers l’OSO (~264° N), soit un sens proche de celui que nous croyons responsable de la mise en place du till rougeâtre inférieur.
Quant au till gris, son faciès est semblable aux tills d’accrétion que nous avons examinés au-dessus du grès quartzitique blanc de la Formation de Cairnside (Groupe de Potsdam, d’âge cambrien). Ses éléments grossiers sont plus émoussés que ceux du till rouge inférieur, ce qui pourrait signifier un transport plus grand. La plus courte distance séparant le site de la coupe du contact stratigraphique présumé entre la Formation de Cairnside et la Formation de Covey Hill, est de 1 300 m au nord-ouest (Globensky, 1986), direction vers laquelle plonge la fissilité.
La Formation de Cairnside se retrouve aussi plus au nord-est et à l’est, mais à plus de 13 km de distance. Compte tenu de la perte rapide des caractéristiques du till au-dessus d’un nouveau substrat, il est peu probable que le till gris ait pu conserver les attributs du Cairnside sur une aussi grande distance (sous-tendue en direction nord-est exclusivement par le grès rougeâtre de Covey Hill). Un écoulement du N-NO est sans doute la source la plus probable du till gris à cet endroit.
Discussion
Le relief glaciaire préalablement mis en place par l’écoulement du nord-est a certainement dicté des conditions basales singulières pour l’écoulement subséquent. Les grands traits du paysage (dont les drumlinoïdes), de parallèles qu’ils étaient lors de l’écoulement NE-SO, sont devenus presque transverses à l’écoulement NO-SE (ou nord-sud), se transformant de ce fait en autant d’obstacles. Outre qu’elles prouvent que le glacier était largement en contact avec son lit, c’est-à-dire qu’il ne flottait pas, nos observations indiquent que ce lit glaciaire irrégulier a entraîné une situation complexe où les conditions basales devaient changer sur de courtes distances.
Les crêtes secondaires sommitales des drumlinoïdes auraient été forgées par un flux extensif, tandis que bourrelet de poussée et rubanement, couches redressées et troncature, trames de till plurimodales et grandes dalles seraient plutôt le résultat d’un flux compressif s’exerçant dans les creux proximaux et sur les versants nord-ouest des drumlinoïdes et de formes voisines. Alors que le legs de ce flux extensif semble confiné à la direction nord-sud, celui du flux compressif désigne un éventail de provenances qui s’étend du nord-ouest au nord.
Ces manifestations de conditions d’extension et de compression sont-elles contemporaines ou témoignent-elles plutôt d’évènements successifs (dans le temps) reliés à la distance relative de la marge glaciaire à l’époque de leur mise en place ?
La première hypothèse, soit celle d’un flux compressif coexistant avec un flux extensif au-dessus d’un relief semblable à celui des drumlinoïdes, est illustrée par Shaw (1979) dans son explication de la genèse des moraines de Rogen. L’évocation, par Stanford et Mickelson (1985), du théorème de Bernoulli pour expliquer qu’un régime compressif prévaut sur le côté proximal d’un obstacle, alors qu’en aval le régime est extensif, s’applique ici. À la lumière de nos observations de terrain, nous pouvons adapter ces modèles au contexte du sud québécois.
Une glace du NNO exerçait une compression sur les versants nord-ouest des drumlinoïdes (versants devenus proximaux), compression donnant naissance à des plans de cisaillement en certains endroits et occasionnant plusieurs transformations dues à la poussée sur les dépôts existants. Au même moment, à peine plus en aval sur les sommets, se créait un flux extensif dû à l’étranglement de la glace passant au-dessus d’un obstacle (c’est-à-dire le drumlinoïde lui-même). Ce lieu d’accélération de la glace a permis le façonnement des petits drumlins sommitaux. Une fois les sommets franchis, la glace active devait chevaucher un certain volume de glace morte appuyée contre les côtés distaux (c’est-à-dire les versants sud-est) des formes.
Cette hypothèse permet d’expliquer pourquoi les trames de till des versants nord-ouest, exposées à la compression, ont été plus dérangées que celles des versants sud-est qui, non soumises à la compression ou protégées par la glace morte, ont pour la plupart conservé leurs modes plutôt parallèles au grand axe des formes (tabl. III).
De la distribution des trames il ressort également que, exception faite du drumlinoïde no 8, les formes les plus à l’ouest semblent davantage avoir subi l’influence de la masse de glace du nord-ouest ou du nord que celles les plus à l’est. L’éventail d’orientations dans les trames de till n’est ainsi pas le fait de la seule topographie ou d’écoulements radiaires issus d’un même lobe glaciaire comme l’ont suggéré Denny (1974), Kirkland et Coates (1977), Fullerton (1980) ainsi que Clark et Karrow (1983).
Quant à la seconde hypothèse qui ferait intervenir des flux extensif et compressif à des moments distincts, nous n’avons que peu d’indices pour l’étayer. On peut supposer qu’un flux extensif grossièrement nord-sud aurait retouché le relief sous-glaciaire au moment où la marge de l’inlandsis était encore à bonne distance de la région à l’étude ou à la faveur d’un intense vêlage. Sauf dans ce dernier cas, avec l’approche de la zone marginale et l’amincissement de la glace, les processus liés à la compression auraient pris la relève. La plus grande variété dans les orientations (du nord-ouest au nord) pourrait trouver une explication au cours de cet épisode du fait de l’influence grandissante d’une forme marginale lobée (Flint, 1971).
Malgré les nombreux indices révélant le chevauchement du nord et du nord-ouest et vraisemblablement un régime compressif, des éléments tels les petits drumlins sommitaux, les formes NNO-SSE d’Ulchen (Delage, 1998, p. 89-93), et peut-être les formes et segments orientés NO-SE ou nord-sud, évoquent plutôt des conditions basales reliées à un flux extensif.
Si pour l’ensemble de cette partie de l’inlandsis, il a pu y avoir transfert graduel d’un régime extensif à compressif avec l’approche de la marge, à échelle réduite, les conditions de compression et d’extension ont pu jouer côte à côte au gré des inégalités du lit.
Sans doute en raison d’une intensité ou d’une durée plus faible, ou du régime basal prévalant à ce moment, le chevauchement du nord-ouest et du nord a eu moins d’impact sur la morphologie du territoire à l’étude que n’en avait eu l’écoulement NE-SO. En effet, les composantes importantes du relief orientées nord-sud ou NO-SE ne constituent qu’un faible pourcentage de l’héritage morphologique glaciaire.
Conclusion
Une glace s’écoulant du nord-est vers le sud-ouest a d’abord mis en place le till d’accrétion fissile et compact qui constitue le corps des formes. Ceci est démontré par la présence dans ce till de traceurs pétrographiques d’origine appalachienne, ainsi que par les trames de till et les microformes orientées dans ce même axe NE-SO. Les drumlinoïdes de la plaine de Huntingdon ont ainsi une genèse initiale plus proche des drumlins que des moraines de Rogen (ou côtelées). Cela est probablement applicable à la plupart des formes semblables orientées NE-SO trouvées au nord de la région à l’étude (Corbeil, 1984), dans la partie orientale de l’Ontario (Chapman et Putnam, 1966), et dans les basses terres de l’état de New York (MacClintock, 1954, 1958 ; MacClintock et Stewart, 1965 ; Carl, 1978, 1984).
Ce sont avant tout des formes d’accumulation, comme l’indique la fissilité parallèle aux versants des formes. Cependant, la forte corrélation entre la plus grande partie des constituants du till et la lithologie locale, ajoutée à l’excellent état de conservation des morceaux de lit glaciaire polis et striés issus de ce même substrat, montrent que la source de ces matériaux (et conséquemment les processus d’érosion responsables de leur prise en charge) était proche, possiblement les espaces entre les drumlinoïdes ou situés juste à l’amont (glaciaire) de ceux-ci.
Ces formes fraîchement modelées ont été chevauchées par un second écoulement glaciaire, du nord-ouest ou du nord celui-là, sans qu’il n’y ait eu déglaciation. Sa contribution a été moins importante que celle de l’écoulement précédent et se manifeste variablement d’un drumlinoïde à l’autre. Elle comprend la sculpture de crêtes secondaires sur le sommet des drumlinoïdes, mais aussi, sur leurs flancs nord-ouest, l’édification d’un bourrelet de poussée, le redressement et la troncature de couches de till, le dérangement de l’orientation première des cailloux. L’essentiel de l’héritage glaciaire du nord-est a cependant survécu à ce chevauchement du nord-ouest. Les effets de ce chevauchement ont également laissé des traces après la fusion de la glace, comme des rubanements dans des tills de fusion qui ont recouvert le till d’accrétion, rubanements issus de la fonte sur place de débris entraînés par du cisaillement sous-glaciaire.
Bien que, plus près des basses terres centrales, l’écoulement final se serait fait vers le sud-ouest, nos travaux montrent que, dans le l’extrême sud québécois, la séquence finale de la déglaciation s’est terminée par des écoulements du nord ou du nord-ouest comme l’avaient d’ailleurs déjà mentionné MacClintock et Stewart (1965), Terasmae (1965) et Chapman et Putnam (1966) pour des régions voisines. Plus récemment, Ross et al. (2006) arrivent à des conclusions quasi identiques pour leur région d’étude située juste au nord de la nôtre entre Montréal et le front laurentidien.
Qu’il ait été mis en place par l’écoulement du nord-est ou par celui du NNO, le matériel glaciaire superficiel résulte d’une même séquence essentiellement glaciaire, sans déglaciation. Nous n’avons nulle part observé une séquence sédimentaire dans laquelle des dépôts non glaciaires séparaient deux entités glaciaires, et ce, même là où les séquences sont observables jusqu’à la roche en place. Il n’y aurait donc eu qu’un seul et même épisode glaciaire ininterrompu au cours des dernières étapes du Wisconsinien. Les tills d’accrétion formant le noyau des drumlinoïdes sont ainsi corrélables entre eux, mais aussi à la presque totalité des tills les plus récents trouvés dans la région.
Parties annexes
Remerciements
La présente recherche fut réalisée dans le cadre de l’équipe multidisciplinaire Haut-Saint-Laurent : écologie et aménagement, dirigée par André Bouchard. Roxanne Desjardins et Luc Normandin ont réalisé les figures et Rolland Renaud, les photographies numériques. Yvon Globensky du Service géologique de Québec, ainsi que Walter Trzcienski, Hans Hofmann et Pierre Lespérance, du Département de géologie de l’Université de Montréal, nous ont facilité l’identification des traceurs pétrographiques.
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