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Introduction

À partir des années 1950, et surtout au cours de la décennie 70, les extractions de sédiments en lit mineur ont enregistré une forte croissance en France et dans les autres pays développés, car les besoins de granulats pour la construction de logements et la densification des réseaux routiers étaient importants (Carré et Chartier, 2002). Durant cette période, les lits mineurs ont constitué des sites d’extraction très appréciés. Les procédés d’exploitation sont plus simples et donc moins onéreux que ceux utilisés pour l’exploitation de matériaux en terrasse ou en roches massives. Les matériaux extraits sont naturellement lavés et triés, se présentent sous forme granulaire et ne sont généralement pas cimentés (Laronne, 2000). Ces gisements sont souvent localisés à proximité des secteurs de consommation ou de transformation, ce qui permet de limiter les coûts de transport par rapport à l’exploitation d’autres sources (Bossy et Glard, 1981 ; Kondolf, 1994).

Plusieurs auteurs ont déjà analysé l’impact des extractions en lit mineur sur l’équilibre géomorphologique et biologique des cours d’eau. Ces effets sont particulièrement importants et difficilement réversibles lorsque les volumes extraits dépassent largement les volumes transportés et que l’alimentation en sédiments a été interrompue. C’est le cas de tronçons fluviaux très aménagés où la recharge ne peut se faire par érosion latérale et où les apports amont sont stockés dans des retenues ou extraits plus à l’amont encore (Rinaldi et al., 2005).

Les extractions en lit mineur induisent des modifications du profil en long. Les fosses d’extraction agissent comme des pièges à sédiments (Kondolf, 1997) et interrompent le transfert des sédiments vers l’aval. Cette rétention de la charge de fond peut affecter les littoraux où, faute d’apports de sédiments, l’érosion des plages et la pénétration de l’eau de mer s’accentue à l’intérieur des terres (Erskine, 1990 ; Gaillot et Piégay, 1999). Plus localement, des processus d’érosion progressive et régressive se manifestent à l’amont et à l’aval des fosses d’extraction (Galay, 1983 ; Erskine, 1990 ; Marston et al., 2003). Il s’agit en fait d’une propagation amont et aval de l’incision d’un lit qui se poursuit jusqu’à ce que le fond du cours d’eau retrouve un profil d’équilibre, une pente lui permettant de transporter sur le tronçon la charge qui lui est fournie à l’amont. Le phénomène peut s’interrompre prématurément si un pavage se développe (Gaillot et Piégay, 1999) ou si le fond du lit se cale sur des points durs tels que des affleurements rocheux exhumés par l’incision ou des seuils artificiels (Petit et al., 1996 ; Piégay et Peiry, 1997). La période de temps durant laquelle une extraction affecte la géométrie d’un lit dépend donc du volume de matériaux prélevé et du débit solide moyen annuel du cours d’eau (Ramez et Gilard, 1992). La longueur de la fosse d’extraction, plus que sa profondeur, apparaît comme le principal paramètre qui régit l’intensité de ces phénomènes d’ajustement (Larinier, 1980). Les extractions en lit mineur favorisent également l’incision du lit et la déstabilisation des aménagements (Collins et Dunne, 1990 ; Kondolf, 1997 ; Erskine et Green, 2000 ; Marston et al., 2003). Ces processus sont directement liés au surcreusement du lit au droit du site du fait de l’exploitation, et plus largement du fait des ajustements morphologiques par érosion progressive et régressive. Par un système de rétroaction positive, une concentration des écoulements dans le chenal est souvent observée lors de cette première phase d’incision qui se traduit par une augmentation de la capacité de transport solide du cours d’eau et une accélération de l’enfoncement du lit (Bravard et al., 1999).

Les conséquences sont multiples : déstabilisation des berges induisant leur glissement, notamment dans les secteurs sableux, et élargissement du lit (Shields, 1995 ; Erskine, 1997 ; Bravard et al., 1999), développement d’un pavage par vannage des particules transportables dans le cas de lits fluviaux à granulométries contrastées (Simons et Lagasse, 1976 ; Assani, 1997), ou encore simplification des faciès géomorphologiques par disparition, par exemple, des alternances de seuils et de mouilles du fait de la raréfaction de la charge en transit (Bravard et al., 1999). Dans certains cas, comme la rivière Russian près de Healdsbourg en Californie, où l’incision atteint 3 à 6 m, ces processus peuvent aboutir à un changement radical du style fluvial (Kondolf, 1993). Ces incisions ont des incidences économiques importantes, car elles déstabilisent les ouvrages par affouillement. C’est le cas des piles de pont ou des digues (Scott, 1973 ; Collins et Dunne, 1990 ; Kondolf, 1994, 1997) ; des conduites souterraines peuvent également être exhumées et endommagées (Kondolf et Larson, 1995). Ces modifications du système fluvial ont évidemment des impacts sur les conditions environnementales (substrat, ressources trophiques) et, par conséquent, sur les conditions de développement des communautés floristiques et faunistiques dans le chenal (Harvey et Schumm, 1987 ; Beaudelin, 1989 ; Collins et Dunne, 1990 ; Erskine, 1990, 1997 ; Suard, 1990 ; Kondolf, 1997 ; Erskine et Green, 2000).

Si l’effet des extractions est aujourd’hui bien connu au niveau du lit mineur, plus rares sont les études concernant l’effet des extractions sur les lits majeurs et les habitats qu’ils procurent. L’incision du lit peut aussi entraîner un abaissement de la nappe d’accompagnement dont le niveau est étroitement lié au niveau de la ligne d’eau du chenal (Scott et al., 1999). Ceci aura des incidences écologiques et économiques si cette nappe fait l’objet d’une exploitation. Si l’enfoncement du lit entraîne une augmentation significative des capacités d’écoulement du lit mineur, il peut en résulter une diminution de la fréquence et de l’intensité des inondations dans la plaine alluviale. Ce phénomène peut être à l’origine d’une réduction des capacités de laminage de la plaine alluviale (Collins et Dunne, 1990 ; Kondolf, 1997 ; Surian, 1999 ; Surian et Rinaldi, 2003). Ces différents changements hydrologiques et hydrogéologiques affectent directement les milieux aquatiques périfluviaux (Bornette et al., 1996) provoquant une altération des spécificités hygrophiles des peuplements riverains (Pautou et al., 1996 ; Bravard et al., 1999).

Les zones aquatiques périfluviales présentent un fonctionnement hydraulique et hydrologique contrasté expliquant la présence d’espèces ayant différentes exigences écologiques. Par ailleurs, leur renouvellement périodique par les crues maintient des espaces de colonisation, limitant ainsi les phénomènes d’exclusion par compétition interspécifique à l’origine d’une diversité végétale importante (Barrat-Segretain et Amoros 1996 ; Bornette et al., 1996). Au-delà du patrimoine écologique qu’ils abritent, ces espaces assurent également des fonctions importantes pour les sociétés riveraines, à savoir l’auto-épuration des apports agricoles ou le laminage des crues (Barnaud, 1996).

Si les changements écologiques associés à l’incision des lits fluviaux sont relativement bien exemplifiés (Bornette et Heiler, 1994 ; Bravard et al., 1997), rares sont les travaux mettant clairement en évidence les effets hydrologiques et hydrogéologiques des extractions. Il est peu commun d’obtenir des données piézométriques au droit d’extraction de granulats ayant enregistré le niveau d’eau avant, pendant et après la phase d’extraction.

L’objet de cet article est de s’appuyer sur les informations historiques existantes sur le Doubs, un affluent de la Saône (France), pour évaluer rétrospectivement les effets des extractions en lit mineur sur la géométrie des zones aquatiques périfluviales (ZAP). Deux hypothèses sont ainsi formulées et testées, la première a été largement vérifiée rétrospectivement sur d’autres cours d’eau et est une condition nécessaire pour valider la seconde : (1) les extractions en lit mineur induisent un enfoncement, non seulement au droit des sites, mais aussi à l’aval et à l’amont du fait des érosions progressives et régressives s’y manifestant ; (2) l’enfoncement du lit mineur s’accompagne d’un enfoncement de la nappe d’accompagnement et d’une réduction des ZAP. Les ZAP correspondent à des zones en eau permanentes occupant l’ensemble ou une partie de bras morts recoupés artificiellement ou naturellement, au cours des deux derniers siècles (Piégay et al., 2000). Il s’agit d’écosystèmes riverains particulièrement riches au niveau écologique (Bornette et al., 1998) faisant l’objet d’actions de préservation ou de restauration.

Présentation du secteur d’étude

S’écoulant sur près de 450 km, le Doubs draine un bassin versant avoisinant 7 700 km2. Le tronçon d’étude se situe à l’aval de la confluence avec la Loue et s’étend sur 37 km de linéaire. Le régime pluvionival de cette rivière est considéré comme très contrasté durant l’année, avec des étiages sévères en été (15 à 20 m3/s) et des crues importantes en hiver (Q10 = 1 400 m3/s ; Q50 = 1 800 m3/s). Avec une pente comprise en moyenne entre 0,055 et 0,06 % dans le tronçon étudié, cette rivière a tendance au méandrage, avec un taux de sinuosité moyen de 1,8 (BRL, 1999). Il s’agit d’un système anastomosé déliquescent depuis le 19e siècle à la suite de la multiplication des endiguements. Elle possède également un transport solide actif, estimé entre 50 000 et 100 000 m3 par an d’après la formule de Meyer-Peter (Malavoi, 2004).

La richesse faunistique et floristique de la basse vallée du Doubs a été largement reconnue et fait actuellement l’objet d’une protection spécifique par le biais de plusieurs règlementations européennes. Elle a ainsi été classée en Zone Natura 2000 en 1998, en Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) ainsi qu’en Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux (ZICO) sur 11 850 ha. Ces richesses ont été menacées par la dégradation du système fluvial à la suite des aménagements et des extractions de granulats tout au long des 19e et 20e siècles.

Au cours des deux derniers siècles, le chenal a connu d’importantes transformations morphologiques (Sauty, 1999). De façon générale, le tracé de la rivière dans la basse vallée s’est simplifié. Fortement endigué et rectifié au cours du 19e siècle, le Doubs a abandonné son style en tresses, anastomosé sur ses marges, pour un chenal unique incisé à méandres, mais relativement mobile sur les tronçons encore naturels. Le profond déséquilibre que connaît ce cours d’eau au milieu du 20e siècle a été ensuite largement aggravé par les extractions en lit mineur.

Matériel et méthodes

Afin de vérifier l’ensemble de nos hypothèses selon lesquelles l’activité extractive a des effets sur les zones aquatiques périfluviales, une analyse rétrospective s’appuyant sur un ensemble de sources a été conduite afin de bien connaître l’évolution de la géométrie du chenal et des zones aquatiques et d’établir des correspondances chronologiques permettant de valider les liens de cause à effet.

Calage chronologique de l’activité extractive et évaluation des volumes extraits

En raison de la confidentialité des informations, il est très difficile de se procurer des données concernant l’historique et les volumes extraits dans les carrières. Nous avons cependant eu accès aux archives de la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) du département de Saône et Loire. Dans notre secteur d’étude, trois grands sites d’exploitation ont été étudiés : Champdivers (ouverture vers 1960), Fretterans (ouverture vers 1975) et Lays-sur-le-Doubs (ouverture vers 1970), respectivement identifiés fosse 1, 2 et 3 sur la figure. 1. Ces sites étant suffisamment importants pour avoir été soumis aux requêtes administratives, des archives existent et permettent de quantifier les volumes extraits. De plus, leur emprise spatiale est visible sur les photographies aériennes et leurs effets sur le chenal sont suffisamment marqués pour avoir un impact potentiel sur la ligne d’eau et le niveau de nappe dans la plaine alluviale. Trois types de documents différents et complémentaires ont pu être dépouillés à savoir (1) les arrêtés préfectoraux (obligatoires à partir de 1979) indiquant le volume annuel maximum autorisé, (2) les attestations d’occupation temporaire (annuelles ou biannuelles établies par la Direction Départementale de l’Équipement) renseignant sur les volumes qui vont être extraits et la localisation exacte de l’extraction, et (3) les fiches de bilan des exploitations. Ces dernières, établies lors de la fermeture de l’exploitation, récapitulent l’ensemble des arrêtés émis pour un secteur précisément défini et indiquent les dates d’ouverture et de fermeture des exploitations (Rollet, 2003). Ces archives ont permis de reconstituer la chronologie détaillée des extractions, de dater les pics d’exploitation et de quantifier secteur par secteur les volumes totaux extraits.

Figure 1

A)

B)

Carte de localisation des bras morts recensés à partir des photos aériennes de (A) 1953-2002 et (B) 1978-2001 ; le secteur d’étude est illustré dans le cartouche (coin supérieur gauche).

Location map of oxbows registered from aerial photographs of (A) 1953-2002 and (B) 1978-2001; the study area is shown in the insert (upper left corner).

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Évolution du lit depuis les années 1960

Notre étude repose sur l’analyse de profils en long existants, complétés par des levés topographiques actuels. Il s’agit de profils du fond du lit et de lignes d’eau d’étiage.

Les profils de fonds de lit ont été levés en 1987 par le bureau d’étude Sogreah (0,8 points par km) et en 1996 par la Compagnie Nationale du Rhône (1,2 points par km). Les données de 1996 sont en fait des profils en travers sur lesquels les points de talweg ont été extraits pour reconstituer un profil en long.

Quatre profils de ligne d’eau ont également été utilisés. Deux d’entre eux couvrent le secteur entre la confluence de la Loue et Lays-sur-le-Doubs (tabl. I), mais correspondent à des débits sensiblement différents. Celui de 1966 a été levé par les services de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) sur un mois, pour des débits de 35 à 160 m3/s. Le profil de 1987 a également été modélisé à l’aide de différents débits, ceux-ci variant de 60 à 210 m3/s (Sogreah, 1987). Ce jeu de données est complété par deux profils de ligne d’eau d’étiage levés en 1967 et 1979 par les services de la CNR (Malavoi, 2004). Ceux-ci nous permettent d’obtenir des informations sur l’évolution verticale du chenal en aval de la fosse de Lays-sur-le-Doubs.

Tableau I

Liste des profils de ligne d’eau analysés

Liste des profils de ligne d’eau analysés

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Enfin, nous avons complété ces données par un levé de la ligne d’eau en 2003 au droit des anciens sites d’extraction afin de mieux tirer partie des données historiques disponibles (13 à 15 points par km). Les lignes d’eau, correspondant à des débits de 45 à 85 m3/s, ont été corrigées à l’aide des courbes de tarage pour les rendre comparables aux débits des profils de 1966 et 1987.

L’analyse des profils en long permet de comprendre la variabilité longitudinale des évolutions altimétriques, mais ne rend pas pleinement compte des évolutions temporelles, principalement des périodes où l’incision s’accélère, ou, au contraire, se ralentit, voire ne se manifeste pas. De fait, cette approche a été complétée par une analyse des courbes de tarage qui rend compte plus finement des ruptures de tendance au cours du temps en un site donné. Nous avons observé l’évolution des hauteurs d’eau enregistrées à la station de Neublans-Abergement sur la période 1965-2002 pour des débits équivalents au débit moyen annuel compris entre 170 et 180 m3/s. Cette station se trouvant sur un tronçon rectiligne au droit d’un pont, nous considérons que les changements de hauteur d’eau intervenus pour un débit donné sont dus à l’incision ou à l’exhaussement du fond du lit.

L’évolution de la forme en plan du chenal a également fait l’objet d’une analyse détaillée à partir des photographies aériennes de l’IGN réalisées en 1978, 1989, 1996 et 2001 (tabl. II). Les bandes actives (chenal en eau et bancs non végétalisés) ont été numérisées, puis superposées afin de quantifier la mobilité latérale du chenal depuis 1978. Le tronçon a été divisé en segments de 250 m afin d’analyser quantitativement l’évolution longitudinale des changements en plan enregistrés par la rivière. Ces données ont été complétées par un couple d’images satellites SPOT 5 composé d’une image multi spectrale de 1986 (résolution spatiale de 20 m) et d’une image panchromatique de 1997 (résolution spatiale de 10 m), la première ayant été acquise par le biais du groupement pour le développement de la télédétection aérospatiale et la seconde, par le Centre National d’Étude Spatiale (programme ISIS). Contrairement aux photographies aériennes utilisées dans le cadre de cette étude (tabl. II), ces supports nous fournissent une représentation de l’ensemble de notre secteur d’étude à débit égal (100 m3/s).

Évolution de la géométrie des zones aquatiques périfluviales depuis les années 1960

Analyse des photographies aériennes

Les prises de vue aériennes réalisées par l’IGN correspondent à des débits différents d’une mission à l’autre, voire au sein d’une même mission lorsque celle-ci se déroule sur plusieurs jours (tabl. II). De fait, si cela ne pose pas de problème lorsqu’il s’agit d’étudier la superficie de la bande active, l’analyse de l’évolution surfacique des zones aquatiques périfluviales est plus délicate si les états sont observés à des débits différents. Les comparaisons inter dates ne deviennent possibles que pour des missions réalisées lors de mêmes débits.

Tableau II

Caractéristiques des photographies aériennes analysées

Caractéristiques des photographies aériennes analysées

NG: Niveaux de gris, IR : Infrarouge.

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Seulement quatre séries restent comparables deux à deux, sur l’ensemble du secteur étudié (1953-2002 et 1978-2001), les autres missions étant utilisées pour l’analyse plus ponctuelle des douze ZAP. Sur chacune de ces quatre séries, nous avons procédé au recensement de tous les bras morts comportant au moins un plan d’eau visible. Nous avons ainsi pu dénombrer les plans d’eau des bras morts en 1953, 1978, 2001 et 2002, et déterminer leur évolution en présence/ absence au cours des périodes 1953-2002 et 1978-2001.

De plus, douze bras morts ont été sélectionnés en fonction de critères hydrobiologiques, hydrauliques et géomorphologiques (Amoros et al., 2000) (fig. 1). En effet, ces bras morts présentent des plans d’eau suffisamment importants (>1 ha) pour pouvoir faire l’objet d’une étude par photographie aérienne. L’exploitation des fosses d’extraction étudiées ne commençant qu’à partir de 1964, les clichés de 1953 nous renseignent sur l’état de référence des ZAP avant les extractions massives de granulats. Les ZAP de CHAR et VAR (fig. 1) n’ont pas pu être analysées à cette date, la première étant en dehors de la zone couverte par les clichés, et la seconde n’existant pas encore (création en 1965). Sur l’ensemble des photographies aériennes géoréférencées, les ZAP sélectionnées ont été numérisées manuellement. Pour cette opération, nous n’avons pas utilisé des outils de détection automatique s’appuyant sur les valeurs radiométriques des pixels, car les plans d’eau ne comportent pas une gamme de valeurs spécifiques permettant facilement leur reconnaissance. Cette opération ne s’appuie donc que sur les interprétations de l’opérateur. Afin de limiter les erreurs, un seul opérateur s’est chargé de la reconnaissance et de la numérisation des surfaces en eau des douze ZAP. Cette étape a été validée par des observations sur le terrain.

Données de terrain

La topographie de onze zones aquatiques sur les douze étudiées (fig. 1) a été réalisée relativement à la ligne d’eau (levé d’un profil en long et de trois profils en travers pour chacune d’elles). La profondeur des plans d’eau est dépendante du niveau de l’eau au jour des relevés, le niveau étant lié au débit de la rivière ou de l’aquifère et au degré de connexion de chaque ZAP avec le bras principal. Les plans d’eau ont été sondés à l’aide d’une perche jusqu’à atteindre un niveau résistant considéré comme étant le plafond du sédiment grossier (graviers). Les sondages n’excèdent pas 2,5 m, soit la longueur de la perche et du bras, ou moins si la profondeur du plan d’eau est trop importante. Les sondages ont été répétés sur toute la longueur du plan d’eau à intervalles réguliers (10 ou 50 m). Seule la topographie de la ZAP de INGM est incomplète, les berges n’ayant pu être correctement levées pour des raisons d’accessibilité. Leur géométrie n’a donc pas pu être définie.

Nous avons observé un abaissement de 80 cm de la ligne d’eau correspondant au débit moyen annuel (170 m3/s) au droit de la station de jaugeage de Neublans-Abergement entre 1967 et 1998. Dans le but de nous assurer qu’un changement de niveau d’eau se traduit par une évolution de la superficie visible sur les photographies, nous avons simulé un abaissement de ligne d’eau équivalent sur les profils topographiques des ZAP levés en 1999. En effet, si les berges des plans d’eau sont parfaitement verticales, l’abaissement du plan d’eau ne se traduit pas par une réduction surfacique et n’est donc pas observable à partir des photographies aériennes. À partir des profils en long et en travers levés sur les ZAP en 1999, nous avons calculé pour chaque plan d’eau la réduction de largeur et de longueur qu’engendre un abaissement de 80 cm du niveau d’eau, puis recalculé leur superficie d’après ces nouvelles mesures.

Résultats

Historique des extractions

L’étude des archives indique que pour l’ensemble des fosses étudiées, le maximum tant au niveau des volumes extraits que de l’extension des surfaces est atteint au début des années 1980 (fig. 2) L’étude diachronique de la superficie des fosses à partir des photographies aériennes permet d’estimer le début des extractions entre 1950 et 1960. Sur ces photographies, un léger décalage temporel peut aussi être observé entre l’extension maximale des fosses d’extraction (1978) et les volumes maximum extraits (1982-1985). Cela démontre que dans un premier temps (1950-1980), les sites d’extraction se sont étendus spatialement alors que, dans un second temps, les prélèvements se sont poursuivis par surcreusement des zones déjà concernées. L’activité extractive se manifeste principalement du début des années 1970 à la fin des années 1980. La comparaison des volumes et des superficies (fig. 2) permet de mettre en évidence le temps de réponse entre la fin effective des extractions et le début de comblement des fosses. Celui-ci est de sept ans sur la fosse en aval de notre zone d’étude alors que les fosses en amont semblent totalement comblées en 2001, que ce soit sur les photographies aériennes (fig. 2) ou sur les profils en long (fig. 3), ce qui correspond à une période de moins de 10 ans.

Figure 2

Variation de la superficie des fosses d’extraction étudiées et des volumes de sédiments extraits entre 1950 et 2001.

Variation of the studied in-stream pit areas and sediment volumes excavated between 1950 and 2001.

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Figure 3

A)

B)

C)

D)

(A) Variation altitudinale du lit du Doubs entre Dole et Lays-sur-le-Doubs, (B) variation altitudinale de la ligne d’eau d’étiage de 1966 (Malavoi, 2004), 1987 (Sogreah, 1987) et 2003 (Rollet, 2003), (C) variation altitudinale du fond du lit de 1987 (Sogreah, 1988) et 1996 (Malavoi, 2004), (D) évolution de la hauteur d’eau correspondant au débit moyen annuel (entre 170 et 180 m3/s) mesurée à la station de Neublans.

(A) Altitudinal variation of the Doubs River between Dole and Lays-sur-le-Doubs, (B) altitudinal variation of low flow water level in 1966 (Malavoi, 2004), 1987 (Sogreah, 1987) and 2003 (Rollet, 2003), (C) altitudinal variation of channel bed elevation in 1987 (Sogreah, 1988) and 1996 (Malavoi, 2004), (D) evolution of water level corresponding to the mean annual discharge (between 170 and 180 m3/s) measured at the gauging station of Neublans.

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Évolution du lit

Profil en long

La comparaison des lignes d’eau d’étiage de 1966-1987 et 1967-1979 (fig. 3A et B) indique une incision généralisée du chenal (abaissement d’environ 50 cm de la ligne d’eau), atteignant des maximums au droit des fosses d’extraction (80 à 120 cm). Ces fosses sont profondes et une érosion progressive et régressive se manifeste. Seul le secteur entre le pont de Champdivers et celui de Peseux présente une stabilité relative, car le profil en long est contrôlé par des points durs correspondant au toit des marnes de Bresse (Malavoi, 2004).

Les profils en long du fond du chenal de 1987 et 1996 montrent une inversion de tendance. Les secteurs d’exhaussement (1 550 000 m3 ou 171 667 m3/an) couvrent alors les deux tiers du linéaire étudié (fig. 3C). L’incision se poursuit de façon très localisée, pour l’essentiel à l’aval des ponts dont les sections d’écoulement plus réduites augmentent les vitesses et la capacité de transport. Les fosses d’extraction de Champdivers (fosse 1) et de Fretterans (fosse 2) ont été comblées au cours de cette période. D’après les profils topographiques et les photographies aériennes, le volume de la fosse de Champdivers (fosse 1) a été estimé à 442 000 m3 en 1987 (arrêt de l’exploitation en 1984). Les apports depuis l’amont du tronçon d’étude étant estimés à 75 000 m3 annuels (Malavoi, 2004), nous pouvons ainsi établir que cette fosse pourrait avoir été comblée dès 1992. Concernant la fosse de Fretterans (fosse 2), son volume est estimé à 80 000 m3 en 1985. Elle a bénéficié des sédiments provenant des érosions de berges (8 000 m3/an) sur un tronçon de 3,5 km en amont ; distance fondée sur l’hypothèse d’une vitesse moyenne de progression de la charge de fond de 500 m/an, valeur correspondant à la fois à la distance seuil-mouille observée au niveau des secteurs de méandrage, et à environ cinq fois la largeur du chenal (Carson et Griffiths, 1989 ; Ham et Church, 2000). Les processus d’érosion régressive depuis la fosse ont également fourni 4 500 m3/an de matériaux. Ces deux sources sédimentaires cumulées ont contribué à l’apport d’environ 12 500 m3/an permettant le comblement total de la fosse 2 dès 1993. Suite à son incision antérieure (1966-1987), le chenal s’est rétracté et les érosions de berges ont été significativement réduites sur la période plus récente (test de Wilcoxon, p < 0,0001 et p = 0,04) (fig. 4A et B). Elles n’ont contribué qu’à 30 % (77 700 m3/an) des entrées sédimentaires (comme les apports amont), contre 42 % (112 000 m3/an) pour les processus d’érosion progressive et régressive (Rollet, 2003). Ainsi, depuis 1983, les sédiments provenant de l’amont ne sont plus piégés à l’entrée du tronçon, mais contribuent à alimenter la section plus en aval et notamment la fosse 2. La comparaison des profils de ligne d’eau levés en 1996 et en 2003 confirme cette tendance (fig. 3B). Le profil au droit de la fosse de Champdivers (fosse 1) s’est stabilisé et nous observons une nette remontée de la ligne d’eau.

Figure 4

A)

B)

(A) Superficie moyenne annuelle érodée et (B) superficie moyenne annuelle atterrie entre 1978 et 2001 renseignées par sections fluviales de 250 m.

(A) Mean annual eroded surface areas and (B) mean annual vegetated surface areas between 1978 and 2001 from channel sections of 250 m.

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Seule la fosse de Lays-sur-le-Doubs (fosse 3) représente encore un obstacle au transit sédimentaire (fig. 5) et agit comme un piège à sédiments en aval de notre secteur d’étude. D’après les photographies aériennes et les images satellites, nous observons depuis 1989 la présence d’une flèche de sédiments à l’amont de la fosse progressant en moyenne de 35 mètres par an. Celle-ci est alimentée notamment par les sédiments déstockés par l’érosion régressive se manifestant à l’amont de la fosse 3. Ce phénomène est parfaitement visible sur l’image satellite de 1997, les bancs présents sur ce secteur en 1986 étant de plus en plus rares. Si les conditions hydrauliques et la fourniture sédimentaire restent identiques à la période précédente, la fosse de Lays-sur- le-Doubs ne sera pas comblée avant 30 ans, affectant donc durablement l’équilibre morphologique du secteur aval.

Figure 5

A)

B)

(A) Superficie moyenne annuelle érodée par tronçon de 250 m le long du Doubs et (B) nombre de jours par an pour lesquels Q1,5 (920 m3/s) est dépassé entre 1966 et 2001.

(A) Mean annual eroded surface area per channel sections of 250 m along the Doubs River and (B) the number of days when Q1.5 (920 m3/s) was exceeded between 1966 and 2001.

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Les apports sédimentaires amont sont importants en raison des processus d’érosion régressive résultant de la rectification du Doubs et de la Loue à leur confluence, et de l’endiguement de cette dernière. Ces travaux de rectification réalisés entre 1960 et 1980 ont conduit à une réduction d’un kilomètre environ de la longueur du Doubs (13 % de la longueur initiale). Cette fourniture sédimentaire risque ainsi d’être provisoire, le temps que ces tronçons ajustent leur géométrie aux conditions hydrauliques imposées par les aménagements. Nous observons cependant que, sur la période 1996-2001, le chenal présente peu de sections en cours de rétraction alors que les érosions latérales sont plus importantes (fig. 4A et B), principalement au droit des anciennes fosses d’extraction (fig. 5 et 6A). Cette reprise significative des érosions (test de Wilcoxon, p = 0,04) ne peut s’expliquer par une augmentation des débits, ceux-ci ayant été faibles sur la période (fig. 5B). Selon un processus de rétroaction positive, l’élargissement du chenal consécutif aux extractions favorise la dissipation des écoulements et donc le dépôt de la charge de fond qui, lui-même, favorise la diffluence des écoulements et l’érosion latérale (fig. 5B et 6A). Les érosions de berge entre 1996 et 2001 (112 970 m3/an) contribuent à plus de 45 % des apports sédimentaires, compensant ainsi la diminution des apports par incision du lit (23 % des apports annuels ou 58 000 m3/an) consécutive à la stabilisation du profil en long (Rollet, 2003).

Figure 6

A)

B)

Images satellites SPOT 5 couvrant le secteur Fretterans—Lays-sur-le-Doubs de (A) 1986 et (B) 1997. Le débit enregistré à ces deux dates est de 100 m3/s (sources : CNES et GDTA).

SPOT 5 satellite imagery covering the Fretterans—Lays-sur-le-Doubs sector in (A) 1986 and (B) 1997. The recorded discharge for both dates is 100 m3/s (Sources : CNES and GDTA).

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Les courbes de tarage établies entre 1965 et 2003 à la station de jaugeage de Neublans nous permettent d’affiner la chronologie des processus d’incision (fig. 3D) ; cette station étant située à 2,5 km en amont de la fosse 2, elle a été affectée par l’érosion régressive. Sur l’ensemble de la période étudiée, la ligne d’eau s’est abaissée, démontrant une incision du lit. Nous repérons trois temps dans cette tendance générale : une incision de l’ordre de 50 cm sur la période 1969-1979 soit une vitesse de 5 cm/an qui s’accélère sur les cinq années suivantes avec une vitesse de 20 cm/an. Cette incision ralentit ensuite à partir des années 1985. Nous constatons ainsi un lien étroit avec l’évolution de l’intensité des extractions de granulats mise en évidence par l’étude des archives (fig. 2).

Évolution de la géométrie des zones aquatiques périfluviales

D’après les recensements effectués à partir des photographies aériennes de 1953 et 2002, il apparaît que pour un faible débit (environ 50 m3/s), un grand nombre de bras morts en eau a disparu, essentiellement entre les fosses 2 et 3 (fig. 1A), c’est-à-dire le secteur fortement concerné par les processus d’érosion régressive (fig. 5B). Sur cette même période, nous observons également la création d’un nombre important de bras morts, consécutive à la rectification de la confluence Loue-Doubs effectuée entre 1960 et 1980 (fig. 1A). En revanche, très peu de différences ont été observées à partir du second couple de clichés, la plupart des bras morts en eau identifiés en 1978 étant encore visibles en 2001 pour un débit avoisinant 125 m3/s dans le chenal principal (fig. 1B). Nous observons ainsi que pour de faibles débits, les connexions entre les bras morts et le chenal semblent d’autant plus détériorées que l’incision du chenal a été importante et persistante. Ce lien n’est cependant pas démontré lorsque les débits dans le chenal sont plus élevés.

Les variations de la superficie en eau ont été plus précisément étudiées au cours du temps sur les plus grandes ZAP. Une diminution générale des superficies en eau est observée à débit égal depuis 1953, y compris dans les secteurs éloignés des fosses d’extraction (fig. 7 et 8). Les valeurs de rétractions les plus élevées atteignent 90 %. Au cours de la période plus récente (1989-2002), les réductions maximales restent fortes (‑60 %) alors que la période étudiée est plus courte, certaines ZAP enregistrent par ailleurs une nouvelle augmentation (TRA : +10 % ; INGT : +18 %) de superficie (fig. 8). Ces ZAP se situent sur un secteur affecté par l’incision généralisée du chenal (abaissement de la ligne d’eau compris entre 30 et 90 cm entre 1966 et 1987), mais peu touché par l’incidence directe des fosses d’extraction ou les processus d’érosion progressive ou régressive. Ces secteurs sont en exhaussement depuis la fin des années 1980.

Figure 7

Évolution des zones aquatiques périfluviales en fonction du débit du Doubs à la station de Neublans depuis 1950.

Evolution of perifluvial aquatic zones according to discharge along the Doubs River at the gauging station of Neublans since 1950.

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Figure 8

A)

B)

Comparaison de (A) l’évolution relative des superficies en eau entre 1953-1989 et 1989-2002 et (B) des superficies brutes entre 1953 et 2002 d’une part, et entre 1989 et 2002 d’autre part.

Comparison of (A) water surface relative evolution between 1953-1989 and 1989-2002 and (B) surface area between 1953-2002 and between 1989 and 2002.

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La réduction des ZAP étudiée entre 1953 et 1989 n’est pas statistiquement liée à la valeur de l’incision du chenal pour les années 1970 au droit de leur localisation (fig. 9A). La réduction est en fait corrélée à la taille des bras, elle-même corrélée à la pente des berges (fig. 9B). En d’autres termes, les bras de grande taille sont plus évasés et plus sensibles en surface à une réduction de leur plan d’eau. Ceci est indépendant de leur âge et de leur fréquence de connexion au chenal.

Figure 9

A)

B)

(A) Évolution des surfaces en eau entre 1953 et 1989 en fonction de la géométrie des zones aquatiques périfluviales et de l’incision du chenal et (B) évolution des surfaces en eau entre 1953 et 2002 en fonction de la géométrie des zones aquatiques périfluviales.

(A) Water surface evolution between 1953 and 1989 as a function of the geometry of the perifluvial aquatic zones and river bed degradation and (B) water surface evolution between 1953 and 2002 as a function of perifluvial aquatic zones.

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La simulation d’un abaissement de 80 cm de la ligne d’eau sur les profils topographiques levés dans les ZAP a permis de confirmer notre hypothèse selon laquelle l’abaissement du niveau d’eau dans les zones aquatiques périfluviales peut être indirectement mis en évidence par l’évolution surfacique des plans d’eau (fig. 10). Cela renforce également le résultat statistique présenté précédemment. La simulation montre une réduction des superficies en eau variant de 4 à 100 % (tab. III). Les résultats d’une zone à l’autre ne sont cependant pas comparables, car les débits correspondant aux cotes de ligne d’eau lors des relevés topographiques ne sont pas identiques. Ainsi, une zone aquatique périfluviale, où la ligne d’eau de référence avant simulation de l’abaissement de la nappe correspond à un débit proche de l’étiage, est susceptible de connaître une plus forte réduction de sa surface en eau par rapport à une ZAP dont la ligne d’eau de référence correspond au module. La géométrie des zones humides influence également l’importance de la réduction surfacique. Ainsi, le plan d’eau de LON qui présente une réduction surfacique de 66 % dispose de berges en pentes douces et d’un profil en long comportant une multitude de seuils (fig. 10A et B). Au contraire, la ZAP de CHAR dont les berges sont plus raides et dont le profil en long n’est pas segmenté par des seuils exondés, présente une réduction de sa surface en eau de seulement 4 % (fig. 10C et D) pour un affaissement du plan d’eau de 80 cm.

Figure 10

A)

B)

C)

D)

Profils en long et en travers des zones aquatiques périfluviales de (A et B) LON et de (C et D) CHAR et simulation de l’abaissement de la ligne d’eau de 80 cm.

Long and transverse profiles of the perifluvial aquatic zones of (A and B) LON and (C and D) CHAR and simulation of a water level lowering of 80 cm.

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Tableau III

Comparaison des superficies des plan d’eau des zones aquatiques périfluviales estimées à partir des mesures topographiques et des photographies aériennes avant et après la simulation d’un abaissement de la ligne d’eau de 80 cm

Comparaison des superficies des plan d’eau des zones aquatiques périfluviales estimées à partir des mesures topographiques et des photographies aériennes avant et après la simulation d’un abaissement de la ligne d’eau de 80 cm

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Discussion et conclusions

L’impact des extractions

L’activité extractive affecte l’évolution verticale du chenal, non seulement au droit des sites, mais aussi à l’aval et à l’amont de chacun d’eux. Le fait que le pic d’activité extractive soit synchrone de l’incision du lit valide clairement notre première hypothèse. Les incisions observées restent malgré tout modestes comparativement à ce que d’autres cours d’eau soumis à ce type d’activité ont enregistré (Landon et Piégay, 1994 ; Bravard et al., 1999 ; Landon, 1999). La forte réactivité du Doubs, une fois l’activité extractive terminée, est en revanche assez originale. Les fosses se comblent rapidement et des exhaussements sont alors observés. Compte tenu de la configuration du tronçon et de la période de temps considérée, l’origine de ces sédiments est forcément locale, provenant du lit lui-même sur le tronçon plus amont, ou des érosions de berge. L’ajustement d’un tronçon aux extractions est donc relativement complexe, impliquant non seulement des ajustements verticaux au début de la période mais aussi latéraux dans un second temps. Ceci permet une certaine réversibilité de cette évolution.

La présente étude souligne également un lien entre l’incision du chenal et la réduction des superficies en eau des zones humides périfluviales de la basse vallée du Doubs du fait de l’abaissement consécutif de la nappe d’accompagnement validant ainsi la seconde hypothèse. La réduction surfacique se manifeste par une réduction de la largeur et par une fragmentation de la ZAP en différents plans d’eau, les seuils apparaissant plus fréquemment en basses eaux. Ces exondations favorisent leur végétalisation par des ligneux qui à leur tour favorisent l’atterrissement par le peignage des sédiments.

Néanmoins, l’intensité de cet ajustement dépend de la pente des berges qui varie d’une zone aquatique périfluviale à l’autre. En d’autres termes, deux ZAP enregistrant le même affaissement du plan d’eau consécutivement à l’incision du lit suite aux extractions n’enregistreront pas la même réduction surfacique de leur plan d’eau. Celle-ci peut être nulle dans le cas de berges verticales. Notre seconde hypothèse est validée dans la mesure où la réduction surfacique des ZAP est bien synchrone de l’incision du lit. Néanmoins, il n’est pas possible de faire statistiquement un lien à l’échelle des ZAP entre l’incision du chenal au droit de ces entités et leur évolution surfacique du fait d’un trop faible nombre d’objets à comparer dans un cadre géométrique similaire (fig. 9). Les plus grandes ZAP, souvent des mouilles profondes, sont moins sensibles au morcellement et tendent à montrer une moindre réduction des superficies en eau, d’autant qu’elles ont des berges plus abruptes. Les plus petites semblent répondre avec moins d’inertie aux changements fluviaux que les plans d’eau plus massifs. Le fait qu’il soit possible de lier statistiquement affaissement du plan d’eau et géométrie montre que le fonctionnement hydrologique des ZAP est assez identique au sein de ce corridor fluvial et que, si leur géométrie le permet, celles-ci sont très sensibles au changement fluvial qui régit leur niveau d’eau. Cela conduit à minorer le rôle de la sédimentation dans la diminution surfacique de ces zones aquatiques périfluviales et ce, à l’échelle de la décennie étudiée. Si ce paramètre était variable d’une ZAP à l’autre en fonction de leur degré de connexion avec le chenal principal (Piégay et al., 2000 ; Citterio et Piégay, sous presse), le lien statistique entre l’évolution surfacique de la ZAP et la pente des berges ne pourrait pas être établi.

Notions de réversibilité et d’histoire de vie

De nombreuses études ont souligné les effets négatifs des extractions en lit mineur. La présente contribution, qui souligne des ajustements en cascade affectant le lit majeur, les extractions en lit mineur ayant contribué à la rétraction des ZAP du Doubs, vient ainsi conforter les résultats de Bornette et Heiler (1994) et Scott et al. (1999). Bornette et Heiler (1994) avaient déjà montré qu’un abaissement de 80 cm du niveau d’eau du Haut Rhône affecte le cortège floristique. Ces affaissements ont également des effets sur la croissance ligneuse s’ils se produisent brutalement (Scott et al., 2000 ; Amlin et Rood, 2003) ou s’ils dépassent un certain seuil (Dufour et Piégay, sous presse).

En même temps, la réactivation récemment observée des processus d’érosion au droit des secteurs d’extraction artificiellement élargis, laisse entrevoir que ces actions pourraient être bénéfiques pour les écosystèmes riverains, dans un contexte où les volumes extraits restent inférieurs aux apports de sédiments provenant de l’amont. Dans la mesure où elle engendre de l’hétérogénéité spatiale, la dynamique latérale restaurée est classiquement considérée comme le premier facteur de contrôle de la structuration de la mosaïque paysagère et de la diversité biologique (Salo et al., 1986 ; Tabacchi, 1992 ; Ward et al., 2002). Le cours d’eau retrouve alors ses capacités d’auto régénération des habitats et de maintien d’espèces pionnières spécifiques des milieux riverains. Les élargissements résultant des extractions ont des effets assez semblables à ceux d’opérations de redynamisation de cours d’eau par érosion latérale (Rohde et al., 2004 ; Piégay et al., 2005). Ce constat vient donc conforter les conclusions de certains auteurs montrant les effets bénéfiques des extractions de granulats, notamment pour les populations avicoles (Fustec et Frochot 1995) et piscicoles. Une fosse d’extraction offre en effet des conditions d’habitats différentes et peut également servir de refuge lors des crues (Boët et al., 1998).

L’analyse de ce cas permet d’introduire deux points de discussion importants : (1) les actions humaines sur les cours d’eau sont traditionnellement considérées comme un préjudice alors que ce n’est pas forcément systématiquement le cas, d’autant que les cours d’eau, au moins en Europe, sont déjà des entités largement sous le contrôle d’actions humaines passées. Leurs états antérieurs successifs n’ont pas forcément plus de légitimité en tant que référence que leur état actuel (Bravard, 1981 ; Petts et al., 1989 ; Kondolf et al., 2007). Ainsi, l’histoire contemporaine des ZAP n’est pas uniquement associée aux extractions. Elles existent parce que le style fluvial s’est transformé au cours du 19e siècle à la suite des endiguements et des recoupements artificiels de méandres. Ces derniers ont favorisé un chenal principal et l’abandon des chenaux secondaires (Sauty, 1999). Leur trajectoire évolutive est donc régie par des contrôles anthropiques externes. Dans ce contexte, il est difficile de parler de réversibilité des effets d’un impact particulier sur un écosystème en faisant référence à des conditions passées, considérées comme plus intéressantes puisque plus naturelles (Bravard, 1991). L’histoire de vie de ces objets de nature est complexe. Dans le cas présent, les actions humaines ont largement contribué à la création de ZAP aux conditions d’habitat contrasté, puis à leur raréfaction. La réactivation d’une dynamique latérale à la fin de la période pourrait ouvrir une nouvelle phase dans leur évolution. Celle-ci peut être bénéfique d’un point de vue écologique si l’érosion latérale est suffisamment marquée pour permettre un renouvellement de ces milieux. (2) L’analyse des impacts et des ajustements des formes fluviales doit être considérée à une certaine échelle de temps. Il est donc nécessaire d’être prudent dans l’interprétation des liens de cause à effet et dans la détermination des évolutions futures par extrapolation de la tendance passée. Il est nécessaire, pour disposer d’une vision à plus long terme de l’évolution de ces milieux, de replacer le secteur étudié dans une logique amont-aval à plus petite échelle. La disponibilité de la charge en provenance de la haute vallée est une question importante. La régénération récente n’est peut être qu’un épisode transitoire lié à la disponibilité locale de la charge. Elle sera rapidement suivie par une période inexorable de raréfaction des apports sédimentaires et d’un enfoncement du lit. Il apparaît judicieux de scénariser l’évolution des lits fluviaux et de considérer leur évolution sur des trajectoires temporelles non linéaires. Ces trajectoires sont étroitement conditionnées par la disponibilité à long terme des flux de matière qui ont régi les géométries observées. Dans ce contexte, la notion de réversibilité, qui pose le problème de savoir si le cours d’eau peut ou non retrouver son état avant la perturbation, apparaît réductrice. Elle replace en effet le raisonnement sur l’évolution d’un lit fluvial dans un contexte de cyclicité et positionne au centre du débat les états antérieurs. Ces derniers sont considérés comme pertinents alors que l’échelle de temps sur laquelle ils sont définis est souvent trop réduite (10 à 50 ans).

Notion de faisceaux convergents d’évidence

L’analyse permet de mettre en lumière les liens de cause à effet et de comprendre le rôle des actions humaines sur l’évolution des formes fluviales. Il existe bien souvent des décalages temporels et spatiaux entre les secteurs où se manifestent les phénomènes causaux et ceux qui y répondent. De plus, de nombreux bruits anthropiques existent. Il peut être délicat de distinguer l’effet d’une pression par rapport à une autre, car le chenal peut répondre simultanément à des pressions différentes. Beaucoup d’auteurs ont ainsi abordé la question en soulignant l’ensemble des facteurs potentiels, la difficulté étant de les hiérarchiser, de distinguer le plus pertinent des autres. De fait, les approches quantitatives peuvent aider à mieux prendre en compte cette question. Elles permettent d’évaluer le temps de latence entre une pression et un impact (Liébault, 2003) ou de se placer dans un contexte expérimental afin de tester une hypothèse en s’appuyant sur un ensemble de démarches (Piégay et Schumm, 2003). Ce travail fournit donc un faisceau de preuves convergentes suffisamment robustes pour valider une incision du lit consécutif aux extractions et ses conséquences sur la géométrie des plans d’eau périfluviaux. Si les deux hypothèses initiales sont globalement validées, certaines limites interprétatives ont été observées. Il n’a pas été possible par exemple de montrer le lien entre l’exhaussement récent et le relèvement du niveau d’eau dans les plans d’eau ou d’établir un lien statistique entre l’importance de l’affaissement d’un plan d’eau et le niveau d’incision du chenal. Ces éléments plus subtiles à identifier et ce, sur des périodes de temps plus courtes, n’ont pas pu être déterminés. Le nombre d’objets à comparer était en effet limité, compte tenu des contraintes successives imposées par l’analyse des documents anciens : avoir des objets d’une certaine taille pour qu’ils soient observables sur les photographies aériennes, avoir des périodes semblables pour comparer l’évolution du chenal (appréhendée par suivi topographique) et des bras (via les photographies, elles-mêmes n’étant comparables que pour des débits identiques).

Tous ces éléments soulignent que la pertinence des analyses rétrospectives repose sur la possibilité d’utiliser simultanément différentes sources, de combiner analyse historique et analyse in situ (notamment pour valider les temps de latence) afin de faire converger les évidences. Ces combinaisons aident également à développer une analyse critique des documents à exploiter : avoir des profils en long correspondant à un même paramètre (un fond de lit, une ligne d’eau pour un débit donné), un même linéaire, comparer des photos prises pour un même débit. Plus l’analyse est précise en reposant sur une documentation riche et un nombre de cas important, plus les causalités observées seront robustes.