Corps de l’article

Introduction

Le Nouveau-Brunswick est affecté par le vieillissement de sa population. Tant en milieu urbain qu’en milieu rural[3], ce phénomène soulève plusieurs enjeux et défis, que ce soit au chapitre de l’offre de services ou de l’aménagement du territoire en vue de favoriser un vieillissement actif[4] et à domicile (Chapon, 2013 ; Lord et Piché, 2018). Cette gestion territoriale du vieillissement fait intervenir de nombreux acteurs, qu’il s’agisse des différents ordres de gouvernement, des organismes communautaires, des membres de la famille ou des aînés eux-mêmes, qui, par leurs actions, contribuent à améliorer la qualité de vie des personnes âgées (Broussy, 2014 ; Rousseau, 2018 ; Viriot-Durandal et al., 2012). En effet, il est de la responsabilité de tous ces acteurs de développer des stratégies qui permettront de sensibiliser les décideurs et de les éclairer dans la mise en oeuvre de politiques à l’intention des aînés (Caradec, 2012).

La démarche « ville-amie des aînés » (VADA), déployée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2007, constitue l’une de ces stratégies qui permettent aux acteurs territoriaux, en particulier aux responsables municipaux, d’innover sur les environnements bâti et social afin d’assurer un vieillissement actif (OMS, 2007 ; Viriot Durandal et al., 2018). Au Nouveau-Brunswick, l’approche VADA a été mise de l’avant en 2012 par l’Association francophone des aînés (AFANB). La démarche, qui correspond en gros à celle implantée au Québec (Paris et Garon, 2020), constitue une bonification des orientations définies par l’OMS (2007) dans la mesure où elle prévoit une planification stratégique communautaire gravitant autour de trois étapes : 1) un diagnostic social offrant une compréhension approfondie de la situation et l’émergence d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs ; 2) un plan d’action identifiant les priorités et les projets destinés à améliorer les conditions de vie des aînés ; 3) une mise en oeuvre des projets selon une organisation des ressources communautaires visant à produire les résultats escomptés du plan (AFANB, 2016).

L’expérience VADA a fait l’objet de nombreux travaux, dont les principales thématiques ont porté sur le rôle de la résilience et de l’innovation sociale (Aung et al., 2022) dans l’évaluation des changements observés depuis l’intégration au réseau (Black et Oh, 2022 ; Chapon et al., 2015 ; Davern et al., 2020 ; Paris et Garon, 2020) ; la participation des aînés au déploiement de la démarche (Buffel, 2015) et leur valorisation (Garon et al., 2008) ; la contribution de l’engagement social (Cao et al., 2020), des technologies (Liddle et al., 2020 ; van Hoof et al., 2019) et de l’aménagement du territoire (Garon et al., 2011 ; Miller, 2017) au vieillissement à domicile ; l’apport de la démarche dans la mise en place de nouvelles formes de logement (Mahmood et al., 2022) et dans la réduction des inégalités face au vieillissement (Woolrych et Sixsmith, 2020) ; les diverses retombées (Fields, 2019 ; Garon et Veil, 2011) et le potentiel de l’expérience VADA (Buffel et al., 2019 ; Davern et al., 2020) relativement au vieillissement actif. Par ailleurs, hormis nos propres contributions (Simard, 2017-2018 ; Paris et Garon, 2018, 2020), mais aussi en raison du caractère récent lié à l’implantation de la démarche VADA au Nouveau-Brunswick, peu de chercheurs se sont intéressés à cette dernière analysée sous l’angle de la gouvernance territoriale. Par conséquent, nous croyons que notre contribution arrive à point nommé.

L’objectif de notre article consiste à identifier les enjeux, les défis et les obstacles rencontrés par les différents acteurs des villes de Saint-Quentin et de Grand-Sault, au Nouveau-Brunswick, ayant entrepris la démarche VADA. Précisons que cette expérience de gouvernance territoriale s’appuie sur les principes à la fois de la gérontologie environnementale et sur ceux du développement social local.

Notre article se décline comme suit. La première partie est consacrée au cadrage théorique entourant la gérontologie environnementale et le développement social local. Font l’objet de la deuxième partie les méthodes de collecte et d’analyse. La troisième porte sur les résultats de la recherche. Enfin, nous clôturons par une discussion.

1. Cadre théorique

Au coeur de cette recherche, le modèle de gérontologie environnementale propose un cadre systémique qui rend compte du fonctionnement des relations entre l’aîné et son espace de vie (Andrew et al., 2007 ; Kendig, 2003 ; Wahl et Weisman, 2003). Bien qu’elle ne dispose pas de théorie spécifique, la gérontologie environnementale « offre des bases conceptuelles et empiriques solides pour faire avancer les recherches sur le vieillissement et, plus spécifiquement, sur la contribution de l’environnement au vieillissement en bonne santé » (Kendig, 2003, p. 611, traduction libre). Elle s’intéresse aux interactions entre les ressources et les capacités individuelles des personnes âgées à agir sur la gouvernance territoriale, en particulier sur leur environnement social et physique (Stephens et al., 2019). En proposant une approche à la fois transversale et pluridisciplinaire de la dynamique personne/environnement et de ses impacts sur le plan de la qualité de vie, ce modèle accorde autant de place à l’individu qu’à son milieu (Kendig, 2003 ; Wahl et Weisman, 2003). Il ne vise pas seulement à décrire et à expliquer la relation qu’entretient la personne âgée avec son environnement, mais il tente aussi de mieux cerner comment il est possible d’optimiser cette relation dans le but de favoriser un vieillissement actif (Wahl et Weisman, 2003 ; Wiles et al., 2012). Possédant une dimension à la fois théorique, politique et praxéologique, le modèle se répercute sur la gouvernance et le capital territorial, c’est-à-dire sur la capacité des membres d’une communauté à se mobiliser autour d’un projet commun (Tremblay et al., 2016).

Quant au développement social local, il renvoie à la démarche par laquelle les acteurs sociaux enclenchent une initiative ou un projet de développement dans le but de favoriser, à l’échelon local, une amélioration du cadre de vie (Denieuil, 2008). Cette démarche, mieux connue sous le vocable de « gouvernance territoriale », s’inscrit dans le cadre d’un processus de coordination et de prise en main qui, à terme, entraîne le développement du milieu (Leloup et al., 2005 ; Torre, 2011). Par conséquent, ces deux modèles s’avèrent tout indiqués pour cerner les impacts socioterritoriaux du vieillissement et comprendre la manière dont les différents acteurs sont en mesure d’en relever le défi, par une gouvernance territoriale réussie, afin de déployer des actions ciblées sur l’environnement des personnes âgées (Caradec et al., 2017 ; Keating et al., 2013 ; A. Klein, 2018). En outre, en plus de promouvoir une approche à la fois ascendante et transversale, les deux modèles retenus misent sur la capacité des acteurs locaux, notamment les élus municipaux et les personnes âgées, à se concerter autour d’une initiative afin d’améliorer la qualité de vie du milieu, confortant ainsi leur pertinence comme cadres d’analyse à la démarche VADA.

2. Méthodologie

La principale méthode que nous avons retenue dans le cadre de cette recherche est l’étude de cas exploratoire socioethnographique, examiné sous l’angle des représentations sociales des acteurs sociaux et de l’approche relations-personnes/milieu (Jodelet, 2003 ; A. Klein, 2018 ; Vaillies, 2006). Le choix de Saint-Quentin et de Grand-Sault a été effectué en collaboration avec l’AFANB, principale partenaire de cette étude. Comportant une population majoritairement francophone, ces villes ont été retenues en raison du rôle de petits centres de services qu’elles exercent dans leur environnement immédiat. De plus, à plusieurs reprises, leurs citoyens se sont mobilisés pour conserver leurs services de proximité, en particulier leur hôpital, ce qui témoigne de leur capacité d’agir. Le fait qu’elles aient adhéré au réseau VADA s’inscrit également en ce sens.

2.1 Instruments de collecte

Nous avons fait appel à trois instruments de collecte. Un premier a consisté en la réalisation d’entrevues semi-dirigées effectuées auprès d’élus municipaux et d’intervenants communautaires dans chacun des milieux étudiés. Ces entrevues ont suivi un guide prédéterminé comportant 15 questions ouvertes. Parmi les questions posées, mentionnons, à titre d’exemples : Comment la municipalité est-elle devenue une VADA ? Quels ont été les organismes qui ont été impliqués dans la démarche ? Y a-t-il eu des tensions entre les différents acteurs dans la mise en oeuvre de la démarche ? Si oui, de quelle nature ? Des changements ont-ils été observés depuis que la municipalité fait partie du réseau VADA ? Soulignons que, pour ces entrevues, notre échantillon a été constitué dans le but d’assurer le maximum de points de vue pour chaque catégorie d’intervenants (Lambelet et al., 2017). Par ailleurs, en recherche qualitative, ce n’est pas tant la taille de la population que les critères relatifs à la crédibilité, à la fiabilité et à la transférabilité des données qu’il faut considérer (Morse et al., 2002). Or, notre échantillonnage répond à ces trois critères. En conséquence, en permettant de déceler des tendances fortes, les résultats obtenus sont indicatifs d’une certaine réalité. Le tableau suivant fait état de la ventilation des entrevues que nous avons réalisées par catégories d’intervenants.

Tableau 1

Ventilation des entrevues semi-dirigées effectuées avec les différentes catégories de participants

Ventilation des entrevues semi-dirigées effectuées avec les différentes catégories de participants

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À Saint-Quentin, les coordonnées des intervenants communautaires ont été obtenues à partir du site web du Regroupement des organismes communautaires (ROC). La directrice de ce regroupement ainsi que la coordonnatrice provinciale de la démarche VADA nous ont également appuyés dans notre démarche. Dans le cas de Grand-Sault, la personne responsable du club de l’âge d’or nous a servi de personne-ressource. D’une durée moyenne de 120 minutes, les entrevues se sont tenues entre le 29 juillet et le 31 août 2020 à Saint-Quentin et entre le 18 août et le 10 septembre 2020 à Grand-Sault. En raison de la pandémie de COVID-19 et des mesures sanitaires en vigueur dans la province, celles-ci se sont déroulées par téléphone. Les propos des participants ont été recueillis et enregistrés par le chercheur principal à Saint-Quentin et par un assistant de recherche à Grand-Sault. Les entrevues prenaient fin lorsque les répondants ne nous apprenaient plus de nouvelles informations. Par conséquent, la saturation des données a été atteinte (Savoie-Zajc, 2016).

Un deuxième instrument visait à mesurer, par le biais d’un groupe de discussion, la perception des aînés à l’égard de la démarche VADA. Il s’agissait de confirmer ou d’infirmer les résultats obtenus auprès des élus municipaux et des intervenants communautaires et de connaître le point de vue des aînés concernant les principaux thèmes abordés. Pour Saint-Quentin, la directrice du ROC nous a fait parvenir une liste de 18 personnes âgées de 65 ans ou plus. De ce nombre, cinq ont refusé de participer, et quatre ne se sont pas présentées le jour de l’activité. À Grand-Sault, les coordonnées de 18 personnes âgées nous ont été fournies par un responsable du club de l’âge d’or. Pour se qualifier à l’étude, les participants devaient avoir 65 ans ou plus et être impliqués à différents degrés dans leur milieu. Notre groupe de discussion se composait de neuf aînés à Saint-Quentin (cinq femmes et quatre hommes). Huit avaient entre 65 et 74 ans, et un participant avait plus de 75 ans. À Grand-Sault, quinze aînés (onze femmes et quatre hommes) ont participé au groupe de discussion. Sept personnes avaient entre 65 et 74 ans ; les huit autres avaient plus de 75 ans. L’activité s’est déroulée en présentiel aux deux endroits, soit le 22 août 2020 à Grand-Sault et le 3 octobre 2020 à Saint-Quentin. Comportant 12 questions, les groupes de discussion ont duré en moyenne 90 minutes. Le chercheur principal, accompagné d’un assistant de recherche, a mené et a enregistré les groupes.

Le troisième instrument de collecte visait à pallier l’un des inconvénients aux groupes de discussion, soit de susciter un certain consensus laissant parfois peu de place aux voix discordantes. Nous avons donc réalisé sept entrevues individuelles téléphoniques avec des aînés (trois à Saint-Quentin et quatre à Grand-Sault). Les questions que nous leur avons posées étaient les mêmes que celles pour le groupe de discussion. À Saint-Quentin, il s’agissait de trois femmes âgées de plus de 75 ans, alors qu’à Grand-Sault, notre échantillon se composait de quatre femmes, dont trois de 75 ans ou plus et une entre 65 et 74 ans. Ces entrevues ont été réalisées par le chercheur principal entre le 25 août et le 19 septembre 2020.

2.2 Analyse et traitement des données

Nous avons effectué une transcription intégrale des propos recueillis auprès des participants. Par la suite, nous avons procédé à une analyse catégorielle en fonction des différents thèmes et sous-thèmes identifiés à partir de notre grille d’entrevue (Bardin, 2013 ; Van Campenhoudt et al., 2017). Puis, nous avons effectué une analyse préliminaire des données. Nous avons dégagé les dénominateurs communs contenus dans les propos des participants et avons fait état des éléments de différenciation.

Une activité de dissémination des résultats d’une durée de deux heures s’est tenue le 6 mai 2022 à Saint-Quentin et le 7 mai 2022 à Grand-Sault. Dix personnes étaient présentes à Saint-Quentin, dont quatre intervenants communautaires, un élu municipal et cinq personnes âgées ayant participé au groupe de discussion. Les participants étaient au nombre de onze à Grand-Sault, dont deux intervenants communautaires, deux élus municipaux, un membre du comité de pilotage de la démarche VADA, cinq personnes âgées ayant participé au groupe de discussion et un aîné ayant été sollicité dans le cadre d’une entrevue individuelle. Ces activités de dissémination nous ont permis de conforter les résultats de notre analyse et de mettre à jour les différentes étapes eu égard à la démarche VADA.

3. Résultats

3.1 Cas de Saint-Quentin

Saint-Quentin est une petite ville située au nord-est du Nouveau-Brunswick dans la région du Restigouche. En 2021, la population s’élevait à 3 726 personnes, dont 21,8 % (815 personnes) âgées de 65 ans et plus. La quasi-totalité de la population (96,2 %) est francophone. En 2016, l’AFANB a invité le comité des jeux pour les aînés (de concert avec la responsable du ROC et un conseiller municipal) à démarrer la démarche VADA. Au départ, les élus municipaux auraient été hésitants à embarquer dans le projet. Puis, la démarche aurait commencé à soulever de l’intérêt, notamment de la part des différents organismes qui ont accepté d’y adhérer. Selon un intervenant communautaire : « En ayant siégé sur le comité VADA, je voyais toutes les opportunités […], parce qu’il y avait des personnes bénévoles qui s’étaient engagées, qui étaient prêtes à continuer, qui étaient prêtes à faire de quoi. » (Entrevue no 16) Pour la directrice du ROC, il était indéniable que celui-ci devait exercer un certain leadership dans la démarche afin de connaître l’avis et les besoins de ses membres, dont plusieurs sont des personnes âgées, en vue de mieux y répondre.

3.1.1 Comité de pilotage

Après avoir convaincu les membres du conseil municipal et s’être informé sur la nature du réseau VADA, le responsable des jeux pour les aînés et un conseiller se sont chargés de solliciter les membres du comité de pilotage. La mobilisation des acteurs a été effectuée assez rondement, ceux-ci croyant que VADA représenterait un excellent véhicule pour améliorer la qualité de vie des aînés. Un intervenant communautaire affirmait : « On s’est joint à VADA pour apporter tout ce que l’on avait comme matériel pour créer des activités pour les personnes âgées. » (Entrevue no 21) Divers moyens ont été utilisés dans le processus de formation des membres du comité : « On avait la radio. On avait, dans le Publisac, une feuille qui donne les activités du mois, de la semaine. On avait le bulletin paroissial. On avait l’âge d’or. On en parlait. On n’a pas eu de misère à aller chercher notre monde. » (Entrevue no 16) Plusieurs personnes ont été sollicitées par téléphone et par courriel. La municipalité a été particulièrement engagée dans cette partie du processus.

Ce processus de sollicitation a d’ailleurs permis d’interroger plusieurs intervenants d’organismes directement impliqués dans la vie des personnes âgées qui n’avaient pas été invités à faire partie du comité. Au surplus, certains ne connaissaient pas l’existence du projet VADA :

« Parce qu’ils sont VADA à Saint-Quentin ? Je n’en avais aucune idée. Il faudrait qu’il y ait de la promotion. » (Entrevue no 17)

« Je ne connais pas ce projet. Je n’en ai pas entendu parler. » (Entrevue no 19)

Cette méconnaissance du projet, qui a été confirmée lors de l’activité de dissémination, s’est aussi constatée parmi les membres du groupe de discussion :

« Je ne savais même pas que ce groupement-là existait. » (Groupe de discussion)

« J’ai travaillé à la Ville durant cinq ans […] Mais après que j’ai fini de travailler pour la Ville, je n’ai pas encore entendu parler de VADA. » (Groupe de discussion)

Un comité de pilotage a été formé en 2016. Bien qu’il semble avoir des lacunes en matière de représentativité, le comité restait diversifié, celui-ci comptant différents organismes issus de divers milieux de la ville. Pour un intervenant, ce comité a exercé un rôle d’avant-plan dans la mise en oeuvre de la démarche, celui de chien de garde auprès de la municipalité afin que celle-ci veille aux intérêts des personnes âgées. En raison d’une incompréhension quant à la nature de la démarche, les représentants du club de l’âge d’or ont manifesté une certaine réticence à faire partie du comité, mais ont finalement accepté de rejoindre ses rangs. D’autres organismes exerçant un rôle clé dans la communauté, comme l’Université du troisième âge, n’ont pas été intégrés dans le comité. Toutefois, leur représentant a assisté à la réunion de démarrage. Quelques réunions de travail des membres du comité de pilotage se sont tenues de manière régulière par la suite. Des consultations publiques et des groupes de discussion ont également été organisés durant la première année du projet. Cependant, ces activités n’ont pas soulevé un grand enthousiasme au sein de la communauté : « Ça n’a pas suscité beaucoup d’intérêt avec les personnes que l’on a sondées finalement. » (Entrevue no 25)

3.1.2 Diagnostic et plan d’action

Regroupant différents acteurs, dont la paroisse, la bibliothèque, l’Université du troisième âge, le club de l’âge d’or, la municipalité de Saint-Quentin ainsi que plusieurs aînés, une rencontre publique a été organisée par le comité de pilotage en 2017 afin de présenter le projet à la population et de réaliser un diagnostic. Forte de la présence d’une centaine de personnes, la rencontre a connu une excellente participation. Certains ont même manifesté leur désir de s’impliquer au sein du projet en faisant partie de différents sous-comités. Les membres du comité de pilotage ont animé des tables de discussion. Par la suite, un sondage a été effectué auprès de la population âgée de Saint-Quentin. Selon les membres du comité de pilotage, ce sondage a été bien accueilli par la population et, par conséquent, a suscité une très bonne participation. Parmi les principaux résultats qui en sont ressortis, mentionnons : la mise en place d’un système de covoiturage et de transport en commun, l’accessibilité par rapport aux commerces ainsi que l’implantation d’un ombudsman concernant les droits des aînés. Peu de temps après cette rencontre publique, le comité de pilotage a organisé une réunion de travail afin de prendre connaissance des réponses du sondage et d’élaborer un plan d’action.

3.1.3 Mise en oeuvre

Le projet VADA a commencé à battre de l’aile après la rencontre publique. Aux yeux des participants, diverses raisons semblent avoir miné la mise en oeuvre du plan d’action. En premier lieu, la responsable des loisirs, également directrice du ROC, qui pilotait le dossier avec le comité des jeux pour les aînés, a dû quitter ses fonctions en raison d’un congé de maternité. Or, celle-ci occupait un rôle d’avant-plan dans le projet et son départ a fragilisé la démarche. N’ayant pas l’habitude de déléguer des tâches, elle a été remplacée par une personne de l’extérieur du milieu : « Il n’y a personne d’autre à la municipalité qui a pris le dossier en main. Ça fait que c’est à ce moment-là que ça s’est perdu. » (Entrevue no 23) Cela dit, cette personne était bien au courant du projet VADA, mais elle ne l’a pas fait avancer, parce qu’occupée à d’autres dossiers. En outre, la municipalité a commencé, à ce moment, à se désintéresser du projet, si bien qu’il était de plus en plus difficile d’organiser des réunions avec les membres du comité de pilotage pour effectuer le suivi du plan d’action. À son retour de congé de maternité, la directrice du ROC a eu d’autres tâches à accomplir, ce qui a continué de ralentir la progression du projet. Par conséquent, sa disponibilité à l’égard du dossier s’est faite de plus en plus rare. Il en est de même du conseiller attitré au projet, ce dernier ne constituant plus une priorité pour les élus municipaux. En outre, selon un intervenant, ce même conseiller semblait avoir perdu la motivation à l’égard du projet : « Quant à moi, ils ont tellement d’autres dossiers que ce n’est pas leur priorité, les aînés. Je ne le sens pas. » (Entrevue no 16)

Pour ces motifs, mais aussi en raison d’une insuffisance de ressources financières, le projet VADA a été mis sur la glace, ce qui a provoqué à la fois une démobilisation, une frustration et une déception de la part de certains membres du comité de pilotage, mais aussi des aînés. En outre, la pandémie de COVID-19 a aussi contribué à retarder la mise en oeuvre du projet. D’ailleurs, pour une personne âgée ayant participé au groupe de discussion, la crise sanitaire a été une excuse pour ne pas faire avancer le dossier. La municipalité a orienté ses actions vers d’autres projets, dont l’implantation d’un nouvel amphithéâtre, ce qui a davantage favorisé son rayonnement. Pour un intervenant, le projet VADA ne permettait pas à la municipalité d’accroître sa visibilité, d’où son désintéressement : « De mon opinion, la municipalité essaie trop de flasher. Ils essaient de faire des choses. Ils dépensent de l’argent. Mais ça ne marche pas. Mais parce qu’ils voient qu’ils veulent faire impliquer les plus jeunes, ils ne s’occupent pas de l’opinion des aînés. » (Entrevue no 20)

Le fait que le projet VADA repose essentiellement sur les épaules de bénévoles et que, de surcroît, ce sont toujours les mêmes personnes qui s’impliquent a également provoqué la démobilisation de plusieurs acteurs. Bien que certains organismes comme le comité des jeux pour les aînés se soient retirés du projet, des bénévoles ont néanmoins poursuivi leur participation à la vie sociocommunautaire, contribuant ainsi à maintenir le capital territorial.

Des tensions, bien que mineures, se sont manifestées entre certains organismes (dont le club de l’âge d’or, le comité des jeux pour les aînés et la municipalité), ce qui a pu contribuer, selon certains intervenants, à ralentir l’implantation du plan d’action. Parmi ces tensions, mentionnons des problèmes de communication entre le club de l’âge d’or et le comité de pilotage. Lors de notre activité de dissémination, il a été signalé que des responsables du club ont eu l’impression que les membres du comité de pilotage, en souhaitant mettre en oeuvre la démarche VADA, venaient jouer dans les plates-bandes du club, ce qui a été la principale cause de dissension. En outre, le fait que certains organismes, comme l’Université du troisième âge ou le ROC, ont plutôt tendance à travailler en vase clos n’est pas de nature à favoriser l’établissement de partenariats avec les différents acteurs impliqués dans la démarche.

Afin de surmonter ces tensions, certains participants, dont un membre du club de l’âge d’or, ont proposé d’inviter d’autres personnes à se joindre au comité de pilotage, et ce, dans le but d’améliorer la communication. Il a aussi été suggéré que le comité soit formé d’une plus grande diversité d’acteurs. Les participants ont également recommandé de réaliser un deuxième sondage afin de mettre à jour les informations concernant leurs attentes et d’élaborer une nouvelle stratégie en vue de promouvoir un vieillissement actif.

3.2 Cas de Grand-Sault

Grand-Sault est une petite ville jouxtant deux localités rurales (Drummond et Saint-André) et se situant dans le comté de Victoria, au nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Elle abrite une population bilingue, mais majoritairement francophone (77,3 %). Sur le plan démographique, Grand-Sault totalisait en 2021 une population de 5 220 habitants, dont 28,9 % (1 510 habitants) âgés de 65 ans et plus.

3.2.1 Comité de pilotage

Précisons d’emblée qu’à l’instar de la situation de Saint-Quentin, le projet VADA à Grand-Sault était méconnu chez certains intervenants que nous avons interrogés : « VADA, je ne connais pas vraiment ça. J’en ai entendu parler vaguement aux nouvelles […] Je file mal de ne pas être au courant plus que ça de ce projet-là. » (Entrevue no 8)

Par ailleurs, un intervenant a mentionné que son organisme aurait accepté d’adhérer à la démarche VADA s’il avait été sollicité. Deux intervenants, qui connaissaient le concept VADA, ont tenu à souligner la méconnaissance du projet par la population. Quant aux personnes âgées rencontrées, seulement trois sur les quinze présentes au groupe de discussion étaient familières avec la démarche.

L’intérêt de Grand-Sault à adhérer au réseau VADA remonte à 2018. Le projet n’a pas été conçu dans une perspective régionale, laissant la municipalité de Drummond faire cavalière seule dans son adhésion à VADA[5]. Selon un intervenant de Drummond, il est parfois difficile d’établir des partenariats avec la ville de Grand-Sault, surtout pour ce qui concerne le développement social. En outre, selon cet intervenant, les personnes âgées des deux municipalités ont des besoins différents. Par conséquent, il n’y a pas eu de concertation entre les deux entités limitrophes dans la mise en oeuvre de la démarche. Même si le projet n’a pas été élaboré en collaboration avec les deux autres municipalités (Drummond et Saint-André) de la région, des élus de Saint-André et de Drummond ont fait partie du comité de pilotage de Grand-Sault. En outre, un membre représentait la communauté de Saint-Léonard.

Les aînés de Grand-Sault se sont mobilisés facilement autour du projet VADA afin de former le comité de pilotage. La sollicitation s’est effectuée aussi rondement auprès des partenaires, et ce, bien que la municipalité soit aux prises avec le syndrome du TLM (« toujours les mêmes »), particulièrement en ce qui a trait à l’implication communautaire. Selon un participant : « Tout le monde a embarqué pour nous donner leurs inputs du projet. On a même eu des personnes qui se sont mobilisées et qui nous ont dit qu’elles aimeraient faire partie du comité. C’était facile pour nous de mobiliser les gens. » (Entrevue no 15) Quelques incitatifs, dont un voyage et des repas gratuits, leur auraient été offerts, ce qui aurait favorisé la participation citoyenne. Au bout du compte, le comité a été composé d’une quinzaine de personnes, reconnues au sein du milieu, dont deux conseillers municipaux de Grand-Sault, un de Drummond, un autre de Saint-André, un représentant du club de l’âge d’or, un de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, un de l’Université du troisième âge, un des Chevaliers de Colomb, un de la Ville de Saint-Léonard et un de United Commercial Travelers.

Les difficultés ont commencé à se manifester dès le début du projet. En premier lieu, une nouvelle parue dans le quotidien Acadie Nouvelle évoquant que la municipalité de Drummond était devenue une VADA, alors qu’elle en était au début du processus, aurait titillé certains élus de Grand-Sault. Ensuite, le conseil municipal a pris du temps avant de voter une résolution pour intégrer la démarche. Un participant a d’ailleurs fait remarquer le manque de motivation des élus : « Pour les aider, on a tout fait leur travail. On leur a même envoyé la motion, parce qu’il faut que ça soit une motion approuvée par le conseil de ville […] Alors voilà, l’intérêt n’y était pas au début […] Le niveau de la municipalité était très faible. » (Entrevue no 6) En fait, il aura fallu que les citoyens de Grand-Sault élisent un nouveau maire pour que la Ville accepte d’intégrer le réseau VADA. Bien que des réunions se soient tenues de manière régulière, l’engagement des membres du comité de pilotage s’est essoufflé avec le temps. Sauf en ce qui concerne les élus municipaux, l’absentéisme des membres du comité a commencé à se faire ressentir. Le président du comité ne s’est en aucun moment informé des causes relatives à ces absences. Cet essoufflement est imputable à plusieurs facteurs, dont la faiblesse de la participation citoyenne, l’ampleur des projets à réaliser, la difficulté à aller chercher des fonds, le manque de leadership et la lenteur de la démarche.

3.2.2 Diagnostic et plan d’action

Le projet VADA de Grand-Sault a bénéficié d’un fonds de 3 000 $ provenant de l’AFANB ainsi que de 1 300 $ de la part de la Ville elle-même. Ces sommes ont permis d’embaucher un intervenant communautaire, dont le mandat consistait à dresser le diagnostic du milieu et à identifier les besoins des personnes âgées à partir d’un sondage. Cet intervenant a reçu l’appui d’une personne d’Edmundston expérimentée dans la conception de sondages ainsi que des organismes faisant partie du comité de pilotage. Bien qu’il n’y ait pas eu une réelle mobilisation citoyenne autour du projet, l’intérêt manifesté par une bonne partie de la population a fait en sorte que les questionnaires ont été remplis en moins de deux semaines. En tout, pas moins de 300 questionnaires ont été recueillis, ce qui témoigne de la forte participation des personnes âgées de Grand-Sault eu égard à la démarche VADA. Plusieurs membres du comité de pilotage ont constaté le succès du sondage : « Ça l’a bien fonctionné. Les gens ont répondu […] Du côté de la participation, ça l’a bien été […] Même que l’on a eu quelqu’un qui s’occupait du côté anglophone. » (Entrevue no 6) Les résultats de la consultation ont fait l’objet d’un rapport contenant 19 recommandations et faisant état des principales forces et faiblesses du milieu.

3.2.3 Mise en oeuvre

Le rapport a été présenté au conseil municipal, mais celui-ci n’y a pas donné suite : « Ils [les élus municipaux] n’ont pas fait grand-chose […] Depuis que l’on a fait cet exercice, tout le monde est en attente. Il n’y a plus rien. Ça ne bouge pas […] Depuis que l’étude a été présentée à la Ville, c’est le silence. » (Entrevue no 6) Selon des participants, cette situation s’explique par un manque de fonds de la municipalité, une baisse d’intérêt de la part des élus à l’égard du projet et un ralentissement des activités dû à la pandémie de COVID-19.

Le fait que la démarche n’a pas été concertée avec les deux autres municipalités de la région a également nui au déploiement du plan d’action. D’ailleurs, en aucun moment n’a-t-il été question d’établir des ponts entre les trois entités de la région. Toutefois, la porte ne serait pas totalement fermée, et ce, d’autant plus que les trois localités se sont fusionnées à la suite de la réforme municipale entamée en décembre 2021 par le ministre des Gouvernements locaux du Nouveau-Brunswick. En fait, il est possible dans les prochaines années, selon un participant qui était présent à l’activité de dissémination, que le projet VADA regroupe les trois anciennes localités de manière à ce que la Municipalité régionale de Grand-Sault devienne une communauté amie des aînés.

En outre, tout comme à Saint-Quentin, la pandémie de COVID-19 a fait en sorte que le projet VADA a été mis sur la glace à Grand-Sault. Au surplus, certains membres du comité de pilotage ne seraient plus disponibles. Pour un intervenant, la mise sur pause du projet constituerait une « faiblesse ». « C’est un endroit où il y a des faiblesses surtout avec le programme VADA. On n’est pas rendu très loin avec ça. » (Entrevue no 6) Mais pour une personne âgée, la pandémie n’expliquerait pas tout : « En 2018, nous n’étions pas en pandémie. Pourquoi il n’y a pas eu de suivi ? » (Groupe de discussion)

5. Discussion

Le fait que les municipalités de Saint-Quentin et de Grand-Sault ont entrepris la démarche VADA témoigne de la volonté des acteurs sociaux à améliorer l’environnement des aînés et à favoriser le vieillissement à domicile (Field, 2019 ; Goudreault et al., 2020). Par conséquent, le projet constitue, de toute évidence, une initiative potentiellement porteuse de développement social local (Denieuil, 2008). Le projet n’ayant pas abouti, force est de constater que la démarche, qui s’inscrit à la fois dans un processus de gouvernance territoriale et un processus de gérontologie environnementale, s’est avérée laborieuse, et ce, tant à Saint-Quentin qu’à Grand-Sault. En effet, aux deux endroits, le projet a été soumis à quatre catégories de carences. Celles-ci concernent le leadership, la difficulté à assumer de nouvelles responsabilités (p. ex. la gestion territoriale du vieillissement), la collaboration et la communication, autant de lacunes qui se sont répercutées négativement sur la viabilité de la démarche.

En premier lieu, le leadership doit être partagé entre les différents acteurs : il s’agit d’une condition essentielle à la réussite de tout projet de développement (J.-L. Klein, 2012). En cela, la démarche VADA ne fait guère exception (Gonyea et Hudson, 2015). À Saint-Quentin, la directrice du ROC semble avoir exercé seule le rôle de leader dans la mise en oeuvre du projet VADA. Si dans les premières étapes de la démarche, elle fut bien appuyée par un conseiller municipal et la responsable d’un organisme communautaire, personne n’a pu véritablement prendre le dossier en main après son congé de maternité, laissant le projet en plan. À Grand-Sault, le faible intérêt manifesté par les élus municipaux à l’égard du projet VADA, conjugué au fait que les deux autres localités de la région n’ont pas été intégrées à la démarche, a miné le leadership et a engendré de la dissension parmi les responsables de la démarche. Des divergences se sont manifestées entre les membres du comité de pilotage et les élus, les premiers souhaitant que les seconds réalisent plus rapidement les diverses recommandations formulées à la suite des résultats du sondage. Outre l’ampleur des projets proposés à Grand-Sault, l’absence de fonds aurait fait en sorte qu’il était difficilement possible pour les élus de les concrétiser. Déception, découragement et frustration se seraient donc emparés de certains membres du comité de pilotage qui ont démissionné de leur poste (Vanlierde et Houioux, 2021). Par conséquent, le projet ne semble pas avoir été en mesure de stimuler le capital et l’ancrage territorial (Besançon et al., 2013). De plus, le dynamisme communautaire plutôt fragile que l’on retrouve au sein du milieu n’a sûrement pas contribué au déploiement de la démarche. Enfin, en l’absence d’un leadership partagé et stable, il devient difficile de mettre en oeuvre un projet comme celui de VADA (J.-L. Klein, 2012 ; Luc, 2010 ; McGarry, 2018 ; Simard, 2018).

Aux carences en matière de leadership, absent à Saint-Quentin et timide à Grand-Sault, se greffe la difficulté pour les élus municipaux à s’acquitter de leurs nouvelles responsabilités, telles que la gestion territoriale du vieillissement, imputable à ce que d’aucuns qualifient d’« apolitisme municipal » (Bherer et Breux, 2012). En effet, pendant longtemps, les responsabilités des municipalités se sont limitées à fournir des services de base tels que la collecte des déchets, la distribution et le traitement de l’eau, le déneigement et l’entretien de la voirie. Or, les transformations sociales survenues au cours des dernières décennies, dont le vieillissement et la volonté des aînés à prendre part aux décisions politiques, ont eu pour effet de déstabiliser certains élus, souvent dépourvus d’outils et de moyens, dans l’acquittement de ces nouvelles fonctions. À cet égard, cette fragilité s’est probablement affirmée avec plus d’acuité au sein des plus petites municipalités comme celles de Saint-Quentin et de Grand-Sault, ce qui n’a pas pu faire autrement que de se répercuter négativement sur le projet VADA (Simard, 2018).

Autre enjeu majeur : maintenir la collaboration des personnes rattachées à une initiative de développement. À Saint-Quentin, si les membres du comité ont été interpellés par un défi commun, celui de promouvoir le vieillissement à domicile, ils ne sont pas parvenus à faire équipe ni à devenir de véritables partenaires (Besse, 2019 ; Richard et al., 2006). En outre, bien que les aînés aient pris une part active au projet, ceux-ci ont ni plus ni moins été laissés à eux-mêmes après le départ de la directrice alors qu’il aurait été nécessaire de cultiver et de maintenir les collaborations établies entre les différents acteurs au début du processus (Lui et al., 2009). À Grand-Sault, le projet VADA a souffert de l’absence de collaboration entre les deux municipalités, celui-ci ayant été mené séparément sans coordination. Or, cette collaboration aurait pu favoriser une plus grande participation citoyenne, en plus de renforcer la capacité d’agir (Morin, 2021). Elle aurait été d’autant plus nécessaire que les deux localités doivent composer avec la pénurie de bénévoles (Adamson, 2010). En outre, il semble bien que la liste des projets à réaliser ait été trop ambitieuse et que certains de ceux-ci aient paru démesurés compte tenu des moyens et des outils dont disposait le comité (Golant, 2014 ; J.-L. Klein, 2005). De fait, la question du budget semble être un problème récurrent dans la mise en oeuvre des initiatives émanant de la démarche VADA (Miller, 2017).

Quatrièmement, la mise en oeuvre d’un projet de développement territorial ne saurait avoir lieu en l’absence de transparence de l’information (Lachapelle et Bourque, 2020 ; Le Galès, 1995 ; Lenormand, 2014 ; Pecqueur, 2014). Or, le déploiement de la démarche VADA a été confronté, tant à Saint-Quentin qu’à Grand-Sault, à un manque d’information, que ce soit entre les différents intervenants impliqués dans le dossier ou entre les aînés, plusieurs de ceux-ci n’étant pas au courant de l’existence du projet alors que plusieurs de leurs homologues ont participé activement à son élaboration (Paris et Garon, 2018). Cette méconnaissance à l’égard du projet constitue, de toute évidence, un frein à la participation sociale (Peter-Davis et al., 2001). De fait, les leaders ne semblent avoir apporté l’information ni au groupe ni à la communauté (Breux et Bherer, 2011 ; Breux et Couture, 2022). Quelques tensions entre les priorités des aînés et celles des autres groupes (notamment de la municipalité) ont aussi eu pour effet de nuire au projet, toujours en raison d’une mauvaise circulation de l’information, et ce, sans que soient déployés des outils de gestion de conflits, entravant ainsi la gouvernance territoriale (Gardet et Gandia, 2014). La capacité des individus et de la communauté à fournir et à transmettre l’information est aussi essentielle au processus de prise de décision (Johnson et al., 2021). Par ailleurs, à l’instar de la situation observée à Grand-Sault, la lenteur des élus à mettre en oeuvre des projets à l’intention des aînés aurait provoqué la démobilisation de certains membres du comité à Saint-Quentin (Batellier et Sauvé, 2011).

En outre, l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le déploiement et le maintien de la démarche VADA a été constaté dans les deux cas à l’étude. Dès lors, la pandémie a fait en sorte que le projet a été mis sur la glace tant à Saint-Quentin qu’à Grand-Sault. Par ailleurs, force est de constater que la démarche VADA n’a pas été en mesure de dynamiser le milieu au moment de la mise en oeuvre du plan d’action. Au contraire, elle semble plutôt avoir créé une sorte de clivage entre les personnes âgées et les leaders du projet (Miller, 2017). Ce constat est d’ailleurs largement partagé par l’OMS, qui, en 2018, a estimé à 31 % les projets VADA dont le plan d’action avait été mis en oeuvre (OMS, 2018). Le contexte pandémique n’a fait qu’aggraver ce manque de mobilisation.

À notre avis, les solutions à apporter pour remédier aux difficultés soulevées dans le cadre de cette expérience de développement social local se situent à deux niveaux. En amont, si le vieillissement à domicile constitue réellement une priorité pour les intervenants que nous avons rencontrés, il importe que le milieu se mobilise, qu’il fasse appel à plusieurs chefs de file et que ceux-ci déploient une stratégie de concertation et de communication qui fera état des avancées du projet. En aval, le gouvernement du Nouveau-Brunswick doit aussi développer des outils, entre autres financiers, qui permettront de soutenir le développement social des municipalités dans un contexte postpandémique. En même temps, force est de reconnaître qu’en raison des problèmes structurels qui caractérisent cette même province, notamment sur les plans géographique (dispersion de la population, éloignement des localités par rapport aux villes, faiblesse de l’armature urbaine) et démographique (émigration rurale, accélération du vieillissement, forte dénatalité), la démarche VADA a ses limites. C’est pourquoi il s’avère impératif que les acteurs locaux soient soutenus dans leurs démarches par une stratégie plus globale, appliquée à l’échelle provinciale, en vue de favoriser le vieillissement à domicile et ainsi améliorer la qualité de vie des aînés.