Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 16, numéro 1, 2019 Régimes politiques, « gouvernance » et élites locales. Mutation des styles de gouvernement local dans quatre pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Maroc) Sous la direction de Jean-Pierre Gaudin, Stéphanie Tawa Lama-Rewal et Frédéric Vairel
Sommaire (5 articles)
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Régimes politiques, « gouvernance » et élites locales. Mutation des styles de gouvernement local dans quatre pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Maroc)
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Régime de gouvernance et croissance locale en Chine. Leadership et élites managériales dans le cas du développement high-tech
Jean-Pierre Gaudin
p. 9–34
RésuméFR :
L’article analyse les formes de pilotage local d’une « zone de développement high-tech » créée par l’État chinois il y a une quinzaine d’années dans la ville de Zhuhai, située au sud de la Chine près de Macao. L’article interroge les modalités locales d’une coalition de croissance qui s’est progressivement constituée dans ce cas autour du high-tech : règles partagées, réseau d’acteurs à la fois publics et privés en interaction forte, intégration en fonction d’un leadership local plutôt souple au regard des conditions chinoises habituelles. Est-il pour autant possible dans ce cas de parler d’un « régime partiel (ou local) de gouvernance », au sens de la littérature scientifique correspondante ?
EN :
The case study presented here is about local government of a high-tech zone, created some fifteen years ago by the Chinese State within Zhuhai City, in the south of the country, very near from Macao. The article analyzes the progressive development of a growth coalition based on shared rules, a policy network of both public and private actors, and supported by a rather indirect political leadership (compared to Chinese practices). The rationale to be tested here is about the case conformity with « local governance regime », as defined in the corresponding scientific literature.
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Dynamiques dans la gouvernance locale en Inde : le cas des tanks dans la région de Pondichéry
Audrey Richard-Ferroudji
p. 35–59
RésuméFR :
Ce texte analyse la mise en oeuvre de principes de « bonne gouvernance » en Inde en questionnant la gestion participative de retenues d’eau (tanks) dans la région de Pondichéry. En effet, la gestion de l’eau constitue un prisme intéressant pour comprendre la transformation des systèmes locaux de gouvernance et, en particulier, les repositionnements et résistances des élites traditionnelles. L’analyse s’appuie sur un suivi de terrain de quatre ans, basé à Pondichéry (2013-2017). L’opportunité d’un nouveau programme promouvant la mise en place d’une gestion participative des retenues, d’une part, et l’organisation d’un festival de l’eau, d’autre part, ont permis d’étudier les positionnements des personnes et institutions impliquées ainsi que les accords, les désaccords et les modes de coordination à propos de l’entretien et de la réhabilitation des tanks. Nous constatons une résistance des élites traditionnelles, qui participent à un système clientéliste impliquant des élus en collusion avec des agents de l’administration et des entrepreneurs. Cependant, des médiations alternatives se développent. Elles impliquent des associations et des membres de l’administration au sein d’une coalition élargie qui fait valoir d’autres points de vue sur la gestion des tanks. La « gouvernance horizontale » qu’ils promeuvent échoue toutefois à enrôler plus largement.
EN :
This text questions the implementation of "good governance" in the Pondicherry Region, South of India. It focuses on participatory water management which is an interesting prism to understand the transformation of local governance systems, including the changes and resistance of traditional elites. This text is based on 4-year field study, based in Pondicherry (2013-2017). In 2016, the opportunity of a new program promoting participatory management of tanks and of a water festival made it possible to study the positions of the persons and institutions involved as well as the conflicts and coordination concerning the maintenance and rehabilitation of tanks. We observed resistance from traditional elites who participate in a corruption system that benefits from funding for tank maintenance. It involves politicians, administrations and contractors. Meanwhile, alternative mediations are developing, involving associations and members of the administration within a broader coalition that promotes other points of view on tank management. The "horizontal governance" they implement, however, fails to engage more broadly.
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Ce que le développement fait au traitement d’un passé violent. Élites et pratiques de la « réparation communautaire » au Maroc
Frédéric Vairel
p. 60–83
RésuméFR :
Cet article analyse le programme de réparation communautaire issu des recommandations formulées en 2005 par l’Instance Équité et Réconciliation, la Commission vérité marocaine. Il interroge la façon dont les prescriptions internationales en matière de gestion des passés violents, ladite « justice transitionnelle », influencent les dynamiques locales d’élaboration et de mise en oeuvre du programme et comment, dans le même temps, l’action publique s’inscrit dans des logiques qui la précèdent, à ses différentes échelles. Le texte souligne deux processus. D’une part, la réparation communautaire met en lien des acteurs aux ressources et aux positionnements divers : militants entrés en politiques publiques, administrations, collectivités locales, associations, bailleurs de fonds, agence de mise en oeuvre (Caisse des dépôts et de gestion). Les investissements multiples dont la réparation fait l’objet sont au principe de définitions hétérogènes du programme. De l’autre, la réparation communautaire est formulée en termes de gouvernance et mise en oeuvre de façon managériale : l’internationalisation et l’inscription dans un ensemble de réformes menées sans toucher aux équilibres du système politique vont de pair. L’enquête révèle cependant le déploiement de politisations inattendues. Ces dernières opèrent dans la captation des fonds du programme, qui permet à des leaderships locaux de consolider leur assise ou de se déployer, dans un contexte de stress sur les ressources.
EN :
This article analyzes the community reparation program following the recommendations made by the Equity and Reconciliation Commission, the Moroccan Truth Commission, in 2005. The text examines the way international prescriptions about dealing with a violent past, the so-called "transitional justice", influence the local dynamics of elaboration and implementation of the program and how, at the same time, public policy follows paths that precedes it, at its different scales. The article highlights two processes. On the one hand, community reparation connects actors with different resources and positions: activists who have entered policy making, administrations, local authorities, NGOs, donors, implementing agency (Caisse des Dépôts et de Gestion). The Reparation is the subject of multiple investments which produce heterogeneous definitions of the program. On the other hand, community reparation is formulated in terms of governance and implemented in a managerial way: internationalization goes hand in hand with inclusion in a set of reforms carried out without affecting the balances of power. However, the field work reveals the deployment of unexpected politicizations. They operate in the program's funds appropriation, which confirms local leadership or offers the opportunity to deploy them, in a context of stress on resources.
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Entre décharge participative et État développeur : des élites rurales marocaines en quête de légitimité
Pierre-Louis Mayaux et Audrey Massot
p. 84–109
RésuméFR :
Cet article interroge la capacité des associations marocaines d’irrigants (AUEA) à renforcer la position sociale et politique locale de leurs dirigeants. Il se demande, en particulier, dans quelle mesure le leadership associatif confère aux dirigeants une légitimité procédurale particulière (throughput), fondée sur leur élection et sur leur capacité à représenter un collectif; en même temps qu’une légitimité par les résultats (outputs) liée à leur gestion efficace d’un service collectif très valorisé. Pour l’évaluer, nous étudions le processus d’aménagement, toujours en cours, d’un périmètre irrigué de taille réduire (300 hectares) situé dans l’arrière-pays de Casablanca. Le projet semble en effet propice à cette double légitimation : d’une part, l’association d’irrigants est l’une des rares de la région, ce qui pourrait offrir à ses dirigeants une légitimité procédurale distinctive; d’autre part, leur légitimité par les résultats pourrait être soutenue par le caractère innovant du projet, l’eau d’irrigation provenant d’une station de traitement des eaux usées urbaines. Malgré ces conditions favorables, nous montrons que les dirigeants associatifs ont plutôt vu jusqu’à présent leur légitimité fragilisée, tant du fait de la forte hétérogénéité du collectif à représenter que des multiples délais entourant la fourniture du service. Au-delà de facteurs circonstanciels, nous pointons une cause structurelle à ces difficultés : la désarticulation entre un processus ancien de décharge participative, qui se poursuit, et la réaffirmation actuelle d’un État développeur qui centralise les décisions et concentre les ressources.
EN :
This article probes the capacity of the water user associations in Morocco (AUEA) to strengthen the social and political positions of their leaders. More specifically, it asks whether these leaders thereby gain a new throughput legitimacy, based on election and the claim to represent a group; and an output legitimacy rooted in the regular delivery of a valuable service. To assess it, we study the – still ongoing-planning process of a small irrigated area (300 ha) located nearby Casablanca. At first glance, the project seems conducive to both types of legitimization. Because it is one of the only water user associations in the region, it can plausibly offer its directors a distinctive throughput legitimacy; while their output legitimacy might be enhanced by a project that is technologically innovative, as the water comes from a wastewater treatment plant. Despite these auspicious conditions, we show that the directors have seen their legitimacy weakened, both because of the deep social divisions within the group they must represent, and of the multiple delays surrounding the service delivery. Beyond circumstantial explanations, we identify a structural cause to these difficulties: the tension between a logic of participatory offloading by the Moroccan State, and the simultaneous reassertion of a developmental State that centralizes decisions and concentrates resources.