Recensions

Evelyne Ledoux-Beaugrand, Imaginaires de la filiation. Héritage et mélancolie dans la littérature contemporaine des femmes, Montréal, XYZ, 2013[Notice]

  • Catherine Dussault Frenette

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  • Catherine Dussault Frenette
    Université de Sherbrooke

C’est un ouvrage à la fois minutieux et sensible qu’offre Evelyne Ledoux-Beaugrand avec Imaginaires de la filiation. Héritage et mélancolie dans la littérature contemporaine des femmes, tiré de sa thèse de doctorat. Divisé en trois parties, chacune étant composée de deux chapitres, cet essai, ancré dans une perspective résolument féministe, pose d’abord un regard rétrospectif sur les écrits de femmes concomitants au féminisme de la deuxième vague – ces auteures que Ledoux-Beaugrand désigne comme les « écrivaines de la sororité » –, pour ensuite s’attarder à la production contemporaine des femmes, tant théorique que fictionnelle, et à sa façon toute particulière de penser, de représenter et, partant, de mettre en question les liens filiaux. Parmi les dix-neuf récits qui composent le corpus étudié figurent quatre oeuvres d’écrivaines québécoises ayant marqué le paysage littéraire au cours des vingt dernières années : Putain de Nelly Arcan, L’ingratitude de Ying Chen, ainsi que Borderline et La lune dans un HLM de Marie-Sissi Labrèche. À travers une analyse « de type socio-psychanalytique » (p. 30), l’auteure observe les modalités du « passage d’un imaginaire de la sororité, déployé […] surtout sur l’axe horizontal de la communauté, à un imaginaire qui investit l’axe vertical de la filiation » (p. 9). L’étude s’ouvre sur une comparaison implicite entre deux esthétiques successives, dont les différences se trouvent façonnées par le contexte sociologique et, surtout, par l’héritage culturel légué par celles venues avant, et convoque, par le fait même, la question des générations d’écrivaines. L’auteure s’éloigne cependant de tout présupposé naturalisant qui viendrait édulcorer la réelle complexité des écritures au féminin. Si elle propose le syntagme « génération héritière » pour parler des écrivaines publiant à partir du début de la décennie 1990, l’objectif n’est pas de rallier celles-ci sur la base de leur âge ou encore du « moment de leur venue à l’écriture » (p. 14), mais bien de rendre compte d’un changement de paradigme qui s’opère dans la littérature des femmes post-révolution féministe (Boisclair). En effet, rappelle-t-elle, « les auteures associées aux nouvelles voix de la littérature des femmes [sont] les premières à l’échelle de l’histoire de la littérature des femmes à bénéficier d’une tradition littéraire au féminin » (p. 16). Aussi le temps était-il venu de soupeser l’influence de ce legs féministe dans la production littéraire contemporaine des femmes, son appropriation par les écrivaines et, surtout, la « resignification » (p. 313) dont il fait l’objet, ce que Ledoux-Beaugrand effectue avec intelligence et finesse. C’est également contre certaines critiques adressées aux oeuvres récentes, lesquelles déplorent une écriture apolitique, désengagée, que s’élabore l’analyse de l’auteure. Là où d’aucuns et d’aucunes voient un renoncement, de la part des écrivaines contemporaines, des idéaux portés par leurs prédécesseures, l’auteure observe plutôt des reconfigurations, une opération de tri qui n’exclut pas, certes, le rejet de certains traits caractéristiques des écrits de la deuxième vague féministe, mais qui ne procède pas non plus d’une rupture franche. Certains aspects associés à l’écriture des femmes demeurent : l’emploi du je, un penchant pour l’intime, l’écriture du corps et de la sexualité – bien que celle-ci diffère dans son traitement : alors que la thématique de la sexualité chez les écrivaines de la sororité était explorée dans sa dimension sensuelle, c’est davantage le côté « obscène », « abject » (p. 78) du sexe qui est exploité par les auteures contemporaines. De nouveaux discours, cependant, prennent forme, ce que Ledoux-Beaugrand associe à un rapport différent au lien filial. Pour les auteures et penseuses de la décennie 1970, le mot d’ordre était clair : il fallait sortir de la « maison du …