Recensions

Chantal Bouchard, Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec, Presses de l’Université de Montréal, 2012[Notice]

  • Nadine Vincent

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  • Nadine Vincent
    Université de Sherbrooke

Près de 15 ans après avoir publié La langue et le nombril (1998), où elle remontait aux origines de l’insécurité linguistique des Québécois en analysant leur perception de la langue, notamment dans la presse écrite, de la Conquête aux années 1970, la linguiste Chantal Bouchard poursuit la réflexion sous l’angle de la légitimité du français parlé au Québec, en se concentrant cette fois-ci sur une période plus restreinte. Jusqu’à la Conquête (1759-1760), l’opinion qu’ont les visiteurs européens de la qualité de la langue parlée par les Canadiens français est élogieuse. À partir de 1840, l’élite francophone du Canada a perdu confiance en elle-même et porte sur sa langue un regard réprobateur. Que s’est-il donc passé entre 1760 et 1840, en France et au Québec, pour que l’image du français québécois perde ainsi de son lustre ? La connaissance de cette période est déterminante pour la compréhension du statut actuel du français québécois, car bien que les Canadiens français aient été pratiquement coupés de la France après le traité de Paris qui cédait la Nouvelle-France à l’Angleterre (1763), ils sont restés majoritaires sur le territoire jusqu’en 1840. Mis en minorité à partir de l’Acte d’Union, ils revendiqueront alors leur appartenance à la France pour éviter l’assimilation. Mais la France a changé au cours du xviiie siècle. Si le français du Canada, maintenant teinté d’anglicismes, a maintenu plusieurs traits linguistiques du français du xviie siècle, le français hexagonal a connu, avec la Révolution française, un transfert de modèle linguistique. Avec l’accession au pouvoir de la bourgeoisie, la langue écrite a pris une place prépondérante en France, influençant notamment plusieurs prononciations. À l’inverse, le français s’est transmis oralement au Canada pendant cette période, et le taux d’alphabétisation était peu élevé. Dans son livre Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec, Chantal Bouchard fait l’inventaire de plusieurs traits (surtout phonétiques, mais aussi morphologiques, syntaxiques et lexicaux) qui ont été touchés, en France, par ce changement de modèle. Elle retrace par la suite les débats qui ont eu lieu au sujet de ces mêmes faits de langue dans la presse écrite au Québec, débats provoqués par la publication du premier dictionnaire correctif québécois, en 1841, par Thomas Maguire : Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune âge, et suivi d’un Recueil des locutions vicieuses. Maguire préconisait l’abandon des particularismes conservés par les Québécois, de façon à respecter le nouveau « bon usage » français. Cette analyse factuelle est assurément convaincante, mais c’est dans son illustration de ce qui assure ou menace la légitimité d’une langue que Chantal Bouchard est le plus efficace. Elle rappelle en effet que la valeur accordée à une langue (ou à la variété d’une langue, dans ce cas-ci) est directement liée au pouvoir de celui qui la parle, et que les conditions sociohistoriques opposées qui ont marqué les parcours des sociétés québécoise et française de la fin du xviiie siècle au milieu du xixe siècle expliquent les différences qui caractérisent encore aujourd’hui les deux variétés de français. De plus, l’idéologie, née de la Révolution française, visant à faire de la France une république indivisible unifiée par une langue unique, le français, ne laissait de place ni aux langues régionales (alors appelées patois) ni aux autres variantes du français. Le titre du rapport que rédige l’abbé Grégoire après avoir enquêté sur la diffusion du français en France, Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française (1794), est explicite à ce sujet. Si on peut regretter que Chantal Bouchard n’ait …

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