Professeure émérite de l’Université de Montréal et écrivaine, Lise Gauvin est de ceux dont l’oeuvre critique élaborée au cours des décennies passées a balisé de façon décisive la réception universitaire de la littérature québécoise, notamment celle extra-muros. Ayant eu recours, au début des années 1990, au qualificatif d’« âge de la prose » pour désigner un certain déplacement paradigmatique observé dans la littérature québécoise des années 1980, elle a contribué alors, par l’évocation de quelques « points névralgiques », à établir une grille de lecture qui a orienté le regard critique sur la littérature contemporaine du Québec vers des thèmes tels que la ville, le voyage, le féminin ou la migration, pour ne nommer que les plus éminents. Plus que d’autres, cependant, Lise Gauvin a placé ses recherches sous le signe de la langue, en s’intéressant plus spécialement à la « surconscience linguistique de l’écrivain » dans un contexte francophone en général et dans celui du Québec en particulier. Ainsi, dans Langagement : l’écrivain et la langue au Québec (2000), le parcours de lecture critique proposé par l’auteure s’étend des premières ébullitions en matière d’engagement linguistico-littéraire chez Octave Crémazie et l’abbé Henri-Raymond Casgrain jusqu’aux enjeux transculturels et plurilinguistiques dans les littératures migrantes de la fin du xxe siècle, en passant par l’écriture réaliste, le mouvement partipriste, les théories-fictions au féminin, le théâtre de Michel Tremblay et l’oeuvre ducharmienne, entre autres. Paru aux Éditions Honoré Champion dans la collection « Unichamp-Essentiel » dirigée par les comparatistes Jean Bessière et Denis Mellier, Aventuriers et sédentaires : parcours du roman québécois s’inscrit dans une certaine continuité, nous semble-t-il, avec l’approche forgée dans Langagement. Tout en définissant de nouvelles priorités – il s’agit, comme le suggère le sous-titre, de présenter le roman québécois dans une perspective historique –, ce volume destiné « aux étudiants, aux enseignants et à un large public » (quatrième de couverture) fait amplement écho, tant sur le plan méthodologique que sur le plan thématique, aux travaux antérieurs de Lise Gauvin, nous offrant de la sorte le condensé de son immense savoir littéraire. Réaffirmant comme axe d’analyse la relation toute particulière que l’écrivain québécois entretient avec la langue, l’auteure développe son parcours du roman québécois autour de sept chapitres consacrés respectivement aux questions de langue, à l’écrivain et l’écrivant comme personnages de roman, à la dichotomie identitaire représentée par les figures mythiques de l’aventurier et du sédentaire, à la géographie culturelle, littéraire et linguistique de Montréal, au thème du voyage, aux écritures au féminin et, en dernier point, mais non le moindre en nombre de pages, aux écritures dites migrantes. Si, dès l’introduction, elle nous rappelle que « les créateurs [québécois] d’aujourd’hui héritent d’une littérature et n’hésitent pas à inscrire leurs oeuvres dans une tradition littéraire dont ils s’inspirent en toute liberté » (p. 15), c’est peut-être pour mieux nous initier à sa démarche plutôt exigeante pour un projet d’étude d’ensemble comme celui d’Aventuriers et sédentaires. Au lieu d’identifier, par souci de simplification, un thème à une époque, Lise Gauvin conduit ses lecteurs de chapitre en chapitre, déclinant les sujets respectifs dans une perspective de longue durée et convoquant une multiplicité de voix qui nous montre à la fois la diversité des points de vue à une même époque et le dialogisme à l’oeuvre entre les générations. Le choix de Lise Gauvin d’amorcer son parcours du roman québécois par un chapitre dédié aux relations complexes de l’écrivain québécois à la langue nous paraît pertinent à plus d’un titre. Au-delà du fait que, ce faisant, elle renouvelle une méthode d’approche déjà éprouvée, l’idée de confronter le lecteur, dès le …
Lise Gauvin, Aventuriers et sédentaires : parcours du roman québécois, Paris, Éditions Honoré Champion, 2012 ; Montréal, Éditions Typo, 2014[Notice]
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Doris G. Eibl
Institut für Romanistik, Universität Innsbruck