Résumés
Résumé
Dans nos sociétés contemporaines, l’omniprésence de la peur et l’accroissement des sensibilités individuelles à l’égard des divers risques malgré l’amélioration des conditions de vie et de sécurité ont de quoi laisser perplexe. Si les scientifiques s’entendent sur le fait que ce paradoxe touche l’ensemble de la vie en société, il appert que le domaine sanitaire a été un terrain particulièrement sensible à l’expression de ces angoisses. Ce phénomène est loin d’être sans conséquence. Cet article examine en particulier l’accouchement au Québec depuis les années 1950, à partir du fil conducteur suivant : pourquoi le sentiment de peur des femmes à l’égard de l’accouchement paraît-il n’avoir pas tellement diminué malgré les promesses d’une médecine qui se veut rassurante ? Quelles sont les conséquences de l’adoption d’une pratique obstétricale orientée vers la gestion active des risques ? Je soutiens que la montée d’une idéologie préventive axée sur l’enfant a joué un rôle déterminant dans cette médicalisation qui impose l’hôpital comme espace exclusif ainsi qu’une approche particulière de la mise au monde, celle de l’accouchement dirigé, destinée à anticiper les risques. Tout un discours a servi à socialiser les individus au nouveau rituel que les autorités médicales et étatiques, en particulier, présentent comme un gage de sécurité. Malgré tout, les résultats sont mitigés puisque la peur liée à l’accouchement régresse peu en définitive. Les maux iatrogènes liés à l’accouchement dirigé n’y sont certes pas étrangers. De nos jours, des médecins reconnaissent l’effet d’une variété de facteurs dans la propagation de la peur, dont l’anxiété des femmes elles-mêmes, une peur qui les porte à intervenir davantage, engendrant des cascades d’interventions peu favorables à la santé.
Abstract
In contemporary society, in spite of improvements to living conditions and security, fear is omnipresent and individual sensitivity to risk is acute. Although researchers agree that this paradox affects society as a whole, it appears to be particularly significant in the field of healthcare, where its influence is far from benign. This article focuses on childbirth in Quebec since 1950s by asking why women’s fears do not seem to have decreased despite the reassurances that the medical system seeks to provide. It also discusses the consequences of adopting practices in obstetrics that emphasize risk management. I argue that the rise of a preventative child-centered ideology played a key role in the medicalization of childbirth, requiring hospitalization and imposing a specific approach based on delivery management. A widespread discourse succeeded in normalizing a new ritual that medical and state authorities, in particular, portrayed as a way of ensuring safety. However, these changes had mixed results insofar as fears related to childbirth ultimately remained at similar levels. Iatrogenic disorders related to the medicalized model of childbirth have certainly played a role in these lingering fears. Today, physicians recognize the effect of various factors, including women’s own anxiety, in the spread of fears that lead to even more medical interventions, causing a domino effect that does little to improve health outcomes.