Recensions

Yvan Lamonde et Jonathan Livernois, Papineau : erreur sur la personne, Montréal, Boréal, 2012[Notice]

  • Marc Chevrier

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  • Marc Chevrier
    Université du Québec à Montréal

Il est rare que se publie au Québec, sur la scène restreinte de l’essai historique, un ouvrage à ce point percutant que le lecteur, étonné de ce qu’il vient de lire, se pose la question : « Comment se fait-il que personne n’ait vu une si grossière méprise ? » C’est l’impression que laisse l’essai incisif et rafraîchissant signé par l’historien chevronné Yvan Lamonde et l’essayiste et professeur de littérature Jonathan Livernois. À lire cet ouvrage, on découvre l’ampleur et la persistance têtue d’une erreur, qui dépasse en fait la seule personne de Louis-Joseph Papineau et qui touche fondamentalement à la nature des idées politiques qu’ont défendues les Patriotes dans leur combat contre la monarchie coloniale britannique. Voici l’erreur : les livres d’histoire, les personnages les plus fameux ou universitaires les plus en vue, de Lord Durham jusqu’à Jocelyn Létourneau, répètent jusqu’à plus soif que les Patriotes réclamaient le gouvernement responsable à l’anglaise, soit un cabinet de ministres nommés par le gouverneur parmi les partis en chambre et possédant la confiance des députés. Au fond, Papineau et ses braves patriotes auraient préparé la voie au gouvernement responsable gracieusement accordé par Lord Elgin à Lafontaine et Baldwin en 1848, à cette voie médiane modérée, pétrie de collaboration et de conciliation, qui se serait tramée dès 1830 et de laquelle les rébellions de 1837-1838, telle une infidélité dans l’histoire d’un couple monogame, auraient momentanément dévié. L’erreur est si profondément ancrée que même Jacques Parizeau, ainsi que le rappellent Lamonde et Livernois en introduction, lors de son discours donné à l’Assemblée nationale en septembre 1995 sur la question référendaire, dit de Papineau qu’« [e]n réclamant le gouvernement responsable pour la colonie québécoise, il voulait ce qu’on appelle aujourd’hui la souveraineté ». Double méprise, soutiennent les auteurs, puisque Papineau, un adversaire indéfectible du gouvernement responsable, ne fut pas, si l’on croit ses positions en faveur de l’annexion du Bas-Canada aux États-Unis, voire de la création d’une grande fédération continentale « colombienne » dont le Bas-Canada deviendrait l’un des États, un défenseur de l’indépendance séparée de la colonie. En somme, c’est travestir les faits et la pensée de Papineau que d’en faire tantôt un précurseur de la responsabilité ministérielle et de la bonne entente collaborationniste, tantôt le père de l’indépendance nationale québécoise, au sens que revêtait cette idée à partir des années 1960. En démontant les fausses continuités fabriquées par l’historiographie dominante et les façonneurs d’opinion, notamment que 1848 serait l’aboutissement de 1837, les auteurs mettent en lumière la continuité de la pensée politique de Papineau, resté fidèle à lui-même dans son combat, en insistant sur l’aspect proprement républicain de cette pensée, irréductiblement attachée à la défense des libertés du peuple et de l’extension de la démocratie à tous les pouvoirs. Les auteurs montrent bien l’inconséquence de penser que Papineau pût vouloir conduire à la liberté un peuple soumis au joug colonial par le moyen d’un régime de responsabilité ministérielle dont le gouverneur continuerait d’être l’obligé de Londres et de nommer le conseil législatif. Et après l’union de 1840, accepter le gouvernement responsable, c’était pour Papineau renoncer au surplus à la représentation proportionnelle de la population au parlement. Les auteurs consacrent deux chapitres à la fabrication de l’erreur, dont l’origine remonte au fameux diagnostic posé par Lord Durham, qui expliquait entre autres les rébellions de 1837-1838 au Bas-Canada par une lutte pour l’obtention d’un exécutif responsable, ce qui lui permit, en inventant un tel problème, de justifier les conclusions finales de son rapport, soit l’union des deux colonies coiffée de l’octroi de la responsabilité ministérielle. Les auteurs reconnaissent qu’il y eut certes des défenseurs à …