Résumés
Résumé
Cet article porte sur une étude multicas ayant pour but de circonscrire les rôles d’enseignantes et d’orthopédagogues en contexte d’implantation du modèle de réponse à l’intervention (RàI) en lecture au primaire. Pour ce faire, trois dyades ont été étudiées à partir d’entretiens, d’observations, d’une analyse documentaire et d’un journal de bord. Les résultats révèlent que le modèle RàI provoque une transformation dans les rôles des enseignantes et des orthopédagogues, mais que cette transformation serait plus profonde chez les enseignantes. Les résultats mettent également en lumière des confusions sur les plans historique et théorique concernant la délimitation des rôles.
Mots-clés :
- Modèle de réponse à l’intervention,
- rôle des orthopédagogues,
- rôles des enseignants,
- enseignement de la lecture,
- difficultés d’apprentissage en lecture
Abstract
The purpose of this article is to present the results of a multi-case study aimed at defining the roles of general educators and special educators in the context of the implementation of the response to intervention (RTI) model in reading in three elementary schools. Three dyads were studied with interviews, direct observation, artifacts, and a logbook. The results show that the RtI implementation leads to a role transformation for the teachers and the remedial teachers, but this transformation is deeper for the teachers. The results revealed historical and theoretical confusions concerning the delimitation of the roles.
Keywords:
- Response to Intervention,
- Special Educators Roles,
- General Educators Roles,
- Teaching Reading,
- Reading Disabilities
Corps de l’article
Introduction
Depuis plusieurs décennies, on reconnait de plus en plus à tout enfant le droit à l’éducation gratuite dans un environnement qui soit le moins restrictif possible (Loi sur l’instruction publique, R.L.R.Q., 1997). Cette vision de l’éducation inclusive a sans contredit une incidence sur les rôles des enseignants et des orthopédagogues qui sont actuellement en pleine mutation. Elle provoque une modification des frontières d’intervention entre ces deux intervenants, ce qui peut entrainer une certaine confusion, qui n’est d’ailleurs pas récente. En effet, sur le plan historique, il appert que la profession de l’orthopédagogue oscille entre le modèle médical et le modèle pédagogique depuis plusieurs décennies. Initialement, la formation en orthopédagogie des années 1970 s’inscrivait davantage dans un courant instrumental et cognitif (ADOQ, 2003; Laplante, 2012). Les services sont dispensés en petits groupes à l’extérieur de la classe et l’orthopédagogue travaille à partir de tests d’identification et de classement des élèves en difficulté (Tardif et Mukamurera, 1999). Quelques années plus tard, le rapport COPEX réaffirme la mission essentielle de l’école, qui n’est pas de guérir ou de soigner, mais plutôt d’enseigner et de faire apprendre (Tardif et Lessard, 1992). Les modifications provoquées par le rapport COPEX influencent le rôle de l’orthopédagogue, ainsi que son rapport à l’enseignant, puisqu’il est recommandé que les services orthopédagogiques soient d’abord et avant tout donnés en classe ordinaire avec soutien à l’enseignant. Ces transformations amènent un éclatement du travail de l’orthopédagogue qui se reflète dans la multitude de tâches qui lui sont confiées à cette époque (Tardif et Mukamurera, 1999). Plusieurs années après la parution du rapport COPEX, les limites des champs d’action de l’orthopédagogue et de son rapport à l’enseignant demeurent floues (ADOQ, 2018; Granger, Fontaine et Moreau, 2021; OPQ, 2014). Cela nuit notamment au développement de l’identité professionnelle de l’orthopédagogue qui se doit de conjuguer plusieurs rôles qui ne sont pas toujours bien définis (Granger, Fontaine et Moreau, 2021).
Le rôle et les fonctions de l’enseignant ou de l’orthopédagogue sont également modulés au regard d’aspects sociaux liés principalement à l’organisation des services pédagogiques d’une école (Moreau, 2015). En ce sens, le modèle de réponse à l’intervention (RàI) apparait dans diverses publications comme un modèle prometteur d’organisation des services (Brodeur et al., 2008; CSE, 2017; MELS, 2012). Ce modèle a comme apport potentiel de contribuer à une clarification des rôles des enseignants et des orthopédagogues, puisqu’ils y sont définis de manière complémentaire (Brodeur, 2008). Après une décennie d’implantation aux États-Unis, plusieurs chercheurs insistent toutefois sur la nécessité de mener davantage de recherches sur les enjeux pratiques liés à l’implantation du modèle, notamment sur la définition des rôles de l’enseignant et de l’orthopédagogue (Barrio et al., 2015; Simonsen et al., 2010). L’implantation du modèle RàI altère les frontières entre le rôle de l’enseignant et celui de l’orthopédagogue, et amène un changement profond dans leurs pratiques respectives (Haager et Mahdavi, 2007; Fuchs et al., 2010). Des changements substantiels sont notamment amenés en lien avec les pratiques d’enseignement et d’évaluation, ainsi qu’avec l’organisation des services, ce qui engendre des besoins de formation et d’accompagnement (Haager et Mahdavi, 2007; MELS, 2012; Richard, 2020). Cette transformation importante dans les pratiques de l’enseignant et de l’orthopédagogue ne s’effectue pas aussi aisément que prévu (Conderman et Johnston-Rodriguez, 2009) et des recherches s’avèrent nécessaires pour étudier ce changement en profondeur (Barrio et al., 2015; Simonsen et al., 2010).
La présente recherche a donc pour but de répondre à la question suivante : Comment s’opérationnalisent les rôles de l’enseignant et de l’orthopédagogue en contexte d’implantation du modèle de réponse à l’intervention en lecture au primaire ? De façon plus précise, l’objectif de recherche faisant l’objet de cet article a pour but de circonscrire les rôles d’enseignantes et d’orthopédagogues en contexte d’implantation du modèle RàI en lecture au primaire. Le cadre de référence sera d’abord explicité. La méthodologie et les résultats seront ensuite présentés pour terminer avec l’interprétation des résultats.
Cadre de référence
Le modèle de réponse à l’intervention (RàI)
La RàI est un modèle d’organisation de services et d’interventions qui réunit des procédés d’évaluation et d’intervention dans un système axé sur la prévention pour maximiser la réussite des élèves (Desrochers, Laplante et Brodeur, 2016). Ce modèle est fréquemment associé à une approche à trois paliers (Vaughn et Klingner, 2007). La RàI se positionne dans un contexte où les rôles des enseignants et des orthopédagogues sont définis de façon complémentaire (Brodeur et al., 2008). En effet, à chacun des paliers du modèle, des modalités pédagogiques et organisationnelles sont proposées (MELS, 2012), permettant alors de structurer la manière dont les services sont dispensés aux élèves par ces deux intervenants. Bien que la distinction entre les rôles de l’enseignant et de l’orthopédagogue en contexte RàI mérite d’être clarifiée davantage (Barrio et al., 2015; Fuchs et al., 2010), certaines balises sont déjà proposées dans les écrits scientifiques. Le tableau 1 présente une synthèse des éléments à prendre en considération pour appliquer chacun des paliers du modèle RàI.
Tableau 1
Application de chacun des paliers du modèle RàI en lecture au primaire
L’efficacité du modèle RàI a été démontrée par de nombreuses études (Burns et al., 2005; Hughes et Dexter, 2011). Une méta-analyse a notamment démontré que l’implantation de ce modèle avait des retombées positives sur la réussite des élèves, ainsi que des retombées systémiques (Burns et al., 2005). D’autres études se sont plutôt penchées de façon spécifique sur la question des rôles dans un contexte d’implantation du modèle RàI. En guise d’exemple, l’étude qualitative de Bean et Lillenstein (2012) s’est intéressée aux changements de rôle occasionnés par l’implantation du modèle RàI chez plusieurs acteurs du milieu scolaire, dont le rôle de l’enseignant de la classe ordinaire, ce qui a permis de révéler différents changements dans les pratiques de celui-ci. D’autres études se sont penchées plus spécifiquement sur la question des rôles des orthopédagogues en contexte d’implantation du modèle RàI (Mitchell et al., 2012; Swanson et al., 2012). L’article de Mitchell et al. (2012) décrit le rôle assumé par l’orthopédagogue dans ce contexte précis en le déclinant en quatre rôles clés et ceux-ci seront explicités dans la section suivante.
Les quatre rôles clés de l’orthopédagogue
Mitchell et ses collaborateurs (2012) proposent une synthèse des rôles de l’orthopédagogue dans un contexte RàI basé sur des écrits scientifiques empiriques. Ils ont été en mesure de dresser une liste de tâches réparties en quatre rôles clés : le gestionnaire, l’évaluateur, l’intervenant et le collaborateur.
Figure 1
Les quatre rôles clés de Mitchell et coll. (2012)
Le gestionnaire remplit trois catégories de tâches. Il remplit des documents et écrit des courriels, il supervise les élèves dans leur déplacement (entre la classe et le local de l’orthopédagogue) et réalise des tâches qui ne sont pas liées à sa profession. Les tâches de l’évaluateur peuvent aussi se regrouper en trois catégories : l’implantation de mesures d’évaluation, l’explication et les interactions autour des mesures d’évaluation, et l’apprentissage des outils d’évaluation. Les tâches de l’intervenant consistent à utiliser des interventions appuyées par la recherche, à offrir des interventions supplémentaires et intensives, et à effectuer l’évaluation des progrès en continu. Les tâches du collaborateur sont plus nombreuses. Il assiste l’enseignant en classe et agit à titre de consultant auprès des élèves et des professionnels. Il offre du soutien à l’enseignant de la classe ordinaire et communique avec les parents. Enfin, il collabore avec l’enseignant dans une optique de planification. Pour guider et faciliter nos analyses, le modèle des quatre rôles clés est également utilisé pour les enseignants. Toutefois, certaines adaptations ont été apportées pour qu’il reflète davantage la réalité des enseignants (Boily, 2020).
Méthodologie
L’étude de cas multiples a été ciblée comme méthode de recherche pour mener cette étude puisque cette méthode est toute indiquée pour étudier les phénomènes sociaux (Gagnon, 2012), tout en portant une attention au contexte entourant ces phénomènes (Roy, 2009). Dans notre étude, le contexte, qui se définit comme étant l’implantation du modèle RàI en lecture, est étroitement lié aux rôles des enseignantes et des orthopédagogues ; c’est pourquoi il est pertinent de le documenter pour obtenir une meilleure compréhension de l’objet de recherche. Dans cette section, il sera question des participantes, de l’instrumentation, de la collecte et de l’analyse de données.
Les participantes
Les cas ont été sélectionnés à partir d’une procédure d’échantillonnage intentionnel. Chacun des cas est constitué d’une dyade, formée d’une enseignante et d’une orthopédagogue. Les trois dyades (D1, D2 et D3) ont été sélectionnées au moyen de critères de recrutement : 1) Elles travaillent au premier cycle du primaire dans une même école implantant la RàI en lecture ; 2) Elles collaborent de façon régulière sur une base hebdomadaire ; 3) Elles ont pour objet de travail commun l’enseignement-apprentissage de la lecture ; 4) Elles proviennent de trois centres de services scolaires différents.
L’instrumentation
Les données ont été recueillies à partir d’une variété de sources (voir figure 2). Le recours à des sources d’information multiples et variées pour collecter les données représente d’ailleurs l’un des principaux critères de qualité d’une étude de cas (Gagnon, 2012; Roy, 2009).
Figure 2
Sources de données
La collecte et l’analyse de données
La collecte de données a été menée au cours d’une année scolaire, entre décembre et mai. Pendant cette période, la chercheuse s’est rendue dans chacun des milieux à trois reprises pour faire les entretiens et les séances d’observation. Des données ont aussi été recueillies en l’absence de la chercheuse par l’entremise des grilles de consignation. Un corpus réunissant les données issues de toutes les sources a été constitué au moyen du logiciel NVivo pour faciliter la codification et l’analyse (Roy, 2009). Une codification mixte a été privilégiée pour se baser sur les concepts inhérents à l’étude, tout en laissant de la place à des codes émergents (Gendron et Brunelle, 2010). Une analyse en profondeur de chaque cas a été effectuée, suivie d’une analyse intercas permettant de dégager les tendances, les similitudes et les différences (Merriam, 1998). L’analyse de la répartition et de la délimitation des rôles a porté principalement sur les deux premiers paliers d’intervention du modèle RàI puisque les données obtenues pour le troisième palier n’étaient pas suffisantes pour accomplir cette analyse.
Résultats
Description de la répartition des rôles au palier I
Les résultats obtenus sur la répartition des rôles (voir tableau 2) démontrent que la responsabilité de l’implantation du palier I revient principalement aux enseignantes. En ce qui concerne le rôle d’intervenant, l’enseignante, en tant que premier responsable de la classe, a la responsabilité de la gestion de l’enseignement et de la classe. Les orthopédagogues offrent, quant à elles, des interventions de façon ponctuelle en classe, mais ne jouent pas de rôle formel au premier palier d’intervention.
Pour ce qui est du rôle de gestionnaire, les enseignantes s’occupent de la gestion du matériel pédagogique et de la planification de l’enseignement au palier I. Les orthopédagogues partagent des conseils concernant le matériel pédagogique aux enseignantes, mais elles le font de façon ponctuelle et informelle.
Pour ce qui est du rôle d’évaluatrice, deux cas de figure ont été observés. Dans la D2 (cas de figure 1), l’enseignante prend en charge complètement le dépistage universel et l’orthopédagogue est surtout sollicitée lors de la prise de décision. La D1 (cas de figure 2) procède différemment. Elle partage l’entière responsabilité de la démarche de dépistage universel, de la passation à la prise de décision. La D3 ne met pas en place les pratiques d’évaluation inhérentes au modèle RàI (dépistage universel et pistage de progrès). L’analyse en lien avec le rôle d’évaluatrice porte donc seulement sur la D1 et la D2.
Enfin, en ce qui a trait au rôle de collaboratrice, les enseignantes sont appelées à collaborer avec leurs collègues enseignantes du même niveau ou du même cycle. Elles doivent aussi collaborer avec les parents. Les orthopédagogues peuvent parfois contribuer à la planification (ex. : co-planification d’une période de coenseignement). Elle joue également un rôle de soutien pédagogique à l’occasion de façon informelle.
Tableau 2
Répartition des rôles des enseignantes et des orthopédagogues au palier I
Description de la répartition des rôles au palier II
Au palier II, les résultats démontrent que les enseignantes et les orthopédagogues détiennent des responsabilités dans chacun des rôles clés (tableau 3). En ce qui a trait au rôle d’intervenant, les enseignantes animent des interventions de palier II en classe auprès d’un sous-groupe d’élèves. Pour ce faire, elles doivent s’occuper de la gestion de l’enseignement destiné au sous-groupe d’élèves, ainsi que pour les autres élèves de la classe. La question de la gestion de classe est également très importante, puisque les autres élèves doivent travailler de façon autonome en maintenant un climat propice aux apprentissages. Enfin, elles s’assurent de consigner les observations pendant qu’elles interviennent auprès du sous-groupe d’élèves. Les orthopédagogues s’occupent de choisir et d’élaborer leurs interventions, tout en assurant une consignation des observations pour documenter le progrès des élèves. Ces interventions sont majoritairement effectuées à l’extérieur de la classe.
Pour ce qui est du rôle de gestionnaire, les enseignantes s’occupent de la recherche et de la conception du matériel pour les activités pédagogiques prévues pour le sous-groupe d’élèves, ainsi que pour le reste des élèves de la classe. Les orthopédagogues doivent rechercher et concevoir le matériel pédagogique pour les interventions destinées aux sous-groupes d’élèves suivis. Elles conçoivent aussi des outils de pistage de progrès, qu’elles partagent avec les enseignantes. Elles doivent également élaborer leur horaire de service en concertation avec les enseignantes.
Le rôle d’évaluatrice se distribue encore une fois de deux manières différentes. Une dyade (cas de figure 1) se distribue les responsabilités du pistage de progrès. L’enseignante et l’orthopédagogue s’occupent de faire la passation des épreuves, l’analyse et la compilation des données chacune de leur côté pour les élèves qui les concernent. La décision concernant la poursuite ou non du service en orthopédagogie est prise par l’orthopédagogue à la lumière des données obtenues. Une autre dyade procède différemment (cas de figure 2). Elles effectuent toutes les étapes du pistage de progrès ensemble et elles le font une seule fois, à mi-chemin dans la séquence d’interventions.
Le rôle de collaboratrice au palier II concerne surtout le partage des observations à propos des élèves suivis en sous-groupe. L’orthopédagogue apporte également un soutien pédagogique informel et ponctuel en lien avec les interventions à mettre en place au palier II.
Tableau 3
Répartition des rôles des enseignantes et des orthopédagogues au palier II
Description de la délimitation des rôles selon les paliers d’intervention
Dans la prochaine section, la délimitation des rôles entre l’enseignante et l’orthopédagogue est abordée en ce qui a trait à chacun des paliers d’intervention étudiés (voir tableau 4). Le rôle d’évaluatrice est analysé séparément pour mettre en lumière les deux cas de figure.
Au palier I, les rôles d’intervenante, de collaboratrice et de gestionnaire appartiennent beaucoup aux enseignantes. Les orthopédagogues jouent un rôle plutôt ponctuel et informel et ces responsabilités sont surtout orientées autour du soutien pédagogique. Pour cette raison, le chevauchement entre les deux zones est plus important, puisque les responsabilités assumées par les orthopédagogues sont étroitement liées au travail des enseignantes. En ce qui concerne le rôle d’évaluatrice, deux cas de figure sont représentés. Dans le premier cas de figure, la responsabilité appartient principalement à l’enseignante et l’orthopédagogue apporte un soutien uniquement pour la prise de décision, ce qui fait en sorte que le chevauchement entre les deux zones est important. Dans le deuxième cas de figure, le rôle d’évaluatrice devient une responsabilité partagée entre l’enseignante et l’orthopédagogue.
Au palier II, les rôles d’intervenante, de collaboratrice et de gestionnaire sont distribués de façon plus équitable. Les enseignantes et les orthopédagogues détiennent toutes les deux des responsabilités qui les concernent spécifiquement. Leurs territoires ne sont toutefois pas complètement pas indépendants, puisqu’elles se concertent et se partagent des ressources, ainsi que des informations sur les élèves. En ce qui concerne le rôle d’évaluatrice, deux cas de figure se retrouvent. Dans le premier cas de figure, les évaluations qui mesurent les progrès des élèves suivis au palier II sont réalisées séparément. L’enseignante s’occupe d’évaluer ses élèves et l’orthopédagogue fait de même. Encore une fois, les territoires ne sont pas complètement indépendants, puisque l’orthopédagogue apporte un certain soutien à l’enseignante (p. ex., partage d’outils d’évaluation, soutien à la prise de décision). Ce chevauchement entre les zones est cependant plutôt étroit. Dans le deuxième cas de figure, le rôle d’évaluatrice est assumé par l’enseignante et l’orthopédagogue en étroite collaboration, à chacune des étapes du processus.
Tableau 4
Délimitation des rôles selon les paliers d’intervention
Discussion
La répartition des rôles : une transformation en cours
Les résultats de cette étude multicas apportent un éclairage sur la manière dont les rôles sont répartis entre les enseignantes et les orthopédagogues intervenant dans des milieux scolaires implantant le modèle RàI. Chez les enseignantes participant à l’étude, une transformation profonde de la répartition des rôles est observée. En effet, des responsabilités importantes s’ajoutent à la tâche de ces enseignantes en lien avec l’intervention et l’évaluation aux deux premiers paliers du modèle. Ces changements de pratique substantiels sont d’ailleurs rapportés dans d’autres écrits (Bean et Lillenstein, 2012; Haager et Mahdavi, 2007; MELS, 2012; Richard, 2020). Ce résultat est à prendre en considération puisqu’il peut en partie expliquer la présence de résistances de la part des milieux syndicaux par rapport à l’implantation du modèle RàI (FAE, 2018). Les résultats de cette étude révèlent que les enseignantes participant à l’étude sont appelées à revoir leurs pratiques d’enseignement en classe, à intervenir auprès de sous-groupes d’élèves, à évaluer tous les élèves en individuel à partir de nouveaux outils, à compiler et à analyser les données recueillies, etc. À ces responsabilités additionnelles s’ajoutent des défis en matière de gestion et d’organisation de la classe et de gestion du temps d’enseignement. Tardif (2012) rappelle que le travail des enseignants s’est complexifié et intensifié ces dernières décennies en matière de charge mentale et émotionnelle, ainsi qu’en fonction du spectre beaucoup plus large de compétences, de rôles et de responsabilités professionnelles qu’ils doivent assumer. Pour arriver à intégrer les différentes responsabilités liées à l’implantation du modèle RàI, les enseignants ont assurément besoin de formation et de soutien (Haager et Mahdavi, 2007; Richard, 2020) et cet aspect devrait même faire partie intégrante du plan d’action menant à l’implantation du modèle RàI (Desrochers et coll., 2016). D’ailleurs, cette étude révèle que l’orthopédagogue apporte un soutien dont la nature demeure ponctuelle et informelle. Il convient de s’interroger à savoir si le soutien, informel et ponctuel actuellement octroyé aux enseignants est suffisant et si l’orthopédagogue devrait jouer un rôle plus important à cet égard.
Chez les orthopédagogues participant à l’étude, il est possible d’observer une transformation modérée en ce qui concerne la répartition des rôles en contexte RàI. Les changements concernent davantage l’organisation et la répartition des services, l’aménagement de l’horaire et le pistage de progrès. En effet, les orthopédagogues poursuivent le même type d’intervention en sous-groupe auprès du même type d’élèves. Elles sont appelées à utiliser des outils d’évaluation pour pister le progrès des élèves suivis de manière plus assidue. Un travail de conception d’outils de pistage s’ajoute donc au travail de ces orthopédagogues, ce qui leur ajoute des tâches en lien avec la gestion. Cela étant dit, le travail de ces orthopédagogues et les compétences sur lesquelles elles s’appuient en contexte d’implantation du modèle RàI ne semblent pas différer de manière importante.
La délimitation des rôles : une frontière à définir
Au palier I, la frontière est particulièrement floue en ce qui concerne les rôles d’intervenante, de collaboratrice et de gestionnaire. Certes, il apparait clairement que l’enseignante est la première responsable de ce palier. Il est toutefois possible d’observer dans les trois sites une certaine percée des orthopédagogues au palier I, par la présence d’interventions en classe de façon sporadique ou d’un soutien pédagogique informel et très ponctuel. Il convient de s’interroger sur la place que peut et doit prendre l’orthopédagogue par rapport à l’enseignement universel dispensé au palier I. D’un côté, il peut se garder à une certaine distance de la classe et ainsi maximiser son temps et son énergie dans l’intensification des services. D’un autre côté, il peut plutôt devenir un proche collaborateur de l’enseignant par l’entremise du coenseignement ou de la consultation. Le dilemme entre le modèle médical et pédagogique apparait donc comme étant toujours présent dans les milieux scolaires québécois, comme l’a décrit un avis du CSE (2017) dénonçant la médicalisation des difficultés scolaires. Les auteurs de cet avis expliquent que le personnel enseignant a tendance à diriger les élèves en difficulté vers d’autres intervenants, tels que les orthopédagogues, pour une intervention spécifique auprès de ces jeunes (CSE, 2017). L’intervention se passe le plus souvent à l’extérieur de la classe, ce qui fait en sorte que l’enseignant est « dépossédé de son rôle d’expert de l’enseignement et de l’apprentissage ; parfois même des solutions lui sont prescrites » (CSE, 2017, p. 25). À partir des résultats obtenus dans cette étude multicas, l’arrivée du modèle RàI ne semble pas apporter de réponses claires dans les milieux concernant le positionnement des orthopédagogues par rapport à la classe.
Au palier II, il est possible de constater une frontière bien établie entre les rôles des enseignantes et des orthopédagogues. Les enseignantes ont tendance à intervenir auprès d’un sous-groupe d’élèves à risque et/ou en difficulté d’apprentissage en classe, alors que les orthopédagogues travaillent à l’extérieur de la classe auprès des élèves ayant de plus grandes difficultés d’apprentissage. Une zone de chevauchement subsiste puisque les enseignantes et les orthopédagogues se concertent et partagent des ressources, ainsi que des informations sur les élèves suivis au palier II.
Pour ce qui est du rôle d’évaluatrice, les deux cas de figure présentés précédemment sont associés à deux visions différentes de cette frontière. Dans le premier cas de figure, où les deux intervenantes sont impliquées à toutes les étapes du processus de dépistage et de pistage, il est possible de dénoter une fusion des rôles et donc un estompage de cette frontière entre les rôles des enseignantes et des orthopédagogues. Dans le second cas de figure, où les deux intervenantes se répartissent les rôles de manière complémentaire, il est possible de constater une frontière bien établie.
Cette variation dans la frontière des rôles entre ces enseignantes et ces orthopédagogues semble en partie explicable par des confusions historiques et théoriques par rapport à la division des rôles des enseignants et des orthopédagogues. La posture dans laquelle s’inscrit l’orthopédagogue, influencée par le modèle médical ou pédagogique, a une incidence importante sur son rôle, sur l’organisation des services, ainsi que sur son rapport à l’enseignant.
Sur le plan théorique, des visions s’affrontent, même au sein de la communauté scientifique s’intéressant au modèle RàI (Fuchs et al., 2010), ce qui peut entrainer une certaine confusion relative à la délimitation des rôles. En effet, les deux approches associées au modèle RàI, soit l’approche par résolution de problèmes et l’approche par protocole standard, proposent aussi deux visions différentes des rôles des orthopédagogues et de leur rapport aux enseignants. Un article de Fuchs et ses collaborateurs (2010) relève deux visions qui s’opposent. Dans l’une de ces visions, le secteur de l’adaptation scolaire devrait se fusionner au secteur régulier pour participer activement à chacun des paliers d’intervention du modèle RàI. Les tenants de cette vision stipulent que les orthopédagogues devraient délaisser les services à l’extérieur de la classe pour intervenir davantage dans la classe, notamment par l’entremise du coenseignement (Fuchs et al., 2010). La seconde vision propose que l’enseignant joue surtout un rôle dans les deux premiers paliers d’intervention et que les intervenants du secteur de l’adaptation scolaire participent plutôt à l’intensification des interventions dans les paliers supérieurs (Fuchs et al., 2010). En somme, que ce soient les confusions entre le modèle médical et le modèle pédagogique, ou encore entre les deux visions du RàI, les praticiens se retrouvent confrontés à une diversité d’idéologies et de points de vue qui peut complexifier la définition de leurs rôles respectifs.
Conclusion
L’un des objectifs de cette étude vise à circonscrire les rôles d’enseignantes et d’orthopédagogues en contexte d’implantation du modèle RàI en lecture. Au Québec, comme ailleurs dans le monde, les rôles de ces deux types d’acteurs méritent d’être redéfinis en contexte inclusif, et l’avènement du modèle RàI offre une opportunité de structurer cette réflexion (Fuchs, Fuchs et Compton, 2012). À ce titre, les résultats de cette recherche apportent un éclairage sur la répartition et la délimitation des rôles de l’enseignante et de l’orthopédagogue. L’échantillon restreint a permis une analyse riche et en profondeur de chacun des cas étudiés. Il convient toutefois de préciser que la principale limite de cet échantillon est liée au fait qu’un centre de services scolaire sur les trois n’implantait pas le modèle RàI de façon fidèle et systématique. Il n’était donc pas possible de porter un regard sur l’ensemble des composantes du modèle pour cette dyade, notamment sur le dépistage universel et sur le pistage de progrès. Toutefois, pour l’avancement des connaissances, il est intéressant de constater que la compréhension de ce qu’est le modèle RàI varie d’un milieu à l’autre et que cela affecte sans contredit la fidélité de l’implantation. Ce constat met en exergue l’importance capitale de la formation et de l’accompagnement, qui n’a pas fait l’objet d’un traitement spécifique dans le cadre de cette étude. À cet égard, il aurait été intéressant de porter un regard plus approfondi sur les dispositifs de formation et d’accompagnement déployés dans les différents milieux.
Sur le plan des retombées, les résultats de cette étude serviront certainement à nourrir les questionnements relatifs aux rôles des enseignants et des orthopédagogues en contexte d’implantation du modèle RàI, et plus largement en contexte inclusif. Cette recherche réitère notamment l’importance de dénouer les confusions théoriques et historiques afin de clarifier la délimitation des rôles des enseignants et des orthopédagogues. Elle met également en lumière l’importance de la formation et de l’accompagnement dont les enseignants ont besoin pour soutenir les élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage dans leur classe. Ces différents résultats pourront enrichir la réflexion à propos de la formation initiale et continue des enseignants et des orthopédagogues. Les réflexions que ces résultats suscitent pourront contribuer à la construction de l’identité professionnelle des enseignants et des orthopédagogues, ainsi qu’à une plus grande cohérence et efficience des services destinés aux élèves en difficulté d’apprentissage dans les milieux scolaires.
Parties annexes
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Liste des figures
Figure 1
Les quatre rôles clés de Mitchell et coll. (2012)
Figure 2
Sources de données
Liste des tableaux
Tableau 1
Application de chacun des paliers du modèle RàI en lecture au primaire
Tableau 2
Répartition des rôles des enseignantes et des orthopédagogues au palier I
Tableau 3
Répartition des rôles des enseignantes et des orthopédagogues au palier II
Tableau 4
Délimitation des rôles selon les paliers d’intervention