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Contexte
Comment favoriser le vivre-ensemble? Une bien grande question pour les milieux scolaires qui, influencés par les mouvements migratoires planétaires, sont grandement diversifiés sur le plan des origines. Cette diversité ethnoculturelle amène les diverses sociétés et institutions à réfléchir quant au vivre-ensemble. Mais pourquoi? Malheureusement, une détérioration du climat dans les relations interethniques se manifeste, notamment au sein des écoles notamment québécoises (Archambault et al., 2028), laissant place à des comportements d’exclusion de la différence basés sur les origines.
Ainsi, pour favoriser un vivre-ensemble, il est important que le personnel scolaire développe certaines attitudes et habiletés pour prévenir les manifestations d’exclusion dans les écoles, comme les propos racistes, les attitudes ethnocentriques, etc. Ainsi, le personnel scolaire sensibilisé serait plus à même de développer des attitudes et habiletés associées à un vivre-ensemble chez leurs élèves (Macarthney, 2016).
Par ailleurs, les habiletés émotionnelles du personnel peuvent contribuer à un climat harmonieux (Leroux, 2019). La maitrise des diverses composantes d’une compétence émotionnelle représente une condition essentielle pour favoriser le vivre-ensemble dans un milieu (Pham Quang, 2017). Concrètement, la compétence émotionnelle représente un processus de compréhension et de gestion des émotions qui implique, notamment, de développer des capacités à établir et entretenir des relations interpersonnelles respectueuses (Poortvliet et al., 2019). Utilisées dans le cadre d’une recherche en cours au Québec et subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines, les composantes d’une compétence émotionnelle touchent cinq éléments : 1) la connaissance de soi et d’autrui; 2) la régulation des émotions; 3) la conscience sociale et de soi; 4) l’expression adéquate des émotions; et 5) la prise de décisions émotionnelles mutuellement respectueuse (Mikolajczak et al., 2014; Poortvliet et al., 2019).
Mais ces composantes sont-elles réellement acquises par le personnel scolaire oeuvrant dans les milieux scolaires pluriethniques québécois? Qu’en pensent les directions d’établissement scolaire? Quatre directions d’établissement primaires pluriethniques au Québec s’expriment quant à la manifestation de ces composantes en contexte de diversité ethnoculturelle.
Connaissance de soi et d’autrui
C’est la capacité à reconnaître et à identifier ses propres émotions, pensées et valeurs de même que celles d’autrui et à en évaluer leurs forces, limites et influences sur les comportements. Confirmant les propos de Belzile (2018), qui mentionne que la connaissance de soi des enseignant.es ne semble pas être suffisamment développée lors de l’entrée en poste, les directions affirment également que le développement de cette composante doit être une responsabilité partagée par tout le personnel scolaire afin d’améliorer les relations dans les milieux et semble se développer tardivement soit au gré des situations confrontantes vécues qui forcent l’introspection tant chez le personnel scolaire que chez les directions elles-mêmes. Conséquemment, lorsque celle-ci est moins développée, un phénomène d’ethnocentrisme est malheureusement plus à même d’être présent dans les milieux, puisque se connaître soi-même et les autres permet de comprendre les différences plutôt que d’en être effrayé.
Régulation des émotions
Cette composante renvoie à cette capacité d’un individu à gérer et à réguler efficacement ses propres émotions négatives et positives. Or, les directions révèlent que la considération des émotions vécues par les élèves semble parfois moins priorisée par le personnel enseignant que le respect de la progression des apprentissages selon le programme de formation. De surcroît, il arriverait régulièrement que la fatigue, l’anxiété ou la surcharge de travail mènent à des réactions inappropriées lorsque les membres de l’équipe-école doivent composer avec des situations qui les confrontent.
Conscience sociale et de soi
Cette composante consiste à comprendre son vécu émotionnel et celui d’autrui au sein des réactions et comportements. Encouragé par un leadership positif et collaboratif, le développement de la conscience sociale semble possible. Ce faisant, les directions soulignent que cela permet de redresser les milieux où règne un manque de cohésion, souvent dû à des différences de valeurs chez le personnel. Un tel redressement est nécessaire, car un manque de conscience sociale peut souvent mener à des préjugés et des stéréotypes. Malgré l’écoute manifestée par les directions face à des manifestations d’exclusion, il demeure qu’un manque de conscience sociale et de soi favorise divers mécanismes d’exclusion qui peuvent persister et même s’aggraver dans les milieux. Par ailleurs, la plupart des directions confirment ne pas percevoir de racisme, qui prend plutôt la forme d’un racisme voilé, « la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression (des) paroles et agissements les plus banals et courants de la vie quotidienne » (Garneau, 2017, p. 13). Cela pourrait être dû à la crainte du terme, le poids qu’il contient ainsi que son côté tabou dans le milieu scolaire (Garneau, 2017).
Expression des émotions
C’est la capacité à écouter, à coopérer en utilisant ses émotions efficacement et à favoriser l’engagement d’autrui en mettant en lumière leurs émotions. Les directions d’établissement précisent que l’expression des émotions semble souvent plus aisée pour les individus qui ont une bonne connaissance d’eux-mêmes. Par exemple, lorsqu’un individu connait ses limites, il est capable de demander le soutien de son équipe et de sa direction au moment opportun, évitant ainsi de dépasser lesdites limites et d’avoir une réaction inappropriée devant une quelconque situation confrontante.
Décision émotionnellement respectueuse
Cette composante est la capacité à utiliser ses émotions et celles d’autrui, afin de prendre de meilleures décisions professionnelles et d’accroître l’efficacité des relations. Elle semble s’actualiser pour les directions, par la nécessité de la transparence dans leur rôle, de prendre un pas de recul, de chercher une certaine objectivité et de prendre en compte tous les éléments d’une situation avant d’intervenir. Ce faisant, les directions considèrent qu’il importe de maitriser les diverses autres composantes d’une compétence émotionnelle afin de prendre ces décisions qui seront émotionnellement respectueuses.
Conclusion
L’ensemble des directions mentionnent que les compétences émotionnelles de leur équipe-école sont maitrisées de manière inégale entre les individus d’une même école, mais également d’un jour à l’autre. En effet, la surcharge de travail, la fatigue, l’anxiété, le stress, la confrontation sur le plan des valeurs ont tous une influence sur l’état émotionnel des individus et la mobilisation de leurs compétences émotionnelles. Plus les compétences émotionnelles sont développées, plus le vivre-ensemble pourrait être facilité et conséquemment la manifestation d’exclusion basée sur la différence amoindrie. Ainsi, il semblerait qu’un besoin criant de formation sur le plan des compétences émotionnelles du personnel scolaire soit présent dans nos milieux scolaires primaires, notamment pluriethniques.
Parties annexes
Bibliographie
- Archambault, I., Mc Andrew, M., Audet, G., Borri-Anadon, C., Hirsch, S., Amiraux, V. et Tardif-Grenier, K. (2018). Vers une conception théorique multidimensionnelle du climat scolaire interculturel. Alterstice, 8(2), 103-134. https://id.erudit.org/iderudit/1066957ar
- Belzile, M. (2008). Étude de la manifestation du souci éthique dans la pratique éducative d’enseignantes du primaire en début de carrière (Doctoral dissertation, Université du Québec à Rimouski).
- Garneau, S. (2017). Le voile, l’alcool et l’accent. La « diversité » à l’épreuve du racisme vécu. Diversité urbaine, 17, 7–28. https://doi.org/10.7202/1047975ar
- Leroux, M. (2019). Vers un peu plus de bienveillance envers les nouveaux collègues. Formation et profession. 27(3), 125-127. http://dx.doi.org/10.18162/fp.2019.a186
- Macartney, L. (2016). Developing Intercultural Competence through Education: A Case Study of an International School in Costa Rica (Doctoral dissertation, Northcentral University).
- Mikolajczak, M., Quoidbach, J., Kotsou, I. et Nélis, D. (2014). Les compétences émotionnelles (2e éd. ; 1ere éd. 2009). Paris : Dunod.
- Pham Quang, L. (2017). Émotions et apprentissages. Paris, L’Harmattan.
- Pooretvliet, M. Clarke, A. et Gross, J. (2019). Improving social and Emotional Learning in Primary School: Guidance Report. Education Endowment Foundation. https://educationendowmentfoundation.org.uk/public/files/Publications/SEL/EEF_Social_and_Emotional_Learning.pdf