Corps de l’article
L’EIALS
Le bilinguisme est reconnu comme un atout dans la grande majorité des sociétés contemporaines (Adesope et al., 2010). Or, au Québec, la situation du bilinguisme est complexe. D’une part, les francophones, minoritaires en Amérique du Nord, sentent le besoin d’assurer la vitalité de leur langue et, d’autre part, ils désirent s’outiller afin d’interagir en anglais (Hébert, 2021). C’est dans ce contexte que le gouvernement québécois tente d’améliorer le développement des compétences en anglais des élèves francophones en introduisant plusieurs dispositifs d’EIALS dans les écoles primaires (Hébert, 2021). Certains établissements scolaires optent notamment pour deux périodes d’enseignement de cinq mois, l’une consacrée à l’anglais et l’autre aux autres disciplines scolaires enseignées en français. En plus de viser l’utilisation de la langue seconde dans des situations de la vie courante (Conseil supérieur de l’éducation [CSÉ], 2014), ces dispositifs cherchent à inciter les jeunes à garder un contact significatif avec la langue seconde, et ce, au-delà de la fréquentation de la classe d’EIALS (Centre de recherche et d’expertise en évaluation, 2015). Selon les écrits scientifiques que nous avons consultés, cet espace de recherche n’a pas été étudié. Considérant que plus de 10 000 élèves fréquentent une classe d’EIALS chaque année au Québec (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2018), il nous a paru judicieux de nous y pencher.
Pertinence de documenter les pratiques d’utilisation de l’anglais langue seconde
Après une recension des écrits consacrés à l’utilisation de la langue seconde par des jeunes ayant profité d’un dispositif d’EIALS, nous constatons que seules les recherches de Lightbown et Spada (1991) et de Dussault (1997) s’y sont intéressées. Toutefois, ces études, datant de plusieurs années, ne portent pas sur les pratiques d’utilisation de la langue seconde des jeunes adultes ayant fréquenté une classe d’EIALS et nous croyons que l’identification de ces pratiques pourrait contribuer à l’avancement des connaissances sur l’utilisation d’une langue seconde. Sur le plan social, une meilleure connaissance des pratiques langagières encouragera, éventuellement, les enseignants à adopter des stratégies d’enseignement susceptibles de stimuler l’utilisation de la langue seconde dans les situations extrascolaires et à informer les parents qui veulent valoriser l’utilisation de la langue seconde auprès de leurs enfants.
Sens accordé aux pratiques d’utilisation d’une langue seconde
L’utilisation d’une langue seconde représente une activité dynamique, complexe et connectée à l’expérience de l’individu (Higgins, 2011) et est suscitée, notamment, par le besoin d’interactions sociales (Richards, 2014). Quant aux pratiques auxquelles nous nous intéressons également, elles varient selon le contexte dans lequel elles sont exercées (Reckwitz, 2002), étant influencées par le mode de vie et l’environnement des individus (Guillou, 2006).
Méthodologie
Afin de documenter les pratiques langagières déclarées en anglais langue seconde, nous avons adopté un positionnement scientifique constructiviste et interprétativiste visant la construction de la connaissance quant à l’utilisation de la langue seconde ainsi que la compréhension de cette réalité. Notre recherche qualitative, compréhensive et exploratoire a été menée avec la participation de dix jeunes adultes âgés de 18 à 27 ans provenant d’autant de régions québécoises et ayant différentes occupations. Afin de les recruter, nous avons rejoint des personnes susceptibles de connaitre de jeunes adultes répondant à nos critères. Les données ont été collectées au moyen de deux entretiens individuels semi-dirigés lors desquels les pratiques d’utilisation d’une langue seconde ont, entre autres, été abordées. De plus, les participants ont construit un récit de pratique qu’ils ont narré oralement, portant sur une expérience d’utilisation de l’anglais langue seconde. Ensuite, les données ont été analysées selon une logique inductive délibératoire en regroupant les unités de sens par thèmes émergents. L’analyse des données révèle que les pratiques d’utilisation de l’anglais des participants se situent principalement dans le cadre du travail et des loisirs.
Résultats concernant les pratiques de nos participants
À la lumière des analyses, nous constatons qu’au travail, certains participants communiquent en anglais pour renseigner des clients, leur vendre des produits ou entretenir des relations collégiales. Ceux qui travaillent auprès de patients du domaine de la santé, par exemple, utilisent leur langue seconde pour venir en aide à ces personnes ou développer des liens significatifs avec elles. Jude, un participant qui travaille au sein d’un organisme communautaire, intervient parfois auprès de personnes anglophones. Selon lui, les compétences qu’il a développées durant son expérience en classe d’EIALS favorisent le développement de ses relations avec les usagers anglophones. Il en donne un exemple : « J’ai créé un lien super rapidement avec cette personne-là [un usager anglophone] parce que j’étais un des seuls intervenants qui parlait en anglais… On a créé un lien grâce, entre autres, à l’anglais. » (Récit, Jude, lignes 14-35)
En contexte de loisirs, les pratiques d’utilisation de l’anglais les plus fréquentes sont le visionnement de films et de téléséries, de même que la lecture et l’écoute de baladodiffusions. Les pratiques de communication avec des membres de la famille, des amis, des voisins ou des personnes rencontrées sur des réseaux sociaux ou par le biais de jeux vidéos sont courantes. Mathis, un participant qui a commencé à développer une aisance à interagir en anglais en classe d’EIALS, utilise régulièrement sa langue seconde en jouant en ligne. Mathis explique que souvent, dans l’univers des jeux vidéos, « tu vas être mis en équipe automatiquement avec des joueurs de façon aléatoire… c’est mieux de savoir parler anglais pour être capable de parler avec plus de personnes et être capable d’établir des stratégies. » (Récit, Mathis, lignes 163-167)
Prévalence de la communication et l’objectif principal de l’EIALS
Au regard de ces résultats, nous constatons une prévalence de la communication qui peut être expliquée, entre autres, par le fait que tous les participants à notre recherche ont été exposés au dispositif d’EIALS dont la visée principale est la communication avec aisance dans des situations de la vie de tous les jours (CSÉ, 2014). Ainsi, il est possible que cet objectif et que les apprentissages visés selon une approche communicative aient incité les enseignants responsables de groupes d’EIALS à soutenir le développement des compétences de leurs élèves. En effet, des participants ont affirmé que le contexte d’EIALS, favorisant l’emploi de l’approche communicative (CSÉ, 2014), leur a offert plusieurs occasions d’interaction. Ces nombreuses possibilités d’échanges verbaux avec l’enseignant et leurs pairs leur auraient permis de développer leurs compétences en anglais.
Parties annexes
Bibliographie
- Adesope, O., Lavin, T., Thompson, T. et Ungerleider, C. (2010). A systematic review and meta-analysis of the cognitive correlates of bilingualism. Review of Educational Research, 80(2), 207-245.
- Centre de recherche et d’expertise en évaluation (2015). L’enseignement de l’anglais, langue seconde (ALS) : Que retenir de l’évaluation de l’expertise québécoise? École nationale d’administration publique.
- Conseil supérieur de l’éducation (2014). L’amélioration de l’enseignement de l’anglais, langue seconde au primaire : un équilibre à trouver. https://www.cse.gouv.qc.ca/publications/anglais-au-primaire-50-0485/
- Dussault, B. (1997). Les effets à long terme de l’enseignement intensif de l’anglais langue seconde [mémoire de maitrise, Université du Québec à Montréal].
- Guillou, M-E. (2006). Représentations sociales et pratiques sociales : l’exemple de l’engagement pro-environnemental en agriculture. Revue européenne de psychologie appliquée, 56, 157-165.
- Hébert, V. (2021). L’anglais en débat au Québec : mythes et cadrages. Presses de l’Université Laval.
- Higgins, C. (2011). The good life of teaching: An ethics of professional practice. John Wiley and Sons.
- Lightbown, P. M. et Spada. N. (1991). Étude des effets à long terme de l’apprentissage intensif de l’anglais, langue seconde, au primaire. Canadian Modern Language Review, 48, 90-117.
- Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (2018). Nombre d’élèves inscrits en anglais intensif, selon la région administrative de l’organisme fréquenté, l’organisme fréquenté et le niveau scolaire (5e et 6e année du primaire seulement), réseau public seulement, année scolaire 2017-2018. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/daai/17-368_Diffusion.pdf
- Reckwitz, A. (2002). Toward a Theory of Social practices: A Development in Culturalist Theorizing. European Journal of Social Theory, 5(2), 243-263.
- Richards, J.C. (2014). The changing face of language learning: Learning beyond the classroom. RELC Journal, 46, 5-22.