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Jusqu’en novembre 2022, l’Intelligence artificielle (IA) était une technologie qui, bien que très présente dans le domaine du numérique, n’était pas populaire au point de faire les manchettes. Cependant, elle commençait à se frayer un chemin vers le monde de l’éducation. Certains pédagogues voyaient la possibilité d’utiliser l’IA pour déceler, par exemple, des élèves à risque de décrochage dans le but de leur apporter du soutien additionnel. Or, avec l’arrivée de ChatGPT, un modèle de langage publié le 30 novembre 2022 par la compagnie OpenIA, l’IA s’est invitée dans les salles de classe. L’arrivée de ce modèle, dont la qualité des réponses textuelles en a surpris plus d’un, a suscité de vives réactions dans la communauté enseignante. Les enseignants devront-ils revenir au papier-crayon pour éviter le risque de triche? Comment les jeunes pourront-ils développer leur compétence informationnelle si l’IA recherche l’information à leur place? L’IA peut-elle automatiser certaines tâches chronophages? Qu’en est-il du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle? Les questions sont multiples et l’outil demeure méconnu par les enseignants. Des zones grises se forment et un questionnement surgit : comment souhaite-t-on interagir avec l’IA? Adaptée de Romero (2015), la figure ci-dessous présente différentes pistes de réflexion quant à l’utilisation de l’IA. Les différents niveaux d’utilisation seront analysés et diverses applications liées au monde de l’éducation seront proposées en sus d’une réflexion sur le développement de la compétence informationnelle.

Figure 1

Pistes de réflexion sur l’éducation à l’AI : passer de consommateur à créateur par l’IA

Pistes de réflexion sur l’éducation à l’AI : passer de consommateur à créateur par l’IA

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Dans le premier niveau, celui de l’utilisation passive, l’utilisateur se sert de l’outil sans y porter attention ou sans remarquer la présence de l’IA. De la retouche photo en passant par la vidéosurveillance ou par la suggestion de contenus sur les médias sociaux, l’IA est de plus en plus omniprésente dans notre quotidien. 

Pour passer au niveau suivant, celui du consommateur actif, l’utilisateur doit connaître le fonctionnement de cette technologie pour être en mesure de déceler son utilisation. Les modèles de langage naturels (Language Learning Models), tels que ChatGPT, sont d’abord entraînés sur de larges corpus de textes qu’ils décortiquent à l’aide de multiples variables. Puis, en utilisant des méthodes probabilistes, les modèles de langages essayent de « prédire » le meilleur mot à ajouter au contenu déjà généré. L’utilisateur doit être conscient que le modèle de langage n’effectue pas une recherche comme sur un moteur traditionnel. Il tente uniquement de prédire le meilleur mot selon divers paramètres. D’un point de vue informationnel, l’IA générative pourrait être utilisée pour simplifier le registre de langue d’un texte, tel qu’un article scientifique, pour qu’il devienne plus accessible à des élèves n’ayant pas le niveau de littératie nécessaire. En effet, il est possible de copier-coller du texte dans ChatGPT et de lui demander de simplifier le vocabulaire ou de définir les termes. Ainsi, il pourrait servir d’aide à la lecture pour des élèves voulant explorer, par exemple, des documents plus complexes. À titre de consommateur actif, l’utilisateur sait que ses interactions nourrissent divers algorithmes. Il peut, à tâtons, les modifier ou s’en servir pour accomplir diverses tâches. Cependant, il n’est pas encore conscient des biais que l’IA peut induire puisque ce recul critique se développe dans le prochain niveau.

Le troisième niveau, celui de la création de contenu, se caractérise par une utilisation consciente de l’IA pour créer des artéfacts concrets. Ainsi, comme ChatGPT est accessible à partir de n’importe quel navigateur, beaucoup d’élèves ont commencé à l’utiliser pour générer du texte et se situent donc au troisième niveau d’utilisation de la technologie. Cependant, comme il s’agit d’un nouveau système pour les élèves, peu d’entre eux sont au courant des failles potentielles. Il sera donc essentiel de les y éduquer. Or, quelle est la place de l’école dans cette éducation? Selon le Continuum de développement de la compétence numérique, un élève avancé devrait être en mesure de « comprendre les effets globaux de l’intelligence artificielle sur l’éducation, la société, la culture ou la politique » (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019). Ainsi, le développement de telles habiletés peut se faire en classe, tout en restant dans le cadre des apprentissages suggérés par les programmes en place. À l’image de l’éducation alimentaire qui permet de développer de saines habitudes de vie, l’éducation à l’IA doit permettre aux élèves d’aborder les notions de biais et d’inventions de faits pour les sensibiliser aux effets de l’IA sur différentes sphères de la vie publique, personnelle et professionnelle. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour automatiser des emplois, surveiller des populations ou encore recommander du contenu en ligne représente aussi des enjeux sociaux qui sont et seront des sujets de débats de société. Initier les élèves à ces thèmes dans une activité qui leur permet d’utiliser l’IA pour créer revêt donc une importance sociale pour la formation de citoyens éclairés et participant activement à notre société. 

Quant à la cocréation de contenu, au quatrième niveau, l’utilisateur et l’IA générative s’allient pour aller au-delà de la création originale de l’apprenant. Ainsi, ChatGPT pourrait être utilisé dans un projet qui ne porte pas directement sur l’IA comme thème principal. Par exemple, le logiciel pourrait être utilisé comme une voix supplémentaire dans un projet d’équipe. Dans ce cas, ChatGPT pourrait servir à trouver des idées nouvelles lors d’une tempête d’idées ou encore à peaufiner des pistes déjà existantes. Des élèves qui se préparent pour un débat pourraient aussi décider de l’utiliser pour « tester » des arguments en demandant à l’IA d’y trouver des failles, auxquelles les apprenants pourraient tenter de réfléchir avant même la prestation. Dans cette situation, les interactions entre la machine et plusieurs humains permettent d’élever et d’approfondir les idées existantes.

Au dernier niveau, celui de la cocréation participative de connaissances, l’IA devient un outil qui permet d’automatiser les tâches qui peuvent l’être pour que les utilisateurs se concentrent sur d’autres tâches, comme celles qui nécessitent un apport humain ou de la résolution de problèmes complexes. Par exemple, en libérant l’équipe d’enseignants de tâches chronophages, ces derniers pourront réinvestir le temps gagné en soutien personnalisé auprès de leurs jeunes ou en formation continue. Ainsi, l’IA permet de délester les enseignants pour qu’ils se concentrent sur les tâches que l’IA ne peut pas faire dans l’école.

L’arrivée de l’IA générative vient donc modifier la compétence informationnelle que devraient développer les apprenants et les enseignants. Cette technologie va assurément changer les habitudes puisque les élèves s’en servent déjà pour chercher des informations en ligne au lieu d’utiliser un moteur de recherche. Or, il est nécessaire de passer d’une utilisation passive à une utilisation consciente de cet outil. C’est en comprenant l’IA que l’on pourra en faire un usage pertinent et réflexif. En somme, nous suggérons qu’elle devienne un outil supplémentaire dans le bagage des enseignants pour leur permettre de former des citoyens prêts à affronter les défis sociaux et technologiques de demain.