ChroniquesÉthique en éducation

Être artiste et enseignant.e : éthique et acceptation sociale[Notice]

  • Bruce Maxwell et
  • Aurel St-Pierre

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  • Bruce Maxwell
    Université de Montréal (Canada)

  • Aurel St-Pierre
    Université du Québec à Trois-Rivières (Canada)

En plus d’être des artistes visuelles célébrées, qu’ont en commun Louise Bourgeois, Corita Kent, Georgia O’Keefe et Faith Ringgold ? Elles ont toutes travaillé en tant qu’enseignantes dans des écoles publiques ou privées. Étant donné la nature souvent subversive de leurs créations artistiques – les sculptures anxiogènes de Bourgeois, les vagins stylisés de O’Keefe, les courtepointes antiracistes de Ringgold –, on peut se demander ce qui serait advenu si ces travaux avaient été créés en même temps qu’elles travaillaient dans les écoles. Les activités créatives de ces enseignantes, réalisées hors du cadre scolaire, auraient-elles pu faire l’objet de sanctions professionnelles ? Cet article explore comment les projets artistiques des enseignant.e.s dans leur vie privée peuvent entrer en conflit avec les attentes de la société à leur égard. En effet, être à la fois artiste et enseignant.e demande de naviguer entre le monde de l’art contemporain, souvent conçu pour déranger ou critiquer la société, et le monde scolaire, occupé par la transmission de valeurs traditionnelles comme la famille, le travail et la politesse. Jusqu’à la modernisation de l’enseignement au milieu du XXe siècle, il était primordial de bien faire comprendre aux générations successives d’enseignant.e.s qu’ils et elles seraient tenu·es d’incarner les principes moraux de la communauté, à la fois au travail en présence des élèves et dans leurs activités privées. Aussi étonnant que cela puisse paraître, un vestige de cette conception préprofessionnelle de l’enseignement peut encore être trouvé à la section 264(1)(c) de la Loi sur l’éducation de l’Ontario qui stipule que les devoirs de l’enseignant.e sont d’« inculquer, par les préceptes et l’exemple, le respect de la religion et des principes de la morale judéo-chrétienne et la plus haute considération pour la vérité, la justice, la loyauté, le patriotisme, l’humanité, la bienveillance, la sobriété, le zèle, la frugalité, la pureté, la modération et toutes les autres vertus ». Bien que les codes d’éthique des enseignant.e.s fassent davantage preuve de réserve et qu’aucune conduite ne soit explicitement interdite, plus de la moitié des codes en vigueur au Canada mentionnent, par exemple, que les enseignant.e.s ont le devoir de s’abstenir d’activités privées qui pourraient « déshonorer » la profession enseignante (Maxwell & Shwimmer, 2016). Pour sa part, l’art contemporain, tradition au sein de laquelle plusieurs enseignant.e.s artistes ont été formé·es, a tendance à s’opposer à un des rôles sociaux primordial qu’on demande aux enseignant.e.s d’endosser. En effet, les artistes contemporains perçoivent généralement que leur rôle est de défier le statu quo, d’exposer des injustices cachées dans certaines pratiques sociales et institutions publiques ou privées et d’encourager les gens à penser autrement. Pousser les limites de ce qui est socialement acceptable cohabite difficilement avec le conformisme et le traditionalisme véhiculés dans les écoles et les systèmes scolaires où les enseignant.e.s artistes travaillent. En outre, plusieurs incidents montrent comment les attentes de la société à l’égard des enseignant.e.s artistes revêtent encore un caractère moral. Pour n’en nommer que quelques-uns, Stephen Murmur fut suspendu de son emploi d’enseignant d’art après qu’une série d’impressions faites à partir de la matrice de ses fesses fut portée à l’attention de l’administration scolaire ; Carla Clarissa, une enseignante dans une école privée prestigieuse de Mexico, fut contrainte de démissionner lorsqu’un enregistrement vidéo la montrant participant à un concours de danse sexuellement évocatrice devint viral sur Internet ; Judy Buranich, en Pennsylvanie rurale, se retrouva au milieu d’une tempête médiatique lorsque son identité fut révélée comme auteure de plusieurs romans de gare, que certains parents qualifiaient d’« osés ». Encore aujourd’hui, c’est l’obligation professionnelle des enseignant.e.s de jouer le rôle de « modèle de moralité » auprès des …

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