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Problématique : le stage pour contextualiser les savoirs en évaluation des apprentissages

Au Québec, les programmes de la formation initiale à l’enseignement ont été élaborés en fonction des dimensions de la pratique d’enseignement et proposent pour cela deux types de dispositifs de formation (cours théoriques de nature disciplinaire, didactique, psychopédagogique, fondements et des stages) pour développer des compétences professionnelles (Desjardins et Dezutter, 2009 ; MEQ, 2001, 2020). Ces programmes visent à développer 13 compétences professionnelles de haut niveau qui demandent la mobilisation de savoirs complexes en situation et avec efficacité (MEQ, 2020). Dans ce contexte, les différentes universités québécoises mettent en place des dispositifs pour permettre au futur enseignant d’acquérir des savoirs théoriques, didactiques et pédagogiques et de les confronter aux savoirs expérientiels acquis par les différents acteurs des milieux scolaires. Les futurs enseignants devront réaliser un minimum de 700 heures de stage dans les milieux scolaires répartis sur les quatre années de la formation (MEQ, 2001). D’autres dispositifs existent également pour favoriser l’arrimage entre les différents savoirs, dont des activités pratiques qui intègrent des élèves dans les cours universitaires, l’analyse de pratiques filmées d’enseignants et différentes approches pédagogiques plaçant le futur enseignant dans des situations réelles et authentiques. La contextualisation des différents types de savoirs, théoriques, didactiques, pédagogiques et expérientiels permet au futur enseignant d’entrer dans un processus de développement professionnel en se situant et en arrimant l’ensemble des savoirs acquis durant la formation initiale (Uwamariya et Mukamurera, 2005).

Plusieurs études, au Québec et à l’international, se sont intéressées au processus de contextualisation des différents types de savoirs par le biais des dispositifs de formation pratique mis en place. Elles révèlent que les futurs enseignants peinent à contextualiser les savoirs issus des cours universitaires dans leurs pratiques en classe (Altet, 2013 ; Desjardins, 2013 ; Monney, Cody, et al., 2018 ; Monney, L’Hostie, et al., 2018). Cette difficulté à passer des savoirs issus des cours universitaires pour les mettre en oeuvre dans la pratique se constate également dans la compétence à évaluer. Les futurs enseignants s’appuient surtout sur leurs propres expériences en tant qu’élèves ou étudiants pour justifier leurs pratiques évaluatives (Doyle, 1997 ; Kagan, 1992 ; Moisan, 2010 ; Monney, L’Hostie, et al., 2018 ; Nespor, 1987). À ce propos, ils considèrent que l’évaluation sert surtout à mettre un résultat chiffré dans le bulletin, l’idée étant qu’on évalue surtout en fin de séquence d’apprentissage pour mesurer l’acquisition de certains apprentissages (Laurier, 2014). Or, la politique d’évaluation des apprentissages (MEQ, 2003) prône également la fonction d’aide à l’apprentissage qui favorise des pratiques d’évaluation plus formatives. Les plus récentes recherches mettent aussi en lumière l’importance d’opter pour des pratiques évaluatives en soutien à l’apprentissage tout au long de l’activité de l’apprentissage (De Champlain, 2011 ; Dirksen, 2013 ; Hadji, 2019 ; Stiggins, 2009). Dans ce contexte, il est probable que les formations à l’enseignement intègrent dans leurs cours des savoirs théoriques liés à l’évaluation comme aide à l’apprentissage. Ainsi, la question se pose à savoir pourquoi les stagiaires rencontrent des difficultés à adopter des pratiques évaluatives fondées sur les orientations officielles et les plus récentes recherches. Devant cette problématique, les auteures de ce texte se sont intéressées à l’accompagnement que proposent les enseignants associés (EA) qui ont la responsabilité d’aider les stagiaires à établir des liens entre les savoirs orientant leurs pratiques évaluatives (Gervais, 2006). Plus précisément, la question est : « Quelles logiques et quelles formes d’accompagnement mettent en place les EA pour aider les stagiaires à mobiliser leurs savoirs en évaluation des apprentissages ? » Ce texte présente les résultats issus d’une recherche subventionnée par le FRQSC (2018-NP-206124). La prochaine partie définit le concept d’accompagnement pour ouvrir sur la méthode de l’entretien d’autoconfrontation. Les résultats exposent les logiques et les formes d’accompagnement issues des propos des EA. Finalement, la discussion fait émerger le lien entre sa façon de percevoir le stagiaire et les logiques et formes d’accompagnement qu’adopteront les EA.

Cadre conceptuel : les formes et les logiques de l’accompagnement

La question de recherche vise à dégager les formes et les logiques de l’accompagnement donné par des EA pour aider les stagiaires à mobiliser leurs savoirs en évaluation des apprentissages. Le cadre conceptuel définit le concept de l’accompagnement en dégageant les logiques et les formes possibles en stage. Comme l’accompagnement porte sur l’objet de l’évaluation des apprentissages, il apparaît nécessaire de définir également le concept d’évaluation des apprentissages.

Le concept d’accompagnement en formation pratique

Maela Paul (2009) définit l’accompagnement dans le champ de la formation en expliquant que lorsqu’il est question de professionnalisation, la formation doit prendre en compte les terrains de stage qui constituent un ancrage des réalités professionnelles. Cela signifie que pour aider le stagiaire à contextualiser les différents types de savoirs (théoriques, didactiques, etc.), il s’avère nécessaire de partir de ce qu’il vit et de comment il le vit. Cette première étape permet d’aider le stagiaire à construire du sens à partir de l’action. Par conséquent, la posture du formateur n’est plus de transmettre un savoir d’expérience au stagiaire novice, mais plutôt d’aider un adulte en formation à construire son expérience. Ainsi, l’accompagnement se définit comme une action qui consiste à prendre appui sur l’expérience du stagiaire pour l’aider à expliciter son action, et ce, dans le but d’une actualisation, d’un renouvèlement, ou encore d’un changement dans ses pratiques (Demol, 2002 ; Paul, 2009 ; Portelance, 2010). Afin de caractériser l’accompagnement et d’arriver à une lecture plus fine des actions que posent les EA pour accompagner le stagiaire, le modèle de Leclercq et coll. (2014) et celui de Paul (2009) servent de grille d’analyse. Le modèle de Leclercq et coll. (2014) a été choisi, car les trois logiques ont été dégagées d’une recherche empirique avec des enseignants accompagnant de futurs professionnels comme dans le cadre de ce projet. Le modèle de Paul (2009) permet d’affiner ces logiques en y intégrant des formes que peut prendre l’accompagnement telles que le mentorat, le compagnonnage, le coaching, la consultance et le tutorat. En arrimant ces deux modèles, il pourrait être possible de tirer quelques conclusions sur les logiques et les formes les plus fécondes pour accompagner le stagiaire dans la mobilisation de ses savoirs en évaluation des apprentissages.

Selon Leclerq et coll. (2014), l’enseignant peut opter pour trois logiques d’accompagnement : la logique normative, la logique spéculative et la logique dialogique. Dans une logique normative, accompagner, c’est présenter les normes de la profession au stagiaire pour qu’il puisse mobiliser les savoirs normatifs encadrant la profession. L’EA est aux faits des normes qui régissent les règlements de l’école, les programmes de formation, les lois, etc. Pour l’EA, accompagner dans une logique normative permet de sécuriser le stagiaire par rapport aux attentes du stage, mais aussi de présenter les enjeux d’apprentissage convoqués par la situation (Leclercq et al., 2014). L’accompagnement dans une logique normative peut prendre deux formes : le mentorat ou le compagnonnage (Paul, 2002). La forme du mentorat (mentoring) met de l’avant la nécessité d’être avec une personne plus expérimentée pour éduquer et enseigner. La forme du compagnonnage vise la transmission des gestes du métier et prône l’idée de relation de maitre à apprenti. En synthèse, dans une logique normative, le formateur est considéré comme quelqu’un d’expérimenté dont le stagiaire doit s’inspirer. Cette forme d’accompagnement est la plus rigide et laisse peu de place à la réflexion du stagiaire.

Dans la logique spéculative, l’EA anticipe la capacité du stagiaire à s’investir dans l’action pour planifier son accompagnement (Leclercq et al., 2014). Il met en oeuvre des stratégies qui permettent au stagiaire de devenir autonome dans les choix qu’il fait et d’avoir l’impression d’être en contrôle de ses moyens. La logique spéculative appelle la forme d’accompagnement qu’est le coaching. L’accompagnement se fait à partir des besoins professionnels du stagiaire pour le développement de son potentiel et de ses savoir-faire (Paul, 2002). L’EA occupe encore une posture d’expert, mais comprend que le stagiaire possède déjà une identité professionnelle et qu’il doit construire ses propres pratiques.

Dans la logique dialogique, l’activité langagière est au centre du processus. L’EA et le stagiaire s’expliquent leurs points de vue respectifs sur les actions réalisées en classe. Ils hésitent ensemble, s’interrogent, s’interpellent à posture égale (Leclercq et al., 2014). L’accompagnement prend la forme de consultance ou de tutorat. Dans la forme de consultance, l’accompagnement est centré sur la relation avec la personne au-delà de la sphère professionnelle dans un contexte plus large (Paul, 2002). En général, le consultant est un expert qui peut guider, orienter, mais avec sagesse. Il ne décide pas. Et dans la forme de tutorat, l’accompagnement se définit en matière de relation d’aide en situation de formation professionnelle entre deux personnes pour acquérir des savoir-faire sans relation hiérarchique (Paul, 2002). Il s’agit d’une forme d’accompagnement plus souple, plus égalitaire entre l’EA et le stagiaire et qui mène à une relation professionnelle entre eux.

Le concept d’évaluation des apprentissages selon une perspective interactive

Selon Black (2016), les pratiques d’évaluation des apprentissages devraient être arrimées à l’activité pédagogique planifiée par l’enseignant. L’idée principale derrière ce propos est que l’évaluation des apprentissages se déroule tout au long de l’activité sitôt que l’enseignant clarifie les objectifs d’apprentissage et entre en interaction avec ses élèves. Le fait de définir clairement une cible d’apprentissages dès le début de l’enseignement (Stiggins, 2008) permet de bien structurer son activité autour des objets d’évaluation. Dans ce contexte, la fonction de l’évaluation des apprentissages vise la régulation à savoir, une évaluation qui se fait durant l’activité d’apprentissage en continu (De Ketele, 2010). Ce type d’évaluation des apprentissages se déroule en classe par le biais de rétroactions soutenues émises par l’enseignant à ses élèves sur la compréhension des objets d’apprentissage ciblés (Hattie et Timperley, 2007). Ainsi, dans ce projet de recherche, l’EA va accompagner la stagiaire dans la mobilisation de ses savoirs pour poser des gestes liés à l’évaluation des apprentissages durant l’activité.

Cette définition de l’évaluation des apprentissages permet de justifier pourquoi, dans cette recherche, l’équipe ne s’intéresse pas à la façon dont les stagiaires et les enseignants construisent leurs instruments pour évaluer. Ce sont les moments d’interactions entre les élèves et la stagiaire qui sont centraux et qui sont l’objet d’échange entre le stagiaire et l’EA. Par ailleurs, dans cet article, nous ne revenons pas sur l’activité de la stagiaire en tant que telle, car l’espace alloué est trop étroit pour rendre compte de toute la complexité. Cet article vise à présenter l’étape après l’activité de la stagiaire, soit l’étape où l’EA revient sur les actions de la stagiaire, l’accompagnement offert par l’EA pour développer la compétence du stagiaire.

Méthodologie : l’entretien d’autoconfrontation croisée pour dégager les logiques et les formes d’accompagnement

Cette recherche s’inscrit dans un cadre épistémologique constructiviste qui vise à mettre en lumière le sens donné à la réalité à partir du point de vue des acteurs (Fourez, 2003). Pour avoir accès à l’accompagnement donné par l’EA et au sens qu’il donne à cet accompagnement, la méthode retenue est celle de l’entretien d’autoconfrontation croisée (Clot et al., 2000). Cette méthode permet d’observer l’EA en action lorsqu’il s’adresse au stagiaire. Que dit-il ? Sur quels objets rétroagit-il avec le stagiaire ? Elle permet ensuite de saisir pourquoi il choisit ces objets. Ces deux volets sont primordiaux pour bien cerner la complexité de l’accompagnement offert à nos étudiants.

Une fois la certification éthique de l’institution d’attache obtenue (CER-2018-NP-206124), les participants ont été recrutés par le biais d’une invitation envoyée par courriel à tous les EA de la région qui recevaient un stagiaire finissant de quatrième année. Le stage IV a été choisi, car il s’échelonne sur 12 semaines. Cela permet de mettre en oeuvre le dispositif d’entretien d’autoconfrontation, mais aussi d’y revenir à deux fois. Cinq EA ainsi que leurs stagiaires finissantes du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire ont répondu à l’invitation. Pour participer à la recherche, les EA devaient avoir suivi les formations spécifiques dispensées par le bureau de la formation pratique, se préparer à accueillir une stagiaire finissante et être intéressées par la problématique de l’évaluation des apprentissages. Le tableau 1 présente les données socioprofessionnelles des EA.

Tableau 1

Données socioprofessionnelles des EA

Données socioprofessionnelles des EA

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Toutes les enseignantes présentent une expérience de plus de 10 ans d’enseignement. Mise à part EA3, toutes les EA ont déjà accompagné au moins une stagiaire. L’ensemble des cycles scolaires est également représenté. La collecte de données s’est déroulée sur l’ensemble du stage de 12 semaines durant lequel la stagiaire prend en charge le groupe à temps plein. Le tableau 2 présente le déroulement de la collecte de données. Pour cet article, les données issues des observations et des entretiens d’autoconfrontation croisée seront analysées.

Tableau 2

Déroulement de la collecte de données

Déroulement de la collecte de données

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L’entretien d’autoconfrontation croisée

La méthode de l’entretien d’autoconfrontation croisée consiste d’abord à filmer une action, puis à la visionner avec l’acteur principal en l’invitant à la commenter (Clot et al., 2000). Elle combine l’observation et l’entretien d’autoconfrontation croisée (Monney, L’Hostie, Fontaine, 2018). C’est une activité de commentaire ou de verbalisation de traces filmées (Quang, 2016). Cette méthode permet de restituer la situation en accédant au contexte, aux dynamiques particulières et à l’interprétation de l’acteur. Elle permet également de construire du sens, lors de l’analyse par la personne de son action, dans la situation observée. Elle est utilisée dans les études portant sur l’activité humaine, cherchant à documenter l’expérience et visant une meilleure compréhension du vécu de l’acteur et de son activité (Theureau, 2003). Il existe des entretiens d’autoconfrontation simple et croisée. La première consiste à placer l’acteur face à une trace de son activité et à l’inviter à expliciter ses choix (Zinguinian et André, 2017). La deuxième permet la collaboration du chercheur et des acteurs dans l’analyse de leur activité (Theureau, 2003). Dans le cadre de cette recherche, c’est l’entretien d’autoconfrontation croisée qui a été utilisé.

L’observation filmée de l’échange entre l’EA et le stagiaire

La consigne donnée aux EA est d’échanger avec leurs stagiaires sur le déroulement d’une activité d’enseignement qui vient de se terminer. L’équipe de recherche précise qu’elle veut que les échanges portent sur les actions ou paroles du stagiaire liées aux gestes évaluatifs : consignes données aux élèves, rétroactions sur la compréhension des élèves, remédiations à l’enseignement, etc. L’échange entre l’EA et le stagiaire a lieu directement après l’activité d’enseignement et est filmé pour faciliter l’analyse des données. Dans cette recherche, l’observation dure de 20 à 45 minutes. À ce stade-ci, l’équipe de recherche ne fait qu’observer sans orienter les échanges. Deux observations par EA ont été réalisées durant la recherche. En tout, le corpus de données compte 10 observations.

L’entretien d’autoconfrontation croisée

Après chaque observation, dans un délai de quelques semaines, l’équipe de recherche a réuni les EA à l’université pour procéder ensemble aux entretiens d’autoconfrontation croisée. Ces entretiens se sont échelonnés sur une journée complète à raison d’une heure par EA. Au préalable, l’équipe de recherche avait ciblé trois ou quatre séquences issues de l’observation filmée sur le retour fait par l’EA à son stagiaire. Ces séquences portaient sur un élément lié à l’évaluation des apprentissages. Ainsi, une première analyse des observations était déjà faite au préalable. L’échange se faisait à partir des propos tenus par l’EA filmée avec les autres EA. L’EA observée pouvait expliquer ses propos, contextualiser les actions de la stagiaire, exposer son point de vue sur la situation, nuancer certains propos, etc. Les autres EA écoutaient et pouvaient interroger l’EA pour obtenir plus d’informations, relancer la réflexion et également, partager leurs points de vue sur les différentes observations. En tout, deux entretiens d’autoconfrontation croisée ont eu lieu.

Analyse des observations et des entretiens d’autoconfrontation croisée

Le corpus analysé est constitué de 12 transcriptions, dont 10 observations filmées et deux entretiens d’autoconfrontation croisée.

Analyse des observations

L’analyse des observations est qualitative et interprétative (Anadón et Savoie-Zajc, 2009). Elle consiste à développer le cours de l’action comme le rapport qui s’instaure entre les visées d’un sujet, devant une situation qu’il interprète, en rapport à ses acquis dont émerge une représentation partielle et subjective (Van Der Maren et Yvon, 2009). Pour développer ce cours d’action, les données ont fait l’objet d’une analyse thématique dont le but est de repérer les unités sémantiques (Negura, 2006) à l’aide du logiciel Nvivo. Dans ce cas, les unités sémantiques ont été codées en référence aux catégories identifiées dans le cadre conceptuel et nous ont permis de saisir les objets sur lesquels l’EA rétroagissait (consignes, rétroactions, remédiations, etc.) Cette analyse permet d’avoir un aperçu des formes d’accompagnement et des logiques. Par exemple, durant l’échange, l’EA est dans une logique normative en dictant ce que doit faire l’enseignante : « Tu ne devrais pas donner cette consigne maintenant. » L’encodage a été réalisé par l’assistante de recherche. Cependant, pour les deux premières transcriptions, l’équipe de recherche a procédé à une validation interjuge en s’accordant sur le codage et sur les définitions sous-jacentes à chacun des codes. Cette démarche méthodologique s’inscrit dans une conception où l’analyse n’est pas une oeuvre individuelle, mais le résultat d’un accord collectif.

Analyse des entretiens d’autoconfrontation croisée

En ce qui concerne les entretiens d’autoconfrontation croisée, leur analyse se réalise selon la technique de Theureau (2006). Ainsi, à partir des données issues de l’observation, des tableaux avec deux colonnes ont été créés. La première colonne reprend les transcriptions d’une unité sémantique de l’observation. La colonne de droite intègre les propos des EA durant l’entretien d’autoconfrontation croisée par rapport à cette unité d’observation. Cela permet de confronter les données issues des deux méthodes de collecte pour mieux saisir le sens donné par les EA à leurs actions et pour dégager les formes et les logiques d’accompagnement.

Résultats : Logiques et formes d’accompagnement des EA

Les résultats présentent des extraits de transcription qui ont permis d’identifier les différentes logiques et formes d’accompagnement mises en place par chacune des EA. Comme il s’agit d’extraits, ces exemples sont loin d’être représentatifs de l’ensemble du corpus de données. Par ailleurs, il importe de rappeler que les EA sont revenues sur l’activité en choisissant avec la stagiaire les éléments sur lesquels ils voulaient échanger. Bien que les stagiaires aient opté pour des pratiques évaluatives durant l’interaction avec les élèves, il est possible que les échanges portent sur d’autres aspects de l’enseignement. Les extraits présentés dans cet article permettent de mettre en lumière l’accompagnement offert par chacune des EA pour en dégager les formes et les logiques.

EA 1 : L’accompagnement d’un stagiaire comme source de développement professionnel

Dès le départ, EA1 favorise le coenseignement en classe. Elle y voit pour elle-même l’occasion de faire de la « formation continue » en analysant ses pratiques. Elle s’assure que la stagiaire développe une bonne relation avec les élèves pour se concentrer ensuite sur l’enseignement des notions disciplinaires. Ainsi, lors de la première rencontre, EA1 nous explique qu’elle commence à accompagner la stagiaire dans une logique spéculative. Elle analyse le potentiel de sa stagiaire pour mieux l’orienter. Elle opte pour le questionnement réflexif en insistant sur les objectifs que la stagiaire se fixe et en l’aidant à réguler ses stratégies mises en place. L’accompagnement se définit ainsi comme du coaching. Voici un exemple :

EA1 : Comment tu trouves ta transition d’activité à ce moment-ci ?
Stagiaire : Je la trouve correcte.
EA1 : La stratégie que tu as employée en fait.
Stagiaire : Je leur ai expliqué parce que c’est la première fois qu’on en faisait une [analyse de phrase]. On n’en avait jamais fait et je ne leur ai jamais expliqué c’était quoi donc je voulais prendre le temps de l’expliquer […]. J’ai laissé G. me l’expliquer, mais je me suis dit dans ma tête que j’avais peut-être perdu un peu de temps. J’aurais peut-être pu juste demander s’il y en avait qui savait c’était quoi […].
EA1 : Peut-être une, deux minutes ?
Stagiaire : Un deux minutes peut-être, puis j’aurais fini à la cloche […] la prochaine fois je vais le savoir […]

Observation 1, février 2019

Lors du premier entretien d’autoconfrontation croisée, EA1 justifie ses actions en faisant référence à une formation suivie à l’université sur les stratégies à mettre en place pour favoriser les stratégies d’analyses réflexives. « Je m’étais inspirée de la F3 qui disait […] les rétroactions les plus payantes sont celles où le stagiaire prend compte par lui-même […] Ces questions te permettent d’apprendre ses raisons et sa réflexion pédagogique. » (Autoconfrontation croisée 1, mars 2019)

Lors du deuxième entretien d’autoconfrontation croisée, EA1 explique que sa stagiaire dépasse toutes les attentes et a la capacité d’anticiper les difficultés et de réfléchir dans le feu de l’action. Ainsi, les moments de rétroaction ressemblent plus à un dialogue sans réserve pour coconstruire ensemble de nouvelles pratiques en évaluation des apprentissages (logique dialogique).

EA2 : La gestion de classe avant tout !

EA2 mentionne dès le début que son groupe d’élèves est « difficile ». Elle souligne l’importance que sa stagiaire maitrise la classe, qu’elle développe sa confiance, son identité professionnelle et qu’elle renforce sa gestion de classe. Lors de la première observation, elle s’assure que la stagiaire comprenne bien les règles formelles et informelles de la profession pour devenir une bonne suppléante (logique normative). Elle se situe dans la forme du conseil en guidant les conduites de la stagiaire et dans le compagnonnage dont le discours est imprégné de l’idée de transmission d’ancien à apprenti. Lors du premier entretien d’autoconfrontation croisée, elle explique qu’elle agit dans une logique normative, car la stagiaire a peu d’écoute et apporte peu de changements à ses actions. Elle se questionne sur les capacités de la stagiaire. Lors de la deuxième observation, elle change de stratégie en s’inspirant de EA1. Elle opte donc pour le questionnement réflexif en revenant sur le déroulement.

EA2 : Donc, comment tu as trouvé ça ? […]
Stagiaire : Ça s’est bien passé. Il y a juste […], c’est qu’à la fin je n’avais pas prévu que ça n’allait pas durer toute la période donc je n’avais pas fait amener leur travail sur leur bureau. Il a fallu qu’ils se lèvent et ça, c’était tannant.
EA2 : Je me suis posé la question, j’avais l’intention de te demander ce que tu aurais pu faire […].
Stagiaire : J’aurais mis les choses sur le bureau et d’habitude ils ont toujours leur livre, mais ce matin, à cause de la production écrite, ils n’avaient rien […]

Sinon, mon activité, je pense que ça s’est bien passé et selon ce que j’ai vu quand j’ai circulé, j’ai vu qu’il y avait des bonnes réponses. Pis la dernière fois, ça ressemblait à ça en fait l’activité, mais ça a vraiment moins bien été compris et là, je me suis dit que j’allais définir vraiment bien les mots. Pis même qu’on va ressortir presque les réponses ensemble. Ce n’est pas grave parce que dans le fond, même s’ils l’entendent de la part des autres, ils ne l’écrivent pas nécessairement.

EA2 : […] D’abord, c’était quoi ton intention de départ ?
Stagiaire : C’était de travailler en fait avec la PDA, c’était les attitudes et les actions, donc quelles influences que les autres peuvent avoir sur quelqu’un.
EA2 : Moi, ce que j’ai trouvé difficile dans l’activité, c’était un droit. Quand tu es rentrée dans les droits, moi ce que j’aurais fait là, bien trouvais-tu qu’ils posaient beaucoup de questions ?
Stagiaire : Les droits que moi j’ai trouvés là, à part aux droits des enfants, c’était la scolarité, la nourriture, un foyer puis il y avait juste ça que moi, mettons j’avais vraiment trouvé de spécifique sur internet. Après ça, quand j’avais discuté avec MH et E, on s’est dit qu’on allait accepter en plus ce qu’ils nous donnent […]
EA2 : […] ce que tu aurais pu faire aussi c’est parler des droits parce que les droits, ça fait partie aussi du programme en éthique, les droits et responsabilités donc ça peut-être le cours d’avant tu parles des droits et responsabilités, après, tu reviens avec…

Observation 2, avril 2019

Néanmoins, on sent que le questionnement est orienté vers une réponse attendue de la part de la stagiaire. Elle va lui laisser la place, mais une fois que la stagiaire a épuisé sa réflexion, EA2 va y aller avec ses suggestions. L’accompagnement prend la forme de compagnonnage où le but est transmettre le savoir d’expérience.

EA3 : Coconstruire ses interventions d’accompagnement avec la stagiaire

EA3 accueille sa première stagiaire. Elle la considère comme une personne qui possède des forces et des capacités complémentaires. C’est la seule enseignante qui mentionne vouloir aider la stagiaire à exercer son jugement professionnel pour évaluer les élèves. Au début du stage, EA3 modèle son enseignement et demande à la stagiaire d’observer et de prendre des notes. Elle est donc dans une forme de compagnonnage dont l’idée est de transmettre le savoir de l’expert à l’apprenti. Lors de la première observation, EA3 interroge la stagiaire sur certains éléments de la situation d’apprentissage, mais, une fois la réponse de la stagiaire obtenue, propose des réajustements en expliquant ce qu’elle aurait fait à sa place. Lors du premier entretien d’autoconfrontation croisée avec les autres enseignantes, EA3 explique que la situation présentée était trop difficile pour les élèves. La stagiaire en était consciente, mais a tout de même souhaité l’essayer. Ainsi, c’est la raison pour laquelle elle a opté pour une logique normative afin d’amener de nouvelles solutions pour la stagiaire. Lors de la deuxième observation, EA3 pose des questions autour des intentions, de la gestion de classe et du ressenti de la stagiaire. Vivant pour la première fois l’accueil du stagiaire, les échanges ont mis en évidence qu’EA3 se validait beaucoup auprès de la stagiaire. Ainsi, même si EA3 est surtout dans le mentorat en dirigeant la stagiaire par le biais des questions, lors de la deuxième observation, c’est la stagiaire qui mène l’entretien en acceptant d’ouvrir ou non les portes de réflexion.

EA4 : valider les actions d’une « collègue »

EA4 accueille dans sa classe une stagiaire qu’elle définit comme une « collègue ». Selon elle, sa stagiaire fait preuve d’initiative et propose beaucoup d’idées. EA4 souhaite développer surtout les compétences en gestion de classe et en différenciation. Elle souhaite aussi outiller la stagiaire pour qu’elle puisse exercer son jugement professionnel dans les situations d’évaluation. Lors de la première observation, on constate qu’EA4 n’est pas directive. Elle démarre l’échange en se basant sur ce que la stagiaire constate. Lors du premier entretien d’autoconfrontation croisée avec les autres EA, elle valide cette observation en expliquant que la stagiaire sait où elle s’en va. La situation observée était également similaire à celle présentée au superviseur de stage quelques jours avant. Ainsi, selon l’EA, il était facile de s’appuyer sur ce qu’avait dit le superviseur de stage pour l’échange. Notons que dans ce cas, l’EA se sent mal à l’aise de proposer d’autres stratégies que celle du superviseur de stage. Lors de la deuxième observation, l’EA se positionne réellement dans une logique dialogique. Le type d’accompagnement rejoint ainsi celui du coaching en aidant la stagiaire à développer son plein potentiel.

EA 5 : La stagiaire comme une aide à la classe

EA5 voit en la stagiaire une aide supplémentaire pour gérer un groupe-classe qui présente beaucoup d’hétérogénéité. Elle ne se voit pas « disparaitre de la classe » et privilégie la forme de coenseignement avec la stagiaire. Selon elle, la stagiaire se débrouille très bien puisqu’elle suit à la lettre l’enseignement tel qu’elle le lui a présenté. EA5 se dit très sévère par rapport au respect des normes et des principes pédagogiques. Voici un extrait où elle cible l’évaluation des apprentissages. La stagiaire demandait à ses élèves de colorier un bonhomme de neige puis, ensuite, de rédiger deux phrases qui le décrivent :

EA5 : En fait là, c’était ton attente. Dans tes critères d’évaluation à l’écrit, il faut que ça soit cohérent […]
Stagiaire : Il faudrait qu’il soit capable de me décrire ce qu’il a ajouté.
EA5 : Effectivement. Donc dans ta correction, le premier critère qui est la cohérence du texte, même si ce n’est pas un texte, c’est des phrases, mais il faut vraiment que ça soit.
Stagiaire : Il faut que les couleurs soient directement…
EA5 : Directement reliées. S’il nous dit : « mon bonhomme de neige chante » euh. On ne voit pas de notes de musique. On ne voit pas une bulle. Au pire il aurait pu, à la rigueur, faire une bulle, mais non. Donc là, c’est au niveau de ton premier critère […]

Observation 1 : février 2019

EA5 débute par une question pour amener la stagiaire à revoir sa consigne. Tout au long de la situation, la stagiaire n’a jamais mentionné ses attentes mis à part le fait de colorier le bonhomme de neige. L’intervention de EA5 est donc importante. Lors de la rencontre d’autoconfrontation croisée, EA5 a été surprise de se voir aussi autoritaire et se percevait comme étant davantage dans le dialogue. Lors de la deuxième observation, EA5 a opté pour le questionnement afin d’aider la stagiaire à réfléchir à des façons de mieux faire.

Discussion conclusive : l’influence de la perception des capacités de la stagiaire sur le type d’accompagnement

Le but de cet article est de présenter les formes et les logiques d’accompagnement de cinq EA pour développer la compétence à évaluer chez leur stagiaire. Les résultats mettent en évidence que la logique d’accompagnement est intimement liée à la perception que se fait l’EA du stage. Certaines y voient la possibilité de développement professionnel pour elles, une opportunité de formation et de réflexion sur leurs propres pratiques. Dans ce cas, elles optent pour un accompagnement dialogique et considèrent la stagiaire d’égal à égal. Dès le départ, il y a un lien de confiance accordé à la stagiaire. L’accompagnement prendra ainsi souvent la forme de coaching. Il a été aussi intéressant de constater que les EA qui s’inscrivent dans cette forme et logique sont elles-mêmes en réflexion par rapport à l’évaluation des apprentissages. Échanger avec la stagiaire leur permet de valider et de consolider leurs pratiques.

Lorsque les enseignants perçoivent la stagiaire comme une aide en classe, elles vont adopter une posture de modèle pour la stagiaire. Elles ne considèrent pas la stagiaire comme une enseignante en devenir qui est déjà engagée dans un processus de développement professionnel. Une stagiaire de quatrième année possède déjà un bagage intéressant de pratiques et a déjà vécu trois stages, donc trois modèles d’EA différents. Dans ce cas, l’accompagnement de l’EA est avant tout normatif. À la lumière des analyses, il a été possible de constater que cet accompagnement plus directif pouvait avoir un lien avec la gestion de classe. EA2 et EA5 expliquent clairement qu’elles éprouvent une crainte concernant la capacité de la stagiaire à gérer le groupe. Cette confiance plus faible par rapport aux capacités de la stagiaire de s’en sortir teinterait la façon dont l’accompagnement est fait. De plus, force est de constater que, dans l’accompagnement normatif, la question des pratiques évaluatives de la stagiaire était absente des propos des EA, ce qui nous amène à nous interroger sur l’importance donnée à la compétence à évaluer des stagiaires pour les EA.

La problématique mettait en lumière le fait que les futurs enseignants peinaient à contextualiser les savoirs issus des cours universitaires dans leurs pratiques en classe (Altet, 2013 ; Desjardins, 2013 ; Monney, Cody, et al., 2018 ; Monney, L’Hostie, et al., 2018), et ce, pour la compétence à évaluer également. Elle mentionne également que les EA ont la responsabilité d’aider les stagiaires à établir des liens entre les savoirs orientant leurs pratiques évaluatives (Gervais, 2006). Cette recherche révèle que certains EA ne l’abordent pas avec leur stagiaire. Rappelons que la consigne donnée aux EA était de revenir sur l’activité et d’échanger sur les pratiques évaluatives, particulièrement, celles liées à l’interaction avec les élèves. Or, pour deux EA, elles priorisent la gestion de classe sans revenir à d’autres éléments essentiels qui pourraient justifier une certaine perte de contrôle du groupe d’élèves. Par exemple, si les cibles d’apprentissage ne sont pas claires, si l’activité n’est pas structurée autour de ces cibles, si la stagiaire ne repère pas les signes d’incompréhension des élèves ou l’inverse, des signes que tout est déjà bien intégré, il se pourrait que les élèves se désorganisent pour des raisons d’ennui ou de découragement. Ce constat, bien qu’établi à partir de peu d’enseignants, révèle quand même un questionnement sur l’importance donnée aux processus entourant l’évaluation des apprentissages durant les stages. Néanmoins, un constat intéressant est de voir que les EA qui s’inscrivent dans un accompagnement dialogique favorisent plus facilement le développement de la compétence à évaluer et, probablement, d’autres compétences plus complexes. Le dialogue permet d’articuler différents savoirs, autant ceux du stagiaire que ceux de l’EA et, possiblement, à réorienter l’échange sur la planification et l’évaluation plutôt que sur ce qui ne figurait pas dans l’activité présentée.

Au terme de cette recherche, il est intéressant de constater que l’entretien d’autoconfrontation a aussi été formateur pour les EA. Mise à part EA2 qui n’a pas modifié sa logique d’accompagnement durant le stage, on a constaté que plus les autres EA connaissaient la stagiaire, plus l’accompagnement devenait dialogique. Un des points de bascule a été le premier entretien d’autoconfrontation croisée. Lorsque les EA ont pris connaissance de l’approche d’EA1, elles ont eu une révélation. Elles se sont rendu compte qu’il n’était pas nécessaire de toujours guider la stagiaire en donnant sa façon de faire. Toutefois, le fait de questionner la stagiaire sur ses intentions, ses stratégies et les résultats obtenus a permis de faire réfléchir la stagiaire et de la rendre autonome plus rapidement. Ces données émergentes n’étaient pas l’objet de la recherche, mais méritent d’être soulevées. Le fait de proposer aux EA de se regarder aller collectivement les a amenées à effectuer plusieurs prises de conscience sur la façon dont elles accompagnaient leurs stagiaires et sur leur façon de considérer un stage. Il y a donc là une piste de réflexion sur la mise en place de dispositifs qui permettraient à des EA d’échanger sur la façon d’accompagner un stagiaire, de voir d’autres pratiques d’accompagnement, de confronter leurs pratiques, etc. Cela aurait certainement un impact intéressant sur la formation de nos stagiaires et sur le développement de leurs compétences professionnelles.