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Problématique

La formation initiale à l’enseignement a pour but de favoriser le développement des compétences professionnelles des futurs enseignants (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001). Au Québec, les baccalauréats en enseignement requièrent un minimum de 700h de formation pratique dans les milieux scolaires primaires ou secondaires. Tous les étudiants en formation initiale doivent suivre des cours théoriques liés à la didactique, à la psychopédagogie et aux fondements de l’éducation, tout en étant mis en contact avec différents milieux scolaires, au fil de quatre stages répartis de manière progressive au cours du cheminement. Cette formation se donne généralement en alternance entre le milieu universitaire et le milieu scolaire. Cette logique d’alternance implique des temps d’apprentissage successifs dans les deux milieux (Vanhulle et al., 2007). Les stages en enseignement permettent ainsi d’observer des pratiques d’enseignement et de tisser des liens entre ces pratiques et les cours théoriques suivis à l’université (Hennissen et al., 2017). En effet, on s’attend à ce que les savoirs acquis et les compétences développées à l’université deviennent significatifs lorsqu’ils sont mis en oeuvre dans la salle de classe. De plus, la formation devrait permettre à l’étudiant de réinvestir les apprentissages réalisés en contexte de stage dans ses cours à l’université pour que les liens se réalisent de manière bidirectionnelle et que l’étudiant perçoive l’importance de la théorie acquise à l’université et puisse la faire dialoguer avec la pratique. Or, plusieurs études montrent que les stagiaires font relativement peu de liens entre la théorie et la pratique (T-P) dans le contexte de leurs stages (Gervais et Leroux, 2011 ; Gouin et al., 2018). Par « liens T-P », nous entendons le recours à des savoirs théoriques pour comprendre, expliquer ou guider la pratique, ou inversement.

D’aucuns soutiennent aussi que l’articulation T-P représente un exercice complexe pour les étudiants (Hennissen et al., 2017) et qu’ils ont besoin d’aide pour y arriver (Buchanan, 2020). Il importe dès lors d’accompagner le processus d’apprentissage professionnel lié à l’alternance pour faciliter le processus de transfert. Cette tâche, demandant d’articuler les connaissances issues des milieux scolaires et universitaires, nécessite du soutien de la part des formateurs (Buchanan, 2020 ; Desbiens et al., 2012). L’accompagnement et la médiation d’un tiers peuvent alors aider à faciliter l’explicitation de la pratique professionnelle et rendre possible l’apprentissage professionnel (Korthagen et al., 2006). Pour ce faire, un travail réflexif s’impose et peut être proposé par les formateurs, mais peut aussi s’opérationnaliser par le biais de modalités spécifiques comme l’incident critique, que nous détaillerons plus loin. Par ailleurs, le soutien de cette articulation et de la pratique réflexive en formation passerait, selon Gouin et al. (2018), par une meilleure compréhension des sources de savoirs[2] auxquelles les stagiaires ont accès ou qui leur semblent légitimes. En outre, il importera pour le formateur d’identifier les types de savoirs que sollicite ou néglige la personne en apprentissage (De Simone, 2019). En outre, Sjølie (2014) note que les étudiants accorderaient une plus grande importance à l’expérience pratique et à la théorie d’ordre pratique (practical theories), soit « les théories qui visent à modifier ou prescrire la pratique » (Traduction libre, p. 732), en mettant souvent de côté les savoirs et les compétences rencontrés à l’université et en privilégiant les savoirs d’expérience sollicités durant leurs stages. Cette valorisation de la théorie pratique, appelée aussi « connaissance issue de l’action » (Caron, 2019), est également souvent invoquée par l’enseignant associé, formateur de première ligne lors des stages. L’une des compétences attendues des superviseurs universitaires est d’agir comme médiateur et « d’établir et faire établir par le stagiaire des liens entre les savoirs formels et les savoirs expérientiels » (Portelance et al., 2008, p. 12). Cette tâche n’est pourtant pas toujours évidente à effectuer puisque les formateurs (les superviseurs, mais aussi les enseignants associés) ne sont pas toujours au fait des apprentissages réalisés dans les cours à l’université. Force est ainsi de constater que l’articulation concrète des éléments de la formation théorique à ceux de la formation pratique est difficile à établir, tout comme le réinvestissement des apprentissages réalisés en stage à l’intérieur des cours à l’université. Afin de mieux comprendre et de pouvoir décrire la nature des liens T-P établis dans les travaux des étudiants, nous proposons dans cet article une catégorisation de liens T-P selon les sources et les types de savoirs mobilisés.

Mise en contexte

Le département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) a implanté une nouvelle modalité de stages étalés en blocs en 2016, visant notamment une alternance plus intégrative entre la formation en milieu universitaire et en milieu de pratique. Concrètement, l’étudiant suit des cours théoriques de manière intensive sur quelques semaines. Il réalise ensuite une semaine d’observation des élèves et des pratiques enseignantes dans son milieu de stage. Nourri de cette expérience nouvelle, il revient en salle de classe, où il peut discuter de ses observations et les réinvestir, tout en amorçant la préparation de son stage. Par la suite, il part en milieu de stage, où il met en oeuvre des pratiques articulant les observations en milieu de stage et les savoirs acquis dans ses cours théoriques. Finalement, l’étudiant revient en salle de classe universitaire pour dresser un bilan de ce qu’il a vécu, discuter des tensions expérimentées entre théorie et pratique, puis tisser des liens entre savoirs expérientiels et théoriques. Ce scénario correspond au plan imaginé par l’équipe pédagogique des stages en éducation de l’UQO, basé sur les principes de Korthagen et al. (2006). Une question se posait alors : considérant ses intentions sous-jacentes, cette modalité de stage amène-t-elle réellement les étudiants à établir les liens attendus entre la théorie et la pratique ?

En 2016-2017, une évaluation de cette nouvelle modalité de stage révélait que, selon les divers acteurs impliqués, plus de liens T-P qu’avant étaient réalisés (Leroux et al., accepté). Mais qu’en est-il de la nature de ces liens ? Pour répondre à cette question, nous avons ciblé un travail exigé de l’étudiant lors de chacun des quatre stages, soit l’« incident critique » (Brookfield, 1995 ; Leroux et Theorêt, 2011). Ce travail récurrent demande à l’étudiant d’élaborer un retour descriptif puis analytique sur des situations significatives, qu’elles soient problématiques ou non, vécues durant le stage[3]. Il permet entre autres au stagiaire d’établir des liens entre la théorie et la pratique. C’est une occasion pour ce dernier, guidé par l’enseignant associé et le superviseur, de s’interroger sur certains aspects de la profession et de tisser des liens entre les savoirs acquis et les compétences développées à l’université, puis dans le milieu scolaire (primaire ou secondaire). L’incident critique est donc la trace écrite d’une pratique réflexive menant à la construction de savoirs professionnels par l’intégration de savoirs de référence aux savoirs d’expérience (Gouin et al., 2018), que Buysse (2011) nomme l’articulation théorie-pratique.

Or, à l’instar des travaux de Gouin et ses collègues (2018), nous avons jugé important de brosser un portrait qualitatif des liens T-P établis dans les incidents critiques, afin de mieux soutenir la formation initiale en enseignement et de favoriser un accompagnement plus ciblé des stagiaires. Cette articulation sera d’autant mieux soutenue par les formateurs s’ils comprennent et connaissent quels peuvent être les sources ou les types de savoirs auxquels les étudiants peuvent avoir recours.

Cadre conceptuel

Certains auteurs ont classifié les savoirs mobilisés par les étudiants en formation initiale à l’enseignement et les liens qu’ils tissent en cours de formation théorique et pratique. Ici, il sera question de deux angles d’analyse des savoirs mobilisés que nous avons choisi de mettre en dialogue : la source et le type des savoirs sur la base desquels l’étudiant élabore des liens T-P dans ses incidents critiques.

Sources de savoirs

Les savoirs peuvent, entre autres, être classifiés selon leur provenance. Ainsi, reprenant la typologie de Gouin et ses collègues (2018), se basant essentiellement sur Buysse (2011), de même que sur les apports de Vanhulle (2009 ; 2013 ; 2015) présentés par De Simone (2019), les sources de savoirs peuvent être de nature scientifique, académique, prescriptive, pratique, ou encore non scientifique. Les savoirs scientifiques, souvent enseignés dans les cours universitaires, sont présentés aux étudiants comme des références directes à des données scientifiques, fondées sur une littérature produite par des chercheurs. Il s’agit d’une littérature spécialisée. Les savoirs académiques représentent des apports théoriques associés à des concepts provenant de la recherche, mais font l’objet d’une transposition didactique à l’université. Il s’agit, par exemple, d’un concept comme celui de la zone proximale de développement. Les savoirs prescriptifs sont issus des directives du gouvernement et représentent des orientations pour agir selon les attentes de la société et de l’institution. Notons, par exemple, les savoirs prescrits par le Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2006), la Politique de l’adaptation scolaire (MEQ, 1999) ou la Progression des apprentissages (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2009). Quant aux savoirs issus de la pratique, ils proviennent quant à eux le plus souvent d’échanges avec les enseignants associés et les superviseurs. Ils désignent la réalité de la classe et sont formalisés par les acteurs de terrain, voire parfois par les acteurs des institutions de formation. Enfin, les savoirs de vulgarisation (ou de nature non scientifique) proposent des pistes concrètes, des méthodes ou des outils. Ils sont issus d’ouvrages de nature non scientifique, comme des manuels scolaires, des articles de presse ou des sites internet pour les enseignants. Ainsi, lorsque le stagiaire tisse un lien T-P, ce dernier prend généralement assise sur une de ces cinq sources de savoirs.

Types de savoirs

D’aucuns s’intéressent également aux types de savoirs mobilisés en contexte de formation initiale à l’enseignement (De Simone, 2019 ; Hofstetter et Schneuwly, 2009 ; Shulman, 1987). Nous reprenons ici la typologie de Shulman (1987), considérée comme influente dans notre contexte et ayant inspiré plusieurs auteurs qui ont récemment étudié la question des types de savoirs. Le stagiaire doit d’une part maîtriser les savoirs qu’il veut enseigner à ses élèves, soit les savoirs issus des disciplines scolaires. Parmi ces savoirs directement liés aux disciplines figurent la connaissance des contenus disciplinaires (c’est-à-dire le contenu scolaire), mais aussi le savoir pédagogique du contenu, faisant référence aux savoirs d’ordre didactique liés à la matière d’enseignement (Shulman, 1987).

D’autre part, la stagiaire doit connaître des savoirs pédagogico-didactiques sur la manière d’enseigner ces savoirs scolaires, renvoyant au « comment » enseigner. Pour ce faire, le stagiaire acquiert des savoirs axés sur le contenu des programmes d’enseignement, c’est-à-dire le savoir sur le curriculum. Concernant les apprenants, il s’agit de connaître les élèves et leurs caractéristiques (y compris la psychologie du développement, le comportement et les mécanismes d’apprentissage de l’élève, etc.). Or, les savoirs que doit posséder le stagiaire ne s’arrêtent pas là. Le contexte dans lequel l’enseignant met en place ses savoirs scolaires, pédagogiques et les savoirs de l’apprenant sont importants. Ainsi, le stagiaire doit accéder à des savoirs liés aux contextes éducatifs. En d’autres mots, il doit connaître la culture scolaire en général, celle de son école, la hiérarchie et ses enjeux, les modes de communication, etc. Ces savoirs sont directement liés aux contextes institutionnels et à la culture organisationnelle des enseignants. Le stagiaire peut aussi faire des liens avec les savoirs portant sur les finalités éducatives, les valeurs, l’histoire et la philosophie de l’éducation. Il s’agit de savoirs associés au contexte plus général de l’éducation. Enfin, il y a le savoir propre à la profession rassemblant les savoirs pédagogiques généraux, comme ceux liés à la motivation et la gestion de classe.

Chacun de ces sept types de savoirs peut avoir une source différente. Le stagiaire peut aussi solliciter deux savoirs de types différents provenant d’une même source. Par exemple, un savoir scolaire peut avoir été enseigné à l’université en prenant appui sur des savoirs scientifiques ou encore avoir été acquis en s’appropriant un référentiel comme le programme de formation.

Dans le cadre du présent article, il sera question de décrire la nature des liens T-P convoqués par les stagiaires dans leurs incidents critiques, en dégageant des catégories articulant à la fois les types et les sources de savoirs, ce qui à notre connaissance n’a pas encore été réalisé.

Méthodologie

Par une approche qualitative de type exploratoire (Savoie-Zajc, 2011), nous avons collecté les écrits (n=64) de treize étudiants volontaires du baccalauréat en enseignement à l’UQO (cinq étudiants de 4e année, six étudiants de 3e année et deux étudiants de 2e année), issus de divers programmes (adaptation scolaire, préscolaire-primaire et secondaire). En mars 2020, nous avons invité les étudiants de la 2e à la 4e année des programmes susmentionnés à acheminer les incidents critiques déjà survenus au cours des stages antérieurs.

Une analyse thématique de contenu (Paillé et Mucchielli, 2012) a permis de relever 104 liens T-P visibles dans les travaux. Notre analyse se base sur une grille de codage construite selon les différents types et sources des savoirs préalablement présentés. Il s’agit donc d’une catégorisation préétablie en fonction des éléments du cadre conceptuel. Les tableaux 1 et 2 présentent d’une part les principales catégories de sources de savoirs et, d’autre part, les principales catégories de types de savoirs avec lesquelles les unités de sens ont été traitées. Celles-ci constituent soit une phrase soit plusieurs phrases ou paragraphes. Les unités représentent une même idée.

Tableau 1

Principales catégories de sources de savoirs : descriptions et exemples

Principales catégories de sources de savoirs : descriptions et exemples

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Tableau 2

Principales catégories de types de savoirs : descriptions et exemples

Principales catégories de types de savoirs : descriptions et exemples

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Chacun des incidents critiques a été codé et contrecodé (taux d’accord interjuge : 92 %). Les liens T-P ont été considérés seulement lorsqu’une modalité énonciative (Daunay et Descambre, 2016) était utilisée par les personnes stagiaires, que ce soit par une citation (citation avec guillemets ou reformulation), une évocation (attribution globale d’un objet de savoir à un auteur ou à un courant théorique sans explication du courant ou des propos de l’auteur) ou une reformulation (reformulation des propos de l’auteur).

Par exemple, un stagiaire a ici recours à la reformulation, en se basant sur de la documentation académique et plus précisément un ouvrage didactique universitaire, pour donner du sens à ce qu’il a observé de la pratique de son enseignante associée : « Lors de l’intervention, l’enseignante a d’abord pris le temps d’écouter les élèves, puis elle a annoncé clairement ses attentes. Cette dernière stratégie fait partie des conditions d’une gestion de classe efficace » (Archambault et Chouinard, 2005). L’énoncé a été catégorisé comme une référence à un savoir de source académique, en raison de la nature de l’ouvrage cité. Ce savoir, renvoyant à des connaissances issues de la recherche, a été discriminé, car l’étudiant convoque un contenu de cours de sa formation.

Ensuite, l’analyse thématique de contenu a été réalisée afin de faire ressortir les relations type-source de savoir[4].

Résultats

Les résultats présentés ici font état des caractéristiques catégorielles des liens T-P apparaissant le plus souvent dans les travaux des étudiants, selon les combinaisons « source et type de savoirs » les plus souvent rencontrées dans les liens établis par les étudiants lors de l’écriture de leurs incidents critiques.

Toutefois, avant d’entrer plus spécifiquement dans l’exploration de ces catégories, précisons d’emblée quelques résultats plus généraux. D’abord, la figure 1 illustre la répartition des sources de savoirs au sein des liens T-P. Il est possible de constater qu’une large part des savoirs mobilisés par les étudiants dans l’établissement des liens avec la pratique s’avèrent être des savoirs académiques (84 %). Quelques savoirs sollicités pour établir leurs liens sont prescriptifs (8 %), scientifiques (5 %) et de vulgarisation (3 %). Aucun lien de source pratique n’a pu être identifié dans les incidents critiques rédigés par les étudiants participants.

Figure 1

Répartition des sources de savoirs

Répartition des sources de savoirs

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La figure 2 illustre, pour sa part, la répartition des types de savoirs. Il est donc possible de constater que la grande majorité des liens établis, soit 65 %, reposent sur des savoirs propres à la profession. Par ailleurs, 22 % des savoirs sont liés aux apprenants. Peu de savoirs mobilisés sont liés à la connaissance des contenus disciplinaires (4 %), au curriculum (4 %), à l’ordre pédagogique associé au contenu (3 %), aux contextes éducatifs (1 %) ou aux finalités éducatives (1 %).

Figure 2

Répartition des types de savoirs

Répartition des types de savoirs

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Maintenant, il est possible de faire ressortir des catégories de liens T-P en fonction des sources et des types de savoirs identifiés avec prévalence. La figure 3 présente les catégories de liens ainsi composées. Nous avons ici retenu seulement les catégories qui apparaissent dans au moins quatre liens identifiés dans les incidents critiques (n = 104).

Figure 3

Catégories prévalentes de liens T-P

Catégories prévalentes de liens T-P

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Catégorie 1 - Savoirs académiques propres à la profession

Les savoirs de source académique propres à la profession, et donc liés aux savoirs pédagogiques généraux, sont les plus récurrents (60 %). Il s’agit de liens T-P prenant assise sur des sources provenant de la documentation académique pour démontrer sa compréhension d’une pratique ou la justifier. Par exemple dans l’extrait suivant, le savoir issu d’un ouvrage théorique universitaire vient étiqueter a posteriori l’observation effectuée par le stagiaire à l’égard de la pratique de son enseignante associée : « Lors de l’intervention, l’enseignante a d’abord pris le temps d’écouter les élèves, puis elle a annoncé clairement ses attentes. Cette dernière stratégie fait partie des conditions d’une gestion de classe efficace » (Archambault et Chouinard, 2005). (IC 2.1.1)

Il convient de remarquer que, pour la très grande majorité des liens T-P associés à cette catégorie, sauf rare exception, il est question de gestion des comportements ou de la classe. En effet, la gestion des comportements perturbateurs, des transitions et des crises se retrouve fort représentée comme l’illustre cet extrait : « Suite à mon intervention, le cours suivant s’est bien déroulé avec cet élève et avec la classe. À l’avenir, il faudra que mes attentes soient définies clairement et qu’elles soient constantes et cohérentes afin d’établir un climat sécurisant et prévenir les problèmes qui pourraient arriver » (Mayer, 2001). (IC 7.5.3)

Nous avons recensé deux liens T-P dans la présente catégorie qui avaient pour objet la didactique et qui n’étaient donc pas en lien avec la gestion de la classe ou de comportements. L’extrait qui suit est une représentation de ce type de lien, plutôt rare dans cette catégorie : « Finalement, cette activité est inspirée de l’approche des « orthographes approchées » (Montesinos-Gelet et Morin, n.d.). J’ai été bien heureuse de découvrir cette approche qui favorise la motivation des élèves puisqu’elle limite la reconnaissance sociale des « fautes » et permet plutôt un apprentissage en commun des orthographes. » (IC 12.1.3)

Il importe de préciser, de manière générale pour cette catégorie, que les auteurs auxquels les étudiants réfèrent ne sont pas toujours clairement identifiés. En effet, dans plusieurs cas, l’étudiant réfère plutôt à un cours, sans référer de manière précise à l’auteur dont les travaux ont été abordés. Le prochain extrait illustre cette façon de faire : « Dans le cadre du cours Introduction à l’adaptation scolaire et sociale, nous avons également abordé l’importance d’intervenir rapidement auprès des élèves dits « à risque » afin de déterminer les mesures préventives à leur offrir, et ce, dès le préscolaire. » (IC 11.4.2)

Catégorie 2- Savoirs académiques concernant les apprenants

Par définition, les savoirs de source académique sont des savoirs évoqués à l’université et qui proviennent de la littérature scientifique. Dans 25 % des 104 liens T-P recensés, les types de savoirs mobilisés dans cette catégorie de liens sont liés aux apprenants. Ainsi, l’analyse a permis de faire ressortir que les stagiaires utilisent les liens T-P de cette catégorie pour normaliser, soit expliquer, une situation vécue en salle de classe. Par exemple, dans l’extrait qui suit, le stagiaire nomme que tout se passe bien, parce que les élèves le connaissent. Ensuite, il greffe une citation issue d’un cours, afin de justifier sa perception :

Tout s’est bien passé, et ce, dû au fait que les élèves me connaissaient depuis maintenant quelques jours et au fait qu’ils étaient contents qu’il n’y ait pas juste une remplaçante dans la classe. À vrai dire, les élèves ne semblent pas apprécier les remplaçants. Comme je l’ai appris dans mon cours de développement de l’enfant, les élèves développent un attachement avec leur enseignant et ce lien précieux leur permet de bien fonctionner.

IC 8.3.1

L’analyse des liens T-P permet également de faire ressortir que l’habileté à utiliser la source académique est très variable d’un stagiaire à l’autre. En effet, dans plusieurs liens T-P, les stagiaires évoquent un auteur qui a globalement traité du concept dont il est question. Toutefois, le stagiaire ne tisse pas de lien précis pour autant et réalise surtout un appel à l’autorité. Par exemple, dans l’extrait qui suit, outre le fait que l’auteure traite de la régulation des émotions, l’évocation ne semble pas nécessaire puisqu’on ne voit pas de réel lien entre ce que le stagiaire veut exprimer et une idée précise formulée par l’auteure. Il est possible de supposer que Gueguen (2015) parle de la régulation des émotions, mais quel lien voulait ici établir le stagiaire relativement à ce processus de régulation ? À quoi renvoie la pensée de l’auteure ? Est-ce dans le but de mieux comprendre l’apprenant que le stagiaire a écrit ceci ? Le lien T-P ne semble pas tout à fait abouti en ce sens et l’évocation ne donne pas lieu à une réflexion explicitement formulée : « Dès le début de mon stage, j’ai observé que la jeune fille est une élève sympathique, très sensible et attachante, mais qu’elle a beaucoup de difficulté à réguler ses émotions (Gueguen, 2015 p. 54). » (IC 10.2.1)

En comparaison avec le lien précédent, le prochain extrait montre mieux l’établissement d’un lien T-P académique tourné vers la compréhension de l’apprenant. On voit ici que le stagiaire a intégré l’information donnée par l’auteur, au sujet de la construction de l’estime de soi, et ce que cela implique en matière d’actions à poser pour soutenir cette construction :

Sachant que le développement de l’estime de soi est en construction à l’âge de six ans, il importe de permettre à l’enfant de développer son sentiment de compétence à travers des activités qui le valorisent et lui font vivre des réussites, ou encore, limitent le sentiment d’échec et favorisent la reconnaissance que tout le monde fait des erreurs (Paquette, 2018).

IC 12.1.2

Dans le reste de l’incident critique et les lignes entourant l’extrait en question, il est possible de constater que le stagiaire tisse un lien entre les propos de l’auteur, ses pratiques de stagiaire en salle de classe et la compréhension qu’il s’en fait.

Catégorie 3- Savoirs scientifiques propres à la profession

Cette troisième catégorie de liens T-P concerne cette fois les savoirs propres à la profession, mais qui proviennent de sources de nature scientifique. Ces savoirs sont donc puisés directement à même des documents scientifiques (articles et ouvrages scientifiques) et mettent en relief des types de savoirs qui sont propres à la profession enseignante. Seulement six liens T-P se retrouvent dans cette catégorie (6 %). Les deux liens présentés ci-dessous sont des exemples associés à cette catégorie. Ainsi, les stagiaires expliquent ou donnent du sens à leurs gestes professionnels ou à leur réflexion sur la pratique en s’appuyant sur une assise scientifique.

Après quelques recherches, j’ai compris que si je n’étais pas en mesure d’identifier ce que j’avais fait de positif après mon activité, c’était parce que « l’influence négative de l’anxiété cognitive est généralement expliquée par le détournement de l’attention qu’elle induit » (Delignières, 1993).

IC 2.2.2

Selon une étude d’Avner Ziv faite en 1979, le fait d’avoir de l’humour et de savoir rire en salle de classe permettrait de diminuer la distance psychologique entre le professeur et l’élève, de mettre en place une atmosphère plus agréable, de rendre l’apprentissage plus facile pour les élèves et d’avoir une perception plus positive de l’enseignant et de son rôle. (IC 7.1.2)

Il convient toutefois de préciser que, pour la moitié des liens T-P recensés dans cette catégorie, les assises étaient plutôt anciennes, puisqu’elles datent de plus d’une vingtaine d’années.

Catégorie 4- Savoirs prescriptifs sur le curriculum

Après les savoirs de sources académiques ou scientifiques, on retrouve les savoirs de nature prescriptive. La théorie convoquée peut alors être raccordée à des savoirs sur le curriculum, donc axée sur le contenu des programmes d’enseignement.

Cette catégorie est peu représentée puisque seulement 5 % des liens T-P constituant nos catégories s’y retrouvent. Il est ici question de référence aux documents ministériels encadrant l’enseignement et l’apprentissage, et plus spécifiquement le référentiel des compétences professionnelles.

Voici un exemple de lien fait par un stagiaire :

Bien que cette situation soit désagréable, elle m’a permis de pratiquer la compétence « Planifier, organiser et superviser le mode de fonctionnement du groupe- classe en vue de favoriser l’apprentissage et la socialisation des élèves » et la composante « Communiquer aux élèves des exigences claires au sujet des comportements scolaires et sociaux appropriés et s’assurer qu’ils s’y conforment » (MEQ, 2001).

IC 1.3.1

À l’intérieur de cette catégorie, les références peuvent être floues et semblent constituer un rappel spontané du stagiaire. Dans l’extrait qui suit, le stagiaire ne fait pas clairement référence à la compétence 1 du programme du préscolaire (agir avec efficacité dans différents contextes sur le plan sensoriel et moteur) puisqu’il n’en fait pas mention explicitement :

« Ensuite, les activités de motricité font partie des compétences à atteindre pour le préscolaire et répondent au besoin de l’enfant de bouger, mais il faut s’attarder davantage à la « psychomotricité ». » (IC 12.2.2)

Dans le cas de cet extrait, la source n’est pas tout à fait claire et des questions peuvent ici émerger. Le stagiaire s’est-il approprié le programme et en a-t-il tout de même une bonne compréhension bien qu’il n’en fasse pas explicitement mention ? Est-ce qu’il se fie à un souvenir de ce qu’il a lu dans le passé ?

Catégorie 5- Savoirs académiques liés à la connaissance des contenus disciplinaires

Au sein de cette catégorie, il est souvent question des connaissances acquises dans les cours de didactique. Seulement 4 % des liens T-P en font partie. Les stagiaires puisent les savoirs liés aux contenus disciplinaires dans leurs cours universitaires. Il semble donc que leur formation initiale à l’enseignement leur procure un bagage utile en lien avec les contenus à enseigner et non pas uniquement sur les manières d’enseigner. L’extrait qui suit en est une bonne illustration :

J’ai décidé de mettre en pratique une idée mise de l’avant dans mes cours par mon enseignante de didactique, soit une production initiale. Dans le contexte du slam, la production initiale consiste d’abord à relever les caractéristiques du genre selon ce que les élèves savent ou pensent connaître. Puis, je dois demander à un élève de venir à l’avant et de lire un texte tout en tenant compte des éléments mentionnés lors de l’activation des connaissances [antérieures].

IC 7.3.1

Dans cet extrait, le stagiaire mobilise un savoir de type académique au sujet d’un contenu scolaire en particulier, soit la production initiale. Dans la première partie de cet extrait, le stagiaire mentionne une pratique indiquée dans ses cours universitaires, donc de source académique. Ce savoir semble donner une orientation à sa pratique. Puis, dans la seconde partie de l’extrait, le savoir permet plutôt de contextualiser la situation vécue.

Discussion

Rappelons que nous avons pu mettre de l’avant la récurrence de la mobilisation de certains savoirs (selon leurs sources et leurs types) dans les liens T-P réalisés par les étudiants, de même que la prévalence de certaines catégories de savoirs par rapport à d’autres.

Notons pour commencer l’importance des liens établis avec les savoirs propres à la profession, soit des savoirs rassemblant les savoirs pédagogiques généraux, comme ceux liés à la motivation et la gestion de classe. Cela peut éventuellement s’expliquer par la compréhension qu’ont les étudiants de ce qu’est un « incident », dont la connotation négative peut amener certains stagiaires à révéler une situation s’étant mal déroulée en classe. A contrario, la quasi-absence des savoirs scientifiques révèle, pour sa part, une fracture importante dans les sources de savoirs considérées par les étudiants et la valeur qu’ils y accordent ou de la compréhension qu’ils en ont. Ce résultat corrobore ce que Gouin et al. (2018), à l’issue de l’analyse des savoirs mobilisés par les étudiants dans différents travaux universitaires visant l’articulation T-P entre le stage et les cours, ont pu mettre de l’avant, à savoir la faible présence des savoirs scientifiques. Ce résultat rappelle également l’image de la profession enseignante au sein de laquelle les concepts scientifiques sont peu utilisés pour fonder la pratique (Gervais et Leroux, 2011). En outre, même si nos résultats indiquent qu’il y a prévalence de savoirs académiques, ceux-ci restent relativement peu explicités. Cette prévalence est peut-être liée au fait que le travail est évalué par un enseignant à l’université (le superviseur) — représentant le milieu de formation théorique — et non par l’enseignant associé, lequel serait par définition plutôt orienté vers la pratique. Par ailleurs, et de manière générale, les auteurs auxquels les étudiants réfèrent pour élaborer leurs liens ne sont pas toujours nommés. Il s’agit donc peut-être d’une première étape dans l’élaboration de liens T-P et, comme formateurs, il serait possible de miser là-dessus pour mener plus loin nos étudiants. Nous pouvons aussi interroger la modalité choisie qu’est l’incident critique, de même que les sujets abordés par ceux-ci. Si nous avions analysé les travaux réflexifs post-leçons (portant sur les activités planifiées et pilotées), nous aurions peut-être obtenu d’autres résultats.

Par ailleurs, il est surprenant de constater qu’en contexte de stage, les savoirs issus de la pratique et les savoirs de vulgarisation ne soient pas (ou très peu) présents dans l’analyse des liens T-P. Cette observation interroge la perception qu’ont les stagiaires de ce qu’est un lien T-P et des sources jugées pertinentes pour les élaborer. Le milieu universitaire est-il ouvert à ce type de sources ? Et, les consignes relatives à la rédaction des incidents critiques auraient-elles une influence dans l’élaboration des liens ? Ces questions méritent qu’on y prête attention. De plus, ce type de savoirs est peut-être directement intégré sans faire l’objet de droits d’auteur. À l’instar des travaux de Hennissen et al. (2017), le tissage de liens T-P doit se faire autant depuis des sources scientifiques qu’académiques et professionnelles. Il pourrait s’avérer utile de revoir la façon dont est présentée aux stagiaires une « bonne source » pour établir un lien T-P et de valoriser les savoirs pratiques ou de vulgarisation, issus par exemple de discussions avec leurs enseignants associés ou leurs superviseurs ou provenant de revues ou de sites professionnels.

Dans un même ordre d’idées et au regard des types de savoirs convoqués, l’analyse permet de constater que très peu de liens sont réalisés sur la base de savoirs à enseigner. Nous voyons apparaître très peu de liens avec des savoirs liés à la connaissance des contenus disciplinaires ou encore des savoirs pédagogiques liés au contenu. Or, dans un stage en enseignement, le stagiaire devrait maîtriser les savoirs qu’il veut enseigner à ses élèves, y compris ceux faisant référence aux savoirs pédagogiques en lien avec la matière d’enseignement ou encore ceux relatifs à la connaissance des contenus scolaires (De Simone, 2019 ; Hofstetter et Schneuwly, 2009 ; Shulman, 1987). Il semble que les stagiaires sont ainsi davantage habiles à réaliser une articulation théorie-pratique avec des savoirs pour enseigner qu’avec des savoirs à enseigner.

Comme nous l’avons mentionné, les types de savoirs sont pour la très grande majorité tournés vers la gestion des comportements et la gestion de la classe, mettant de côté les savoirs de nature didactique. Cette représentation vient à l’encontre des observations réalisées par Gervais et Leroux (2011) sur la place des savoirs théoriques dans le discours d’étudiants lors des stages de la deuxième à la quatrième année de formation à l’enseignement secondaire. Il en ressortait notamment la place prépondérante des savoirs disciplinaires relatifs à la didactique et au contenu. Cependant, dans le cas précis de cette étude, l’analyse était réalisée a posteriori, à partir de situations de classe enregistrées par vidéoscopie. De plus, les aspects didactiques sont possiblement davantage abordés dans ce type de travail. Quant à l’importance accordée à la gestion de classe, celle-ci pose question relativement aux objets de savoirs priorisés en formation, mais aussi quant au rapport des étudiants avec les savoirs à enseigner. Est-ce révélateur d’une certaine conception de l’enseignement chez les stagiaires ?

Ensuite, cette observation relative à la place de la gestion de classe donne peut-être une indication sur la nature des rétroactions reçues de la part des enseignants associés et des superviseurs. Ceux-ci prioriseraient une assistance sur la tâche, à l’instar de ce qu’observent Hennissen et al. (2011), au lieu d’un soutien sur le plan didactique ou émotionnel, par exemple. Cela soulève la question de la formation des formateurs de stagiaires. Ces derniers accompagnent encore souvent sur la base de leur expérience personnelle s’ils en ont ou encore de façon intuitive, et pas nécessairement en fonction de la formation initiale ou de l’avancée des connaissances en recherche (Colognesi et al., 2018). Or, pour amener les stagiaires à réinvestir ce qu’ils ont vu en formation dans leur pratique et à appuyer leur agir professionnel sur des choix fondés, leur encadrement requiert une formation théorique chez le formateur, basée sur des connaissances formelles spécialisées, de même que la mobilisation de repères scientifiques (Caron et Portelance, 2017 ; Colognesi et al., 2018). Ces habiletés nécessitent une posture d’accompagnement spécifique demandant de rallier la théorie aux situations vécues sur le terrain (Lamy, 2002), mais pour laquelle les formateurs se sentent peu formés (Van Nieuwenhoven et Colognesi, 2015).

Une des conséquences possibles d’un accompagnement orienté sur la tâche et ne faisant pas suffisamment appel à des connaissances issues de la recherche serait que la gestion de la classe vienne beaucoup préoccuper les stagiaires, devenant alors symptomatique de leur insécurité. Ces préoccupations centrées sur leur personne enseignante pourraient s’avérer plus importantes à ce stade de leur développement professionnel, avant d’autres aspects qui leur sont plus externes (les élèves, le curriculum, les finalités éducatives, etc.), comme c’est d’ailleurs le cas lors de l’insertion professionnelle (Durand, 1996). Peut-être aussi que les stagiaires se concentrent davantage sur ces aspects « visibles » de leur enseignement, car c’est souvent leur performance qui est évaluée (Buchanan, 2017). De Simone (2021) note à cet égard que les stagiaires manquent de repères pour déceler les éléments invisibles de l’enseignement et sous-jacents aux situations d’enseignement-apprentissage. Pourtant, l’apprentissage des élèves devrait constituer la focalisation principale du travail d’accompagnement.

Finalement, il est impossible de passer sous silence les difficultés qu’éprouvent les stagiaires à tisser des liens T-P qui témoignent d’une réflexion approfondie. Les liens sont souvent apposés à la suite de la description d’un comportement, sans pour autant que l’utilisation de la source soit explicite. Cette façon de faire laisse croire que la source n’est pas vraiment utile, mais sert seulement à montrer la présence d’un lien, sans en établir un entre la théorie et la pratique. De plus, les liens identifiés ne constituent pas toujours des apports justes ou adéquats. Autrement dit, l’étudiant peut parfois émettre une idée et apposer une référence de manière superficielle, alors que la convocation à la théorie reste vague. Les stagiaires cherchent-ils simplement à se conformer aux attentes afin de viser une bonne note (Maunier, 2015) pour la réussite de leur stage ? À ce sujet, Malo (2010) ou encore Paquay (2012) observent que le contexte formel de formation pratique, soit celui lié aux stages, génère souvent un effet de conformité. Les stagiaires se plient aux exigences et aux consignes sans véritable réflexion ou investissement dans la démarche de formation, pourtant voulue comme professionnalisante. Aussi, est-ce que les stagiaires comprennent la fonction de ces liens T-P ? Est-ce qu’ils en voient la valeur ? La question relative à la signifiance se pose alors.

Conclusion

L’objectif de ce texte était de décrire la nature des liens T-P élaborés par les étudiants dans l’écriture des incidents critiques, en donnant une indication particulière quant aux sources et aux types de savoirs sollicités. Nous y sommes parvenus, tout en proposant des catégories de liens T-P, ce qui représentait un angle encore peu exploré jusqu’ici. Nous demeurons en questionnement quant à la nature des textes considérés et des limites que celle-ci a pu engendrer dans l’analyse. Tous les liens T-P ont été retracés dans des incidents critiques rédigés dans le cadre des stages. Y aurait-il un effet lié au caractère formel induit par le passage à l’écrit ?

Nos analyses incluaient un regard sur les rôles pouvant être associés aux liens T-P, suivant les travaux de Sjølie (2014), ce qui aurait pu donner des indications intéressantes sur la fonction attribuée aux liens T-P par les étudiants, par exemple de prescrire la pratique ou de l’expliciter. Cependant, la nature des données disponibles (un travail écrit sans accès à une explicitation de la part de l’étudiant) représentait une limite à nos yeux, obligeant à faire trop d’inférences. Cet éclairage pourrait être apporté par l’entremise d’entretiens avec les étudiants. Un tel outil d’investigation offrirait également de préciser comment les liens se sont opérationnalisés dans le stage, à quelles conditions, quelles ont été les embuches ou les tensions rencontrées. Cela permettrait de savoir comment le savoir a été retraduit par le stagiaire, comment il se l’est approprié.

En outre, une analyse longitudinale selon les années de formation des stagiaires pourrait être menée (ce que notre échantillon limité ne nous a pas permis) de manière à faire apparaître l’éventuelle évolution des liens T-P. Cela donnerait des indices de la construction de leur compétence liée au développement professionnel, onzième compétence du référentiel des compétences professionnelles de la profession enseignante (MEQ, 2020), laquelle suppose le recours à la recherche scientifique et aux écrits professionnels en éducation pour éclairer sa pratique, notamment dans les travaux. Cet aspect viendrait outiller les formateurs de stagiaires sur les savoirs permettant d’étayer l’articulation T-P attendue, selon une gamme variée et étendue de savoirs nécessaires et complémentaires à l’exercice de la profession.

Finalement, si l’on veut que la formation offre davantage d’occasions de transfert des apprentissages (Presseau et Frenay, 2004) par le biais d’un meilleur maillage entre la théorie apprise à l’université et la pratique professionnelle, il conviendrait aussi de miser sur une complémentarité de dispositifs professionnalisants, en élargissant quelque peu l’éventail des modalités d’évaluation du stage. L’« incident critique » en est une, mais nous pouvons aussi penser à certains travaux comme les journaux professionnels (Gouin et al., 2018), des travaux d’intégration qui demandent par exemple de mener une réflexion sur les interventions posées en regard de la didactique de la discipline ou encore la contribution à des forums de coélaboration de connaissances (Scardamalia, 2004). L’analyse de cas ou encore les cercles pédagogiques peuvent aussi se révéler très puissants pour faire des étudiants de « bons tisserands », comme le soulignent d’ailleurs Leroux et al. (2019) et Leroux et Vivegnis (2019). Comme le notent les auteures, il serait préférable d’offrir des dispositifs pédagogiques complémentaires, dans le but d’« offrir une réponse variée au défi posé par l’articulation dynamique entre les différents types de savoirs pour tendre vers une alternance intégrative des plus significatives et pertinentes pour l’étudiant » (p. 65). Cependant, la mise en oeuvre de ces dispositifs et leur efficacité dépendront aussi de la manière d’accompagner le stagiaire et de la formation des acteurs pour ce faire, lesquelles méritent une attention toute particulière.