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Introduction

L’idée d’une école universitaire primaire (EUP) québécoise a pris naissance dans une volonté commune de construire davantage de ponts entre les connaissances issues de la recherche et les savoirs pratiques développés dans les milieux scolaires. Ces ponts ont pu être élaborés grâce à la participation de plusieurs personnes au fil de quelques années de réflexions et d’actions. Pour assurer la pérennité du projet d’EUP, une attention particulière à l’esprit de collaboration à instaurer entre les acteurs de l’éducation y oeuvrant, et ce, dès les premières années de sa mise en oeuvre, était nécessaire. Afin de les accompagner et de les outiller en ce sens, une recherche-action a été menée en 2018. Par le biais d’entretiens individuels et de groupe, cette recherche a permis d’explorer une démarche de développement de l’agir éthique des personnes intervenantes du milieu scolaire. Cet article brosse le tableau de l’expérience vécue. Dans un premier temps, une conseillère pédagogique du Centre de services scolaire des Affluents décrit la naissance et la mise en oeuvre du projet d’EUP à travers son regard comme membre du comité de pilotage. Dans un deuxième temps, la chercheuse et le chercheur responsables présentent la recherche-action réalisée. Dans un troisième et dernier temps, une enseignante de l’EUP témoigne des retombées principales qu’elle a perçues dans sa propre pratique, à l’issue de sa participation à cette recherche-action.

Une école universitaire primaire : genèse du projet

Depuis plusieurs années, le Centre de services scolaire des Affluents (CSSA)[1] a priorisé l’intégration des connaissances issues de la recherche dans les pratiques en éducation. Désirant faire un pas de plus dans cette direction, un comité de pilotage[2] a été mis en place en 2015. S’inspirant des hôpitaux universitaires, où les médecins agissent comme formateurs de la relève, ce comité avait pour but de réfléchir à la création d’une EUP sur le territoire du CSSA. En juin 2017, une entente-cadre de collaboration pour la mise en oeuvre d’une EUP a été établie entre le CSSA et l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Le choix du personnel enseignant affecté à cette école s’est effectué de la même façon que dans les autres milieux scolaires, c’est-à-dire en suivant les règles de la convention collective. Cependant, par souci de cohérence, le personnel enseignant intéressé par cette école avait l’obligation d’assister à une rencontre d’information pendant laquelle le profil professionnel en enseignement souhaité était présenté. Les personnes étaient invitées à prendre connaissance des différents aspects mis de l’avant dans ce profil et à autoévaluer la concordance avec leur propre profil d’enseignant(e).

Profil d’enseignant(e) souhaité pour oeuvrer à l’EUP (CSSA, 2016)

La personne :

  • a la volonté d’explorer une diversité de conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement, et ce, en cohérence avec la mission de l’EUP;

  • est ouverte au changement dans ses pratiques éducatives;

  • se questionne sur son agir professionnel et revoit ses pratiques d’enseignement dans un processus de formation continue.

Elle s’engage à :

  • travailler en équipe et à partager ses pratiques didactiques et psychopédagogiques;

  • participer à la formation de la relève enseignante;

  • collaborer avec les partenaires de l’UQTR dans la production de connaissances scientifiques (participation à des recherches);

  • utiliser des outils technologiques pour faciliter l’enseignement et l’apprentissage.

À cette même époque, le CSSA a reçu des fonds du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur pour construire une nouvelle école primaire en ville. Y voyant une belle opportunité de faire des choix structurels en lien avec ce projet de construction (comme l’aménagement de classes d’observation), le comité de pilotage a alors désigné officiellement cette nouvelle école comme étant la première EUP au Québec. Ainsi, des aménagements technologiques facilitant la recherche ont pu être réalisés dans certaines classes, comme la conception de corridors d’observation ou l’installation de caméras et de micros pour capter les séquences pédagogiques vécues. De plus, une clé des locaux a été remise au responsable de l’équipe de recherche afin de simplifier le travail de ses membres et leur permettre de cohabiter avec l’équipe-école, facilitant ainsi leur intégration.

L’EUP a donc ouvert ses portes en août 2017, mais deux défis de taille se sont présentés au personnel scolaire dès son arrivée. Premièrement, il a fallu s’adapter à un nouveau milieu pendant que se poursuivaient les travaux d’agrandissement de l’école. Deuxièmement, le personne devait s’approprier la dynamique que suppose une école universitaire, bien qu’elle fût encore à l’état embryonnaire. Il faut souligner qu’une EUP requiert d’effectuer plusieurs choix de projets de recherche en vue d’approfondir et de mobiliser les connaissances issues de la recherche, mais, surtout, que la participation à ces projets se fait tout en poursuivant les nombreuses tâches qui incombent au personnel scolaire.

Un projet aux couleurs de collaboration

Dans le cadre des travaux du comité de pilotage, la mission de l’EUP a été définie ainsi : mettre en relation des savoirs d’expérience et des savoirs scientifiques afin d’accélérer le transfert des meilleures pratiques pédagogiques et didactiques à utiliser pour la réussite éducative des élèves. Pour donner vie à ce projet, une collaboration tripartite a été instaurée entre le centre de services scolaire, l’école et l’université dans une volonté de coconstruction des savoirs.

L’école universitaire devient un milieu où se réalise la collaboration dont conviennent le CSSA et de l’UQTR pour permettre[3] :

  • aux élèves de développer leurs compétences et leur plein potentiel dans un environnement à la fine pointe des connaissances issues de la recherche;

  • aux enseignant(e)s de poursuivre leur développement professionnel dans un environnement propice à la collaboration avec le milieu universitaire;

  • aux étudiant(e)s en formation pratique d’expérimenter, notamment, des pratiques gagnantes dans un encadrement professionnel contrôlé;

  • aux chercheur(-euse)s de l’UQTR de lier savoirs scientifiques et savoirs d’expérience en collaborant avec l’équipe-école;

  • aux écoles du CSSA de bénéficier des retombées qui mettent en valeur les meilleures pratiques pédagogiques et didactiques à utiliser pour la réussite éducative de leurs élèves.

Les idées avancées par le comité de pilotage lors de la conception du projet d’EUP, ainsi que les énoncés inscrits dans les documents-cadres, mettent clairement en évidence l’esprit de collaboration souhaité entre toutes les personnes impliquées. Cette collaboration a principalement pour but d’optimiser le dialogue entre la recherche et la pratique.

Un projet marqué par le dialogue entre la recherche et la pratique

Dans une société où les savoirs sont en constante évolution, le monde de l’éducation doit lui aussi rester à l’affut des recherches récentes. Dès 2004, dans son Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation, le Conseil supérieur de l’éducation se réclamait du nécessaire dialogue entre la recherche et la pratique en éducation, qu’il présentait comme une clé pour la réussite éducative de tous les élèves. L’EUP s’inscrit manifestement dans cette perspective, car, en plus d’offrir un milieu de vie où les élèves peuvent apprendre et développer tout leur potentiel et leurs compétences, ce nouveau milieu doit aussi se révéler un lieu d’échanges pour les membres de l’équipe-école comme de l’équipe de recherche. Cette proximité des paliers universitaire et primaire à l’intérieur même des murs d’une école représente dès lors une approche innovante, où la mise en pratique des stratégies et modèles issus des recherches en sciences de l’éducation suscite non seulement l’intérêt du personnel enseignant, mais aussi de la relève qui évolue au sein de l’école. Par exemple, les stagiaires en enseignement peuvent observer leurs enseignant(e)s-associé(e)s par des moyens privilégiés comme les corridors d’observation et partager ainsi de manière réciproque différents savoirs pratiques et des connaissances issues de la recherche. En outre, l’EUP contribue au développement professionnel à large échelle en communiquant aux autres écoles d’un CSS les nouveaux savoirs développés grâce au partenariat établi, et ce, par le biais d’accompagnements et de formations. Ce mouvement permet ainsi un rayonnement qui augmente les possibilités de mise en oeuvre de nouvelles connaissances issues de la recherche dans plusieurs milieux.

Recherche-action basée sur le processus de construction d’un cadre de référence éthique collectif

L’esprit de collaboration inhérent à l’EUP mène à de nombreuses décisions impliquant plus d’une instance de ce partenariat tripartite, comme le choix des projets de recherche à déployer ou des formations à offrir à l’équipe-école. Dans cette optique, une recherche-action a été menée durant la première année (2018) pour outiller et accompagner l’équipe-école dans la mise en place de conditions favorisant le dialogue. L’intention générale de cette recherche était de mettre en évidence les repères personnels sous-tendant la posture des différentes personnes qui intervenaient à l’école, particulièrement devant des situations soulevant des enjeux éthiques.

La présence de divergences concernant les décisions à prendre et aux actions à poser

Une école suppose des interactions entre divers acteurs scolaires adultes, impliqués dans des activités qui se déroulent à l’extérieur et à l’intérieur du milieu. On compte, entre autres, des membres de la direction, des enseignantes titulaires et spécialistes, des techniciennes en éducation spécialisée, des préposées aux élèves ayant un handicap, des orthopédagogues, des conseillères pédagogiques, des éducatrices en service de garde et des parents. Considérant que chacune de ces personnes soit habitée par des valeurs, acquises durant l’enfance, dans des expériences personnelles ou par des principes professionnels, il est fort probable que des divergences concernant les nombreuses décisions à prendre et les actions à poser soient susceptibles d’apparaitre dans le quotidien.

Ainsi, les multiples interactions professionnelles en milieu scolaire représentent un facteur propice à l’apparition de conflits de valeurs (Legault, 1999) ou de principes (St-Vincent, 2011). Ces conflits forment parfois des problèmes pour lesquels il n’existe pas de solutions claires et objectives (Clarkeburn, 2002). De plus, les actions à mettre en oeuvre pour les résoudre exigent que différents éléments soient pris en compte et plusieurs individus soient concertés, en raison des incidences possibles sur les personnes impliquées. Par conséquent, lorsqu’une situation avec des enjeux éthiques se présente, il faut la considérer comme une zone sensible et faire preuve de prudence pour la traiter.

La reconnaissance d’une situation avec des enjeux éthiques

Lorsqu’un conflit de valeurs ou de principes émerge entre des acteurs scolaires, et en l’absence de balises claires pour le régler rapidement, la situation amène le constat qu’une résolution plus délicate s’impose. Voici un exemple pour illustrer cette complexité : Éliot, un nouvel élève, commence l’année avec un retard important en lecture et en écriture, donc plusieurs ressources sont mobilisées pour le soutenir dans ses apprentissages. L’orthopédagogue, confiante dans cette démarche, accompagne l’élève et ses parents. Toutefois, l’enseignante titulaire n’est pas de cet avis et, chaque fois que les parents sont rencontrés, elle insiste pour qu’ils admettent que le défi est trop grand pour leur fils et qu’il ne faut pas lui donner de faux espoirs. Cela préoccupe beaucoup la direction, qui adhère à la valeur de persévérance adoptée dans le projet éducatif. Quant aux enseignant(e)s spécialistes et éducatrices, leurs positions sont partagées : certains souhaitent des formations pour approfondir l’approche inclusive, d’autres refusent l’idée d’inclusion à tout prix. Dans cette situation, il est important de souligner qu’il n’y a pas de lignes de conduite ou de normes précises pour déterminer la bonne réponse. Néanmoins, il faudra créer un espace de négociation pour trouver la meilleure solution qui s’applique aux circonstances et au contexte, et surtout, à laquelle toutes les personnes concernées adhèreront.

Devant une situation avec des enjeux éthiques en milieu scolaire, il est essentiel que chaque membre de l’équipe-école s’applique à développer son agir éthique afin de créer un espace cohérent de travail en concertation menant à la prise de décisions. L’agir éthique est la résultante de la réflexion, à partir d’une situation donnée, sur les valeurs, les principes et les normes qu’elle sous-tend ainsi que sur les répercussions de la décision retenue sur autrui (St-Vincent, 2017). Par conséquent, afin qu’une personne intervenante agisse de manière éthique, il est souhaitable qu’elle prenne conscience de son propre cadre de référence éthique, c’est-à-dire les appuis sur lesquels elle construit ses décisions et ses actions. Cette prise de conscience améliorera sa capacité à exprimer sa position lors d’un dialogue en vue d’une décision.

Le cadre de référence éthique personnel : valeurs, principes et éléments signifiants du cadre normatif

Un cadre de référence éthique est un système personnalisé et dynamique de repères, qui intègre certaines valeurs personnelles, des principes professionnels importants pour la personne intervenante, ainsi que des éléments signifiants du cadre normatif dans lequel elle s’inscrit. D’ailleurs, ce système de repères évolue au cours des expériences vécues dans la pratique en raison des changements externes ou internes (St-Vincent, 2017).

Une valeur représente « ce qui vaut; ce à quoi, individuellement ou collectivement, on accorde de l’importance; ce qui a du poids pour un individu ou une collectivité […]. Elle constitue une priorité, une préférence, une référence » (Fortin, 1995, p. 100). Comme exemple de valeur, une orthopédagogue peut se soucier principalement du bienêtre psychologique des élèves auprès desquels elle intervient. Selon Legault (1999), les valeurs sous-tendent les décisions, motivent à décider et à agir.

Les principes émergent de la volonté d’une communauté professionnelle. Certaines associations proposent des principes fondamentaux à leurs membres pour les guider dans leur pratique. Les personnes qui interviennent dans leur milieu adhèrent à des lignes directrices pour prendre certaines décisions dans leur pratique (St-Vincent, 2011). Ces principes peuvent être implicitement véhiculés par le discours tenu dans les milieux de formation ou de travail, ou encore être énoncés de manière explicite par la communauté professionnelle d’appartenance. Par exemple, un enseignant peut appuyer certaines de ses décisions sur le principe « agir avec justice envers ses élèves ». Les personnes intervenantes sont invitées à adhérer aux principes adoptés par leur communauté professionnelle et aussi à ceux promus par l’organisation au sein de laquelle elles oeuvrent (Jeffrey, 2005).

Les éléments du cadre normatif sont des référents qui s’inscrivent dans des chartes, des lois, des politiques ministérielles, des règlements ou des conventions collectives. On trouve aussi des éléments tirés de la jurisprudence, de même que des codes d’éthiques ou déontologiques de certains ordres professionnels. Le cadre normatif est complexe et changeant : il est peu probable que les personnes qui interviennent dans un milieu donné soient au fait de la totalité des éléments du cadre dans lequel elles évoluent.

Dans cette recherche-action, afin de circonscrire uniquement les éléments centraux du cadre de référence éthique, seuls certains principes professionnels ou valeurs évoqués ont été ciblés, car ils étaient nettement plus présents dans le discours des personnes participantes que les éléments du cadre normatif, donc plus accessibles.

L’utilité de connaitre son propre cadre de référence éthique

La personne intervenante qui a conscience des valeurs ou des principes professionnels centraux sur lesquels elle s’appuie pour prendre ses décisions et poser des actions comprend mieux ses propres réactions lorsque se présente une situation avec des enjeux éthiques. Par conséquent, elle est davantage en mesure de nommer ses inconforts et ce qu’elle juge important lorsqu’elle dialogue en vue de trouver des solutions. À titre d’exemple, dans une équipe cycle, deux enseignantes doivent choisir les défis prioritaires à traiter pour les prochaines semaines en vue de demander du soutien et des ressources à la direction. La première enseignante détermine que les problèmes de comportement doivent être traités en priorité, car le climat de classe n’est pas propice aux apprentissages et que cela l’épuise. De plus, les élèves du groupe semblent de plus en plus nerveux (priorisation de la valeur de bienêtre psychologique). La seconde enseignante insiste sur le fait que ce sont principalement les difficultés de compréhension en lecture des élèves qui génèrent des situations amenant les problèmes de comportement (priorisation du principe de développement adéquat des compétences).

Il n’y a pas de mauvais choix pour cette situation : ni l’une ni l’autre n’a tort. Cependant, si la solution répond seulement aux besoins exprimés par une des enseignantes, sans aller au bout d’un réel dialogue, l’autre enseignante sera inévitablement frustrée et il est possible que des tensions enveniment dorénavant leur collaboration pour des semaines, voire des mois à venir. Comment s’en sortir ? Si chacune d’elles connait suffisamment son cadre de référence éthique, elles seront en mesure de nommer les valeurs ou les principes qui sous-tendent leur raisonnement, puis de justifier plus précisément pourquoi elles prioriseraient une action plutôt qu’une autre. Ainsi, si les besoins de l’une sont satisfaits, ce sera sans ignorer ceux de l’autre. Des compromis pourront être trouvés et aucun besoin prioritaire ne sera invalidé ou réprimé.

L’objectif principal de la recherche-action proposée à l’EUP

L’objectif de la recherche-action proposée à l’EUP s’énonçait ainsi : brosser le portrait des valeurs et des principes centraux du cadre de référence éthique des membres de l’équipe-école, des conseillères pédagogiques oeuvrant à l’école ainsi que de certains membres de l’équipe de recherche de l’université collaborant dans la mise en oeuvre du projet d’école universitaire primaire. Cet objectif amenait les personnes participantes à faire émerger les éléments centraux de leur cadre de référence éthique à travers leur témoignage de situations soulevant des enjeux éthiques dans leur pratique, par l’entremise d’entretiens individuels ou de groupe.

Les situations soulevant des enjeux éthiques induisent souvent un malaise et de l’incertitude parce que des conflits de valeurs ou de principes surgissent. Ainsi, même si les personnes participantes ne pouvaient le décrire clairement, elles cernaient aisément l’idée que les situations soulevant des enjeux éthiques ne comportaient que rarement des réponses précises en raison de l’absence de balises claires. Qui plus est, ces situations exigeaient une réflexion, car les actions prises avaient une conséquence sur les personnes concernées (St-Vincent, 2017). Par conséquent, raconter une situation soulevant des enjeux éthiques qui a été vécue a permis de faire ressortir des valeurs et des principes importants pour la personne participante.

L’approche méthodologique de la recherche-action

L’approche méthodologique qui a été adoptée s’inscrit dans un courant qualitatif/interprétatif, afin de mieux comprendre le sens donné à l’expérience vécue par le biais du discours oral ou écrit (Savoie-Zajc, 2018). Cette recherche-action visait de manière globale à « contribuer au développement personnel et professionnel, individuel ou collectif, des praticiens chercheurs qui sont impliqués dans cette situation pédagogique (éducation) » (Guay et Prud’homme, 2018, p. 241). Les personnes participantes étaient donc guidées pour rendre compte de leur réflexion sur les appuis sous-jacents à leurs décisions et à leurs actions dans un contexte de collaboration entre acteurs, particulièrement dans les situations impliquant des enjeux éthiques.

Les personnes participantes et les outils de collecte de données

Plusieurs membres de l’EUP ont été rencontrés entre avril 2018 et février 2019 (voir le Tableau 1); chaque rencontre a fait l’objet d’un enregistrement sonore, transcrit en verbatim aux fins d’analyse de contenu. Les membres de la direction ont été rencontrés en entretien individuel semi-dirigé d’environ une heure, durant lequel ils étaient invités à raconter quelques situations soulevant des enjeux éthiques vécues au cours de leur pratique (peu importait le moment de cette expérience vécue ni le milieu éducatif). Il est important de noter que le cadre de référence éthique de la direction d’école s’articule d’une manière différente de celle des autres membres de l’équipe-école, étant donné le rôle de leadeur et de médiateur à endosser, particulièrement lorsqu’une situation soulevant des enjeux éthiques se présente. Il est attendu de la direction d’établissement d’enseignement qu’elle assume un leadeurship éthique dans son milieu (Marzano et al., 2016), lequel implique de revoir les manières de faire et les repères utilisés pour prendre des décisions (Langlois, 2008).

Toutes les autres personnes participantes ont été rencontrées en sous-groupes. Chacune devait remplir un questionnaire écrit au début de la rencontre afin d’orienter les échanges qui suivaient. La chercheuse ou le chercheur invitait ensuite chaque personne à témoigner d’une situation vécue qui soulevait des enjeux éthiques. La chercheuse qui animait les entretiens reformulait alors les propos afin de permettre à la personne qui s’exprimait d’approfondir son idée, validant ainsi une première compréhension des propos sur l’enregistrement sonore. Les échanges qui avaient lieu durant les rencontres permettaient d’enrichir les réflexions de chaque personne participante.

Au total, deux entretiens individuels semi-dirigés et neuf entretiens de groupes ont été menés, puis les réponses de 54 questionnaires individuels ont été colligées. Les personnes participantes étaient regroupées de différentes façons : par cycle scolaire, par modèles de services (classe d’élèves ayant des déficiences langagières, classe d’élèves ayant une déficience intellectuelle moyenne), par fonctions occupées (par exemple, service de garde, conseillerères pédagogiques), par moment d’arrivée à l’école (nouveau personnel), puis les personnes dont la collaboration interprofessionnelle était fréquente.

Tableau 1

Personnes participantes et outils de collecte utilisés (St-Vincent et Huot, 2019)

Personnes participantes et outils de collecte utilisés (St-Vincent et Huot, 2019)

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Le traitement des données

Des unités de sens ont été extraites des verbatims et des questionnaires individuels afin d’être interprétées. Selon Van der Maren (1996), les unités de sens réfèrent à des « passages qui apportent des informations de la manière la plus évidente » (p. 428). Les unités de sens représentent donc des extraits de propos reflétant les idées importantes exprimées qui se rattachent à des éléments recherchés, soit, dans cette recherche, à des valeurs ou principes dominants du cadre de référence.

Après validation interjuges (Van der Maren, 1996) des données collectées, chaque personne participante était consultée par courriel pour valider ou modifier les valeurs ou les principes émergents associés à leur prénom. Par exemple, une enseignante a raconté une situation où un parent l’a injuriée au téléphone après qu’elle a envoyé un mémo à la maison pour expliquer une intervention faite en classe. Le discours de l’enseignante, lors de son récit, a souligné l’importance qu’elle accordait au principe de transparence envers les parents ainsi qu’à la valeur de sécurité. Elle a employé à plusieurs reprises des expressions comme « j’ai eu peur pour ma sécurité », tout en précisant « c’est important d’expliquer aux parents ce qui se passe dans ma classe ».

La présentation des résultats : portrait dégagé

Plusieurs données ont pu être dégagées à l’issue de cette recherche-action, permettant de brosser le portrait des valeurs et principes centraux du cadre de référence éthique pour l’ensemble des personnes participantes. À la suite de cette analyse, il a été possible de concevoir un cadre de référence éthique dynamique articulant tous les éléments ciblés.

D’abord, il est important de souligner le climat d’ouverture présent lors des échanges avec les personnes participantes, qui ont accepté de partager librement, souvent avec émotion, leurs expériences. À la lumière de leurs propos, il est possible de faire ressortir des valeurs et des principes signifiants pour chacune d’entre elles. Lors des rencontres en groupe, des manifestations d’authenticité et de sensibilité à l’autre ont été constatées : chacun racontait une situation à tour de rôle et chaque personne faisait preuve d’une grande écoute. Plusieurs situations émotionnellement difficiles ont été partagées, pour lesquelles le soutien moral des collègues était apparent et manifestement apprécié. Sans cette ouverture et cette transparence lors des entretiens de groupe, les personnes participantes ne se seraient probablement pas senties autant accueillies et la « profondeur » des réflexions n’aurait sans doute pas été la même. En ce sens, la valeur de l’ouverture a été fréquemment dégagée, sous différentes formes, lors de l’analyse des données.

Concernant le cadre de référence éthique individuel, le caractère d’unicité des éléments centraux pour les différentes personnes participantes a été relevé. En effet, malgré certains points communs, personne ne possédait exactement les mêmes éléments centraux qu’une autre. Des valeurs variées comme la justice, l’harmonie, l’équité ont été mentionnées, cependant la justice et la sécurité occupent une place significative. Une analyse statistique rapide permet de constater que les termes respect, jeunes, psychologique, physique et collègues sont les plus fréquents. Ces occurrences font ressortir l’importance accordée à la valeur de respect, qui émergeait de leur témoignage et révélait leurs préoccupations — maintes fois exprimées — quant au bienêtre des jeunes, tant dans des aspects psychologiques que physiques. Il est également ressorti que la collaboration devait être mise de l’avant afin de maintenir le respect dans l’EUP.

En ce qui concerne les principes professionnels, les données analysées indiquent qu’ils se déclinent en diverses lignes de conduite. Par exemple, on trouve des éléments comme « faire preuve d’objectivité », « respecter les ententes », et « offrir un service adéquat ». Les notions impliquant des actions telles qu’intervenir, offrir (de l’aide, des services), responsabiliser, communiquer occupent aussi une place importante. Les personnes participantes adoptaient un discours qui traduisait souvent un désir d’intervenir efficacement et d’offrir du soutien aux jeunes. Leurs propos manifestaient une volonté de responsabilisation qui se doublait d’une volonté de développement professionnel. Finalement les personnes participantes estimaient que la communication authentique se révélait un aspect central de la collaboration.

À l’issue de l’analyse des données, un schéma a été élaboré pour illustrer les éléments centraux du cadre de référence éthique des personnes participantes. Au centre se trouvent les valeurs et principes professionnels dégagés dans les propos des membres de l’équipe de direction. La portion blanche présente ceux du personnel enseignant et des services complémentaires, tandis que la zone bleu pâle expose ceux du personnel du service de garde. Finalement, les cercles de droite présentent les valeurs et principes professionnels des conseillères pédagogiques puis ceux des membres de l’équipe de recherche. Une vue d’ensemble de ce schéma est présentée (Figure  1).

Ce schéma a été affiché en grand format dans la salle du personnel de l’école. Toutefois, malgré le caractère statique de ce support, cet outil demeurait dynamique. En effet, lorsqu’un nouveau membre s’ajoutait à l’équipe, son cadre de référence éthique individuel venait enrichir le portrait initialement conçu. Complémentaire au schéma, un feuillet proposant des pistes de réflexion sur les valeurs et principes professionnels présentés a été produit par la chercheuse et le chercheur responsables. Ce feuillet, qui a fait l’objet d’une discussion de groupe lors d’une assemblée générale des enseignant(e)s, a également alimenté les conversations informelles des membres du personnel. Cet exercice montre une volonté de collaboration afin d’instaurer une culture éthique propre à l’EUP.

Retombées perçues sur la collaboration : témoignage écrit d’une enseignante participante

Le choix initial d’enseigner dans une école universitaire primaire

En 2015, déjà enseignante au primaire, j’ai entendu parler du projet de création d’une EUP près de mon milieu éducatif. Ce projet novateur et unique en éducation au Québec m’a grandement interpelée. Étant donné que j’étais déjà ouverte aux nouvelles pratiques pédagogiques et à l’affut des connaissances issues de la recherche en éducation, plus spécifiquement dans le domaine de l’écriture, de la lecture et de la gestion positive de classe, cette annonce a fait résonner mes valeurs personnelles et professionnelles. Cette volonté de coconstruction des savoirs entre le milieu universitaire et le milieu scolaire offrait une avenue à mes ambitions. En effet, l’EUP me donnait cette occasion de poursuivre mon développement professionnel dans un environnement riche en collaboration avec le milieu universitaire et avec les autres collègues, affirmant clairement leur choix d’approfondir leurs connaissances, leurs pratiques ainsi que faire progresser les élèves vers leur réussite éducative.

Figure 1

Portrait global des éléments centraux du cadre de référence éthique des personnes participantes au projet d’école universitaire (St-Vincent et Huot, 2019)

Portrait global des éléments centraux du cadre de référence éthique des personnes participantes au projet d’école universitaire (St-Vincent et Huot, 2019)

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S’intégrer à une équipe-école à volet universitaire

Au printemps 2018, une recherche-action a été proposée à tout le personnel de l’école dans le but de brosser un portrait des valeurs ou des principes professionnels centraux de tous les membres de l’équipe-école. J’étais déjà engagée dans une recherche-action en écriture qui me nourrissait sur le plan tant personnel que professionnel. Cette nouvelle proposition répondait à d’autres besoins, car j’avais la conviction qu’un dialogue clair et authentique entre les partenaires favoriserait une collaboration positive et efficace, surtout dans une nouvelle école ayant une orientation distinctive. Je dois souligner que l’intégration d’une EUP a exigé une adaptation importante. Que ce soit le temps imparti à mieux connaitre l’environnement physique de l’école nouvellement construite, l’appropriation de l’espace d’un local ayant une fenêtre d’observation, un nouveau niveau d’enseignement dans mon cheminement professionnel, ou les nouvelles approches à développer, beaucoup de défis se sont présentés en même temps. De plus, dans le but d’assurer une bonne collaboration, un temps consacré à l’accueil et à la découverte de la collègue enseignante du même niveau, avec qui j’étais appelée à travailler en équipe, m’a semblé primordial. Le train a donc démarré à plein régime dès mon entrée en fonction et il y a eu peu de temps par la suite pour socialiser ou apprendre à connaitre les autres membres de l’école. Dans un tel contexte, il est facile, au fil des rencontres formelles ou informelles, que ce soit dans la salle des enseignants, dans le corridor ou le local du photocopieur, de mal saisir les réactions de certains collègues. Ainsi peuvent naitre parfois des incompréhensions envers des réactions perçues et des interprétations en raison de nos schèmes de références singuliers, comme nos valeurs, notre culture professionnelle ou personnelle. Les situations avec des enjeux éthiques émergent souvent de manière inattendue et peuvent créer des malaises ou des tensions entre les membres de l’équipe-école. Comme nous sommes généralement investis intensément dans notre rôle professionnel dans un milieu où les horaires sont chargés, nous ne prenons pas toujours le temps de vérifier nos perceptions ou de valider notre compréhension des différentes situations. Par ailleurs, réfléchir aux principes et valeurs qui guident nos actions exige un moment d’introspection. Un accompagnement par des chercheurs pour le faire a donc semblé un exercice intéressant.

Prendre connaissance des résultats et du cadre de référence afin d’améliorer le dialogue et la collaboration dans un milieu scolaire universitaire

J’ai pris connaissance des principes professionnels centraux et des valeurs découlant de mon témoignage avec curiosité et j’ai pu les valider par la suite. J’ai ainsi mieux saisi pourquoi certaines situations pouvaient m’interpeler de manière plus prononcée et générer des tensions qui pouvaient s’envenimer au fil du temps. J’ai aussi mieux compris mes propres réactions lorsque je rencontrais une situation avec des enjeux éthiques. Les résultats à l’issue de la recherche-action ont relevé des valeurs d’équité et de justice en ce qui me concerne. J’ai réalisé que le fait de mieux connaitre certains éléments de mon cadre de référence éthique et de celui des personnes avec qui je collabore me permettait de mieux répondre à mes besoins sans ignorer les besoins de la personne avec qui je collabore. Voici un exemple qui illustre, pour moi, l’importance de connaitre son propre cadre de référence éthique. J’ai vécu une situation difficile pendant un certain temps avec deux élèves de mon groupe-classe qui semblaient incompatibles dans leur personnalité. Leur attitude et leurs comportements nuisaient grandement à leur réussite éducative, à leurs interactions avec les autres et compromettaient le climat général du groupe. Une rencontre entre professionnel(le)s a donc été planifiée pour essayer de trouver des solutions. Il m’a alors semblé qu’aucune piste satisfaisante n’émergeait au cours des échanges. À un certain point, une technicienne en éducation spécialisée a proposé de retirer un élève et d’intégrer le second dans une autre classe pour le reste de l’année scolaire. Au fond de moi, instantanément, cette idée ne m’a pas plu du tout. En tant qu’enseignante, je souhaitais accompagner et outiller ces deux élèves puis obtenir leur coopération et un accord mutuel. Je souhaitais y arriver avec les deux élèves, pas un plus que l’autre. Je désirais préserver le lien de confiance entre nous. Par conséquent, lorsqu’elle a proposé cette solution, immédiatement, ma réaction a été de refuser catégoriquement. À la suite de la recherche-action, j’ai saisi que ma réaction s’appuyait sur des valeurs centrales pour moi, c’est-à-dire l’équité et la justice. En le réalisant durant la discussion, j’ai donc choisi de les nommer explicitement, car elles sous-tendaient ma position. J’ai exprimé ma difficulté à accepter qu’un des deux ait à vivre cette situation plutôt que l’autre. Après mes explications, j’ai ensuite été davantage réceptive à comprendre l’effet positif visé par la proposition avancée. Par cette expérience, j’ai réalisé que la reconnaissance des valeurs et des principes professionnels comporte un certain effet libérateur et permet un espace de négociation plus équitable et un dialogue teinté de respect.

Le cadre de référence éthique de l’école et son projet éducatif

Dans le projet éducatif de l’EUP, on retrouve une cohérence avec les valeurs évoquées par les membres de l’équipe-école qui ont participé à ce projet de recherche-action. Cet exercice a permis de dégager un portrait d’ensemble des éléments principaux dans le cadre de référence éthique de chacun. Le portrait global conçu, qui inclut les valeurs et principes professionnels de chaque membre, constitue maintenant un ensemble de repères communs pour l’équipe-école. Ce portrait permet également de guider les actions de toute personne qui oeuvre au sein de l’école et de l’orienter, dans l’exercice de ses fonctions, à prendre les meilleures décisions selon les circonstances et les enjeux éthiques qui se présentent. En effet, le portrait global, sous la forme d’un schéma présentant les valeurs et les principes professionnels centraux pour chacun, est affiché au salon du personnel. Ce référent facilite la compréhension de certaines situations et permet une collaboration plus saine et un dialogue plus éclairé entre tous les partenaires. Ce portrait global teinte même mes approches et mes interventions. Maintenant, avant d’aborder mes collègues, je conserve à l’esprit non seulement mes valeurs et principes professionnels, mais aussi ceux de la personne à qui je m’adresse. Je suis convaincue que cela m’aide à comprendre certaines décisions et à nuancer mes interventions. J’accepte mieux certaines situations qui semblent bousculer mes valeurs et je m’ouvre ainsi plus aisément au dialogue, favorisant une collaboration plus efficace, tant auprès de mes collègues qu’auprès des parents des élèves que j’accompagne.

Conclusion

Dans le cadre de cette recherche-action, l’expérience vécue tant par les acteurs du milieu scolaire que par les chercheur(-euse)s rappelle l’importance de prendre le temps de discuter et de mieux se connaitre entre collègues. La communication permet de prendre conscience de son propre cadre de référence éthique, en matière de valeurs et de principes professionnels, mais aussi de le comparer à celui des autres personnes avec lesquelles chacun(e) travaille. Ainsi, il en découle une meilleure compréhension de tout un chacun et une meilleure collaboration.

L’accueil spontané de cette recherche-action et l’expérience positive vécue ne pourraient être généralisés à tous les milieux scolaires. Les conditions particulières de l’école universitaire primaire ont fait en sorte que l’ensemble du personnel participe à cet exercice avec une attitude d’ouverture. Par exemple, le profil d’enseignant(e) présenté à la séance d’information lors de l’affectation des postes pour l’année suivante incitait préalablement les personnes à s’engager dans divers projets de recherche. En outre, la facilité pour les chercheur(se)s d’être présent(e)s dans le milieu favorise grandement un suivi et un réinvestissement dans les pratiques à plus long terme, ce qui représente très un net avantage en comparaison avec d’autres contextes de recherche dans les milieux d’éducation.

Il apparait que l’espace d’une école universitaire primaire est un espace novateur et prometteur pour permettre de multiplier et resserrer les liens entre les chercheur(se)s universitaires et les praticiens, qui sont en fait, par cet espace innovant, appelés de plus en plus, selon Bédard (2014), à devenir des chercheur(se)s- praticien(ne)s.