ChroniquesNumérique en éducation

Pour un regard critique sur le recours au numérique en éducation[Notice]

  • Florent Michelot

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  • Florent Michelot
    Université de Moncton, campus de Shippagan (Canada)

La pandémie de COVID-19, en raison du passage (en tout ou partie) à la formation à distance, a été l’occasion d’un raz-de-marée de nouvelles plateformes numériques dans le monde de l’éducation. Qu’il s’agisse de Microsoft Teams ou encore de Google Classroom, ces plateformes existaient toutefois depuis plusieurs années. D’ailleurs, bien des établissements les avaient déjà intégrés à l’éventail des solutions numériques adoptées pour soutenir les enseignements et les apprentissages. En revanche, jusqu’au premier confinement, leur usage restait marginal ou exceptionnel. Or, le contexte dans lequel elles ont été généralisées n’a évidemment pas permis de les soumettre à un débat de fond. Précisons, d’emblée, que le propos de ce texte n’est pas de discuter de la pertinence qu’ont récemment pu avoir ces outils. Quand bien même les usages que l’on en fait méritent être discutés, bonifiés et pourquoi pas sévèrement critiqués, nul ne saurait nier l’utilité qu’ils ont eue dès le début du confinement. En revanche, on aurait tort d’aborder ce sujet sous le seul prisme de l’utilitarisme, car ces plateformes ne sont pas neutres : c’est la raison pour laquelle nous devons discuter du recours massif à celles-ci. Cela implique notamment de prendre conscience de la force potentielle des entreprises du numérique sur les politiques publiques et de ses conséquences (notamment économiques, sociales, culturelles et environnementales). L’engagement des compagnies du numérique dans la sphère publique, singulièrement en éducation, n’est pas à proprement parler inédit : dès les années 1980, l’industrie de la micro-informatique et du logiciel a investi les écoles, notamment en proposant des solutions technologiques à coût faible, voire nul, aux institutions, aux personnels et aux apprenant·es. Aujourd’hui, plusieurs fondations bien connues illustrent cette nouvelle philanthropie qualifiée de « philanthrocapitaliste » et qui se caractérise par le soutien à des programmes à vocation sociale en escomptant bénéficier de retours sur investissement à long terme ou, plus passivement, de tirer parti d’investissements « socialement responsables » (« The Birth of Philanthrocapitalism. The Leading New Philanthropists See Themselves as Social Investors », 2006). Au cours des derniers mois, des entreprises (incluant les Google, Facebook et Microsoft) ont répondu aux appels de l’UNESCO en faisant don de capitaux et en mettant à disposition des plateformes et des applications pour faire face aux défis éducatifs. Plus que dans d’autres sphères, le philanthrocapitalisme numérique se démarque par sa capacité à mobiliser des capitaux importants, à agir rapidement et avec une large influence (Saura, 2020). Toutefois, cette philanthropie n’est pas sans effet. D’abord, par des mécanismes fiscaux que l’on retrouve dans de nombreux pays, elle érode le soutien aux dépenses gouvernementales. Soustrayant les investissements à l’impôt, elle ne permet pas d’abonder le financement de l’éducation public dont on connaît pourtant les défis. Ensuite et surtout, elle permet de sortir du débat public les choix qui devraient procéder de la discussion et de la délibération collective, avec les actrices et acteurs de l’éducation, les commissions et centres scolaires, les ministères, etc. Au même titre que la séparation des pouvoirs, une réflexion doit donc être menée afin de maintenir un état de vigilance sur les interférences potentielles entre sphère publique et sphère privée (McGoey, 2021). La question de gouvernance n’est pas la seule qui doit nous préoccuper. Savoir s’il est ou non préférable de confier à des intérêts privés le choix de retenir la plateforme d’une entreprise plutôt qu’une autre n’est que la partie émergée de l’iceberg. En fait, les enjeux du numérique en éducation incluent des préoccupations aux multiples ressorts. On sait que l’hyperprésence du numérique inquiète, parfois pour de bonnes raisons, certains parents d’élèves, pédagogues, professionnels de la médecine et psychologues. En ce sens, …

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