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Introduction

Alors que « [p]artout dans le monde, la transformation numérique représente une nouvelle étape de la profonde réorganisation économique et sociale engagée depuis plusieurs décennies sous l’effet des technologies d’information » (Lemoine, 2014, p. 11), les pratiques éducatives ne sont pas épargnées par cette transformation : l’Université se démocratise et évolue dans un contexte marqué par une massification de l’enseignement (Cisel et Bruillard, 2012), ainsi que par la mise à distance de cours (Graham, 2006; Nissen, 2014) visant la prise en compte de besoins spécifiques (étudiants en situation de handicap, mais aussi atteints de phobie scolaire, souffrant de harcèlement, rencontrant des difficultés sociales, ne pouvant pas être présents sur le lieu de formation pour des raisons personnelles et/ou professionnelles, etc.).

Jusqu’ici, si les changements initiés avec et par le numérique semblaient constituer un phénomène intéressant à étudier, avec l’arrivée de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, les évolutions de pratiques se sont accélérées, laissant une plus large place aux outils technologiques et demandant aux enseignants de s’adapter à de nouvelles conditions de transmission et d’évaluation des savoirs. Au cours de cette période, certains enseignants de l’université ont dû, en un temps record, mettre en place de nouvelles pratiques pédagogiques intégrant l’usage de LMS[1], de la visio-conférence, d’activités permettant l’évaluation des étudiants à distance, menant à la production de supports de cours multimédia, etc.

Ces changements placent les individus au centre des questionnements scientifiques : ils deviennent « en quelque sorte à la fois sujet et objet du discours porté par le dispositif. Ce sont ses propres comportements déclarés ou observés et analysés (…) qui forment le matériau d’une démarche prédictive dans des dispositifs industrialisés » (Farchy, Meadel et Anciaux, 2017, paragr. 17). Ces mêmes comportements modifient les relations sociales, mais également pédagogiques (redéfinir et adapter les contenus, favoriser l’entraide, interroger l’attractivité de la connaissance par son mode de présentation, mobiliser une motivation, un engagement, etc.) et organisationnelles (partager des ressources, diffuser des pratiques d’enseignement/d’apprentissage, traiter des demandes d’aides très variées par les domaines concernés, etc.). Nous pouvons ainsi parler de (r)évolutions sociales, pédagogiques et organisationnelles, intégrant le fait que les ressources pédagogiques disponibles (textuelles, graphiques, audiovisuelles, méthodologiques) et les informations (directives institutionnelles, modes d’emploi ou encore tutoriels), toujours plus pléthoriques, sont proposées dans une « palette de choix assez large dans une sorte de bazar » (Baron et Villemonteix, 2016, p. 106).

Dans ce contexte, la question de l’accompagnement nécessaire, voire indispensable au bon déroulement de la continuité pédagogique universitaire, est cruciale. À ce titre, il convient, d’un point de vue épistémologique, de s’interroger sur des modalités d’accompagnement (Chappaz, 1998) à considérer à l’ère du web 2.0. Pour ce faire, dans cet article, nous commençons par définir le contexte de recherche de l’Observatoire de la Transformation Pédagogique numérique dans lequel notre réflexion scientifique s’intègre. Ensuite, nous positionnons l’accompagnement comme un processus visant à répondre à une demande enseignante intégrée à sa Zone Proximale de Développement (Vygotski, 1934/1997; Bonckart et Schneuwly, 1992). Puis, nous présentons les résultats d’entretiens réalisés auprès de référents numériques de l’Université de Montpellier (UM) durant la période de confinement. Ces entretiens nous amènent à discuter de solutions techniques et organisationnelles qui pourraient être mises en place au sein des universités.

Contexte de la recherche : l’Observatoire de la Transformation Pédagogique numérique (OTPn)

L’étude présentée ici a été menée dans le cadre du projet Observatoire de la Transformation Pédagogique numérique (OTPn) composé d’un sous-ensemble d’enseignants-chercheurs intégrés à l’Observatoire de la Transformation Pédagogique[2] (OTP). Soutenu par l’UM, l’OTP a pour objectif de favoriser la réussite des étudiants en Licence et d’impulser l’évolution d’activités pédagogiques.

L’OTPn a plus particulièrement pour objectif de favoriser la mise en place et l’évaluation de dispositifs de formation intégrant le numérique en proposant des outils méthodologiques. Ces outils se doivent de tenir compte des pratiques disparates menées au sein des différentes composantes de l’UM, de faciliter leur analyse, leur catégorisation et leur diffusion au plus grand nombre (enseignants, mais aussi responsables de formation, de parcours et décideurs politiques).

Les activités de l’OTPn s’inscrivent ainsi dans la continuité d’une démarche plus générale d’amélioration de la qualité de l’enseignement à l’UM. Cette démarche s’appuie sur des structures telles que la Direction du Système d’Information et du Numérique (DSIN) qui offre au soutien technique et organisationnel aux enseignants et au Service des Usages du Numérique (SUN) venant en soutien à l’innovation pédagogique. L’enjeu est de lancer une dynamique durable de changements de pratiques professionnelles à partir d’un processus de formation continue apportant des méthodologies de mise en oeuvre de dispositifs pédagogiques et leur évaluation.

L’équipe associée à l’OTPn est pluridisciplinaire[3]. Cette caractéristique lui permet d’aborder et d’interroger les dispositifs selon différentes approches théoriques et méthodologiques. Cependant, une telle expertise implique dans la plupart des cas de recueillir et de traiter de multiples données tant d’un point de vue global que sur des points de détails. Ces données et ces analyses sont ensuite croisées dans le but de prendre et de rendre compte d’observations les plus complètes possibles, dans la complexité systémique qui est ainsi regardée et interprétée comme une étude de cas (Leplat, 2002).

Accompagnement des enseignants à l’ère du Web 2.0

Développement professionnel des enseignants et théorie développementale de Vygotski

En 2016, le numéro thématique de la revue NCRE[4] (Venet, Correa Molina et Saussez, 2016) reposait implicitement sur l’hypothèse que les futurs enseignants continuent, même après plusieurs années, à se développer, et ce, en s’appuyant sur la théorie développementale proposée par Vygotski (1931/2014; 1933/2012a et b ; 1934/1997). Même si, selon cet auteur (1934/2012), il est difficile d’envisager que le développement de l’individu (adulte enseignant à l’université) se poursuive selon des principes identiques au développement de l’enfant sur lequel ses travaux ont porté, il est cependant possible de soutenir cette hypothèse à partir d’autres recherches concernant le développement professionnel des enseignants (Clot, 2007; Yvon et Garon, 2006) : une construction perpétuelle de l’expérience, une continuation qui se mettrait en place depuis différentes expériences envisagées, produites, développées (ou non) et cela tout au long d’une démarche professionnelle (non prescrite et difficilement prescriptible) serait envisageable.

L’accompagnement se définirait alors comme un processus prenant en compte la Zone Proximale de Développement (ZPD) de chaque enseignant. Selon Vygotsky, « c’est ce qui se produit à l’intérieur de cette zone qui permet le développement des fonctions psychiques supérieures (perception, mémoire et attention volontaires, raisonnement, etc.) ». Ces fonctions sont essentielles au développement de pratiques présentes, mais surtout futures dans la sens où l’enseignant a, dans cette ZPD, la possibilité de se tourner vers un acteur qui lui peut l’orienter vers de nouveaux possibles, lui permettre d’envisager son activité professionnelle autrement, dans une dynamique de changement conscientisé, verbalisé et maîtrisé.

Accompagnement professionnel des futurs enseignants

La notion d’accompagnement n’est pas nouvelle (Roquet, 2009). Elle est interrogée en tant que posture (Paul, 2004), composante de la formation de formateurs, moyen de développer des compétences ou encore en tant qu’art de faire pouvant prendre différentes formes (Paul, 2009), dans une logique en spirale alternant entre formation et accompagnement (Paul, 2004, p. 89).

L’accompagnement se définit à partir de principes de non-directivité. Il intègre une perspective transitionnelle, mouvante de la vie adulte et participe « à un processus formatif permanent mettant un lien entre deux personnes : l’accompagnant et l’accompagné » (Roquet, 2009 : paragr. 6). En ces termes, l’accompagnement constitue d’une part une offre qui permet « d’encadrer des autonomies menacées, de les suivre, voire de les guider, dans leurs cheminements quelque peu chaotiques » (Boutinet, Denoyel, Pineau, Robin, 2007, p. 244) et d’autre part une demande de développement de capacités à gérer des imprévus et/ou des demandes institutionnelles auxquelles l’accompagné ne peut déroger.

En ce qui concerne l’offre, l’objectif de l’accompagnant est d’actionner des modifications dans le contexte individuel et collectif, à un moment donné, mais également d’instaurer auprès des accompagnés des évolutions productrices de sens qui permettront des changements durables de comportements dont certains nécessitent le développement de compétences et de représentations dans lesquelles des prescriptions ministérielles peuvent s’inscrire. Ainsi, le rôle de l’accompagnant est de comprendre les attentes, les motivations, les besoins et envies de l’accompagné, les significations qu’il donne aux situations rencontrées et à ses intentions, de manière à le guider (Gremion, 2020) dans une direction qu’il est susceptible de prendre.

En ce qui concerne la demande, l’accompagnement s’inscrit dans un processus continu au cours duquel l’accompagné entre dans une démarche, d’une part, de prise de responsabilité face à des choix qu’il se doit de faire et, d’autre part, de prise de risque à intégrer les conseils, méthodes et ressources proposées et/ou préconisées par l’accompagnant. Propre à chacun, cette intégration passe par le tissage de liens entre différentes expériences, savoirs théoriques et méthodologiques déjà là. Dans ce sens, l’accompagnement offre une diversité de pratiques infinies qu’il est difficile de circonscrire, mais qu’il est toujours possible d’enrichir à partir de bilans de vécus sans cesse renouvelés.

On peut avoir recours au concept de ZPD pour décrire l’espace de développement professionnel dans lequel l’activité de l’accompagné sera pertinente et efficace. Dans cette optique, nous introduisons l’idée de travailler en formation au plus près des ZPDP (Zone de Développement Proximal des Pratiques ou Professionnelle) des futurs enseignants (Coulange et Robert, 2015). Cette zone correspond à celle où l’accompagné seul ne peut encore être, mais dans laquelle il peut « se déplacer » s’il est soutenu par des interactions lui permettant de cheminer à travers des possibles sans cesse renouvelés. Au fil de ses activités, on peut alors s’attendre à ce que l’accompagné consolide ses activités et les intègre à sa zone autonomie au sein de laquelle il parvient à réaliser seul les activités initialement accompagnées. L’accompagnement se présente donc comme un processus « agitateur » d’activités menant au développement de la zone d’autonomie de l’accompagné, à l’ouverture de plus en plus grande de possibilités d’accompagnement prenant appui sur ses activités passées, ses intentions futures et interactions sociales passées et présentes.

Accompagnement et interactions sociales

Avec l’avènement du Web 2.0, l’accompagnement ne se pose plus exclusivement en matière de détermination et de diffusion de contenus (rôle de transfert d’informations, de conseils, de recommandations), mais également en matière d’identification de composants numériques (ex. : ressources numériques, catalogues, bases de données, contacts de personnes qualifiées) susceptibles de répondre à une demande ou au moins de participer à la réponse à cette demande.

D’une part, avec l’avènement de la « société numérique » (Compiègne, 2007), certaines informations sont accessibles à tous, partout, et en temps réel, mais encore faut-il connaître leur existence, mesurer leur utilité et leur validité. À cet effet, promouvoir par le processus d’accompagnement le développement de l’autonomie de l’accompagné revient à aménager un espace d’interactions, lieu d’échange de connaissances, de compétences, de méthodologies d’analyse, de sélection et de mobilisation d’informations et de savoirs dématérialisés présentés sur un écran (d’ordinateur et/ou de tablette et/ou de smartphone).

D’autre part, le Web 2.0 bouleverse les relations entre accompagnant et accompagné. Il affecte les interactions sociales (via l’usage du courriel, de la messagerie instantanée, de Whatsapp, tweeter, etc.). L’accompagnement « n’incombe pas à une seule personne, pas plus que la formation ne se limite au seul début de carrière » (Lamaurelle, Lapeyrère et Gervais, 2010). Ainsi, il est clair que les technologies remettent en cause à tout moment les méthodes de partage, d’échange, de transferts et leurs effets sur les destinataires des messages et des informations. Elles modifient en ces termes les modes de construction de l’offre d’accompagnement (en présentiel, à distance, hybride, selon une approche collective/sur mesure). En ce sens, les moyens de communication sont « transformateurs » de pratiques d’accompagnement et « mobilisateur » de méthodes encore peu développées et pas suffisamment explicitées dans la littérature. Les attentes des accompagnés (besoins de communiquer selon des protocoles non formels et non imposés par une instance) et les connaissances du numérique de ces mêmes accompagnés en matière d’usage des moyens de communication (intégration non obligatoire des moyens de communication dans leur formation initiale et continue) modifient le contexte d’accompagnement. L’usage des forums de discussions, des tweet, de tutoriels ou d’autres techniques participe à la dynamique des interactions sociales qui se doit d’être intégrée dans l’analyse de l’offre et de la demande d’accompagnement afin d’introduire plus de souplesse dans les cadres proposés par les institutions par exemple et de répondre à des attentes individuelles.

Problématique : la fonction d’accompagnement

Dans le domaine de l’éducation, l’accompagnement ne se réfère ni à un métier connu, ni à une profession établie, ni à un groupe de professionnels (corporation), ni à une activité en voie de professionnalisation. Il renvoie davantage à une fonction sociale formative. Tout l’enjeu de ce travail est donc de parvenir à circonscrire cette fonction (Le Bouedec dans Boutinet, Denoyel, Pineau, Robin, 2007), à envisager des modalités d’accompagnement, même si son exercice par des professionnels déclarés comme « accompagnants en pédagogie numérique » est aujourd’hui très incertain.

En effet, il n’existe pas de métiers « accompagnant » en éducation dans les classifications ROME[5]. Seules des fiches « accompagnateurs de voyages, d’activités culturelles ou sportives » sont disponibles. Une réflexion sur le contexte d’actions de ces accompagnants dans le domaine de la pédagogie numérique nous paraît donc essentielle : le but est de donner de la visibilité à des métiers (qui eux existent bien) tels qu’ingénieur pédagogique, désigné également par responsable pédagogique, ingénieur responsable pédagogique, chargé d’ingénierie pédagogique, chargé de formation numérique ou encore référent numérique. Par ces métiers, l’accompagnement à la mise en place et à l’évaluation des dispositifs numériques est devenu un incontournable du développement professionnel des acteurs impliqués dans des domaines traditionnels de la formation (alternance, formation professionnelle, formation continue), quel que soit le dispositif numérique mis en place (MOOC/SPOC, enseignement hybride ou à distance). Ces métiers peinent à trouver leur place dans le contexte professionnel actuel. Un travail sur la définition de ce processus d’accompagnement pourrait leur donner plus de sens et permettait le développement d’une reconnaissance institutionnelle plus stable et défendable.

Méthodologie et hypothèses

Cible et méthodologie

En mai 2020, à la fin de la période de confinement, des entretiens ont été mis en place auprès des référents numériques de l’UM. Ces référents, désignés au sein de chaque composante universitaire, sont des membres du personnel de l’Université qui ont une expérience de l’intégration du numérique dans leurs pratiques pédagogiques.

Le choix de cette cible est soutenu par leur statut d’intermédiaire (accompagnant/prescripteurs) entre les enseignants et l’institution universitaire. Impliqués dans les instances (membres du CNUM[6]), ces référents numériques sont porteurs d’innovations pédagogiques, de déploiement et de diffusion de pratiques avec le numérique. En effet, ils ont été choisis à partir de leur expérience en lien avec le domaine du numérique, et/ou de l’informatique et/ou de la pédagogie numérique porteuse de changements.

Chacun de ces référents est affilié à une composante universitaire marquée par une discipline (sciences, sciences humaines et sociales, sport et santé) qui a une histoire, qui connaît sa propre évolution en matière de métiers visés, de pratiques professionnelles auxquelles il a fallu s’adapter et d’enjeux de formation qu’il faut sans cesse réajuster. Cela se traduit par des attentes et des pratiques pédagogiques très différentes. Certaines composantes ont depuis 10 ans intégré le numérique dans la grande majorité de leurs contenus de formations (ex. : usage de Moodle, de la 2D/3D dans les exposés de cours à l’aide de schéma) alors que d’autres en sont encore à envisager l’intégration du numérique dans leur support de cours (ex. : diaporama de présentation).

Le choix de l’entretien (plutôt que le questionnaire) est motivé par la liberté offerte par les questions ouvertes pour « donner les paroles » aux interviewés. Comme le souligne Gusdorf (1968, p. 37), « [m]ettre de l’ordre dans les mots, c’est mettre de l’ordre entre les pensées, mettre de l’ordre entre les hommes ». Afin de structurer cette parole, le guide d’entretien est composé de trois parties : démographique (identité du référent), périmètre d’initiative (demandes qui lui ont été faites par les acteurs de la composante et les formulations qu’il a fournies en réponse) et ressenties de l’expérience (pour une projection envisagée et motivée). Ces trois parties nous ont permis de réaliser des interprétations autour :

  • des besoins/attentes d’accompagnement;

  • des réponses/solutions trouvées pour répondre à ces besoins/attentes;

  • des dispositifs mis en place permettant de répondre plus facilement et/ou plus rapidement à des besoins/attentes.

L’analyse des contenus de ces entretiens a été effectuée selon une approche qualitative. Nous avons utilisé le logiciel QDA Miner Lite. Son système de codage de segments de textes donne la possibilité d’étiqueter chaque composant, de façon indépendante, d’après des catégories qui émergent au fur et à mesure du codage.

Trois hypothèses

À partir du cadre théorique établi précédemment et afin de discuter du processus d’accompagnement qui a été mis en place, trois hypothèses sont posées :

  • concevant l’activité humaine comme le résultat d’une co-construction entre différents acteurs engagés et les composants de son environnement, les activités d’accompagnement forment un cadre susceptible de conduire l’accompagnant à une prise de décision sur des objectifs qu’il se fixe et qu’il véhicule à travers la/les réponses que formule l’accompagné, ainsi qu’à une restructuration de l’agir ensemble au sein des organisations (Poret, Folcher, Motté et Haradji, 2016) ;

  • à l’ère du Web 2.0, une communauté d’apprentissage en réseau (Laferrière, Bracewell, Breuleux, Erickson, Lamon, et Owston, 2001) reposant sur une co-élaboration de connaissances (Bereiter et Scardamalia, 2003) constitue un levier à la mise en place d’une dynamique d’accompagnement ; ce cadre de travail justifie de mener une réflexion sur la notion « d’espaces d’actions encouragées » (Durand, 2008), au sein desquels la/les prescription(s) de l’accompagnant ouvre sur des possibles, tout en limitant le choix qu’il propose à l’accompagné ;

  • l’accompagnement se définit à la fois comme un moyen de « transmettre des savoirs » et un composant « facilitateur de constructions collectives et individuelles » dans le sens où son rôle consiste à soutenir un environnement social propice au développement des fonctions cognitives de l’accompagné en autonomie. Comme nous l’avons indiqué, cette construction peut être réalisée en partant de ce que les accompagnés savent faire seuls (zone d’autonomie) et/ou par la mise en place d’activités soutenues par un tiers (dans la ZPDP) dans le but d’éveiller des processus qui n’auraient pas pu être envisagés sans l’aide de l’accompagnant.

Résultats

Seuls 8 référents numériques sur 15 que compte l’UM ont accepté de répondre au guide d’entretien.

Analyse des entretiens réalisés

D’abord, pour ce qui est de l’hypothèse 1, les entretiens soulignent que les référents ont pour objectif de développer chez les enseignants accompagnés trois types d’apprentissages : comportemental, cognitif et idéologique.

Sur le plan du comportement, les entretiens montrent que les référents souhaitent que les enseignants entrent dans une démarche de changement durable : « ils ont fait face à des difficultés, ils ont cherché à les résoudre et enfin j’espère qu’ils se sont demandé comment modifier leurs pratiques pédagogiques dans les années qui arrivent. » (Référent 2) Tous les référents disent avoir envoyé des mails informant les enseignants de l’existence de différents outils de visio-conférence (8 référents/8), leur avoir diffusé la procédure de dépôt d’un PDF sous Moodle (3 référents/8) et formulé une procédure de conception d’un scénario pédagogique en ligne (2 référents/8).

Sur le plan cognitif, les référents soulignent que des enseignants ont « [u]n certain retard sur le numérique, mais une capacité d’adaptation » (Référent 7) leur permettant de modifier leur démarche transmissive qu’ils mettent en place depuis des décennies. Ils énoncent en particulier leurs envies d’apporter de la connaissance et de développer des compétences sur les différentes étapes nécessaires à la mise en place sous Moodle d’un cours en ligne selon certaines modalités (4 référents/8) : Moodle se présente comme « [u]n enseignement adapté pour les filières avec des petits groupes et dans lesquelles les étudiants sont en entreprise » (Référent 1), de modalités d’évaluation (6 référents/8) ou encore des différences entre les divers outils de créations de capsules vidéo (2 référents/8). Ces apprentissages, même s’ils constituent un objectif formulé par le référent lors de l’entretien, ne font pas forcément aujourd’hui l’objet d’une formation. Seul un référent (1 référent/8) exprime l’envie de proposer dès la rentrée 2020 une formation qui aurait pour objectif de transmettre aux enseignants des connaissances méthodologiques (ex. : scénarisation d’un cours en ligne, évaluation de connaissances chez les étudiants) et technologiques (ex. : usage de Moodle pour les travaux de groupes et approche des outils de capsule vidéo). Plutôt que de proposer une formation, un autre référent envisage de mettre en place un forum d’entraide auquel tous les enseignants pourront participer et donner leurs retours d’expériences sur les solutions qu’ils ont développées personnellement.

Enfin, sur le plan idéologique, les référents soulignent qu’« il y a eu un impact fort du “distanciel en urgence” dans la manière d’enseigner et de créer les cours ainsi qu’au niveau organisationnel. » (Référent 3). Pour certains enseignants, le fait d’avoir dû utiliser ces pratiques a démystifié certains outils (vidéo-conférence notamment), leurs usages possibles et leurs apports par rapport au présentiel (4 référents/8), laissant entrevoir des envies de la part des enseignants d’aller plus loin dans leurs prochaines pratiques du numérique (3 référents /8). Les référents pensent que pour la plupart des enseignants le numérique ne sera plus vu comme un obstacle, mais comme un facilitateur qui leur permettra désormais de gagner du temps (ex. : sur les quiz proposés sous Moodle). Cependant, certains enseignants semblent avoir rencontré des difficultés d’usage et de mises en oeuvre technique importantes. Ils ne souhaiteront par conséquent plus du tout intégrer ces techniques dans leurs pratiques (1 référent /8) : « Ces situations ont bouleversé certaines pratiques chez des enseignants qui disent que si le numérique est très utile dans certains cas, le présentiel doit demeurer le principe. » (Référent 5) Ce constat peut s’expliquer par la « Difficulté face à la gestion d’un grand nombre de demandes simultanées » par les référents (Référent 8). Pour faire face à la masse de demandes concentrées sur 15 jours et qui s’est ensuite étalée sur deux mois, certains référents envisagent aujourd’hui la « Mise en place de veille technologique et recherche (web, réseau des ingénieurs pédagogiques de l’université) » (Référent 2) ainsi que des formations intra-composantes : « je pense maintenant que construire une formation sur le numérique en pédagogie, pour les enseignants, est une bonne chose » (Référent 6).

Ensuite, en lien avec l’hypothèse 2, l’analyse des entretiens démontre une envie de participer à la construction d’une dynamique d’apprentissage en réseau. Les référents soulignent avoir consulté et utilisé de nombreuses ressources présentes sur la toile : « j’ai beaucoup cherché sur Internet » (Référent 3) car les demandes des enseignants étaient liées à de nouveaux outils que les enseignants ne maîtrisaient pas (4 référents / 8) et « moi non plus » (Référent 2). Peu de référents ont fait appel aux services de la DSIN de l’UM (1 seul référent /8) ainsi qu’aux ressources pédagogiques déjà présentes sur l’Environnement Numérique de Travail (ENT) de l’UM (seul 1 référent /8). Par contre, les référents disent avoir diffusé aux enseignants des tutoriels qu’ils avaient déjà produits personnellement antérieurement (4 référents /8), ou qu’ils ont produits pour l’occasion dans le but de répondre aux difficultés récurrentes des enseignants : la production de Questionnaires à Choix Multiples sous Moodle (5 référents/8), de fichiers PDF à partir d’autres formats comme .doc (4 référents/8) et de méthodologie de scénarisation de cours en ligne (3 référents /8). D’autres référents disent également avoir souhaité mettre en place une entraide, entre enseignants : « J’ai essayé d’initier une approche de travail collaboratif avec l’outil Slack » (référent 2), mais il n’a pas récolté le succès escompté. Les enseignants n’ont pas souhaité participer à ces échanges.

Enfin, en lien avec l’hypothèse 3, dans les entretiens, les référents annoncent que le travail réalisé les a amenés à se former sur de nouvelles solutions techniques (ex. : outils de visioconférences) imposées par les instances universitaires et pour lesquelles ils étaient sollicités par les enseignants (ex. : solutions comme Zoom, Discord, Skype Entreprise et Cisco), sans pouvoir (pour des raisons de temps pour 6/8 référents, de connaissances pour 1/8 référents et d’organisation pour 1/8 référents) assurer un suivi de l’activité réalisée par l’enseignant après le premier contact (demande de l’enseignant et retour du référent).

L’entraide apparaît par ailleurs comme une nécessité pour plus de la moitié des référents (5 référents /8), surtout dans le cadre d’une possibilité de récidive de la pandémie : « Cela risque de se reproduire alors il faut capitaliser sur ce que nous avons appris pour pouvoir faire face à l’avenir avec plus de tranquillité. » (Référent 8) En prévision, un référent propose la mise en place d’une formation : « La rentrée dans des conditions normales étant incertaine, je pense que construire une formation sur le numérique en pédagogie, pour les enseignants » (Référent 7), de manière à leur permettre de « continuer de les utiliser. » (Référent 4)

Des conséquences pour une transformation durable des pratiques enseignantes

La fonction d’accompagnement, pour s’installer dans une durée, doit tenir compte des conduites et des conditions dans lesquelles ces conduites sont mises en oeuvre. Non prescriptible, mais prenant appui sur le passé et le présent, cette fonction, durant la période de confinement, a permis de développer « une pédagogie adaptée pour que les étudiants continuent d’apprendre dans les meilleures conditions » (Référent 3). De cette expérience en période de confinement, les référents tirent des conclusions pour l’avenir et souhaitent :

  1. structurer un « agir ensemble » au sein des organisations auxquelles ils appartiennent (à la fois à leur composante et à l’UM) à partir de l’identification d’objectifs (de changement de comportement, apprentissage cognitif, et modification de leur représentation du numérique) ;

  2. proposer de nouveaux modes de fonctionnements organisationnels qui engagent les accompagnés dans une mutualisation de leurs pratiques, le partage de leurs expériences pour enrichir une communauté de plus en plus large qu’il reste à créer (communauté composée d’enseignants, mais aussi de référents, ingénieurs pédagogiques, enseignants hors université, etc.) : un référent dit lors de l’entretien avoir répondu à des demandes de « [q]uelques anciens collègues professeurs des écoles » (Référent 4). Cela souligne tout l’engagement de ses acteurs à répondre à une demande dépassant leurs fonctions de titulaire à l’UM ;

  3. donner de la visibilité aux activités déjà menées et la projection de ces activités sur des possibles en vue de constituer un levier à la reconnaissance de cette fonction, leur donnant la possibilité de « recontacter les enseignants après qu’ils aient réussi (ou non) à mettre en place l’action pour laquelle ils avaient été sollicités » (Référent 4).

Ces envies permettront peut-être :

  1. d’offrir de nouveaux apports, ce qui, pour la plupart des référents, s’est limité à la résolution de problèmes techniques. Certains référents souhaiteraient faire remonter à l’UM les besoins des enseignants auxquels ils n’ont pas su répondre comme la gestion de la fraude (6 référents/8), mais aussi la possibilité de mettre à disposition de tous des ressources pédagogiques (3 référents/8) qu’ils ont eux-mêmes produites (ex. : tutoriel) ;

  2. être soutenu dans leurs initiatives : « en association avec la direction, j’ai créé une enquête qui a été distribuée aux enseignants de l’IUT de Montpellier-Sète. » (Référent 4) ;

  3. de déterminer leur rôle et faire falloir leurs actions auprès des enseignants, mais aussi de l’ensemble des acteurs de l’université  : « Je comprends aujourd’hui leurs besoins en numérique » (Référent 2) des enseignants, mais « j’ai aussi apporté mon aide aux agents administratifs » (Référent 8) à propos de l’usage des outils de visio-conférences notamment.

Au bout du compte, la validation des trois hypothèses semble montrer que la mise en place d’une activité d’accompagnement prenant appui sur le Web 2.0 a favorisé chez les référents questionnés le développement de nouvelles « volontés » et « capacités à agir ». Cela s’est traduit par la définition d’une stratégie personnelle visant l’autonomie des accompagnés (ex. : production de formations, de tutoriels, envie de partager les expériences au sein de réseaux, d’accorder du temps au suivi de ces activités d’accompagnement dans le temps, allant bien au-delà des acteurs enseignants et des questions/réponses techniques) (hypothèse 3), prenant appui sur une communauté (inexistante aujourd’hui) qui permettrait de fonder une démarche basée sur une mutualisation des actions (ex. : retours expériences, ressources numériques et formations déjà dispensées) (hypothèse 2) dans une perspective d’incitation à modifier durablement un comportement (ex. : prises d’initiatives), un état de connaissances (ex. : usage d’outils et leur catégorisation) et/ou une idéologie des accompagnés (ex. : le numérique peut permettre de gagner du temps et faciliter le travail quotidien de l’acteur sur des tâches répétitives) (hypothèse 1).

Conclusion

L’analyse des entretiens menés montre que l’entrée du numérique sur la scène de la pédagogie offre un boulevard d’actions à la fonction d’accompagnement. Elle peut premièrement élargir son champ d’action aux horizons du cyberespace – dans lequel le paramètre « espace-temps » est ancré dans une réalité obéissant à une dimension du fait social caractérisée par de nouvelles « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu » (Durkheim, 1988, p. 97). Deuxièmement, elle offre l’opportunité d’incorporer, au sein des processus d’accompagnement, des pratiques innovantes visant le développement de l’autonomie de l’accompagné (enseignant) à travers par exemple la mise en place de tableaux de bord lui permettant de visualiser l’évolution de ses propres pratiques sur une durée donnée (ex. : année universitaire, carrière, etc.). Ces tableaux de bord n’existent pas encore. Ils permettraient un engagement durable et une motivation intrinsèque pour certains enseignants. Troisièmement, cette fonction d’accompagnement, pour sa reconnaissance institutionnelle, se doit d’apparaître comme un outil à la mise en place d’une transversalité qui dépasse les activités enseignantes. Elle peut être interrogée au sujet de son rôle à jouer dans le développement d’une ZPDP de tout acteur participant à l’activité de l’Université (ex. : agent administratif, gestionnaire de formation). C’est de cette manière que des changements profonds et durables trouveront un ancrage solide et institutionnel.

En l’état, la présente enquête a permis d’obtenir des résultats qui semblent encourageants pour faciliter le développement de la fonction d’accompagnement. Cependant, la démarche méthodologique reste exploratoire compte tenu du nombre de retours. De nouveaux travaux en partenariat avec d’autres universités sont actuellement envisagés et permettent de circonscrire cette fonction d’accompagnant au sein de nos universités.