Corps de l’article

Problématique

Lors de la période d’insertion professionnelle, de nombreux enseignants débutants ressentent des besoins de soutien de natures diverses (Brault-Labbé, 2015; Desmeules et Hamel, 2017). Or, lorsqu’ils sont non comblés, ces besoins de soutien peuvent engendrer des répercussions sur la qualité de l’enseignement, sur la réussite éducative des élèves et peuvent mener les nouveaux enseignants vers l’épuisement professionnel, voire l’abandon de la profession (Ciavaldini-Cartaut, Marquie-Dubie et d’Arripe-Longueville, 2017; Forseille et Raptis, 2016). Au Québec, le taux d’attrition est évalué entre 20 % et 30 % (Karsenti, Collin et Dumouchel, 2013) et le décrochage professionnel peut contribuer à la pénurie d’enseignants qualifiés dans laquelle le Québec s’engage graduellement (Tardif, 2016). L’amélioration de l’entrée dans la profession est essentielle afin de diminuer les problèmes psychologiques des enseignants débutants qui ont moins de cinq années d’expérience (Martineau, Gervais, Portelance et Mukamurera, 2008), de favoriser leur bien-être, de réduire l’absentéisme au travail pour des raisons de santé mentale et d’augmenter la persévérance professionnelle des enseignants et la réussite éducative des élèves (Perez-Roux et Lanéelle, 2018).

Afin d’appuyer et d’outiller les recrues, des programmes d’insertion professionnelle, composés de différentes mesures de soutien, ont progressivement été mis en place au Canada et ailleurs dans les pays de l’OCDE (Kutsyuruba et Walker, 2017; OCDE, 2015). Au Québec, une mesure budgétaire a été créée afin de favoriser la mise en place de mesures de soutien (Gouvernement du Québec, 2013) et la situation tend à s’améliorer. En effet, 62 % des commissions scolaires francophones se sont dotées d’un programme d’insertion professionnelle (Mukamurera et Desbiens, 2018). Toutefois, le fait que des mesures de soutien soient de plus en plus offertes aux débutants constitue un premier pas intéressant, mais ne suffit pas, puisque nous ne savons pas comment sont perçues ces mesures de soutien par ceux qui en bénéficient. En effet, Brault-Labbé (2015) met de l’avant l’importance de faire une évaluation de l’efficacité des programmes d’insertion professionnelle et de la pertinence des mesures de soutien. Par ailleurs, cette condition d’efficacité n’a été retrouvée dans aucun des programmes d’insertion professionnelle québécois (Martineau et Mukamurera, 2012). Pourtant, connaître la perception du soutien reçu et le degré d’aide apportée par les mesures de soutien s’avère important pour envisager des améliorations aux programmes d’insertion professionnelle. Considérant que la mise en oeuvre des mesures de soutien est onéreuse (Ingersoll, 2012) et qu’il importe que les enseignants débutants soient compétents et épanouis (Perez-Roux et Lanéelle, 2018), les mesures de soutien offertes aux nouveaux enseignants doivent être réfléchies et réellement aidantes. Il semble donc essentiel d’en savoir plus sur la perception de l’aide et du soutien apportés aux recrues par le biais des mesures de soutien disponibles.

Le soutien

Dans le cadre de cet article, nous utilisons le terme « soutien » en lien avec les mesures de soutien consenties aux enseignants lors de leur insertion professionnelle, ainsi qu’avec la perception que les enseignants en insertion professionnelle ont du soutien reçu. Il est donc important de définir le soutien et d’aborder ces différents volets.

Selon Cramp et Bennett (2013), en dépit de l’utilisation quotidienne et généralisée du terme « soutien », ce concept reste ambigu et manque de clarté. En effet, dans la majorité des textes recensés, les auteurs ne définissent pas ce qu’ils entendent par « soutien », mais renvoient plutôt aux moyens ou aux modalités de soutien utilisés. D’abord, certains chercheurs abordent le soutien octroyé aux enseignants débutants en établissant des liens avec les communautés d’apprentissage (Bell-Robertson, 2015; Fresko et Nasser-Abu Alhija, 2015) alors que d’autres chercheurs utilisent les termes « mesures de soutien » ou « dispositifs de soutien » pour parler du soutien octroyé aux nouveaux enseignants comme le mentorat, les trousses d’accueil, les formations et les séminaires pour les recrues, etc. (Ahn, 2014; Perez-Roux et Lanéelle, 2018; Potemski et Matlach, 2014). Dans le cadre de cet article, nous allons aborder les mesures de soutien offertes aux enseignants débutants. Sachant qu’un programme d’insertion professionnelle est

un ensemble constitué de mesures, d’activités et de dispositifs institutionnels établis dans le but explicite d’aider (accueillir, introduire, orienter, intégrer, initier, accompagner) de manière formelle et systématique les nouveaux enseignants au cours de leurs premières années de carrière.

Mukamurera et Desbiens, 2018, p. 11

Nous pouvons mettre de l’avant que les mesures de soutien sont incluses dans un programme d’insertion professionnelle et qu’elles constituent une aide précise. Elles peuvent notamment contribuer à l’amélioration des diverses compétences professionnelles, à l’augmentation de la satisfaction des nouveaux enseignants à l’égard de leur travail, à la rétention du personnel, et par le fait même, à la persévérance et à la réussite des élèves (Ciavaldini-Cartaut et al., 2017; Ingersoll, 2012).

En analysant les programmes d’insertion élaborés et mis en place par dix-neuf commissions scolaires québécoises, Mukamurera et Martineau (2013) ont recensé dix-huit mesures de soutien à l’insertion professionnelle offertes : 1) réunion ou rencontre d’information; 2) présentation à l’équipe-école; 3) trousse d’accueil; 4) portail d’informations; 5) mentorat; 6) cybermentorat; 7) personne-ressource désignée ; 8) assistance de professeurs d’université; 9) formations et séminaires; 10) groupe de discussion; 11) groupe de soutien en ligne; 12) groupe d’analyse de pratiques professionnelles; 13) temps de planification en commun; 14) observation en classe et rétroaction formative; 15) allègement de la tâche; 16) création d’un portfolio de développement professionnel; 17) libération pour participer à certaines mesures de soutien; 18) soutien de la direction.

Certaines de ces mesures se ressemblent beaucoup et les chercheurs ont respecté la terminologie utilisée par les commissions scolaires. Ainsi, la trousse d’accueil qui constitue un recueil d’informations importantes pour le nouvel enseignant peut ressembler au portail d’information qui peut être considéré comme une version « en ligne » de la trousse d’accueil. Il est difficile de baliser les différentes mesures de soutien puisque leurs modalités varient grandement d’un milieu à un autre (Carpentier, 2019). Par exemple, l’observation en classe peut être réalisée par un pair, un conseiller pédagogique ou la direction d’établissement et être utilisée avec une visée d’analyse réflexive ou d’évaluation (Bouchamma, Giguère et April, 2016). Autre exemple, les modalités du mentorat, qui renvoie généralement à l’accompagnement d’un enseignant débutant par un enseignant expérimenté ou un conseiller pédagogique, diffèrent aussi d’un programme à l’autre (Martineau et Mukamurera, 2012). « Certains programmes prévoient un encadrement plus strict (rencontre de formation au départ, rencontre de bilan à la fin, supervision des dyades par la direction, etc.), alors que d’autres programmes laissent davantage de liberté à l’enseignant débutant en lui permettant de choisir le moment, le lieu et la fréquence des rencontres avec son mentor » (p. 50).

Dans un autre ordre d’idées, pour sélectionner judicieusement les mesures de soutien offertes dans les programmes d’insertion professionnelle et pour offrir des programmes pertinents, il est nécessaire d’avoir des informations sur la perception de l’aide apportée aux recrues par le biais des mesures de soutien. Ainsi, la perception de l’aide reçue renvoie à une appréciation personnelle. Selon Streeter et Franklin (1992, p. 81), ce concept est associé à « l’évaluation cognitive d’une personne à propos du soutien qu’elle estime recevoir ». Bruchon-Schweitzer (2002) distingue clairement le soutien offert de la perception du soutien reçu et considère que la perception apporte une idée de transaction entre l’individu et son environnement. La perception renvoie donc à une évaluation personnelle et subjective de la mesure de soutien reçue. Cela nous mène à l’objectif de cet article qui est d’identifier les mesures de soutien offertes aux enseignants débutants et de décrire et de comprendre la perception de l’aide apportée par celles-ci.

Méthodologie

Afin de répondre à l’objectif central de cet article, un devis méthodologique mixte séquentiel explicatif (Johnson, Onwuegbuzie et Turner, 2007) a été utilisé puisque deux collectes de données ont été effectuées, l’une à la suite de l’autre. Des analyses quantitatives ont d’abord été réalisées à partir de données secondaires issues d’une enquête par questionnaire. Puis, des analyses qualitatives ont été effectuées sur un corpus de données collectées au moyen d’entrevues semi-dirigées. Cette seconde phase d’analyse a permis d’expliquer, de nuancer ou de clarifier les résultats quantitatifs issus de la première étape (Briand et Larivière, 2014).

Volet quantitatif

Nous avons exploité une base de données issue d’une enquête par questionnaire menée auprès de 250 enseignants québécois (Mukamurera et Martineau, 2013). L’objectif de l’enquête était de brosser un portrait des besoins de soutien des enseignants débutants et des pratiques d’aide à l’insertion professionnelle. Puisque la problématique concerne ici les enseignants débutants, les réponses d’un sous-échantillon de 156 enseignants qui avaient une expérience d’enseignement autodéclarée de cinq ans et moins ont fait l’objet d’une analyse secondaire des données. Ce sous-échantillon est composé de 127 femmes (81 %) et de 29 hommes (19 %). La majorité de ces répondants avaient moins de 30 ans (66 %), 57 % étaient à statut précaire, tandis que 43 % étaient à statut régulier. Ces caractéristiques sont similaires à celles présentes dans la population visée (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2016), soit les enseignants débutants au Québec. Ces recrues enseignaient à l’ordre d’enseignement préscolaire et primaire (n=91), secondaire (n=41) ou à la formation professionnelle et à la formation aux adultes (n=24).

L’analyse a porté sur une question spécifique du questionnaire qui demandait aux participants, dans un premier temps, d’identifier les mesures de soutien dont ils ont bénéficié à partir de la liste présentée dans la section précédente. Dans un deuxième temps, ils étaient invités à indiquer le degré d’aide perçue pour chaque mesure de soutien reçue, à l’aide d’une échelle descriptive à trois niveaux : peu ou pas aidant, moyennement aidant ou très aidant. Des analyses descriptives (fréquence et pourcentages) ont été réalisées pour établir le portrait des mesures offertes, le nombre d’enseignants débutants qui en bénéficient et le degré d’aide perçue pour chacune des mesures de soutien à l’aide du logiciel SPSS.

Volet qualitatif

Des entrevues semi-dirigées individuelles ont été réalisées en 2017 afin de compléter les réponses obtenues lors de l’enquête par questionnaire et d’approfondir la compréhension de la perception de l’aide reçue par le biais des mesures de soutien. En effet, l’entrevue semi-dirigée permet aux interviewés de s’exprimer en toute liberté et d’expliciter des phénomènes complexes et multifactoriels (Savoie-Zajc, 2018). Quinze thèmes ont été abordés avec les participants et celui qui porte sur les mesures de soutien reçues a été analysé pour cet article.

Les entrevues ont été effectuées auprès de dix enseignants issus du sous-échantillon des 156 enseignants débutants retenus pour notre analyse. Ils ont été sélectionnés sur la base du critère de diversification afin d’obtenir des données riches et variées. Ainsi, les dix enseignants avaient pu bénéficier de mesures de soutien variées et enseignaient au primaire (n=6), au secondaire (n=2), à la formation générale aux adultes (n=1) et en formation professionnelle (n=1). Cinq d’entre eux avaient un statut d’emploi régulier (contrat) et les cinq autres étaient à statut précaire. Finalement, puisque quatre années séparent l’enquête par questionnaire et les entrevues, les participants avaient entre 5 et 10 ans d’expérience en enseignement au moment des entrevues. Toutefois, il leur a été demandé de répondre en fonction de leurs cinq premières années d’enseignement.

Les entrevues ont été retranscrites puis analysées à l’aide du logiciel QDAMiner. Nous avons procédé à une analyse thématique des entrevues, une technique qui permet « d’identifier de quoi parle un document par le repérage, le comptage et la comparaison des thèmes, des idées directrices, et des termes pivots » (Van der Maren, 1996, p. 414). Nous avons d’abord dressé un plan initial de codification à partir de la liste des différentes mesures de soutien utilisées dans le questionnaire d’enquête (Mukamurera et Martineau, 2013). Puis, nous avons codé les verbatims d’entrevues afin d’avoir un aperçu de ce que les enseignants interrogés avaient reçu comme mesure de soutien et ce qu’ils avaient mentionné à propos de chacune des mesures. Par la suite, nous avons identifié les commentaires positifs, négatifs et mitigés pour chacune des mesures, afin de dégager leur perception quant à l’aide reçue.

Ce que l’enquête par questionnaire nous apprend

Nous exposons au tableau 1 les résultats relatifs aux mesures de soutien octroyées aux recrues ainsi que la perception du degré d’aide apportée selon les débutants qui ont bénéficié de ces mesures. Les mesures de soutien sont présentées en ordre de la plus offerte à la moins offerte. De plus, les mesures de soutien perçues comme les plus aidantes sont encadrées. Le premier N renvoie à l’ensemble des répondants qui attestent avoir reçu ou non chacune des mesures de soutien. Le second N renvoie au nombre de répondants qui ont bénéficié de la mesure et qui jugent du degré d’aide apportée par cette dernière (pas ou peu aidant, moyennement aidant ou très aidant). Par exemple, pour la présentation à l’équipe-école, 154 répondants ont identifié avoir obtenu ou non la mesure de soutien (premier N). Ensuite, les 125 répondants qui ont bénéficié de cette mesure de soutien (second N) ont répondu à la deuxième partie de la question et ont évalué le degré d’aide perçue par la mesure. Les résultats sont présentés en termes de fréquences (F) et de pourcentages (%) des répondants.

D’abord, les premières mesures de soutien présentées dans le tableau sont les mesures les plus offertes aux enseignants débutants[1]. Dans l’ordre, ces mesures sont la présentation à l’équipe-école, le soutien de la direction d’école, les trousses d’accueil, les rencontres d’information sur l’école, les formations, séminaires ou conférences pour recrues et les portails d’information. Bien que ces mesures soient les plus offertes, aucune ne figure parmi celles jugées les plus aidantes[2]. En effet, les mesures encadrées dans le tableau sont les mesures perçues comme les plus aidantes par les recrues : l’allègement de la tâche, le temps de planification en commun et le mentorat. Ces mesures, bien que perçues comme les plus aidantes, ne figurent pas parmi les mesures les plus offertes, bien au contraire. L’allègement de la tâche, qui apparaît comme une mesure très aidante, n’a été octroyé qu’à 3 % des répondants et figure tout en bas du tableau 1.

Tableau 1

Mesures de soutien et degré d’aide perçue

Mesures de soutien et degré d’aide perçue

Note. La somme dépasse les 100 % puisque les pourcentages ont été arrondis à la hausse.

-> Voir la liste des tableaux

Par ailleurs, alors que certaines mesures ressortent comme étant très aidantes par un grand nombre de répondants, de façon générale, les résultats montrent que l’aide perçue par les enseignants débutants qui ont bénéficié des mesures de soutien est assez variable. En effet, une même mesure de soutien peut parfois être perçue comme très aidante par des répondants alors que d’autres la perçoivent comme pas ou peu aidante. Par exemple, un peu plus de la moitié (58 %) des enseignants débutants qui ont eu accès à des formations, séminaires ou conférences pour recrues ont perçu cette mesure comme moyennement aidante alors que 17 % l’ont trouvée pas du tout ou peu aidante et que 25 % l’ont jugée très aidante. Les entrevues devaient donc permettre de mieux comprendre ces différences dans la perception de l’aide apportée par les mesures de soutien.

Ce que les entrevues nous apprennent

L’analyse des entrevues permet de mieux comprendre en quoi les mesures de soutien sont plus ou moins aidantes. Précisons d’emblée que les enseignants interrogés n’avaient pas reçu toutes les mesures de soutien mentionnées dans l’enquête par questionnaire. Nous présentons donc les mesures de soutien dont certains enseignants interrogés ont bénéficié parmi celles perçues comme les plus offertes et parmi les plus aidantes.

Les mesures de soutien les plus octroyées

Dans un premier temps, certains enseignants qui ont participé aux entrevues avaient bénéficié de mesures de soutien parmi les plus offertes : la présentation à l’équipe-école, les trousses d’accueil ainsi que les formations offertes aux nouveaux enseignants. D’abord, la présentation à l’équipe-école semble nécessaire pour plusieurs enseignants et elle peut prendre diverses formes. Dans certaines écoles, ce sont des personnes désignées qui font l’accueil et les présentations (enseignant, secrétaire, direction) alors que dans d’autres, c’est lors de la première réunion de l’année que les présentations officielles sont faites avec tout le personnel en même temps. Pour les enseignants interrogés, cette mesure est essentielle, mais tient plus de l’accueil normal que d’une réelle mesure de soutien à l’insertion. Ainsi, l’enseignant E9 affirme « qu’il faut simplement savoir dans quel univers on vient de s’immerger. Aussi, c’est bien peu par rapport à toute la solitude qu’un enseignant peut ressentir ». Deux autres enseignants (E4 et E7) posent la même question : « est-ce vraiment une mesure de soutien ? ». En comparaison avec d’autres domaines professionnels, plusieurs enseignants ont l’impression que le fait qu’ils soient présentés à leurs collègues devrait aller de soi et affirment être surpris que le milieu scolaire considère cela comme une mesure de soutien à part entière.

Ensuite, les trousses d’accueil offrent une multitude d’informations pour les nouveaux enseignants : « dans la trousse de départ, il y a les informations pour le syndicat, pour la paye, le calendrier scolaire, l’horaire des spécialistes, les dates de bulletin et plein d’informations essentielles » (E3). La trousse est, dans la plupart des cas, remise par la secrétaire de l’école, par une responsable désignée ou déposée dans le pigeonnier du nouvel enseignant. Dans un seul cas, c’est la direction de l’école qui a rencontré le nouvel enseignant pour lui remettre la trousse en main propre. Tout comme la mesure qui consiste à présenter le nouvel enseignant à l’équipe-école, cette mesure de soutien semble aller de soi pour plusieurs enseignants interrogés. D’ailleurs, deux enseignants soulignent qu’il est normal et essentiel qu’un nouvel enseignant ait accès à l’horaire des cours et au calendrier scolaire. Un autre des enseignants interrogés qui a travaillé dans plus de huit écoles différentes durant son insertion professionnelle souligne « que ce type de document est essentiel pour un enseignant qui arrive en début d’année et encore plus pour un enseignant qui arrive en cours d’année scolaire » (E4). En effet, le type d’informations fournies dans les trousses d’accueil s’avère indispensable au bon fonctionnement de l’enseignant dans son milieu professionnel; un enseignant atteste d’ailleurs de l’importance de mettre à jour les informations contenues dans ces trousses puisque « c’est un outil sur lequel nous devons pouvoir nous fier » (E5).

Puis, quatre enseignants ont abordé les formations offertes durant leurs premières années d’enseignement et ont soulevé qu’elles pouvaient être aidantes si le sujet correspondait à leurs besoins, si la demande de formation venait directement de l’enseignant débutant ou s’ils étaient libérés pour y assister. L’enseignant E2 mentionne que « les formations qui sont données par la commission scolaire, il y en a des excellentes et il y en a des moins bonnes ». Une des raisons soulevées par les enseignants interrogés est que certaines formations ressemblent beaucoup aux cours universitaires que les enseignants débutants ont suivis en formation initiale. À ce sujet, un des interviewés mentionne qu’« il y a beaucoup de formations générales, alors que j’ai besoin d’avoir de l’information très spécifique sur ce que je dois faire concrètement » (E10). Cet enseignant mentionne également qu’il aurait préféré avoir du temps reconnu pour discuter et planifier avec ses collègues. Dans le même ordre d’idées, certains enseignants soulignent que les formations qui leur sont offertes sont les mêmes qu’aux enseignants chevronnés alors que leurs besoins sont différents : « Ce n’est pas aidant d’avoir les mêmes formations que les plus anciens. J’ai besoin de formations sur comment commencer l’année, comment installer ma gestion de classe, etc. » (E8). De plus, puisque le soutien est souvent offert aux enseignants qui ont un contrat ou qui sont dans une école dès le début d’année, un enseignant précise qu’il a eu du soutien seulement à sa troisième année d’insertion, alors que les deux premières avaient été très difficiles. En effet, cet enseignant affirme « qu’en faisant de la suppléance, on a très peu de considération et de reconnaissance pour le travail fait et on n’a souvent droit à aucun soutien ! » (E4)

Les mesures de soutien les plus aidantes

Dans un deuxième temps, certains enseignants interrogés avaient bénéficié de mesures de soutien perçues comme étant très aidantes : le temps de planification en commun ainsi que le mentorat. En ce qui a trait au temps de planification en commun, deux enseignants y ont eu accès. Pour le premier, durant les journées pédagogiques, deux enseignants expérimentés qui enseignaient au même niveau réservaient du temps, « puis on planifiait des fois tout le mois, toute l’étape globalement et même certaines évaluations spécifiquement et du matériel pédagogique. Ensuite, on partait chacun de notre côté avec notre tâche » (E6). Pour cet enseignant débutant, cette mesure, perçue comme très aidante, semble mise en place par l’équipe-niveau et non par l’école ou la commission scolaire; il n’y a donc pas d’aménagement ou de reconnaissance de temps pour ce travail collaboratif. Pour le second, lui et son collègue du même niveau avaient quinze minutes de temps reconnu par semaine pour se rencontrer et faire la planification de la semaine à venir. « C’était pendant les récréations, je déferlais mes questions sur la planification, mais aussi parfois sur la gestion de classe » (E4). Le peu de temps alloué semble problématique pour cet enseignant, qui mentionne à différentes reprises qu’il s’est senti pressé et qu’il devait rapidement poser ses questions et espérer obtenir des réponses complètes. Cependant, il soulève tout de même que cette mesure est aidante et que « c’est sûr que c’est très rassurant d’avoir des conseils d’une enseignante d’expérience sur les interventions les plus pertinentes à apporter ou des petits trucs de gestion de classe ou le partage de matériel pédagogique » (E4).

Pour le mentorat, cinq enseignants sur les dix interrogés en entrevue en ont bénéficié. Les enseignants jugent cette mesure comme étant aidante grâce au partage de matériel pédagogique et au soutien ressenti sur le plan émotionnel. L’enseignante E8 affirme que « si j’avais une montée de stress, je savais que j’allais être reçue, donc ça, c’était aidant ». De plus, le mentorat est perçu comme plus aidant lorsque les enseignants débutants sont jumelés avec des enseignants de la même école ou du même niveau. Ainsi, un des enseignants affirme que « c’est beaucoup plus facilitant vu qu’on connait déjà la personne. C’est plus rassurant, moins gênant d’aller lui demander des conseils » (E5). En effet, le principal bémol qui est ressorti est à propos du jumelage. À ce sujet, trois enseignants qui intervenaient en adaptation scolaire avaient comme mentor des enseignants du régulier : « Sur le plan affectif, ça peut quand même être aidant, mais pas sur les interventions, la planification parce que je suis en adaptation et mon mentor est au régulier. Elle ne comprend pas du tout ma réalité » (E8). Même son de cloche pour une enseignante en français langue seconde (classes d’accueil) qui affirme : « mon mentor ne savait pas comment faire, elle ne m’a pas aidée et elle avait parié que j’allais faire un burnout » (E1). Aux dires de deux des interviewés, un mentor qui n’enseigne pas dans le même champ peut non seulement être moins aidant, mais peut aussi nuire à l’insertion professionnelle et décourager l’enseignant débutant.

Les entrevues permettent de constater que la manière dont les mesures de soutien sont mises en place influence l’aide ressentie par les recrues. Il ne s’agit donc pas simplement d’affirmer que telle mesure est très aidante alors que telle autre ne l’est pas ; il faut plutôt comprendre les conditions mises en place pour qu’une mesure devienne aidante et pertinente aux yeux des enseignants débutants.

Discussion

Afin de répondre à l’objectif de cet article qui est d’identifier les mesures de soutien offertes aux enseignants débutants ainsi que de décrire et de comprendre la perception de l’aide apportée par celles-ci, nous discutons des mesures de soutien offertes aux enseignants débutants afin de faire ressortir ce qui les rend aidantes ou non.

La présentation à l’équipe-école est la mesure de soutien la plus offerte aux recrues ayant participé à notre étude (82 %); 48 % des enseignants qui en ont bénéficié la jugent très aidante et plusieurs interviewés considéraient cette mesure comme essentielle et légitime. Cette mesure permet d’amorcer la connaissance mutuelle et le réseautage professionnel avec des collègues. Duchesnes et Kane (2010) soulignent l’importance d’avoir un membre du personnel de l’école mandaté pour accueillir et présenter à l’ensemble de l’équipe-école les nouveaux enseignants lors de leur première journée de travail. Plusieurs études ont mis en évidence l’importance d’un accueil chaleureux, et ce, dès la première journée du nouvel enseignant (Brault-Labbé, 2015; Forseille et Raptis, 2016; Kutsyuruba et Walker, 2017). Pourtant, certains enseignants débutants doivent attendre plusieurs jours pour que les présentations soient faites, voire attendre à la première réunion du personnel (Auclair-Tourigny, 2017; Duchesnes et Kane, 2010).

Selon Hochberg, Desimone, Porter, Polikoff, Schwartz et Johnson (2015), lorsqu’une école ou une commission scolaire octroie un contrat ou une suppléance à long terme à un nouvel enseignant, elle devrait lui fournir des informations générales sur les aspects administratifs, dont l’organisation scolaire, l’école et la population scolaire, et des informations spécifiques sur les tâches quotidiennes, notamment l’horaire de l’école et l’horaire des surveillances, les spécialistes, les codes d’accès, etc. Ce type d’information est souvent remis aux nouveaux enseignants par le biais de trousses d’accueil (Potemski et Matlach, 2014). Les participants de cette étude sont nombreux à avoir eu accès à cette mesure (60 %), bien que les documents ne soient pas toujours à jour ni offerts à ceux qui sont embauchés en cours d’année scolaire. Les enseignants embauchés durant l’année interrogés par Duchesne et Kane (2010) ont également soulevé cette problématique et se sont sentis oubliés par l’administration de l’école. Pour que cette mesure soit aidante, les informations fournies doivent également s’avérer fiables et être remises à tous les enseignants qui arrivent dans une nouvelle école (Hochberg et al., 2015). Certains chercheurs attestent que la personne désignée pour informer les nouveaux enseignants de cette mesure de soutien devrait être la direction de l’école afin d’optimiser l’accueil et d’instaurer rapidement une relation de confiance (Ahn, 2014). Ce ne fut pas le cas pour la majorité des enseignants interrogés dans le cadre de cette recherche, car un seul enseignant a reçu sa trousse d’accueil par la direction de l’école, alors que les autres ont reçu cette trousse par l’intermédiaire de la secrétaire de l’école ou directement dans leur pigeonnier.

Les formations, séminaires et conférences pour les nouveaux enseignants sont offerts à de nombreuses recrues (61 %), malgré le fait que cette mesure soit perçue comme très aidante par seulement 26 % des enseignants qui en ont bénéficié. L’utilité de ces formations ne fait pas non plus l’unanimité chez les enseignants interrogés. Certaines conditions de mise en oeuvre semblent rendre cette mesure efficace. En effet, certains enseignants débutants y ont trouvé leur compte lorsque les thèmes abordés les intéressaient et étaient présentés de manière explicite ou lorsqu’ils avaient eux-mêmes fait des demandes de formation à leur direction. D’autres ont plutôt mentionné que ces formations étaient redondantes avec leurs cours universitaires, les jugeant très théoriques et peu axées sur leur nouvelle réalité. Tout comme Auclair-Tourigny (2017) et Desmeules et Hamel (2017) l’ont rapporté, certains enseignants ont jugé que leur temps aurait été mieux investi à planifier avec des collègues ou à corriger les travaux d’élèves. Encore une fois, l’allègement de la tâche et le besoin de planifier avec les collègues ressortent comme des conditions qui facilitent l’insertion des enseignants.

La mesure de soutien perçue comme étant la plus aidante, l’allègement de la tâche, est également la mesure de soutien la moins offerte aux enseignants débutants (3 %). Aucun enseignant interviewé n’a reçu cette mesure de soutien, ce qui nous aurait permis de mieux comprendre son fonctionnement. Or, l’idée de réduire ou de modifier la tâche des nouveaux enseignants revient chez plusieurs chercheurs qui s’intéressent à la problématique de l’insertion professionnelle. En effet, certains prônent un réel dégagement de temps afin que les enseignants débutants puissent planifier (Corbell, 2009; Duchesne et Kane, 2010) et collaborer avec d’autres collègues (Moir, 2009). Ces deux éléments requièrent des périodes de libération et ces besoins ressortent dans les propos des enseignants de cette étude ainsi que ceux des enseignants sondés par Duchesne et Kane (2010) et par Auclair-Tourigny (2017). Parmi les autres façons d’opérationnaliser cette mesure de soutien, il y a la diminution du ratio élève enseignant et le fait de limiter le nombre d’élèves jugés très difficiles dans les groupes (Brault-Labbé, 2015). De plus, plusieurs chercheurs évoquent que l’attribution des tâches en fonction du champ de formation contribue à alléger la tâche des recrues (Ingersoll, 2012 ; Mukamurera et Fontaine, 2017). Dans le même ordre d’idées, Corbell (2009) propose de réduire le nombre de planifications différentes qu’un enseignant doit faire en évitant que les débutants enseignent plusieurs matières ou à plusieurs niveaux en même temps et de limiter la participation des recrues à divers comités. Ces différentes avenues pourraient être envisagées afin de soutenir réellement les enseignants débutants, bien que leur implantation exige une réelle concertation entre les commissions scolaires et les syndicats.

Le temps de planification de cours en commun est la deuxième mesure perçue comme la plus aidante selon les enseignants débutants, ce qui corrobore les travaux d’Ingersoll (2012) qui montre que cette mesure, combinée avec le mentorat et le soutien administratif, contribue à prévenir le décrochage professionnel. Deux enseignants interrogés ont eu du temps de planification en commun avec leurs collègues de même niveau. Leurs expériences sont bien différentes. Alors qu’un des enseignants avait seulement 15 minutes reconnues hebdomadairement (ce qui était insuffisant), l’autre disposait d’une demi-journée par mois pour planifier avec ses collègues. Bien que les deux enseignants perçoivent cette mesure de soutien comme étant très aidante puisque ce partage favorise la socialisation organisationnelle, offre des opportunités d’apprentissages expérientiels et favorise le sentiment d’appartenance des recrues à leur nouveau milieu professionnel, ce sont les conditions de mise en place qui semblent faire la différence. En effet, alors que le premier enseignant témoigne des bienfaits du partage du matériel pédagogique et rapporte avoir constamment manqué de temps durant les brèves rencontres, le second juge l’expérience très aidante puisqu’il pouvait planifier son enseignement et certaines évaluations, puis construire du matériel pédagogique avec ses collègues. Contrairement au premier enseignant, le deuxième participe activement à la planification dans une optique de collaboration, ce qui favorise son engagement en le mettant en action. À cet égard, Hochberg et al. (2015) affirment qu’effectuer de la planification d’activités pédagogiques entre collègues et enseignants débutants est beaucoup plus efficace à long terme que le simple partage de matériel pédagogique. Toutefois, toujours selon ces auteurs, ces mesures requièrent du temps de libération, soit du temps reconnu à l’extérieur des heures de classe ou un allègement de la tâche. Potemski et Matlach (2014) abordent également le temps comme une des conditions principales d’efficacité de cette mesure. On comprend dès lors pourquoi l’allègement de la tâche, qui apparaît comme la mesure de soutien la plus aidante pour les répondants, pourrait constituer une réponse au problème de manque de temps rapporté par ces enseignants débutants et dans d’autres études (Auclair-Tourigny, 2017 ; Maranda, Marché-Paillé et Viviers, 2011).

Le mentorat est jugé comme très aidant par 60 % des répondants et différentes études le considèrent comme étant une mesure fort bénéfique (Brault-Labbé, 2015; Lejonberg, Elstad et Christophersen, 2015). On convient toutefois que l’efficacité de cette mesure dépend de diverses conditions (Fresko et Nasser-Abu Alhija, 2015). En effet, comme l’ont d’ailleurs évoqué les enseignants interviewés dans notre recherche, les mentors doivent enseigner la même matière ou être dans le même champ que l’enseignant avec lequel ils sont jumelés (Bell-Robertson, 2015; Hobson, 2017). Deux des enseignants interrogés vont plus loin en affirmant qu’un mentor qui n’enseigne pas dans le même champ peut aller jusqu’à nuire à l’insertion professionnelle de la personne mentorée. Pour ces deux enseignants, cela semble évident que les conditions et les normes de jumelage jouent un grand rôle dans l’efficacité de cette mesure de soutien. Par ailleurs, les mentors devraient être formés et recevoir une reconnaissance (ex. : compensation monétaire ou libération) pour la charge de travail supplémentaire et être tenus responsables de leur encadrement et du soutien octroyé (Lejonberg et al., 2015).

Conclusion

En somme, les résultats présentés montrent que chacune des mesures de soutien peut être aidante pour les enseignants débutants, mais que les conditions de mise en oeuvre peuvent affecter le degré d’aide perçu. On comprend dès lors qu’il ne suffit pas d’offrir des mesures voire des programmes d’insertion, mais qu’il faut en plus réfléchir sérieusement sur les conditions à mettre en place pour en assurer l’efficacité. En outre, les résultats permettent de faire ressortir que les mesures de soutien les plus offertes ne sont pas nécessairement perçues comme étant les plus aidantes par les enseignants débutants. Autant l’enquête par questionnaire que les entrevues nous ont permis de constater que le besoin d’allègement de la tâche est très présent chez les recrues et qu’ils souhaitent avoir plus de temps pour planifier, préparer du matériel pédagogique et se concerter avec leurs collègues. En ce sens, la prise en compte des besoins de soutien et de la réalité professionnelle des enseignants débutants est essentielle. Par ailleurs, alors que la plupart des recherches se concentrent sur une mesure ou un dispositif de soutien en particulier, comme le mentorat, cette recherche présente l’avantage de porter sur l’ensemble des mesures possibles et de faire ressortir leur potentiel. Elle ouvre ainsi la voie à de nouvelles perspectives, notamment que les mesures de soutien peuvent toutes être aidantes et qu’une combinaison de mesures pourrait permettre de tirer davantage profit de la complémentarité de celles-ci. 

 Malgré les avancées relevées ci-dessus, cette recherche présente deux principales limites. La première, évoquée un peu plus tôt, est que certaines mesures de soutien n’ont pas été octroyées aux enseignants interviewés et qu’en conséquence nous n’avons pas pu en avoir une compréhension approfondie. La deuxième limite est liée au délai entre la passation du questionnaire et la conduite des entrevues semi-dirigées. En effet, quatre années se sont écoulées entre les deux collectes de données et il est possible que certains enseignants aient eu de la difficulté à se remémorer pleinement leur expérience au sujet des mesures de soutien reçues. En dépit de ces limites, le fait de pouvoir mettre en parallèle le portrait des mesures de soutien octroyées aux enseignants débutants et la perception du degré d’aide apportée par ces mesures représente une réelle avancée dans la recherche liée à l’insertion professionnelle. Cette étude a plus particulièrement permis de mettre en relief des mesures susceptibles d’être plus aidantes, tout en relevant les conditions qui favorisent ou nuisent à leur efficacité.

Enfin, en sachant que plusieurs programmes d’insertion professionnelle sont actuellement mis en place au Québec (Mukamurera et Desbiens, 2018), il serait intéressant de proposer des recherches-actions ou des recherches collaboratives dans les commissions scolaires afin d’outiller les décideurs et les intervenants pour la mise en place de programmes complets et pertinents au regard des besoins de soutien des enseignants débutants. De plus, des recherches évaluatives rigoureuses pourraient permettre d’observer les retombées des programmes d’insertion en cours d’implantation au Québec, afin d’obtenir des données fiables sur les impacts sur l’attrition professionnelle, la qualité de l’enseignement, le sentiment d’efficacité et la réussite éducative des élèves. La recherche sur l’insertion professionnelle est riche et abondante, mais les milieux scolaires tardent à en considérer pleinement les résultats afin d’organiser un soutien adéquat aux recrues. Des recherches visant le transfert des connaissances et l’accompagnement des acteurs sur le terrain représentent une voie prometteuse à envisager dans les prochaines années.