Résumés
Résumé
Le travail de supervision amène le constat que de plus en plus de cliniciens éprouvent un malaise profond face à la pertinence de leur profession. Nous appellerons désoeuvrement clinique cette succession d’états (par exemple fatigue, doutes, perplexité) pouvant culminer en une crise identitaire sur le plan professionnel, et pouvant faire l’objet d’une demande de supervision. Ce texte amorce une réflexion quant aux contributions du modèle scientifique-professionnel qui prévaut dans la formation en psychologie, et ses impacts sur le champ thérapeutique. En particulier, le message implicite selon lequel seul le fait empirique a de véritable valeur risque d’entraîner une recherche de certitude qui se veut rassurante. Cette vision se perpétue dans les milieux de pratique, publics notamment, au travers de la notion de données probantes. L’intolérance à l’incertitude et sa contrepartie, la conviction de la certitude, tant au plan organisationnel qu’individuel, entraînent des impacts psychiques délétères chez le clinicien. À son insu, ce dernier est aux prises avec le poids de ce qu’il imagine devoir savoir. Paradoxalement, sa recherche maîtrisée par la « connaissance des faits » risque d’entraîner un appauvrissement de sa capacité à penser de manière créative pour et avec le patient en psychothérapie.
Mots-clés :
- désoeuvrement clinique,
- empirisme,
- données probantes,
- supervision
Abstract
The work of supervision shows that more and more clinicians have troubling doubts about the relevance of their profession. A combination of experiences (eg. fatigue, doubts, perplexity), which we have dubbed clinical futility, can culminate in a professional identity crisis, prompting a request for clinical supervision. This paper proposes a reflection on the contributions of the scientific-professional model which prevails in clinical training, and its impact on therapeutic practice. In particular, the implicit notion that only empirical facts are of value as sources of information leads to a reassuring quest for certainty. This way of thinking is perpetuated in health care settings, particularly public ones, through the notion of evidence-based practices. The intolerance of uncertainty, and its counterpart, the conviction of certainty, at both organizational and individual levels, has a deleterious impact on the clinician’s psychic functioning. Unwittingly, the latter is grappling with the weight of what s/he imagines s/he should know. Paradoxically, the search for mastery through knowledge of the facts leads to an impoverishment of the capacity to think creatively, both for and with the patient.
Keywords:
- clinical impoverishment,
- empiricism,
- evidence-based practices,
- supervision
Parties annexes
Bibliographie
- APA Presidential Task Force on Evidence-Based Practice. (2006). Evidence-Based Practice in Psychology. American Psychologist, 61(4), 271-285.
- Baudelaire, C. (1869). Le Spleen de Paris. Paris : Flammarion, 2017.
- Bion, W. R. (1962). Learning from experience. Londres : William Heinemann.
- Boileau, N. (1674). Satires, Épîtres, Art Poétique. Paris : Galimard, 1985.
- Bollas, C. (2018). Meaning and Melancholia: Life in the Age of Bewilderment. Londres : Routledge.
- Bouchard, M. A. et Guérette, L. (1991). Notes sur la composante herméneutique de la psychothérapie. Revue québécoise de psychologie, 12 (2), 19-32.
- Brun, A., Roussillon, R. et Attigui, P. (2016). Évaluation clinique des psychothérapies psychanalytiques. Paris : Dunod.
- Cripe, L. I. (1997). Personality Assessment of Brain-Impaired patients. Dans M. E. Maruish et J. A. Moses Jr (dir.), Clinical neuropsychology : Theoretical foundations for practionners (p. 119-142). Mahwah : Erlbaum Associates.
- Ferro, A. (2009). Transformations in dreaming and characters in the psychoanalytic field. International Journal of Psychoanalysis, 90, 209-230.
- Goldbloom, D. S. (2003). La psychiatrie fondée sur les données probantes. Bulletin de l’APC, Décembre, 4-5.
- Gunderson, J. G. et Gabbard, G. O. (1999). Making the case for psychoanalytic therapies in the current psychiatric environment. Journal of the the American Psychoanalytic Association, 47(3), 679-704.
- Jonghe, F. de, Rijnierse, P. et Janssen, R. (1992). The role of support in psychoanalysis. Journal of the American Psychoanalytic Association, 40(2), 475-499.
- Khan, M. (1974). Vicissitudes de l’être, du connaître et de l’éprouver dans la situation analytique. Dans Le soi caché (p. 255-273). Paris : Gallimard, 1976.
- Koehler, B. et Silver, A.-L. S. (2009). Psychodynamic treatment of psychosis in the USA: Promoting development beyond biological reductionism. Dans Y. O. Alanen, M. González de Chávez, A.-L. S. Silver et B. Martindale (dir.), Psychotherapeutic Approaches to Schizophrenic Psychoses (p. 217-232). Londres : Routledge.
- Laperrière, R. (1999). Le malaise de l’imposteur. Filigrane, 8 (2), 88-99.
- Leclaire, M. (2008). La psychanalyse dans le gouffre béant de l’efficacité. Filigrane, 17 (1), 15-28.
- Leichsenring, F. et Shauenburg, H. (2014). Empirically supported methods of short-term psychodynamic therapy in depression. Towards an evidence-based unified protocol. Journal of Affective Disorders, 169, 128-143.
- Linehan, M. (2014). DBT skills training manual. New York : Guilford Press.
- Luborsky, L. (2000). Principles of psychoanalytic psychotherapy: A manual for supportive-expressive treatment. New York : Basic Books.
- Maslow, A. H. (1966). The psychology of science. Londres : Harper et Row.
- Norcross, J. C., Hogan, T. P., et Koocher, G. P. (2008). Clinician’s guide to evidence-based practices mental health and the addictions. Oxford University Press.
- Roussillon, R. (2002). Jalons et repères de la théorie psychanalytique du traumatisme. Revue belge de psychanalyse, 40, 25-42.
- Roussillon, R. (2008). Agonie, clivage et symbolisation. Paris : Presses universitaires de France.
- Shedler, J. (2010). The efficacy of psychodynamic psychotherapy. American Psychologist, 65(2), 98-109.