Filigrane
Écoutes psychanalytiques
Volume 25, numéro 2, 2016 Le sujet de la violence
Sommaire (10 articles)
Dossier
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Agir la violence. Quelques déterminants de la violence individuelle et de la violence groupale
Louis Brunet
p. 9–23
RésuméFR :
Cet article présente une analyse des déterminants intrapsychiques de la violence. Les profils psychologiques des individus qui « passent à l’acte » paraissent très divers, allant du commun des mortels au criminel endurci jusqu’au fanatique génocidaire. Comment adviennent la violence individuelle et la violence groupale ? Si l’expression pulsionnelle comme décharge, sans adresse, est à considérer, d’autres manifestations violentes témoignent plutôt d’un message potentiel, c’est-à-dire d’une quête envers l’objet qui saura accorder un sens, permettre la symbolisation. Cet article tend à cerner quelques dynamiques intrapsychiques relevées dans différents cas de figure de la violence actuelle, du criminel local au terrorisme à l’échelle mondiale.
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Du confinement à l’« ici et maintenant », ou quand l’espoir devient chair et désespoir
Alexandre L’Archevêque et Élise Bourgeois-Guérin
p. 25–40
RésuméFR :
La modification du rapport à la spatialité et à la temporalité qui accompagne l’avènement des nouvelles technologies de télécommunication fait en sorte que, désormais, le corps occupe de plus en plus d’espace, tandis que l’existence d’une âme immatérielle est mise en doute. S’ensuit la nécessité de vivre au présent, à la fois source de plaisir et d’angoisse. En partant de l’origine du dualisme corps-esprit dans la philosophie occidentale et en passant par le paradigme monothéiste judéo-chrétien pour arriver au paradigme évolutionniste, nous verrons comment le bouleversement de notre compréhension du rapport entre corps et esprit peut avoir des incidences sur la clinique. Nous insisterons plus particulièrement sur le vacillement de la notion d’espoir. Sur cette base, et en évitant la terminologie habituelle (névrotique, état-limite, pervers, etc.), nous décrirons diverses dispositions envers la psychothérapie qui amènent à reconsidérer le rôle du clinicien. En effet, ce dernier, plutôt que de chercher à favoriser la levée du refoulement, pourrait parfois au contraire permettre celui-ci. Nous terminerons cette réflexion en discutant du coût psychique associé à l’« incarnation au présent », à l’absence d’un ailleurs métaphysique où se projeter, s’imaginer. En ce début du xxie siècle, comment poursuivre la quête de sens dans un monde vécu comme essentiellement matière ?
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« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur [nos] têtes ? »
Francis Maqueda
p. 41–60
RésuméFR :
Caractéristiques de notre époque, l’image immédiate, l’idée du village planétaire et la vision médiatique et mondialisée de notre environnement nous rendent de plus en plus mêlés au monde, au point que ici et là-bas s’interpénètrent et se contaminent. Dans ce monde, la violence externe est prégnante, mais elle fait peut-être écho à une violence interne. Dans ce registre, les cliniciens sont de plus en plus confrontés à des questions inédites dont il s’agit d’élaborer le sens, car le plus souvent la violence anéantit le recours à l’autre, tant le contexte traumatique s’impose massivement. À cet égard, dans la clinique des traumatismes intentionnels, il ne s’agit plus simplement d’aider le patient à subjectiver une expérience non intégrée, mais de construire avec ce dernier la manière dont il a été pensé et agi par son agresseur. Cela suppose enfin une préoccupation citoyenne chez le clinicien.
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Un drapeau taliban, at home
Anthony Bourgeault
p. 61–90
RésuméFR :
Cherchant une oeuvre d’art pour combler un mur inoccupé de sa maison, l’auteur rencontre une série de drapeaux associés à des groupes armés. Cette rencontre imprévue devient le lieu propice à un enchaînement d’impressions de l’ordre de l’inquiétante étrangeté. À travers un parcours qui la mène de la Bosnie à une sexualité féroce, en passant par l’oeil automatique captant un terrible selfie, la violence du monde fait résonner une part d’inassimilable, aux limites de l’intimité. En même temps vient la tentation de se ressaisir partiellement, dans l’essai de comprendre ce qui arrive. L’auteur interroge alors l’origine des rêveries éveillées, y reconnaissant l’apport de l’autre. Il considère aussi le pulsionnel délié et la blessure identitaire, sous-jacents à plusieurs actes de violence. Les langues théorique et philosophique utilisées en ces circonstances demeurent néanmoins en conversation avec une expérience affective vivace, qui les relance constamment. Placée sous le signe du discours amoureux et de la préservation du sentiment, la présente écriture souhaite exprimer un mouvement de pensée, dans le courant duquel une langue intelligible trame avec des mots traumatiques. L’implantation d’une base vitale, d’un « drap-peau », a-t-elle rendu l’élaboration possible, transcendant la force d’attraction qu’exerce la violence, sans en trahir toute l’intensité destructrice ?
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Un psychanalyste face à la violence : s’ouvrir à l’altérité
Daniel Lemler
p. 91–102
RésuméFR :
Les réflexions qui suivent souhaitent questionner les processus en jeu dans notre rapport à la violence. De façon spontanée et presque nécessaire, nous considérons toujours que la violence éclate ailleurs, mais pas ici, du côté de notre humanité, comme si nous avions du mal à admettre que nous puissions également être habités de pulsions mortifères ou agressives. Devant les expressions collectives de la violence déshumanisante, qu’est-ce que notre discipline, occupée à l’analyse du singulier, a à dire ? Nous analyserons d’abord les modes de rejet ou de déni de la violence, qui suscitent, comme ce fut le cas après les attentats contre Charlie Hebdo, la recréation d’une foule anonyme, suivant une forme d’uniformisation que la réalité virtuelle paraît accélérer. Ensuite, nous évoquerons l’absence de toute perlaboration après l’événement historique de la Shoah, événement qui se devait d’être oublié, sans quoi nous aurions été confrontés à la part d’inhumain qui nous habite. Enfin, pour conclure, nous nous demanderons si le rôle de la culture ne serait pas justement de faire une place à la reconnaissance et à l’assomption de l’autre en nous et à l’extérieur de nous.
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Violences meurtrielles
Robert C. Colin
p. 103–119
RésuméFR :
La violence est partout présente. Elle est tantôt expression et affirmation de la vie et exerce alors un effet structurant sur la psyché ; tantôt elle est destructrice, meurtrière ou potentiellement désubjectivante. Si la première est confinée dans un cadre défini que le droit est censé protéger et que la loi symbolique devrait circonscrire, la seconde est de nature transgressive et emprunte des formes multiples, non nécessairement spectaculaires. Elle est « meurtrielle » dans le sens où elle est un équivalent fantasmatique de meurtre. Cet article présente cinq exemples cliniques dans des registres différents : violence sans nom, violence extrême, violence défensive, violence régressive et violence culturelle.
Hétéros
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Quatre femmes et leur contre-transfert
Daniella Angueli
p. 123–144
RésuméFR :
Cet article vise à présenter les perspectives cliniques de quatre psychanalystes : Paula Heimann, Margaret Little, Annie Reich et Lucia Tower. À la même époque, elles se sont chacune prononcées sur la position de l’analyste à travers le concept de contre-transfert. Leur approche de travail, leur point de vue et leurs techniques sont aujourd’hui non seulement largement appliqués dans les psychanalyses de type psychothérapeutique, mais aussi adoptés comme ligne axiale dans les approches psychanalytiques de patients n’appartenant pas à la catégorie de la névrose « classique ». Bien qu’elles proviennent d’horizons théoriques différents, elles se rejoignent audacieusement sur une même idée : le contre-transfert est l’une des conditions nécessaires à la relation analytique et peut même devenir un outil précieux pour explorer l’inconscient de l’analysé. Ceci, naturellement, ne va pas sans risques. S’agirait-il d’approches caractérisant une position inconsciente féminine ? En mobilisant leurs propres possibilités émotionnelles d’« écoute », en s’appuyant sur leur propre inconscient et en conversant avec l’autre non névrotique de manière novatrice, elles ont essayé d’expérimenter d’autres formes de connexion avec l’autre de souffrance qu’est leur analysant.
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Une allégorie du vacillement identitaire potentiellement provoqué par la migration : Amok
Sébastien Chapellon et Florian Houssier
p. 145–161
RésuméFR :
En quittant sa terre natale pour poser ses pas sur le sol d’un pays étranger, le sujet se trouve fragilisé. Le regard que les autochtones portent sur lui induit une impression d’inquiétante étrangeté. En appui sur l’illustration fournie par la nouvelle Amok de Stefan Zweig (1922), cet article décrit comment les bouleversements engendrés par la migration induisent un affaissement du Moi. Les auteurs montrent qu’en s’éloignant de ses repères, les assises narcissiques de l’individu se fragilisent, au point de vivre parfois une expérience de persécution.
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Rêve, polyphonie et montage. Réflexions à partir d’un cinéclub « psy »
André Jacques
p. 163–173
RésuméFR :
Chapeauté par l’Association des psychothérapeutes psychanalytiques du Québec depuis 2001, le cinéclub « psy » est depuis sa fondation l’occasion d’une réflexion sur les notions et le cadre psychanalytiques, le cinéma et les rapports de continuité ou de rupture entre les deux. Cet article cherche à explorer deux dimensions qui paraissent lier psychanalyse et cinéma, à savoir le rêve et le montage. D’une part en effet, contrairement à l’idée selon laquelle le cinéma est aliénant et constitue « le divan du pauvre », on peut faire le pari que quelque chose du travail de l’inconscient se met en marche en raison de la parenté entre film et rêve. D’autre part, on peut aussi voir un rapprochement entre cinéma et psychanalyse à travers le thème de la construction-reconstruction analytique, qui procède par choix, coupes et arrangements, caractéristiques du montage. Qu’elles soient rigoureusement psychanalytiques ou non, ces soirées inaugurées il y a 15 ans ont été et continuent d’être un vecteur de réflexion, de recherche et de découvertes.