Résumés
Résumé
Entre 2005 et 2009, l’Institut français de l’Université de Regina a organisé une série de quatre « Tables rondes des francophones et des Métis de l’Ouest canadien », qui ont rassemblé des membres des communautés francophones et métisses de la Saskatchewan. Dans cet article, nous revenons sur ce projet de rapprochement et de réconciliation afin de comprendre la manière dont les Métisses et Métis ont parlé de leur appartenance et de leur nation à leurs interlocutrices et interlocuteurs fransaskois. Nous avons remarqué qu’en dépit de plusieurs proximités, l’accent a été mis sur le besoin de tenir compte des différences entre les deux groupes. Après une description des tables rondes, nous nous tournons vers le champ des études métisses pour comprendre le contexte intellectuel dans lequel les tables rondes se sont (inconsciemment) inscrites et prennent sens aujourd’hui. La description et l’analyse qui suivent portent sur les micro-récits offerts par des participantes et des participants métis, autour de deux thèmes principaux : d’abord, la manière dont ils ont présenté l’identité et l’appartenance métisses ; ensuite, les conditions proposées pour établir de nouvelles relations avec les communautés francophones. Au terme de cet exercice, nous dégageons quelques leçons méthodologiques au moment où les communautés francophones cherchent à développer des relations de respect mutuel et à participer à la réconciliation avec les Premiers Peuples.
Abstract
Between 2005 and 2009, the Institut français of the University of Regina organized a series of four “Round Tables between Francophones and Métis in Western Canada” which gathered members of Francophone and Métis communities in Saskatchewan. In this paper, we look back at this initiative, which aimed at coming together and at reconciliation, in order to understand the manners in which Métis participants communicated their belonging and their nationhood to their Fransaskois interlocutors. We find that in spite of various proximities, they insisted on the need to account for the differences between the two groups. After describing the Round Tables, we turn to the field of Métis studies to understand the intellectual context into which the Round Tables (unknowingly) inserted themselves, and which gives them meaning today. The description and analysis that follow focus on the micro-stories offered by Métis participants, around two principal themes: first, the manner in which participants presented Métis identity and belonging; second, the conditions they proposed for the creation of new relations with Francophone communities. Finally, we share a few methodological lessons that emerged from this exercise, at a moment when Francophone communities attempt to develop relations of mutual respect and take part in reconciliation with Indigenous peoples.
Corps de l’article
Entre 2005 et 2009, l’Institut français de l’Université de Regina a organisé une série de quatre « Tables rondes des francophones et des Métis de l’Ouest canadien », qui ont rassemblé des membres des communautés francophones et métisses de la Saskatchewan. Ces tables rondes étaient une tentative d’apprentissage mutuel, de rapprochement et de création de nouvelles relations, afin d’arriver à une meilleure compréhension de la vérité, qui doit précéder la réconciliation. Bien qu’une quinzaine d’années se soient écoulées depuis leur tenue, aucune véritable suite n’a été donnée à ces événements, hormis quelques événements ponctuels. Cette situation est malheureusement emblématique des efforts de réconciliation et de la longue relation entre Métis et francophones. Nous revenons ici sur les échanges qui ont eu lieu dans l’espoir d’en tirer des enseignements et qu’ainsi la contribution de ceux et celles qui y ont participé puisse mener à de meilleures relations entre les communautés francophones en milieu minoritaire des Prairies et la nation métisse.
Plus précisément, nous nous posons ici la question suivante : comment les Métisses et Métis ont-ils communiqué leur appartenance et leur nation à leurs interlocutrices et interlocuteurs fransaskois afin de créer des liens plus solides entre les deux groupes ? Ces tables rondes ont notamment été l’occasion pour les participants et participantes métis d’exprimer leur point de vue sur leur identité et sur leurs relations avec les francophones. Afin de comprendre cette transmission de connaissances par le biais de courts récits et d’en tirer quelques leçons, nous nous concentrerons sur les éléments principaux de ces discours : faire comprendre les effets du colonialisme sur le cours d’une vie ; s’affirmer comme nation et repousser l’idée du mélange et de la proximité ; et remettre en question certaines idées reçues chez les francophones. Ce désir de se distinguer marque une limite aux types et à la teneur des rapprochements possibles et doit donc être pris en compte lors des tentatives de création de liens, tentatives à l’origine des tables rondes et des interventions des participantes et participants métis, qui sont liées à ce que nous nommons aujourd’hui réconciliation[1].
Avant d’aborder ces sujets, nous commencerons par expliquer le projet des tables rondes à partir de la vision des organisateurs, mais également à partir de ce que nous avons pu observer dans les enregistrements qui ont été faits lors de ces tables rondes. Nous considérerons ensuite le contexte intellectuel dans lequel les tables rondes se sont inscrites et, plus précisément, le champ des études métisses. Après avoir décrit notre méthodologie, à partir de notre positionnalité en tant que chercheur et chercheuse et colons, nous passerons à la description et à l’analyse des enregistrements des tables rondes. Cette analyse se développe autour de deux thèmes principaux, en relation avec notre question : d’abord, la manière dont les participants et participantes ont présenté l’identité et l’appartenance métisses ; ensuite, les conditions qu’ils posent à l’instauration de nouvelles relations avec les communautés francophones. Revenant sur notre visionnement et notre analyse des tables rondes, nous nous arrêterons enfin sur quelques leçons méthodologiques que nous pouvons dégager de cet exercice, au moment où les communautés francophones cherchent à développer des relations de respect mutuel et à participer à la réconciliation avec les peuples autochtones.
Le projet des « Tables rondes »
À la suite d’un colloque universitaire organisé en 2005 et de rencontres tenues à Regina entre des étudiants et étudiantes francophones et métis, trois tables rondes itinérantes ont eu lieu à Batoche (2007), à Willow Bunch (2008) et à North Battleford (2009). L’Institut français de l’Université de Regina a organisé ces tables rondes selon une méthodologie de dialogue interculturel entre deux communautés d’une même région circonscrite (Dorrington et Sarny, 2014). Le choix de ces régions correspond à l’histoire des relations entre francophones (ou, auparavant, Canadiennes et Canadiens français) et Métis. Batoche et Willow Bunch furent d’abord des communautés métisses, avant que l’Église catholique ne les choisisse pour établir une communauté catholique de langue française par le biais de la colonisation (Lalonde, 1983). Ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest avant la création des provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, North Battleford est un milieu urbain présentant une importante population métisse et des Premières Nations. Enfin, l’Université de Regina héberge le programme SUNTEP (Saskatchewan Urban Native Teacher Education Program) de l’Institut Gabriel-Dumont. Bien que les étudiantes et étudiants métis et francophones fréquentent la même université, il existe peu d’occasions de se croiser ou de faire de véritables rencontres.
Pour chacune des tables rondes, douze personnes avaient été choisies et devaient s’asseoir en cercle. Des microphones et un service d’interprétation étaient offerts à tous les participants et participantes, qui étaient encouragés à s’exprimer en anglais ou en français. Les participantes et participants des deux communautés étaient installés de façon à ce qu’une personne métisse soit assise à côté d’une personne francophone, et vice versa. Les communautés des environs avaient été invitées à assister à la table ronde. Le public plus large a également eu la possibilité de participer, mais d’une manière plus ou moins stricte, à des moments précis. Il y avait aussi une animatrice (le plus souvent des femmes) issue de chaque communauté pour faciliter le déroulement du dialogue.
Pour commencer, les animatrices ont expliqué le déroulement de la journée et la raison pour laquelle ces tables rondes avaient été organisées. Ensuite, les animatrices ont présenté les participants et participantes et leur ont posé une première question. Les invités avaient l’occasion de répondre en premier et on ouvrait ensuite la discussion à tous. Puis la question était adressée au public, et les personnes qui participaient à la table ronde avaient la chance de partager leurs idées et sentiments. Les spectateurs et spectatrices qui voulaient répondre devaient attendre que les organisateurs ou les animatrices leur donnent la parole. Tout en reconnaissant au passage que plusieurs activités culturelles avaient lieu en marge des tables rondes, nous nous intéressons essentiellement ici aux discussions qui rassemblaient chaque fois six invités métis et six invités francophones.
Le contexte intellectuel des tables rondes
Les tables rondes se sont tenues à un moment où les études métisses prenaient un nouvel essor. De ce fait, on retrouve dans plusieurs publications, depuis les quinze dernières années, des réflexions qui prolongent les propos échangés lors des tables rondes et qui participent à la reformulation d’un discours national métis. Depuis l’arrêt Powley, une décision rendue par la Cour suprême en 2003, la question de l’identité métisse a pris une nouvelle signification dans la jurisprudence canadienne et dans l’opinion publique non autochtone. La Cour suprême a repris à l’époque les critères qui étaient déjà utilisés par le Ralliement national des Métis (Weinstein, 2007). On voit ainsi une codification de l’identité métisse, dont la définition est en relation avec des expériences partagées, une histoire familiale liée à la traite des fourrures et aux réseaux qui renvoyaient au territoire de la colonie de la Rivière Rouge ainsi qu’aux communautés qui y étaient établies jusqu’aux parties boisées du nord des Prairies ou du nord de l’Ontario. Cette définition de l’identité métisse a également un lien avec la politique des coupons de terre (ou scrip) par laquelle le Canada a tenté de résilier les droits territoriaux des Métis, ou encore avec la marginalisation sociale et économique. La fierté et la joie partagées dans la vie familiale, culturelle et économique coexistaient avec la souffrance liée aux injustices et à la pauvreté (Campbell, 2021 ; Adams, 1999).
À partir de 2003, l’identité cesse d’être une question interne dans les communautés métisses, qui s’étaient toujours comprises comme telles, vivant à part des communautés allochtones[2] et des Premières Nations et étant traitées différemment d’elles. Indépendamment de ces histoires collectives, c’est à partir de 2003 que plusieurs personnes se sont affirmées pour la première fois comme métisses, sans doute dans l’espoir d’avoir accès aux droits nouvellement reconnus, mais également en raison de la levée de certaines attitudes négatives envers les Métis. Une autre identité de métissage a alors émergé à partir d’histoires de familles : celle des personnes métissées ayant un ancêtre autochtone (le plus souvent d’une Première Nation plutôt que de la nation métisse elle-même) plus ou moins rapproché ou très lointain. Adam Gaudry et Darryl Leroux, parmi d’autres, ont étudié ce phénomène pour distinguer la nation métisse, qui a une existence comme peuple depuis le début du xixe siècle, des personnes et des communautés allochtones dont l’appartenance est entièrement ancrée dans la notion d’ascendance (Gaudry et Leroux, 2017 ; Leroux, 2022). L’identité métisse devint alors un enjeu politique : de nouvelles personnes réclamaient des droits, de nouveaux groupes exigeaient une place aux tables de négociation, et leurs objectifs personnels et politiques contrecarraient souvent ceux de la nation métisse.
Or, la manière de reconnaître les droits et de mettre en place des politiques peut permettre le maintien des politiques coloniales visant à faire disparaître les peuples autochtones, notamment en les assimilant à la population d’origine européenne et en éliminant toute possibilité d’autodétermination. D’autres manières de faire ouvrent plutôt la possibilité de relations de nation à nation, où l’on cesse de voir les Métis comme appartenant à deux mondes. La possibilité, souvent mentionnée, de « marcher dans les deux mondes », autochtone et canado-européen, ne signifie pas l’appartenance aux deux mondes. Les relations de nation à nation supposent que l’existence métisse soit vue comme une existence autochtone, différente de celle des allochtones, mais aussi différente de celle des nêhiyawak ou des Nakoda, et elle fut d’ailleurs reconnue par ces nations, notamment par le nêhiyaw-pwat (Andersen, 2014)[3].
Xavier Bériault et Janique Dubois (2020) ont retracé l’évolution des études métisses depuis l’arrêt Powley et ont relevé deux positions : celle qui renvoie l’identité métisse à une ethnogénèse, à savoir la création d’une nation à un moment spécifique de l’histoire, et celle qui renvoie à une hybridité, c’est-à-dire une identité personnelle découlant d’un mélange de peuples. Cette distinction est juste au point de vue analytique, mais elle est limitée à la dimension de l’identité. Il est également nécessaire de tenir compte de la dimension politique des revendications faites de chaque côté. Une distinction plus fondamentale existe entre deux manières de présenter la nationalité métisse. Certains font valoir la nécessité d’une émancipation des Métis eu égard au régime colonial canadien. Cette libération passerait par le déploiement d’une souveraineté empêchée par le colonialisme. Elle renvoie aux pratiques par lesquelles cette souveraineté a été déployée dans le passé et aux relations familiales, économiques, politiques et juridiques qui forment la nation métisse, d’une manière indépendante de l’État canadien alors en formation. D’autres privilégient plutôt une identité et une identification avant tout culturelles. Il suffirait alors de se dire métis pour l’être et pour bénéficier des droits reconnus par l’État canadien. Bériault et Dubois ont tout à fait raison de présenter cet enjeu comme relevant de la décolonisation : les positions dans le champ des études métisses correspondent aux tentatives du régime canadien d’exproprier et de faire disparaître les peuples autochtones.
Ajoutons ici trois éléments pour éviter de présenter ces deux positions comme équivalentes. D’abord, il existe une différence insurmontable en ce qui concerne la continuité politique entre ces deux courants. Les études liées au « paradigme de l’hybridité » se concentrent surtout sur l’identification individuelle de personnes se déclarant métisses, sans nécessairement tenir compte des relations concrètes entre ces individus et leurs regroupements ou communautés. Au contraire, les études liées à l’affirmation d’une souveraineté et à un effort d’émancipation du colonialisme sont ancrées dans la longue durée et rendent compte des tentatives d’autocompréhension et d’autodéfinition des communautés métisses. Elles cherchent à comprendre et à mettre en valeur des pratiques matérielles et des relations interpersonnelles, intercommunautaires et internationales concrètes, et non seulement des identités et des histoires, même transmises de génération en génération.
Ainsi, reprendre l’idée de parenté (ou kinship), tout en la détachant de l’héritage colonial de l’anthropologie, devient un enjeu important d’autodéfinition. Brenda Macdougall explique que la parenté devient dans une telle perspective autre chose que la lignée ancestrale ou l’histoire familiale, où la parenté n’est pas la généalogie : « Kinship is about understanding a collective experience of interfamilial and intercommunity relations, whereas genealogists trace ancestry based on one individual’s descent from male and female ancestors » (Macdougall, 2014 : 31). Toutefois, pour comprendre le sens de la parenté comme kinship, il faut se concentrer sur le sens et la raison d’être de la famille pour les communautés en question ainsi que sur les liens entre elles et avec d’autres communautés. Macdougall explique ainsi que la famille métisse de la région boisée du nord-ouest de la Saskatchewan se comprend à partir de cinq types de liens : 1) les liens intergénérationnels ; 2) les liens avec d’autres familles par le mariage, l’adoption et d’autres relations instituées (comme les marraines et les parrains) ; 3) les liens étroits avec les Premières Nations vivant à proximité ; 4) l’évolution à l’intérieur de certaines occupations économiques ; et 5) l’appartenance à la religion catholique (Macdougall, 2014 : 39-41). Dans le cas des familles métisses vivant dans les Plaines, où les tables rondes se sont tenues, on pourrait s’attendre à voir des traits semblables.
Ensuite, et surtout, les communautés métisses n’ont pas eu à attendre l’arrêt Powley pour se comprendre et s’affirmer publiquement comme métisses, comme appartenant à une même nation, dans toute la complexité de leurs relations avec les populations canadienne et des Premières Nations. Et enfin, notons qu’il est question d’un peuple autochtone qui a des droits reconnus par l’article 35 de la Constitution canadienne, mais aussi des droits inhérents, peu importe leur reconnaissance par l’État colonial. Malgré l’existence de ces droits, être métis n’est pas quelque chose qui se découvre : c’est une relation ou, dans plusieurs cas, une entrée en relation, un long retour[4]. On ne peut pas « devenir » métis sans se voir accepté comme citoyen par des processus décidés de manière souveraine ni participer à la vie d’une communauté métisse, processus eux-mêmes en cours de réélaboration, tout comme c’est d’ailleurs le cas du processus lié à l’obtention de la citoyenneté canadienne.
Car au-delà du droit d’affirmer son identité métisse et des droits mentionnés mais non énumérés dans la Constitution ou reconnus par les arrêts de la Cour suprême, se trouve la question du droit à l’autodétermination, qui inclut l’autodéfinition collective : c’est là que se trouve la visée émancipatrice à l’endroit de la domination coloniale. Selon cette visée, même les droits de chasse et de pêche servent autant à la subsistance qu’à la possibilité de revitaliser les cultures et les langues ; elle est donc plus qu’une simple revendication de droits pour des activités qui auraient leur propre raison d’être. Cette volonté de s’émanciper est présente dans le champ des études métisses. Comme la plupart des champs d’études liés au colonialisme ou à la colonisation, celui-ci est divisé entre deux visées : l’une consiste à comprendre, soi-disant de manière neutre et distanciée, comme l’ethnologie l’a toujours fait (neutralité qui sert ensuite à l’État colonial) ; l’autre, dont il s’agit ici, consiste à se défendre et à s’affirmer contre la compréhension de soi véhiculée à distance par l’ethnologie et l’État, autrement dit à approfondir et à faire comprendre ce qui est déjà compris. La seconde visée n’empêche pas de devenir soi-même anthropologue (Todd, 2018 ; 2020), ni de se réapproprier les données prélevées par l’ethnologie, ou de devenir avocat et d’utiliser les critères proposés par la Cour suprême.
Jean Teillet mentionne que des organisations et des gouvernements métis s’inquiètent de se voir définir par la Cour suprême. L’arrêt Powley inclut trois critères pour décider de l’identité métisse et des droits d’une personne : l’auto-identification comme Métis ; le lien à une communauté métisse historique ; et la reconnaissance de son appartenance par une communauté métisse contemporaine. Or, l’identification des communautés historiques est fort complexe puisqu’une bonne part des Métis se sont longtemps déplacés, tout en demeurant attachés à des communautés fixes et que leur occupation du territoire changeait selon la famine, la maladie et les guerres (Teillet, 2019 : 478-479). Le gouvernement du Canada a également empêché la constitution d’une base territoriale centralisée en déplaçant les communautés métisses à plusieurs reprises, notamment sur des fermes collectives, par le biais des coupons de terre (scrip), en les chassant des réserves routières (road allowances) et en leur refusant leurs terres ou leurs droits territoriaux (Andersen, 2014 : 45). Il est ainsi fort possible que la définition présentée par la Cour suprême continue à déposséder certaines personnes ou communautés métisses de leurs droits, sans compter le fait qu’elle commence par cette dépossession en s’appuyant sur le principe selon lequel il reviendrait au Canada de définir qui est Métis, par l’intermédiaire de la Cour suprême, plutôt qu’aux Métis eux-mêmes, comme le stipule la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Ce parcours dans le champ des études métisses est nécessaire, d’abord parce que nous désirons contribuer à un dialogue déjà en cours, mais aussi parce que les débats autour de l’identité métisse fournissent un cadre à la relation entre francophones et Métis. En effet, la définition identitaire selon l’ascendance dépend de la proximité entre ces deux groupes. Il n’est pas rare d’entendre des francophones se dire métis suivant une histoire familiale qui ne relève d’aucune relation à une communauté autre qu’allochtone ; parler de « cousins » (expression que l’on peut retracer dans les exhortations de l’archevêque Taché aux Canadiens français de l’est du pays qu’il désirait voir migrer à l’Ouest[5]) ; ou faire remarquer que le français est commun aux deux groupes. Si les deux communautés pouvaient bel et bien vivre ensemble, comme c’était le cas à Bellevue en Saskatchewan[6], c’était toujours avec la conscience d’une différence qui n’empêchait nullement une vie en commun, mais renvoyait aussi à des appartenances distinctes. La reconnaissance d’une différence due aux motifs des relations est ainsi un préalable à la création de bonnes relations (même si certaines personnes peuvent très bien être à la fois métisses, d’une Première Nation et fransaskoises, voir Lemire, 2019).
L’une des conditions d’une bonne relation sera ainsi de prendre pour point de départ non pas l’injustice ou les souffrances, non pas même la différence, mais le désir d’émancipation collective en vue d’une autodétermination, qui habite la nation métisse comme les autres peuples autochtones. Cette condition vient s’ajouter au besoin de reconnaître la part que les francophones ont joué dans la colonisation (Melançon, 2023). La connaissance des débats exposés ici contribue à remettre en cause les présupposés liés à l’identité métisse. Par leurs propos, les participantes et participants métis aux tables rondes cherchaient souvent à remettre en cause les questions et les présuppositions des organisateurs, souvent en refusant le rôle de porte-parole et en offrant plutôt une réponse personnelle (et en effet, aucun processus n’aurait permis de parler au nom de communautés entières). Mais cette remise en question passait aussi par une discussion des mots et des gestes de parents et d’autres membres aînés de leur communauté, à partir de laquelle il était possible de tirer une explication de ce que signifie être métis.
Méthodologie et positionnement
En tant que chercheur et chercheuse allochtones, nous adoptons une position d’écoute et d’apprentissage. Nous sommes visés par les explications offertes aux francophones lors des tables rondes et nous pouvons donc nous placer dans une telle position. Nous apportons aussi, chacun et chacune, nos expériences et nos positions respectives en tant que colons. Jérôme Melançon enseigne à l’Université de Regina, il a collaboré depuis une douzaine d’années à divers projets liés à l’autochtonisation et à la réconciliation, d’abord sur le territoire du Traité no 6, puis du Traité no 4, en relation le plus souvent avec des membres des nations métisse et nêhiyaw. En tant qu’ancien directeur du Centre canadien de recherche sur les francophonies en milieu minoritaire (CRFM) et que chef du programme d’études francophones et interculturelles, il est par ailleurs un héritier du passé institutionnel de l’Institut français qui a été intégré à La Cité universitaire francophone. Alyssa Parker est inscrite à la maîtrise à l’Université de Regina et s’intéresse à la relation entre les peuples métis et francophone dans l’Ouest. Elle a pris part à plusieurs projets liés à la vérité et à la réconciliation sur le territoire du Traité no 6. En tant qu’enseignante, elle valorise la recherche et comprend l’importance des efforts de réconciliation dans le monde universitaire et communautaire. La parenté (kinship) est aussi importante pour elle, car elle a des liens familiaux, par son petit frère, avec les Métis de Duck Lake.
Afin de respecter les relations que nous avons tissées au fil des ans avec des membres de la nation métisse, par la famille, le travail en commun et d’autres rencontres, nous avons adopté une méthodologie qui s’inspire des chercheurs et chercheuses de la nation métisse. Avant tout, nous avons observé que le mode de transmission des connaissances par les personnes métisses qui sont intervenues lors des tables rondes relevait du récit ou, plus précisément, du micro-récit. Autrement dit, bien que le format de l’événement ne permette pas de raconter une histoire dans toute sa complexité et d’en faire le récit complet, les participants et participantes ont eu tendance à s’exprimer à l’aide de courts récits.
Nous nous sommes ainsi placés dans une position de réception de ces récits, comme témoins d’une conversation et d’un partage de connaissances. Cette position a été rendue possible par le contexte de la conversation : les intervenants et intervenantes savaient que leurs propos étaient filmés, et les tables rondes devaient permettre une compréhension mutuelle entre les groupes, et non seulement entre les individus. Nous avons été ainsi à la fois visés et interpellés par les micro-récits présentés lors des tables rondes.
Le sens du récit (storytelling), selon Shmon (2022) qui écrit au nom de l’Institut Gabriel Dumont, inclut le divertissement, le conseil indirect, mais aussi la transmission de valeurs culturelles, « comme être bon les uns envers les autres, partager, ne pas bavarder à propos des autres, ne pas être cupide, et nous voir comme faisant partie du monde et non comme si nous en étions séparés », autant de valeurs qui s’appliquent tant à l’intérieur d’une communauté que dans les relations avec d’autres gens. Toutefois, ce qui manque à l’école ou à la bibliothèque, rappelle-t-elle (ou encore dans ces tables rondes), est l’atmosphère de bien-être et de proximité propre à la maisonnée ainsi que le sens d’appartenance des conteurs et conteuses et de l’auditoire, y compris les invités qui composent ce dernier. Il n’est pas nécessaire d’être assis sagement pour participer au récit :
Le niveau d’engagement acceptable était très flexible, et les gens pouvaient faire ce qu’ils voulaient aussi longtemps que cela n’interférait pas grossièrement avec l’histoire. Les auditeurs pouvaient mener des activités comme du travail manuel et aller et venir comme ils le voulaient sans insulter le conteur. Cela est certainement un style traditionnel d’enseignement qui clame que l’apprenant apprendra quand il sera prêt
2022, traduction libre
Sur le plan de la recherche, Macdougall (2018) explique que le fait de parler des personnes importantes dans sa vie, qui ont inspiré ce que l’on raconte, et de mettre en valeur des traditions et des expériences métisses est un protocole culturel et méthodologique important. Gaudet, Dorion et Corrigal Flaminio (2020) placent également la relationnalité au centre de leur travail, tant par leurs responsabilités eu égard à leurs propres relations que par le souci apporté à la manière de parler des relations dans leurs échanges avec les Mataants (matantes, tantes, ou encore Aunties)[7].
Au vu de cette méthodologie métisse, nous ne pouvions nous situer qu’en tant que membres de l’auditoire. Ainsi, nous avons adopté une position interprétative, comme récepteur et réceptrice et comme membres de communautés francophones que l’on interpelle à créer de meilleures relations. Puisque les enregistrements sont disponibles, ce n’est pas à nous de « donner voix » ou de « porter la voix » des personnes métisses. Par ailleurs, nous ne pouvons (ni ne voulons) restituer le sens entier ou original des propos partagés lors des tables rondes. Il s’agit plutôt pour nous d’assumer la responsabilité d’apprendre et de trouver un sens à notre propre situation.
Pour cette étude, et avec une attitude d’écoute ouverte, nous avons visionné les enregistrements vidéo des tables rondes[8], noté les principaux thèmes abordés dans les micro-récits et catégorisé les idées communiquées à leur sujet. Il s’agissait le plus souvent de réponses directes aux questions posées, accompagnées de micro-récits de quelques minutes portant sur l’histoire personnelle, communautaire ou nationale. À partir de ces enregistrements, nous avons formulé une liste de concepts qui ont guidé notre analyse : relation, communauté, appartenance, famille, terre, territoire, citoyenneté ; différence, racisme, colonisation, division ; culture, langue, religion, engagement, association, vécu commun, lutte. Plutôt que de tenter de retrouver ces mots employés de manière explicite, nous avons cherché la présence des concepts plus vastes qui renvoient aux mêmes idées. Afin de retrouver les moments qui étaient lourds de sens pour les intervenants et intervenantes, nous avons également repéré les moments où des émotions étaient soit exprimées en mots, soit exprimées de manière corporelle. Ensuite, nous avons observé comment les discussions étaient dirigées par les animatrices. De même, nous nous sommes intéressés aux moments de dialogue ouvert, aux interventions spontanées ainsi qu’aux recommandations explicites.
Nous sommes ensuite revenus sur les moments où des intervenants (invités ou membres du public) ont plus longuement développé une idée ou décrit une réalité qui semblait mal comprise par les francophones. Nous nous sommes aussi intéressés aux données extradiscursives présentes dans les enregistrements vidéo pour analyser les moments où des émotions étaient clairement affichées, puisque ces moments semblaient revêtir un sens particulier pour les participants et participantes. Étant donné l’homogénéité générale des interventions et le peu de contradictions, nous présentons ici une synthèse des idées communiquées par les participants métis dans l’espoir de recevoir un message et de le transmettre à d’autres destinataires possibles[9]. En effet, le format des tables rondes, la participation de l’Assemblée communautaire fransaskoise et des locaux de la Métis Nation – Saskatchewan ainsi que l’enregistrement des échanges faisaient que non seulement deux communautés, mais deux groupes politiques s’adressaient des questions et des réponses par le biais de leurs représentants : la nation métisse (peu d’élus étaient toutefois présents) et l’organisme porte-parole des communautés francophones. Ainsi, ces discussions n’ont pas été uniquement interpersonnelles, mais visaient souvent le groupe opposé.
Notons aussi que les tables rondes ont eu lieu grâce à une collaboration avec la Métis Nation – Saskatchewan et l’Institut Gabriel-Dumont, un gouvernement et un organisme qui présentent des critères de nationalité tenant à la lignée ancestrale ainsi qu’à la participation aux communautés métisses contemporaines. Quelques intervenants plus jeunes étaient à la fois francophones et Métis, mais reconnaissaient avoir été socialisés comme francophones et avoir appris plus tard qu’ils possédaient aussi un héritage métis. Les intervenants et intervenantes métis avaient ainsi souvent, mais pas toujours, des liens familiaux, de parenté (kinship), communautaires ou organisationnels les uns avec les autres, comme c’était aussi souvent le cas dans les communautés francophones.
Présenter son identité
Les échanges ont été orientés par quelques questions posées à l’ensemble des participants et participantes. La plus importante est sans aucun doute celle, posée de diverses manières, qui visait à savoir ce qui fait que chaque personne est fière d’être métisse ou francophone. Les réponses directes mentionnent l’influence des parents et des grands-parents et tant la fierté qui a été inculquée que la fierté eu égard aux femmes fortes, aux grands-mères et à la richesse de l’histoire. C’est ce qu’explique Betty McKenna :
I had very proud grandmothers and they taught me who I was. And I believe that if you learn from someone who really loves you and cares for you, that no matter what anyone says to you, it doesn’t matter because you know that the person who told you in the first place was right.
Le fait d’avoir personnellement surmonté un racisme intense, qui est une réalité quotidienne pour plusieurs, et que leur peuple, leurs ancêtres aient surmonté des défis encore plus grands participe également à ce sentiment de fierté. C’est aussi à la maison, grâce à la famille, que le racisme pouvait être surmonté, comme l’explique McKenna :
I always used to hear the words “you’re just one of the pack” because I come from a family of ten, so as one of the pack we knew, we helped one another and what you learned out there you took home and helped the younger ones so that when they got into situations where people, whether they meant intentionally or not intentionally to make you feel lesser than a person, from where you come from and we always had the ability to rise above whatever somebody put on our plate, as people would call racist and say we could take it back home and get rid of it, close the door and it’s out there but at home we regenerate ourselves. We talk to our parents, we talk to one another, we talk to our aunties and uncles, and or visit our older uncles and aunties wherever they were and find that balance again of you know being proud of who we were. And now when I work in the schools, I find that children need to have that base that I had. They need to have that a significant person, who says to them—you are Métis, that gives you both worlds, you go, and you can do it.
L’identité est ainsi liée aux liens de parenté élargie (kinship) ainsi qu’à la famille immédiate[10]. La place dans la collectivité passe par les personnes qui ont permis de s’y inscrire. C’est par l’entremise de ces liens que les influences et les traditions du peuple métis sont transmises. Cet accent mis sur les liens interpersonnels se comprend bien étant donné le manque de reconnaissance des gouvernements et des organismes métis (reconnaissance qui s’est toutefois accrue depuis le moment des tables rondes) et le fait de participer aux institutions canadiennes où la culture métisse n’est pas transmise. Le lien historique avec les Français et les Canadiens français est évoqué par quelques personnes, mais toujours en parallèle avec les autres peuples autochtones (notamment par l’influence de la mère) et toujours en relation avec la distinction contemporaine entre les communautés métisses, francophones et des Premières Nations. Le lien avec les Européens n’est donc pas central dans l’identité de ces participants et participantes, même s’il est présent.
Dans deux des interventions plus longues, on explique la signification du terme « Métis ». Betty McKenna rappelle ce que sa grand-mère lui disait : pour reprendre ses termes, une personne est métisse si elle est française et indienne et non française et suédoise ou chinoise, et dans le passé, c’était par la relation aux femmes des Premières Nations qu’un enfant était Métis. Plus longuement, Peter Bishop explique que les origines se trouvent à la colonie de la rivière Rouge, où le terme « Métis » était appliqué aux gens ayant des ancêtres français et autochtones, alors que le terme « Halfbreed » désignait ceux qui avaient des ancêtres anglais et autochtones (il mentionne aussi les Écossais plus loin). Il précise en outre que souvent ces deux groupes ne s’entendaient pas[11]. Le terme « Métis » s’est peu à peu étendu aux deux groupes, et les lignées ancestrales se sont aussi multipliées, des ancêtres allemands s’y ajoutant, par exemple.
Maria Campbell a, quant à elle, rappelé la vie dans une communauté de réserve routière (road allowance), où certains étaient Métis et d’autres étaient appelés Halfbreeds ; certains étaient catholiques, d’autres anglicans et d’autres encore pratiquaient la vieille religion de leurs grands-mères (les pratiques héritées des nêhiyawak ou des Anishinapek). La plupart des Métis qui vivaient dans les réserves routières de la région étaient considérés comme des squatteurs et avaient dû quitter la communauté de Batoche après la résistance de 1885[12].
Étant donné la prévalence de la langue comme source de fierté et d’identité chez les francophones, certaines personnes métisses ont noté que la langue n’est qu’une seule de ces traditions, qu’elle n’est pas l’aspect central dans l’identité ou la culture métisses. C’est d’une part qu’elle est parlée surtout par lii vyeu[13] et que plusieurs personnes qui la parlaient dans leur jeunesse l’ont perdue depuis. Ceux et celles qui parlent mitchif en sont extrêmement fiers ; les autres aimeraient pouvoir s’exprimer dans leur langue et la parler quotidiennement. Aussi la langue est-elle une partie tout de même importante de l’identité et y est associée, elle est revendiquée, même lorsqu’elle n’est pas parlée. D’autre part, le mitchif n’était qu’une langue parlée parmi plusieurs autres dans les communautés métisses, comme le français d’ailleurs. Plusieurs personnes parmi les plus âgées se rappelaient leurs parents parlant plusieurs langues autochtones et européennes pour le travail, pour accommoder les autres communautés avoisinantes où ils trouvaient du travail, ou encore pour le commerce. Malgré tous ces liens externes, le mitchif demeure une affaire de famille, parlé à la maison. Il varie également beaucoup d’une région des Prairies à l’autre, ce qui resserre les liens à l’intérieur de la communauté, mais rend l’enseignement de la langue plus difficile. Les occasions de parler la langue sont d’ailleurs assez rares : à North Battleford, quelques participants désiraient parler leur langue, mais il n’y avait pas d’interprète sur place. Gilbert Pelletier a néanmoins pris quelques instants pour parler en mitchif afin de le faire entendre. Cette position ambivalente par rapport à la langue rappelle à la fois le caractère fondamental que revêt la langue pour les francophones présents, qui en ont longuement parlé, mais aussi les ravages du colonialisme et de la composante culturelle et linguistique du génocide pratiqué au Canada, qui rendent difficiles la transmission et la réappropriation de la langue. Plusieurs ont également mentionné la musique, la nourriture, les valeurs (qui ne sont pas nommées) ainsi que les institutions de gouvernance, comme éléments de l’identité métisse. Une personne a aussi souligné la manière dont les lieux ont formé leur esprit et chaque aspect de leur vie.
Les conditions de nouvelles relations
En relation avec la possibilité d’établir des liens entre les communautés, qui était le point de départ des tables rondes, on a tenté d’expliquer comment se sont développées les relations passées et présentes entre les Métis et les francophones. Ces explications ont toutefois été précédées de quelques précautions : « It’s a round table discussion—so we aren’t going to sugarcoat anything » (Gaudry) ; « you know we are being very kind to each other and I’m saying this with the greatest respect for everybody and especially the organizers of this conference but I think if we are going to develop a relationship we need to talk about the issues that have really kept us apart » (Campbell). Les commentaires portaient aussi sur le besoin d’adopter une nouvelle attitude de part et d’autre, même si, par la suite, les exemples présentés visaient particulièrement le comportement des francophones. De tels procédés discursifs ont pour objectif de faciliter l’échange d’idées et les leçons difficiles qui pourraient être blessantes en soulignant d’avance la bonne volonté et le désir de réciprocité. Plusieurs des intervenants et intervenantes désiraient ainsi faire comprendre aux francophones leur rôle dans le colonialisme canadien.
C’est ainsi que Randy Gaudry a expliqué le besoin de se défaire des préjugés et de ne pas prendre les Métis en pitié. Il est acceptable que les francophones disent qu’ils sont désolés que les choses se soient passées de cette manière, mais cela doit être fait avec respect. Il a donné l’exemple de l’histoire de Willow Bunch. Quelques années encore avant la table ronde, les livres d’histoire et le site Web de Willow Bunch présentaient Jean-Louis Légaré comme le fondateur de la communauté, tandis que trente-cinq familles métisses y vivaient déjà et qu’elles lui avaient seulement demandé d’établir un poste de traite. C’est pour cette raison qu’un nouveau livre a été rédigé et qu’on a organisé une rencontre. Et lors de cette rencontre où il s’agissait de revenir sur des récits historiques discordants, le rôle de Légaré a été défendu par une personne francophone, qui a affirmé qu’il était le premier habitant « civilisé » de Willow Bunch. Gaudry a souligné que c’est ce genre de comportements qui doit cesser, des deux côtés, pour que des projets en commun puissent être entrepris.
En tant que membre du public pendant la table ronde de Batoche, Maria Campbell a longuement rappelé les relations entre francophones et Métis dans sa communauté. Elle a notamment mentionné les insultes que proféraient les francophones à l’endroit des Métis, en lien avec le racisme et le colonialisme : « I can’t remember aday growing up when we were not called les sauvages because we were Métis people in a community. Being kicked out of stores, not being able to walk on the side walk with other people. That didn’t just happen with Anglophones it also happened with Francophones. » Les gens de la communauté francophone avoisinante traitaient sa famille et sa communauté aussi mal que le faisaient les communautés anglophones. Le racisme continue aujourd’hui, a-t-elle ajouté : des personnes métisses sont encore exclues de plusieurs établissements. Campbell a également rappelé les conditions de vie difficiles des communautés des réserves routières : « People don’t realize in the 1940s those same road allowance people were kicked out of those communities, many of them their homes were burned down and they were relocated to other [places] where nobody wanted them, and they had to move again. » Elle avoue qu’il est difficile pour elle d’avoir des sentiments généreux envers les francophones quand elle repense à ce que les Métis ont vécu.
Quelques participants et participantes métis ont déclaré ne pas avoir entendu le mot « francophones » (on disait plutôt les « Canadiens français » ou les « Français »), ou ne pas être au courant des difficultés auxquelles les communautés francophones ont fait face.
Tant par les réponses formelles aux questions que dans les propos plus longs visant à rétablir les faits, nous voyons qu’une connaissance de l’histoire du peuple métis et une reconnaissance du racisme passé et présent sont nécessaires à l’établissement de véritables liens entre Métis et francophones. Ces liens pourraient être l’occasion de collaborations. Les participants et participantes métis se sont dit conscients du besoin de rattraper leur retard en ce qui a trait à l’organisation communautaire et à l’institutionnalisation et de faire respecter leurs droits. Ils ont proposé plusieurs champs de collaboration possibles : un appui dans les revendications territoriales ; la possibilité d’agir pour éviter de perdre sa langue ; le respect des aînés ; davantage d’événements culturels, notamment autour de la danse et de la musique ; la participation de l’Institut Gabriel-Dumont aux activités francophones ; une collaboration lors de l’événement « Back to Batoche » ; un engagement commun contre le racisme quotidien ; une plus grande inclusion des enfants dans les activités de rapprochement ; la création de programmes d’histoire métisse et la promotion de la culture dans les écoles francophones. Plus généralement, on suggère aux francophones de rencontrer plus souvent les Métis, de façon informelle sans fonctionnaires autour de la table, pour préparer des collaborations futures et chercher à développer une relation où on ne considère pas les autres comme acquis. Notons que depuis la tenue des tables rondes, des collaborations ont eu lieu, notamment entre l’Institut Gabriel-Dumont et la Fédération des francophones de Saskatoon pour la célébration de la vie de Louis Riel (Simb, 2018), ou encore entre la Société historique de la Saskatchewan et des locaux de la Métis Nation – Saskatchewan (Radio-Canada, 2018).
Leçons méthodologiques : entrer en relation[14]
Le déroulement des tables rondes et leur méthodologie doivent encore être examinés afin d’en tirer quelques enseignements. Pendant les rencontres, nous avons noté plusieurs critiques à propos de l’approche et des interventions. Ces critiques doivent être bien comprises : on a souvent fait allusion à « la prochaine fois » et au désir de se rencontrer à nouveau à l’avenir.
De même, lors du visionnement des enregistrements, nous avons pu constater plusieurs obstacles et faux pas. D’abord, les francophones ont eu tendance à répéter les discours habituels portant sur les injustices et les traitements discriminatoires visant les personnes et les communautés d’expression française dans l’Ouest canadien. Si ces discours ont souvent pris l’aspect d’une revendication et d’une demande de respect, dans le contexte de ces tables rondes, ils ressemblaient davantage à une plainte adressée à un groupe (les Métis) qui, d’abord, n’est pas concerné par cette situation et qui, ensuite, est lui-même victime d’injustices d’un autre ordre et a très peu de garanties constitutionnelles pour se protéger. On a mentionné à plusieurs reprises l’expression « speak white » qui visait les francophones, par exemple, expression qui prend une tout autre signification lorsque des personnes blanches l’emploient à l’égard de personnes autochtones à qui l’on a interdit de parler leur langue.
Ensuite, nous avons noté une évolution dans le format des tables rondes. La première rencontre, à Batoche, adoptait un format plus ouvert et moins structuré, laissant le soin à chaque personne de décider si elle désirait parler. Cependant, à Willow Bunch, l’année suivante et, surtout, à North Battleford deux ans plus tard, les tables rondes étaient plus structurées et on avait délimité le temps de parole et l’ordre dans lequel la parole était donnée. Les modératrices intervenaient davantage pour faire avancer la discussion et des participants avaient été désignés pour répondre à certaines questions. Chaque intervention était chronométrée et pouvait être interrompue pour permettre aux autres de parler, de telle sorte que la discussion était dirigée afin d’arriver aux résultats voulus. Les tables rondes, en étant plus organisées, en sont venues à ressembler davantage à une consultation qu’à un véritable dialogue. Toutefois, malgré ces mesures, nous remarquons aussi une tentative d’encourager la discussion grâce à la disposition des tables. À Batoche, des tables rectangulaires mises l’une à côté de l’autre formaient un « U » ; à Willow Bunch, les tables étaient placées de façon à former un cercle complet ; à North Battleford, il n’y avait pas de tables, mais seulement des chaises placées en cercle.
Cette volonté de tout contrôler s’est exercée dès le départ dans le choix des personnes invitées, sans toutefois inclure également des communautés ou des personnes aptes à les représenter. Sans pouvoir répondre aux questions suivantes, nous nous demandons malgré tout si les intervenants et intervenantes aux tables rondes étaient représentatifs des communautés. Comment ce choix a-t-il été justifié, puis expliqué aux participants et aux participantes ? Comment se fait-il que Maria Campbell a pris la parole à partir d’une position en marge (dans l’auditoire), elle qui est pourtant reconnue pour sa capacité à inspirer les gens et à parler de son peuple ? La programmation d’événements fondés sur le dialogue passe par le choix des invités, dont va découler le choix des propos. Qu’espérait-on en choisissant ces personnes ? Et y avait-il une chance d’être surpris par les propos échangés (autrement que par les interventions émanant du public) ? Encore une fois, étant donné la distance qui nous sépare déjà d’activités ayant eu lieu il y a une quinzaine d’années, ces questions visent surtout à orienter la réflexion quant aux événements qui pourront être coorganisés à l’avenir.
Enfin, l’Institut français de l’Université de Regina a coordonné les tables rondes, avec le financement de Patrimoine canadien. Au moment d’organiser celles-ci, on a lancé une invitation aux Métis de se joindre aux francophones, sans miser sur une véritable collaboration entre les deux groupes. On peut se demander alors ce que les gouvernements, les organismes et les personnes métisses avaient à gagner à participer à ces tables rondes. Au vu des propos échangés, la compréhension mutuelle était certainement un objectif commun. Toutefois, on peut douter que cet objectif ait été atteint. L’approche interculturelle adoptée par les organisateurs était tout à fait nécessaire pour établir, comprendre et redéfinir les relations entre francophones et Métis (voir à ce sujet Grafton et Melançon, 2020). Toutefois, elle n’aurait pu être suffisante, même accompagnée d’une reconnaissance du rôle de colonisateurs des francophones (Dorrington et Sarny, 2014 : 176), puisque la relation entre francophones et Métis n’est pas seulement interculturelle, mais également coloniale.
Favoriser la formule de la table ronde avec animation ou médiation d’une personne extérieure (fût-elle métisse) n’est pas seulement un fait culturel, relevant de l’ethnocentrisme. C’est également une manière d’habiter et de déployer l’ordre colonial. Une méthodologie collaborative aurait pu mener à d’autres résultats, comme celle du cercle de conversation où l’on permet de raconter plus longuement une histoire. Mais pour cela, les Métis auraient dû faire partie du projet dès le départ, non seulement pour l’orienter pour qu’il soit mutuellement bénéfique, mais aussi pour qu’il permette une véritable participation, non comme partie égale, mais comme partie à qui on donne la priorité. Reconnaître la réalité et les effets de l’ordre colonial suppose de reconnaître la priorité des peuples autochtones sur et en relation avec la terre habitée et d’établir des modes de cohabitation et de coexistence, ou simplement d’échange et de dialogue, qui visent à renverser la dépossession et l’assimilation forcées.
Une des manières d’expliquer ces difficultés est que la rencontre entre francophones et Métis ne pouvait pas être authentique dans un espace synthétique. Peut-être n’existait-il aucun autre choix ; après tout, il n’existe pas d’endroit où francophones et Métis se côtoient régulièrement et peuvent échanger à propos d’eux-mêmes. Mais en raison de la disposition des lieux et de la programmation très dense, les échanges ont sans cesse été interrompus avant d’arriver à leur fin. Dans un espace de dialogue où chacun et chacune s’adaptent aux autres et cherchent les moyens de se faire comprendre, le besoin de passer à un prochain thème met un frein à l’ajustement mutuel où l’on trouve les manières de se faire entendre et de se laisser transformer par les mots d’autrui.
Suivant les enseignements de lii vyeu, tout comme des chercheurs et chercheuses métis de nos générations, toute méthodologie employée dans la recherche avec les peuples autochtones doit commencer par la volonté d’entrer en relation. Soyons bien clairs ici : les tables rondes auraient pu contribuer à cette entrée en relation si elles avaient été suivies d’autres événements. Lors de certaines interventions, des personnes métisses ont affirmé que ces activités étaient un pas dans la bonne direction et que les spectacles avant et après les tables rondes avaient aidé les communautés à développer des relations personnelles. Il y avait, en revanche, des suggestions pour l’organisation de prochaines activités entre les communautés. Marilyn Poitras, une animatrice à Batoche, a exprimé le désir d’intégrer des cérémonies métisses aux tables rondes et aux autres activités auxquelles participerait la communauté métisse. Les cérémonies de bienveillance (Welcome Ceremonies), par exemple, pourraient faire partie du déroulement des tables rondes à l’avenir. Toujours à Batoche, la poète Rita Bouvier, dans un discours passionné, a suggéré d’offrir des activités destinées aux jeunes. Elle voulait notamment ajouter plus d’activités traditionnelles pour son fils pendant les journées où ont eu lieu les tables rondes : le fait d’avoir des activités pour les enfants faciliterait la participation des adultes ainsi que la création de liens entre les familles.
L’esprit de ces commentaires nous renvoie à la méthodologie métisse développée par Cindy Gaudet (elle-même métisse francophone inspirée par l’enseignement de Maria Campbell), à partir des manières de vivre et de connaître métisses, et qu’elle nomme keeoukaywin, ou « la manière de visiter » (« the visiting way ») (2018)[15]. L’objectif n’est pas de comprendre, mais de bien vivre en relation ; l’échange et le temps passé ensemble doivent donc déjà permettre un rapprochement et dépendent de la qualité de celui-ci. Et bien vivre en relation ne concerne pas seulement les personnes, mais également les communautés et la terre qui leur permet de vivre ensemble ou de se rencontrer. Plutôt que de bâtir des relations afin d’arriver à de meilleures solutions aux obstacles et aux problèmes rencontrés par un groupe, la relationnalité ou l’entrée en relation pour Gaudet exige d’avoir confiance en un processus qui demeure imprévisible. Plutôt que d’obtenir une connaissance de l’autre, de l’extérieur, il s’agit de se tourner vers les émotions qui émergent pendant la visite et le bien-être des participants à la rencontre, de leurs familles, de leurs communautés et de la terre, afin d’apprendre de cette rencontre et de se laisser transformer par celle-ci. Une connaissance émergera tout de même de tels échanges, explique Gaudet, mais à l’intérieur d’un processus où chacun et chacune prendront soin d’eux-mêmes et des autres, de façon à ce que cette connaissance puisse ensuite être utilisée pour le bien de cette relation.
Conclusion
Comme le montrent les échanges et les propos des participantes et des participants métis aux tables rondes des francophones et des Métis de l’Ouest, avant que des relations de respect mutuel et de collaboration puissent être tissées, un changement d’attitude, une plus grande écoute, un apprentissage patient et une volonté de modifier sa perspective sur les relations intergroupes coloniales seront nécessaires du côté des francophones. Ce besoin n’empêche aucunement des collaborations immédiates et exige même qu’une relation se développe peu à peu, afin que les francophones s’ouvrent à ce que les Métis auront à leur dire. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Métis pendant les tables rondes en prenant soin de ceux et celles vers qui des critiques étaient dirigées et en affirmant leur désir de continuer l’échange, mais d’une manière qui leur permettrait de s’occuper d’eux-mêmes, de leurs familles et de leurs communautés et d’exercer leur autodétermination. La reconnaissance d’un désir de vivre une vie métisse et de définir ce que cette vie pourra être n’empêche pas non plus la participation de personnes allochtones (ou des Premières Nations) à cette vie ni la création de groupes plus larges permettant une véritable coexistence. Toutefois, elle implique que la nation métisse, tant par ses organismes que par ses communautés (où plusieurs sont critiques des organismes et des gouvernements), ait les moyens de décider et d’agir pour développer cette vie, y compris l’accès à la terre et aux ressources, sans que ces moyens et ces ressources ne soient à nouveau appropriées ou détruites. Leur vision de l’identité, de la relationnalité et de l’émancipation métisse n’est aucunement essentialiste ; bien au contraire, elle vise à démanteler l’essentialisation du fait d’être métis qu’a créé la colonisation et que maintiennent les relations coloniales.
Malgré ce besoin d’apprentissage et de transformation, l’établissement de nouvelles relations entre francophones allochtones et Métis n’est pas remis au futur, mais bien replacé à l’intérieur d’un autre présent, où il s’agit pour celles et ceux qui désirent établir de telles relations de se positionner différemment par rapport à leur propre communauté en la décentrant, c’est-à-dire en cessant de voir l’histoire et le présent seulement de leur perspective, et en cessant de la placer comme modèle de ce qui fait une communauté. Ce décentrement n’est pas une manoeuvre épistémique ou imaginaire, mais est plutôt une action dans l’engagement qu’exige l’établissement de bonnes relations.
Parties annexes
Notes biographiques
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Il est l’auteur du livre La politique dans l’adversité et a dirigé quatre numéros de revues ou livres autour du philosophe Maurice Merleau-Ponty. Il a également codirigé un numéro spécial des Cahiers franco-canadiens de l’Ouest (vol. 31, no 1), intitulé « L’autochtonisation pour préparer un avenir commun ». Ses recherches actuelles portent notamment sur les relations entre peuples autochtones et allochtones et le colonialisme au Canada ainsi que sur les relations de pouvoir et la démocratie dans les communautés francophones.
Alyssa Parker est fransaskoise et étudiante en études francophones et interculturelles à l’Université de Regina. Elle est titulaire d’un baccalauréat en éducation secondaire, avec une mineure en sciences humaines. La réconciliation avec les Métis, les Premières Nations et les Inuits fait partie de son parcours personnel et universitaire, car elle possède un lien particulier avec la communauté métisse, par son frère.
Notes
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[1]
Nous tenons à remercier chaleureusement les participants et participantes au colloque où ce texte a d’abord été présenté pour leurs commentaires ainsi que les lecteurs et lectrices anonymes qui nous ont donné la chance de préciser plusieurs considérations méthodologiques et d’utiliser des formulations plus rigoureuses. Nos remerciements vont également à Norman Fleury, à Paul Simard Smith et à Cindy Gaudet pour des discussions et des échanges autour de cet article ou de ses thèmes. Enfin, nous remercions Guillaume Dusseux Gicquel, qui avait commencé un premier travail de repérage sur le contenu des enregistrements.
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[2]
Le mot allochtone renvoie aux peuples, aux communautés et aux groupes dont les origines ne se trouvent pas sur le territoire. Le mot fait référence aux personnes non autochtones, quelles que soient leurs origines. En effet, selon une perspective autochtone, les fondements culturels des groupes canadiens ne se trouvent pas dans le territoire de l’Île de la Tortue (continent nord-américain).
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[3]
Les nêhiyawak (appelés par les Français « Cris des Plaines »), les Nakoda (ou Pwat, ou Stoney, un sous-groupe des Assiniboine), les Nakawē (Saulteaux) ainsi que les Métis ont participé à une alliance économique nommée nêhiyaw-pwat, ou Confédération du Fer, pendant la période de la traite des fourrures dans les Grandes Plaines. Cette alliance incluait notamment la chasse en commun, les échanges commerciaux et le soutien militaire. L’inclusion d’une nation dans une telle alliance ou confédération est une manière de reconnaître son statut de nation.
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[4]
La question des personnes que le colonialisme a séparées de leur famille et de leur communauté, donc de leur culture, exigerait un développement particulier, qui dépasse le cadre de cette étude. Voir, à ce sujet, notamment Andersen (2014).
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[5]
Alexandre Taché fut l’un des idéologues et politiciens du clergé les plus importants dans la colonisation de l’Ouest. Évêque, puis archevêque de Saint-Boniface, il défendit à la fois la cause de la colonisation de l’Ouest par les Canadiens français et de l’enseignement en français et catholique et participa à la création de pensionnats autochtones. Dans ses tentatives de soutenir les Métis au moment de la résistance de la rivière Rouge en 1869, il adopta généralement une attitude paternaliste, qui prit pour point de départ les affinités religieuses et linguistiques avec les Canadiens français. Voir, notamment, Huel (2003).
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[6]
Le dramaturge et historien Laurier Gareau en avait fait l’histoire dans une conférence donnée à La Cité universitaire francophone (Gareau, 2019).
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[7]
Les autrices expliquent que les « tantes » ou « Aunties » offrent un soutien et une direction spirituelle ainsi que des enseignements, situant leur propre connaissance dans un contexte matriarcal : les tantes et les oncles jouent le rôle d’interprètes entre les générations. La filiation n’a pas à être familiale à strictement parler, mais relève plutôt de la parenté élargie : une femme proche de la famille peut aussi jouer ce rôle.
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[8]
Ces enregistrements sont disponibles en DVD à La Cité universitaire francophone ainsi que sur le Web sur le site de l’Institut Gabriel-Dumont : https://www.youtube.com/playlist?list=PLTK6TFLjjEcIfGED5pu4VXTb3kFNZnZmj.
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[9]
Si nous ne revenons pas sur les commentaires des francophones pendant les tables rondes, c’est que leurs propos reprenaient pour l’essentiel ce qui est déjà familier aux lecteurs et lectrices de cet article et qu’ils n’étaient pas précisément adaptés à un public métis.
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[10]
Voir Brenda Macdougall (2017) sur la notion de Métis kinscape, expression qui pourrait être traduite par « paysage relationnel métis » et qui fait référence aux affiliations et alliances et aux manières dont les relations s’étendent dans un paysage et sur un territoire. Pour elle, étudier les structures familiales de la sorte permet d’étudier les manières de vivre.
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[11]
Ce récit, aussi présent ailleurs dans l’historiographie, gagnerait à être comparé à celui offert par Irene Spry (1985), qui trouve peu de preuves d’une relation conflictuelle.
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[12]
Maria Campbell a par ailleurs écrit le livre Stories of the Road Allowance People (1995) et le très connu et récemment traduit Halfbreed (2021). Au sujet des réserves routières, voir également l’ouvrage collectif gee meeyo pimawtshinawn (It Was a Good Life) – Saskatchewan Métis Road Allowance Memories – a Living Heritage Project, préparé par SUNTEP et Heritage Saskatchewan en 2019 (voir https://heritagesask.ca/projects/livingheritage/metis-road-allowance-memories).
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[13]
Plutôt que par l’expression « aînés » ou « Elders », les Métis ont l’habitude de désigner les vieux et les vieilles, en mitchif comme suit : lii vyeu y lii vyay, ou « Old Ones » en anglais.
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[14]
Bien que l’ensemble de cet article ait été rédigé en commun et soit le fruit de nombreuses discussions entre la coautrice et le coauteur, ce dernier souhaite noter que cette section est basée sur des observations d’abord faites par Alyssa Parker et développée au fil de nombreuses conversations et de nombreux visionnements, ce dont le coauteur lui est fort reconnaissant.
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[15]
Jérôme Melançon tient à mentionner ici que sa compréhension de cette méthodologie demeure la sienne, mais doit beaucoup à la lecture des textes de Cindy Gaudet et à quelques discussions avec elle ainsi qu’avec sa propre collaboratrice, Emily Grafton, avec qui il a pu en discuter longuement dans la perspective d’un projet mené en commun.
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Archives
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