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D’après l’Organisation internationale de la Francophonie (2022 : 4), avec 321 millions de locuteurs, le français vient au cinquième rang des langues les plus parlées au monde après le l’anglais, chinois, l’hindi et l’espagnol. Le français est aussi une langue des affaires, se situant au troisième rang derrière l’anglais et l’allemand, en plus d’occuper le deuxième rang comme langue d’information internationale (Campus France, 2016). Son statut de langue officielle, de langue d’enseignement et de langue des affaires, en plus de sa présence dans divers médias internationaux font du français une langue mondiale.

La présente note de recherche s’intéresse à la francophilie mexicaine et notamment à la place du français dans le système d’éducation mexicain. Ce texte documente l’apparition de la langue et de la culture françaises au Mexique dans l’histoire; il retrace les relations culturelles qui se sont établies entre le Mexique et la France depuis la fin du xixe siècle, en plus de relater l’arrivée de nouveaux acteurs francophones et francophiles durant les 50 dernières années. Puis, en fonction des besoins et des caractéristiques particulières de la politique éducative mexicaine, un profil linguistique universitaire a été obtenu.

La genèse de la francophilie mexicaine

Selon María Eugenia Menéndez (2018 : 32), la diplomatie culturelle vise un rapprochement des cultures, ce qui implique des relations culturelles, une coopération politique internationale, une gestion des perceptions, une propagande internationale, un dialogue des cultures, des relations publiques et une communication stratégique. Dans l’histoire de la diplomatie entre le Mexique et la France, ces implications comportent trois axes importants : a) la politique, b) l’économie, et c) la culture (Donatien, 2018 : 122). Cette relation diplomatique entre les deux pays trouve son origine entre la fin du xixe et le début du xxe siècle. À l’époque porfirienne (période de l’histoire du Mexique sous le régime autoritaire du président Porfirio Díaz de 1876 à 1911), la francisation de la société a été une caractéristique marquante. En effet, suivant Javier Pérez Siller (1993 : 74-80), l’objectif était d’amener le pays à un stade élevé de civilisation, en profitant des tendances de la mondialisation. À cette époque, en plus de l’influence française, le Mexique a bénéficié d’importants investissements financiers venant des puissances européennes, d’Amérique et d’Allemagne du Nord.

Entre 1880 et 1913, lors de l’arrivée des Français au Mexique, le commerce et l’industrie ont été de grands acteurs dans le domaine de l’architecture, mettant en avant l’Art nouveau au détriment du style colonial (Pérez Siller, 1993 : 85-90). L’influence française apparaît dans de nombreux bâtiments et grands magasins de luxe et dans l’aménagement urbain des avenues principales de México. Des traces importantes demeurent encore aujourd’hui, y compris dans l’architecture du Musée national d’art, du Palais des beaux-arts, du Grand Hôtel avec son vitrail de plus de vingt mille pièces de verre, du Palais de la poste, de la maison Boker, de grands théâtres, de monuments, dans le plan de la ville et l’histoire des quartiers la Roma, la Condesa et la Juárez. Durant cette période, le Mexique a vécu de grands changements dans les domaines de l’éducation, de la promotion des beaux-arts, de la gastronomie et, bien sûr, de la langue, dont le but principal selon Guillemette Martin (2013) était de transmettre une image de luxe, de modernité et d’élégance à l’image de la vie parisienne.

L’éducation a été un autre secteur important durant cette période de modernisation du Mexique. Au cours du xixe siècle, après la guerre avec les États-Unis (1846-1848), les Français se sont installés dans le nord du pays et ont fondé des lycées pour filles (1862). Plus tard, les enfants de familles privilégiées ont été envoyés en France pour terminer leurs études universitaires (Arredondo, 1993 : 237-238). De même, des institutions religieuses ont été créées et sont devenues des écoles prestigieuses; les écoles normales, techniques, des arts et d’autres métiers ont ensuite été créées pour les ouvriers spécialisés, et les écoles d’enseignement privé ont, elles aussi, vu leur nombre augmenter. En outre, ces écoles se trouvaient dans différents états et villes de la République. Des internats sont également apparus pour l’enseignement supérieur (Torres, 1993 : 244-249). Tous ces établissements scolaires étaient considérés comme un moyen fiable, viable et efficace pour la formation de la bonne société. Cette éducation serait ensuite reproduite par les étudiants et les diplômés issus des classes moyenne et supérieure au xxe siècle (Torres, 1993 : 266-270).

À cette époque, les écoles lassalliennes (1886-1904) et l’école des Frères maristes (1899-1914) avaient adopté une pédagogie religieuse, avec des méthodes d’enseignement traditionnelles et nouvelles où les textes scolaires servaient d’outils didactiques pour la formation et l’éducation morale des enfants. L’école française des religieuses était destinée uniquement aux filles mexicaines et françaises qui habitaient au Mexique, issues de bonnes familles (familles appartenant à l’élite). Leur formation se déroulait en français, cependant l’anglais et l’espagnol étaient également enseignés (Torres, 1993 : 262-265).

Plus tard, au xxe siècle, l’éducation a dû se conformer aux normes sociales et aux exigences internationales en matière d’éducation; l’enseignement et l’apprentissage du français ont alors représenté une façon d’enrichir l’éducation. En 1973, les représentants d’universités et d’instituts de culture française au Mexique se sont réunis lors d’un séminaire pour discuter de l’état de la langue française et de son enseignement dans le pays. Ils ont travaillé sur l’image de la culture française en favorisant l’enseignement et l’apprentissage de la langue par la formation d’enseignants, la création de séjours et d’échanges entre le Mexique et la France, mais également sur le renouveau tant du matériel didactique que des programmes et des méthodes d’enseignement (ANUIES, 1973 : 1-2).

Dans les années 1990, les relations diplomatiques entre le Mexique et la France ont favorisé la coopération industrielle, la recherche-formation et l’environnement, tout en maintenant les secteurs traditionnels, tels que la santé, la coopération administrative et l’éducation. En plus de la coopération franco-mexicaine, les relations culturelles se sont renforcées et des accords ont été signés avec l’appui d’organismes, tels que l’Institut français d’Amérique latine (IFAL), le Centre d’études mexicaines et centraméricaines (CEMCA) et le Centre scientifique et technologique (CST) (Donatien, 2018 : 127).

Plus récemment, de nouvelles occasions se sont présentées dans les domaines scientifique, éducatif et culturel. En 2015, par exemple, plus de 60 contrats ont été signés dans divers domaines de coopération entre le Mexique et la France (Secretaría de Relaciones Exteriores de México, 2015). En 2016, le Mexique s’est classé au premier rang des pays d’Amérique latine pour l’apprentissage du français, et des programmes de bourses ont été créés. (Embajada de Francia en México, 2016). De même, en 2018, les coopérations bilatérales dans l’enseignement supérieur, la recherche, les échanges et la formation professionnelle ont été relancées (Embajada de Francia en México, 2018). La diplomatie culturelle se poursuit alors toujours et, en décembre 2019, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la France et le secrétaire à l’Instruction publique des États mexicains ont signé un nouvel accord qui promeut l’enseignement du français dans les écoles secondaires et comprend actuellement de nombreux objectifs, tels que l’inclusion sociale, l’égalité des chances et le développement d’une compétence plurilingue (Embajada de Francia en México, 2019a)[1].

En plus du système scolaire, l’enseignement et l’apprentissage du français au Mexique passent par des établissements, des entreprises et des institutions qui transmettent les valeurs et les richesses culturelles et linguistiques françaises. Ceux-ci incluent l’ambassade de France et le réseau des Alliances françaises et des centres associés pour la diffusion de la langue et de la culture françaises (Embajada de Francia en México, 2019b), mais aussi l’Institut français d’Amérique latine (IFAL), la Casa de Francia, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’Asociación de Maestros e Investigadores de Francés de México (AMIFRAM), et d’autres.

L’IFAL est un centre d’enseignement culturel et linguistique pour les professionnels de l’éducation offrant une expertise pédagogique et une formation continue des enseignants (IFAL, 2022). C’est une institution qui s’adresse d’une manière très particulière à la diffusion de la culture française, à la formation des enseignants, à la recherche et à la gestion de certifications officielles (DELF, DALF, TCF). L’IFAL a été un centre pionnier pour l’éducation et l’enseignement de langue française et, actuellement, il continue à jouer un rôle majeur pour la diffusion de la culture française. La Casa de Francia est une médiathèque publique qui constitue un centre de documentation sur la France contemporaine. La mission de l’OIF est de promouvoir la diversité culturelle et linguistique, de soutenir l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche, en plus de développer la coopération économique pour le service du développement durable (OIF, 2019a). L’AMIFRAM a pour but de maintenir les liens entre les professeurs de français des institutions nationales et internationales pour l’apprentissage et l’enseignement de la langue et des cultures francophones. Fondée en 1970, elle organise des stages pédagogiques, des bains linguistiques, des événements culturels, des congrès, des conférences et elle offre des bourses pour des stages de formation à l’étranger. De plus, elle a créé la revue Chemins actuels, qui aborde les domaines de la pédagogie, de la linguistique et de la littérature et dont l’objectif principal est l’enseignement du français (AMIFRAM, 2022). Finalement, la Délégation générale du Québec à Mexico est un autre organisme qui promeut la langue française. Inaugurée en 1980, elle fait la promotion des intérêts du Québec auprès des institutions politiques mexicaines, de même que dans les secteurs de l’économie, de l’éducation, de la culture, de l’immigration et d’autres secteurs relevant de la compétence du Québec (Délégation générale du Québec à Mexico, 2022). Dans ce contexte, l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA) a aussi contribué à la francophilie mexicaine en permettant au Québec de mettre en oeuvre de nouveaux projets linguistiques, culturels et économiques sur le territoire mexicain (Hernández, 2005 : 15-20).

Le statut du français dans le milieu universitaire mexicain

Cette deuxième partie s’intéresse plus particulièrement à l’enseignement et à l’apprentissage du français dans les établissements postsecondaires mexicains. S’il y a actuellement au Mexique des passionnés de la langue française et un intérêt à connaître sa culture, on ne peut nier qu’il existe une motivation plus professionnelle, soit les certifications en langues étrangères, qui sont très importantes et souvent indispensables pour un étudiant ou un salarié.

En 2001, le Conseil de l’Europe a rédigé un document de référence qui définit six niveaux de maîtrise d’une langue étrangère. Le Cadre européen commun de référence pour les langues permet d’évaluer le niveau de français nécessaire pour avoir accès à certaines formations en France, telles que la licence, le master ou le doctorat. Au Mexique, les diplômes internationaux officiels d’accréditation pour l’apprentissage de la langue française sont le DELF (Diplôme d’études en langue française), le DALF (Diplôme approfondi de langue française) et le TCF (Test de connaissance du français), tous créés par les ministères français de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. De plus, le Secretaría de Educación Pública (SEP) du Mexique reconnaît les certifications DELF et DALF depuis 2010 grâce à la Certification nationale de niveau de langue (Campus France, 2016).

Ensuite, nous avons voulu dresser un panorama des établissements postsecondaires mexicains qui proposent une licence ou un master pour devenir professeur ou spécialiste du français. Cela fait référence à l’enseignement du français en tant que langue de professionnalisation (tableau 1) et à l’enseignement du français en tant que langue étrangère (tableau 2).

Tableau 1

Le français enseigné en tant que langue de professionnalisation

Le français enseigné en tant que langue de professionnalisation

Tableau 1 (suite)

Le français enseigné en tant que langue de professionnalisation

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Tableau 2

Le français enseigné en tant que langue étrangère

Le français enseigné en tant que langue étrangère

Tableau 2 (suite)

Le français enseigné en tant que langue étrangère

Tableau 2 (suite)

Le français enseigné en tant que langue étrangère

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Il est évident que l’enseignement du français s’est progressivement spécialisé et défini au Mexique en fonction des besoins sociaux ainsi que des emplois locaux et étrangers. Pour cette raison, dans les universités technologiques, le français est une matière qui complète la formation professionnelle. Actuellement, il existe 52 universités technologiques et cinq écoles polytechniques qui proposent l’apprentissage du français dans leurs programmes scolaires sur une base obligatoire pour certaines professions, telles que les transports, l’hôtellerie, le tourisme et la gastronomie (Organisation internationale de la Francophonie, 2019b). Autrement dit, la langue étrangère enseignée est adaptée à chaque filière, par exemple, le français du tourisme et de l’hôtellerie, le français juridique, le français médical et scientifique, le français des relations internationales, ou encore le français de la finance et du commerce, (Embajada de Francia en México, 2019c : 48).

Par ailleurs, les étudiants et les enseignants bénéficient de programmes de mobilité. Par exemple, l’accord entre l’Asociación Nacional de Universidades e Instituciones de Educación Superior (ANUIES) et la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) permet une collaboration interuniversitaire. Il existe aussi le programme de MEXPROTEC, créé par le gouvernement du Mexique en 2001, dans lequel la SEP, l’ambassade de France et le gouvernement du Québec offrent aux étudiants mexicains la possibilité de réaliser leurs études universitaires en France ou au Québec. Le programme bilatéral MEXFITEC (Mexico - Francia Ingenieros TECnología) permet, pour sa part, aux étudiants en ingénierie de terminer leur dernière année dans une université prestigieuse de France. Ces intérêts éducatifs ont permis au gouvernement du Mexique de répondre aux besoins de formation des étudiants et c’est pourquoi en 2017, la première université publique bilingue franco-mexicaine a été créée en tant que projet pionnier dans la ville de Juárez, dans l’État de Nuevo León. Elle offre de la formation dans des secteurs spécialisés des plus innovants, comme l’automobile, l’aérospatiale et l’énergie (Organisation internationale de la Francophonie, 2019b).

D’après notre collecte de données, nous pouvons observer que la langue française est enseignée à des fins professionnelles spécifiques et/ou d’enseignement dans différents domaines de spécialisation (linguistique, enseignement, traduction et littérature) où les étudiants doivent obtenir une certification en langue française située entre le DELF B2 et le DALF C1, selon ce qui a été établi dans les programmes d’études de chaque université. Il faut donc souligner que le français prédomine dans l’enseignement, parallèlement à d’autres langues comme l’italien, l’allemand, et le portugais, langues qui sont apprises à un niveau linguistique de base et/ou intermédiaire. Il est aussi certain que la plupart des programmes d’études privilégient l’apprentissage de l’anglais. Toutefois, nous pouvons conclure que les études en langue française en tant que langue de travail et en tant que langue étrangère répondent aux demandes éducatives du pays liées aux domaines de la culture, de l’enseignement, des arts et des sciences humaines; de plus, le français sert également d’outil complémentaire en tant que langue étrangère dans les domaines de l’administration et de l’économie.

Parmi les débouchés sur le marché de travail qui se présentent à un diplômé au Mexique, l’enseignement du français offre plusieurs possibilités : la recherche en éducation, la production de matériel didactique, la création de programmes d’études bilingues, la coordination de domaines ou de programmes, le tutorat et la planification de programmes de langues, l’évaluation des compétences, la formation de professeurs de langues, le conseil en enseignement (conseiller pédagogique) ou la gestion en apprentissage des langues. Cependant, il existe d’autres domaines où un professionnel de la langue française peut travailler, tels que la traduction et l’interprétation, la finance, l’administration, le commerce et les relations internationales, ou encore le travail autonome.

Pour compléter les données recueillies sur les sites Internet des différents établissements postsecondaires mexicains, un entretien a été réalisé avec le responsable de la Direction de la coopération linguistique et pédagogique de l’ambassade de France au Mexique. L’entretien avait notamment pour objectif de recueillir plus d’informations sur la croissance de la demande d’apprentissage du français au Mexique. Selon cette personne, l’un des éléments déclencheurs de la croissance et de la diversification de la demande de diplômés en didactique du français a été l’installation d’entreprises françaises dans le pays, tout cela accompagné du développement d’une éducation multilingue. Le français en tant que langue de travail est présent dans les 400 entreprises françaises installées dans le pays, ce qui conduit à l’embauche de personnel qualifié maîtrisant cette langue. À propos du domaine de l’éducation, il est précisé que le français est enseigné à la fois dans les universités publiques et les universités privées. Dans ces dernières, la langue française a connu un développement favorable, ce qui s’est traduit par une nouvelle demande de professeurs de langues. Ce sont les raisons qui ont consolidé l’enseignement de la langue française et qui ont ainsi renforcé la promotion de son apprentissage.

Pour conclure, les liens de coopération culturelle, universitaire, scientifique et technologique promeuvent la diversité linguistique et permettent de consolider l’enseignement et l’apprentissage de la langue française au Mexique. L’objectif est de donner un enseignement et une formation de qualité et, pour ce faire, il ne faut pas perdre de vue la certification. Il est aussi important de faire remarquer que la langue française occupe une place importante après l’anglais dans l’apprentissage des langues, ce qui exige que l’on prenne en considération son apprentissage à tous les niveaux. Finalement, après avoir analysé l’état actuel du français, notamment son enseignement, nous constatons que son positionnement en tant que langue de travail ne cesse de s’améliorer. Tout en faisant preuve de prudence, nous pouvons affirmer que le français est une langue en développement au Mexique, et le défi présent et futur est de faire en sorte que cette langue continue de prendre sa place dans les milieux universitaires afin de rester une langue internationale qui réponde aux nouvelles tendances sociales, éducatives et culturelles.