La formation des cadres religieux musulmans en Europe

Introduction. La formation des cadres religieux musulmans en Europe[Notice]

  • Sylvie Toscer-Angot,
  • Philippe Gaudin et
  • Renaud Rochette

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  • Sylvie Toscer-Angot
    Université de Tours, ICD

  • Philippe Gaudin
    IREL, EPHE

  • Renaud Rochette
    IREL, EPHE

Comment les cadres religieux musulmans qui travaillent en Europe sont-ils formés en tant que tels ? La question au coeur de ce dossier est celle de l'existence de politiques publiques européennes en matière de formation des cadres religieux musulmans. Il ne s’agit pas vraiment d’une question s’il s’agit de savoir si de telles politiques existent, car la chose n’est pas secrète, même si elle ne recueille pas l’assentiment de toute l’opinion. En revanche, il s’agit bien d’une question pour ce qui est de leur émergence, de leur nature, de leurs modalités et de leur légitimité. Cette thématique n’est pas nouvelle en France (Fregosi 1998 ; Messner, Zwilling 2010 ; Jouanneau 2013) comme dans la plupart des démocraties occidentales (Aslan, Windisch 2012). Même si les relations entre l’État et les cultes sont juridiquement différentes d’un pays européen à un autre, il y a bien une laïcité européenne (Baubérot 2014), non pas au sens strictement français du terme, mais au sens d’un respect de la liberté de conscience et de culte qui suppose qu’en dehors du respect de l’ordre public tel qu’il est défini par la loi, il ne peut y avoir d’ingérence de l’État dans la vie des cultes et par voie de conséquence dans la formation des cadres religieux. Interroger la formation des cadres religieux musulmans comme politique publique en Europe est donc un révélateur, un analyseur de nouvelles pratiques, qui déstabilisent un ordre reçu et révèlent un sujet complexe à la croisée de logiques politiques, religieuses et éducatives. Une première interrogation est de savoir s’il y a des « cadres religieux musulmans ». Il faut certes se garder de la naïveté de croire que tous les cultes obéissent à des formes semblables et pérennes dont seuls les contenus changeraient, mais aussi d’un exotisme naïf selon lequel « il n’y a pas de clergé en islam » ou « en islam, seul le shiisme connaît un clergé ». Si l’on peut et doit certes discuter de la pertinence de la notion de « clergé », Dominique Avon et Pierre Vermeren nous apprennent, dans une perspective historique, qu’il y eut et qu’il y a bien des « hommes de religion » en islam sunnite : ulamas (docteurs de la loi), sayh al-islam (savants de l’islam), muftis (interprètes de la loi), qadis (juges), imams (ceux qui dirigent la prière). Il y a aussi des lieux institués pour la vie et l’éducation religieuses : kouttab (écoles coraniques), madrassas, universités, tribunaux. Quant à l’Algérie de la période coloniale française, elle créa pour un siècle environ un clergé spécifique, éduqué dans des « medersas », interlocuteur officiel tenu à la loyauté vis-à-vis des autorités coloniales au détriment des confréries incontrôlables. Ce passé de l’ancienne puissance coloniale française, présente dans le Maghreb, pèse fatalement dans les mémoires et dans les politiques publiques contemporaines de la France, qui peuvent être suspectées de reconduire une ingérence ou une surveillance d’une autre époque. De manière générale, la notion de « cadre religieux musulman » comprend aujourd’hui une large palette de fonctions et de professions liées à l’islam, à l’exercice du culte ou à l’enseignement de la religion. Il s’agit donc aussi bien — selon les contextes spécifiques de chaque pays — des professeurs de religion islamique, des imams, des aumôniers intervenant en milieu fermé que des gestionnaires des associations et lieux de culte islamiques. Au-delà de l’étude du cas français, la perspective comparatiste retenue ici ne vise pas seulement à faire un état des lieux des situations à l’échelle européenne, mais à examiner si on peut observer des politiques, des dynamiques transnationales ou des évolutions convergentes en matière de …

Parties annexes