Une pratique du coeurA Practice From the Heart[Notice]

  • Michaël Trahan

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  • Michaël Trahan
    Université Laval

Je rêve de faire oeuvre de littérature depuis longtemps. Je ne sais pas très bien pourquoi. C’est un désir dont j’ai pris conscience vers la fin de l’adolescence, comme une énigme dont la portée m’échappait. C’était le début de ma vie d’adulte. Je venais de quitter la vie rurale et culturellement très pauvre qui m’avait vu grandir, pour m’établir dans une grande ville, où je découvrais, dans un vertige auquel je repense avec une certaine émotion, la littérature et le monde de l’art. Soudain, ce désir d’écrire, qui était pour ainsi dire latent, en quelque sorte sans objet, était mis à l’épreuve du réel. Je me souviens d’une rencontre, en particulier, celle d’un professeur qui allait devenir un mentor. Il n’enseignait pas la littérature, mais il avait publié quelques recueils de poésie et un roman, sur lequel je suis un jour tombé par hasard en librairie. Je l’ai acheté et je l’ai lu, dans l’urgence, comme si je venais de faire une découverte troublante. Je réalisais que les oeuvres qu’on me faisait découvrir au collège depuis quelques mois n’existaient pas dans le vide. Elles n’apparaissaient pas magiquement sur les rayons des bibliothèques ou aux murs des musées. Elles étaient conçues par des femmes et des hommes, qui leur consacraient pour ce faire une partie de leur vie. Ce n’était pas rien : c’était une façon de dire qu’à la base de toute oeuvre d’art, il y a un élan, un désir premier, qui occupe une place bien réelle dans l’existence des artistes. J’essaie de restituer la naïveté qui était alors la mienne, parce qu’elle me semble liée à ce qui doit avoir lieu ici, dans ces pages. Une vingtaine d’années plus tard, le présent dossier cherche à donner à d’autres le moyen d’arriver à un tel étonnement, en interrogeant le rôle du désir dans la genèse des oeuvres, et sa place dans nos façons de les lire et de les comprendre. Quand j’ai commencé à m’intéresser à ces questions, je ne comprenais pas qu’on parle si peu du désir d’écrire. Je voyais à quel point il est naturel de faire dialoguer les textes avec les époques qui les ont vu apparaître, dans une perspective sensible à la singularité des contextes historiques et à leur incidence sur la littérature. De même, je ne m’étonnais pas qu’on étudie couramment les textes de l’intérieur, si je puis dire, selon une approche où le travail de la forme et les enjeux de structure sont à l’avant-plan. Seulement, je constatais qu’il était moins fréquent de revenir en amont de l’oeuvre publiée, en adoptant un point de vue plus poïétique, pour s’intéresser à la genèse sous un angle qui fait une place centrale à des enjeux qu’il me semble aujourd’hui pertinent de qualifier d’« existentiels », dans la mesure où ils renvoient à l’expérience vécue du sujet qui écrit. C’est une autre façon de rappeler que toute oeuvre est fonction d’un désir. Je reviens en arrière. Dès que j’ai refermé le premier roman de celui qui allait devenir mon mentor, je me suis présenté à son bureau, mû par la volonté, là encore, de voir au-delà du livre et de comprendre comment cet homme, qui m’initiait depuis quelques mois à la philosophie, en était venu à écrire ainsi. Je voulais tout savoir. Je m’intéressais au travail d’écriture, mais j’avais surtout besoin, je l’ai réalisé plus tard, de déconstruire les représentations les plus romantiques de cette pratique pour voir comment elle pouvait s’inscrire, de façon très concrète, dans le fil d’une existence qui me paraissait, sinon, d’une banalité désarmante. Comment mon professeur s’y était-il pris pour arriver …

Parties annexes