Résumés
Résumé
La terre déserte et vide de Moi qui n’ai pas connu les hommes (Jacqueline Harpman, 1995) et l’île grise, nommée « Choir », du roman du même nom (Éric Chevillard, 2010) sont des lieux dont les racines ont été coupées net et dont ces romans de la solitude se servent pour interroger la relation présente du lecteur à son environnement. La nature s’y livre à l’homme de manière brute et austère : le corps se fait soudain présent, pesant et grave, ultime lieu et ultime morceau de nature au sein de ces paysages dévastés. Les survivants font ainsi l’expérience de la perte totale – et contrainte – de distance avec la nature ; cette perte de distance est mise en récit à travers le motif de la chute (physique et symbolique) de l’humanité après une catastrophe. Cet article interroge donc la nature de la relation entre un environnement dévasté et le corps y survivant.
Abstract
The deserted and empty land of Moi qui n’ai pas connu les hommes (Jacqueline Harpman, 1995) and the grey island, named “Choir”, from the novel of the same name (Éric Chevillard, 2010) are places whose roots have been snapped off and which these novels of solitude use to question the reader’s relationship to his environment. Nature surrenders itself to man in a raw and austere manner : the body suddenly becomes present, heavy, and serious, the ultimate place and ultimate piece of nature within these devastated landscapes. Survivors hence experience total loss – and forced – of distance from nature ; this loss of distance is narrated through the motif of the fall of humanity (physical and symbolic) after a disaster. This article therefore questions the nature of the relationship between a devastated environment and the surviving body.
Corps de l’article
L’imagerie apocalyptique utilisée dans certaines dystopies est un moyen de réveiller le lecteur ou le spectateur et initier un changement chez lui ; Greg Garrard lui attribue d’ailleurs une fonction d’exhortation (au changement)[1], tout comme Christian Chelebourg[2]. Le lieu occupe le centre des univers post-apocalyptiques puisque c’est lui qui est touché de plein fouet par la violence des images. C’est par lui qu’advient le sentiment d’étrangeté qui happe le lecteur, pris entre la fascination et l’horreur de la fin de son propre lieu perçu, dès lors, comme en danger d’extinction. Car « l’écriture apocalyptique », rappelle James Berger dans After the End, « répond à une crise sociale ou, plus précisément, à une crise perçue[3] » et présente par réflexion inversée l’époque contemporaine comme une pré-apocalypse, tout comme l’utopie (et la « semence dystopique » qui l’« envahit »[4]) place dans un ailleurs les problématiques contemporaines de l’auteur. Les oeuvres littéraires qui exploitent l’imagerie apocalyptique et post-apocalyptique sont nombreuses, et celles qui parviennent à inventer une post-apocalypse différente provoquent également l’effet inverse : plutôt que d’être le simple reflet ou la « réponse » à une « crise perçue » (et donc la confirmation de celle-ci), elles invitent à porter sur le monde en crise un regard changé qui va au-delà d’une simple confirmation de la crise, vers une solution ou, tout du moins, une action.
C’est le cas, me semble-t-il, de Moi qui n’ai pas connu les hommes de Jacqueline Harpman[5] et Choir d’Éric Chevillard[6]. Oeuvres singulières, elles parviennent, à travers des lieux « parallèles » et non semblables aux « nôtres »[7], à faire surgir les interrogations typiques des romans post-apocalyptiques par rapport à un avant disparu. À partir de ces lieux dont les racines ont été coupées net sans que l’on sache pourquoi, le critique peut s’engager dans une réflexion écopoétique sur la relation présente du lecteur à son environnement car l’écopoétique, elle aussi, se centre sur le lieu et explore les formes d’écriture de la nature. Or, comme l’écrit si bien Pierre Schoentjes, le lieu se donne à vivre comme expérience concrète passant par le corps[8]. La (post-)apocalypse place le lien à l’environnement sur le devant de la scène, lien qui s’effectue par le corps et qui s’est distendu à mesure que l’homme a domestiqué son environnement. Dans les romans susmentionnés, le lieu n’est plus habitable[9] : dans ces espaces déserts et mornes, le corps se fait soudain présent, pesant et grave, ultime lieu et ultime morceau de nature au sein de paysages dévastés. Les survivants font l’expérience de la perte totale – et contrainte – de distance avec la nature[10] ; cette perte de distance est mise en récit à travers le motif de la chute (physique et symbolique) de l’humanité après une catastrophe.
C’est ce corps ancré dans un lieu désolé[11] que je souhaite interroger : qu’advient-il de lui dans un univers post-apocalyptique dans lequel le lieu est vidé de sens et de racines ? Quelle forme prend dans ces récits le rapport à un environnement détruit/destructeur ? Dans quelle mesure observe-t-on une tentative de recréation du lien à l’environnement à travers le corps ? Quel sens donner à un corps vivant dans un lieu mort, ou tout du moins meurtri ?
De l’utérus à la tombe : deux romans sur la chute
Les deux romans examinés se présentent sous les traits allégoriques des fables[12] et diffèrent d’autres romans post-apocalyptiques en cela que le monde (re)créé par la fiction ne se distingue pas par son caractère vraisemblable[13] et ne se présente pas comme la continuité logique d’une catastrophe[14], comme c’est le cas du roman dystopique The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood (1985)[15] ou du roman post-apocalyptique The Road de Cormac McCarthy (2006)[16], pour prendre des exemples paradigmatiques. Le monde fictionnel apparaît directement comme un donné ; tant dans Moi qui… que dans Choir, le rapport au monde « réel » ne se fait pas à travers la voix narrative qui, dans les deux cas, ignore tout d’un autre monde (qui serait celui du lecteur) : dans Moi qui…, la narratrice a toujours vécu en cage et ce sont les autres femmes avec qui elle est enfermée qui se souviennent d’un autre monde, auquel la narratrice n’aura jamais accès ; dans Choir, le narrateur non plus n’a jamais connu d’autre monde et les rares échos d’un ailleurs parviennent des rescapés des avions qui s’échouent sur Choir. Les narrateurs n’ayant connu que le monde qu’ils décrivent, le soin est laissé au lecteur de mesurer la distance avec son propre monde, distance à la fois grande et courte.
Moi qui n’ai pas connu les hommes est un récit à la première personne qui s’ouvre sur la situation présente de la narratrice, qui entreprend depuis le fond d’une cave d’écrire le récit de sa vie, commencée également au fond d’une cave, où elle fut enfermée dans une cage avec trente-neuf autres femmes. Nourries et soignées correctement, les femmes connaissent cependant le fouet au moindre contact physique ou au moindre éclat de voix. Après plus d’une dizaine d’années passées en réclusion, une alarme soudain retentit au moment où les gardiens ouvrent la cage pour leur donner à manger ; ils s’encourent séance tenante, laissant la cage ouverte. Ce séjour souterrain peut être considéré comme une longue gestation, car la narratrice n’est véritablement née que lorsqu’elle a monté les escaliers menant de la cave au monde extérieur :
Je courais vers le haut, je ne réfléchissais pas, je montais dans une espèce de soulèvement de tout l’être, oui !, […] je grimpais sans haleter, sans fatigue, moi qui n’avais jamais fait plus de vingt pas en ligne droite […]. Je bondis, je regardai, c’était le monde.
Moi qui…, 66-67
La narratrice découvre en même temps que les femmes un environnement totalement désert, ponctué de guérites qui sont autant d’autres caves-prisons, remplies de provisions, mais où tous les prisonniers (quarante hommes ou quarante femmes) sont morts. Totalement seules, les femmes commenceront par explorer cette nouvelle terre avant de s’établir à un endroit et construire des maisons rudimentaires. Elles meurent les unes après les autres, de vieillesse ou de maladie, et la narratrice, la plus jeune, restée seule, explore encore le monde pendant vingt ans sans rien trouver de neuf, jusqu’au jour où elle découvre une cave différente des autres, luxueuse, avec des mets savoureux, des livres, des oeuvres d’art, tapis, lit et autres meubles ; elle s’y établit pour écrire sa chronique et mourir à son tour. Elle redescend donc dans une autre cave pour y mourir.
Choir est également une chronique à la première personne, racontée par un homme qui veille sur Calmar, une sorte de télescope à travers lequel il scrute le ciel à la recherche d’Ilinuk[17]. Ilinuk est le personnage légendaire du peuple de Choir, le seul qui ait réussi à s’extraire de l’île grâce à ses six orteils à chaque pied, et qui a promis de revenir pour sauver ses compatriotes. Choir est en effet un endroit duquel on tente, en vain, de s’échapper. Yoakam, sorte de sorcier du peuple, raconte en boucle l’histoire de son ancien compagnon Ilinuk, tous les jours, de la naissance à la mort de chaque habitant de Choir.
Le récit met la chute en évidence dès son titre et on comprend dès les premières lignes l’allusion inversée à l’île d’Utopie de Thomas More. Les habitants de l’île-anneau vivent en contact constant avec le sol, la boue et l’abjection. Aveuglés par l’obscurité constante, en prise avec des liquides corporels en tout genre, les habitants semblent englués dans le liquide amniotique et attendent le retour d’Ilinuk, le seul à s’être échappé, le seul à être « né », pour pouvoir naître ou renaître à leur tour. Les chutes sont extrêmement fréquentes et préfèrent être considérées comme une « courbette à Ilinuk » (Choir, 62) que comme la conséquence des traîtres terrains de Choir. Comme pour Moi qui…, le mouvement vertical est au centre du récit : « Nous ne voulons d’autre père fondateur que celui qui s’arracha aux fondations de Choir » (Choir, 31). Cependant, la prégnance du mouvement horizontal (ramper dans la boue, marcher à la recherche d’une échappatoire de Choir) et du mouvement vertical vers le bas (choir) fait du mouvement vertical vers le haut un fol espoir marqué d’une irrémédiable impossibilité. Toutes les actions fonctionnent d’ailleurs sur le principe du monde à l’envers : les naissances sont maudites et la mort est source de grande joie, les maladies sont partagées, on incite à la mutilation, etc. À la fin du récit, lorsqu’un vaisseau spatial descend sur Choir, l’espoir, entretenu depuis des générations, fait place à un silence consterné car le peuple découvre qu’Ilinuk est en réalité dans Choir et que le vaisseau spatial est venu chercher des insectes.
Le corps emprisonné
Les deux romans placent le corps au centre de la narration : dans Choir, l’obsession de chaque habitant de l’île est dirigée vers les légendaires pieds à six orteils d’Ilinuk et les incantations à Ilinuk font toujours référence à son corps[18] ; dans Moi qui…, l’utérus est un motif central dès le titre, que l’explicit cite et situe : « Il est étrange que je meure de l’utérus, moi qui n’ai jamais eu de règles et qui n’ai pas connu les hommes » (Moi qui…, 192).
Rappelons que c’est le corps qui transforme le monde en environnement[19] et que c’est par lui que toute expérience nous parvient. Les expériences extrêmes, telles que la survie dans un milieu hostile, rappellent cette évidence que l’absence d’inconfort physique a tendance à occulter. Il est important de remarquer que le coeur des deux récits ne se trouve justement pas dans une nécessité de survivre après la catastrophe. Dans Moi qui…, la nourriture stockée dans les caves est abondante et suffit pour des années ; dans Choir, malgré l’hostilité du climat et de l’environnement, la question de la faim n’est pas soulevée. Ce faisant, les personnages perdent une raison de vivre (la lutte pour la survie du corps) et ne parviennent pas à en trouver une autre car il n’y a rien à construire. Le sens est perdu. L’autre raison de vivre que l’on retrouve souvent dans les récits de l’extrême est l’espoir donné par la fécondité. Or, ce qui frappe dans les deux romans, ce sont les allusions à la stérilité et la mise en souffrance de tout contact corporel. Sur les terres de Moi qui… et celles de Choir, rien ne pousse ; le corps stérile de la narratrice de Moi qui… est semblable en cela à l’environnement dans lequel elle évolue[20].
Je m’assis devant Laurette, j’aurais sincèrement voulu lui dire des paroles utiles, qui la renourrissent, mais, en vérité, sur cette terre stérile, dans le silence et la solitude, ignorante et stérile moi-même, que pouvais-je lui donner ? Pourquoi aurait-elle souhaité vivre ? Nous ne faisions rien, nous n’allions nulle part, nous n’étions personne.
Moi qui…, 137
Dans Moi qui…, « [c]ette plaine vide et ce ciel silencieux donnaient le sentiment d’une terre inhabitée » (Moi qui…, 92) ; peuplée uniquement par quarante femmes qui s’éteignent l’une après l’autre, la terre désolée n’offre aucune possibilité de fécondation et de fertilité. De même, dans Choir, la fertilité occasionnelle et non désirée, « emboîtements malencontreux à l’origine de nos engendrements » (Choir, 16), ne change absolument rien au caractère emprisonnant de l’île-anneau. Rien ne peut y être construit et tous s’y nourrissent d’un espoir insensé, celui du retour du Messie, Ilinuk le Polydactyle, qui doit revenir les sauver. Dans les deux romans, le contact corporel est mis en souffrance[21].
La nature dans les romans susmentionnés se livre donc à l’homme de manière brute et austère, à l’image du rapport entre les personnages et elle : l’environnement leur est en effet totalement étranger. Même dans le cas de Choir, endroit où les personnages ont toujours vécu, il est frappant de constater l’énergie qui est mise pour ne jamais faire de cet espace un lieu (au sens où l’entend Buell, à savoir un espace rempli de sens) : « Ne serait-ce point l’insulter [Ilinuk] que […] d’ordonner à Choir un monde habitable ? » (Choir, 61) De leur côté, les quarante femmes de Moi qui… émettent des doutes sur l’origine terrestre de l’environnement naturel qu’elles rencontrent après douze années d’enfermement : « Était-ce la Terre ? […] Aucune ne connaissait un tel désert de cailloux dans un climat si doux » (Moi qui…, 83). Les tentatives d’installation et de construction d’un petit village se soldent par un échec existentiel, puisque les femmes finissent par mourir de l’absence de sens. La narratrice décrit la mort de la dernière femme de la façon suivante : « [J]e crois qu’elle n’est pas morte d’un mal physique, mais qu’elle s’était désolidarisée de ce corps infatigable qui aurait encore fonctionné des années » (Moi qui…, 139-140).
Ce n’était pas le corps qui cédait, mais l’âme, de plus en plus lasse d’animer ces muscles, de faire battre ce coeur, d’accomplir toutes les tâches de la vie, cette âme que rien ne nourrissait plus depuis si longtemps […].
Moi qui…, 137
Dans les deux romans, l’environnement est conçu comme un endroit où les corps sont emprisonnés : dans une cage, puis sur une terre vide[22] (Moi qui…) ; dans une île aux contours fuyants, tantôt île, tantôt anneau, tantôt marais (Choir). La nature de la prison est différente dans chaque roman : à l’immuabilité des paysages de Moi qui… répond, comme l’envers de la médaille, la constante mutation des terres de Choir. Mais les personnages des deux romans y répondent de la même manière : par l’action, la marche, qu’Alexis L’Allier désigne comme le moyen de donner un sens à l’espace[23]. La narratrice de Moi qui… prend la tête du groupe à partir du moment où elles sortent de la cave, et n’a de cesse d’explorer cette terre qui est la sienne. Après être restée seule, elle marchera pendant une vingtaine d’années avant de tomber malade et mourir à son tour. La solitude lui convient bien et fait d’elle la personne la mieux adaptée à ce nouvel environnement. Ne dit-elle pas d’ailleurs, s’appropriant la terre à la manière d’une Ève[24] stérile : « C’est ce pays qui m’appartient. J’en serai la seule propriétaire et tout ce qui s’y trouve sera mon bien » (Moi qui…, 131) ?
Dans Moi qui…, l’accès empêché à l’environnement naturel développe chez la narratrice, qui n’a donc jamais connu d’autre environnement que celui de la cave, un rapport accru au corps. Le contact physique est prohibé : « [I]l nous était interdit de nous toucher » (Moi qui…, 27), mais la narratrice connaîtra l’orgasme, qu’elle nomme « soulèvement », en se racontant des histoires et en développant son imagination : elle imagine l’amour et « après cela, [s]on âme changea » (Moi qui…, 17). Elle compte ses battements de coeur pour mesurer le temps et se transforme ainsi en une horloge vivante. D’une manière très intéressante, la narratrice a développé une relation avec l’environnement, qu’elle ne connaissait pas pourtant, à travers son propre corps, ce qui explique sa parfaite adaptation à celui-ci lorsqu’elle s’y retrouve pour la première fois. Au contraire, les autres femmes, décontenancées parce que l’environnement qu’elles découvrent ne correspond à aucun de leurs souvenirs, perdent pied à ce moment-là. La découverte et l’observation minutieuse de son corps amènent la narratrice à lui faire totalement confiance, tandis que les autres femmes ont plutôt tendance à s’en désolidariser : « J’avais toute confiance en mon corps, qui exigerait bien le sommeil quand il en aurait besoin » (Moi qui…, 146).
L’éveil
En faisant le choix d’une narration à la première personne, mais dont le statut de chroniqueur anonyme permet une mise à distance, Harpman et Chevillard placent au centre du chaos un élément susceptible de donner du sens au non-sens : l’écriture, la narration.
S’il est vrai que c’est une fois demeurée seule que la narratrice de Moi qui… entreprend d’écrire la chronique de sa vie pour ne pas l’oublier[25], ce rôle avait déjà commencé dès l’enfermement, lorsqu’elle avait impliqué son corps dans la mesure du temps : en comptant ses battements de coeur, elle introduit la notion du temps et s’extrait du « perpétuel présent » (Moi qui…, 11) dans lequel elle vivait.
Dans Choir, le narrateur a également choisi de coucher sur le papier (mais est-ce vraiment sur du papier ?) sa vie sur Choir, ce qui explique que le récit est emmené au présent, tandis que celui de la narratrice de Moi qui… se déroule en grande majorité dans le passé de sa mémoire. « Et moi, dans ce cloaque ? Moi, j’écris ma chronique et, surtout, je veille sur Calmar » (Choir, 32).
Dans le cas de la narratrice de Moi qui…, si l’écriture a pour but de s’arracher à une trop grande prégnance de l’environnement sur le corps, c’est bien le corps qui l’a réveillée en tant qu’être pensant : la colère permanente de son enfance a réveillé le besoin de connaître, d’obtenir des informations, car « savoir sert à savoir » (Moi qui…, 15) ; le soulèvement orgasmique qu’elle a connu change son âme et pousse son esprit à inventer des histoires. Elle est dans un monde où le corps est le seul allié et la seule distraction (« le mal physique m’est revenu » [Moi qui…, 11], dit-elle, ce qui la distrait de son chagrin). C’est par les émotions que « je me suis rendu compte que j’étais humaine » (Moi qui…, 10). Dans le sens inverse, les mots et les discours semblent avoir des effets sur les corps. Dès l’incipit, la narratrice de Moi qui… décrit sa première crise de larmes, déclenchée par la lecture :
Depuis que je ne sors presque plus je passe beaucoup de temps dans un des fauteuils, à relire les livres. Je ne me suis intéressée que récemment aux préfaces. […] Ils parlent avec reconnaissance de ceux qui les ont formés, leur ont ouvert tel ou tel domaine du savoir et […] je lis en général cela avec une certaine indifférence. Mais hier, brusquement, j’ai pensé à Théa et une terrible vague de chagrin m’a traversée. […] [J]’ai senti une immense déchirure, je me suis mise à sangloter. Je n’avais jamais pleuré.
Moi qui…, 9-10
Les récits de Yoakam, dans Choir, nourrissent presque littéralement les habitants de l’île et leur espoir d’en sortir, répondant au besoin viscéral de comprendre et donner un sens à leur expérience quotidienne qui, justement, manque de sens :
La voix cassée du vieux Yoakam nous envoûte et nous ravit. Elle nous électrise. Elle hérisse nos cheveux et fait courir des frissons sur notre échine rompue aux humiliations. Elle berce nos douleurs et calme nos peurs. Elle nous apaise et nous réchauffe. […] Nous connaissons tous son récit par coeur et nos pieds aussi en battent la mesure.
Choir, 109
Comme la narratrice de Moi qui…, le rôle du chroniqueur de Choir est de se faire le témoin d’un monde insensé qu’il met à distance par l’écriture ou, tout du moins, la narration. La volonté de laisser le témoignage d’une vie insensée pose la question du temps qui, parce qu’il a été interrompu par une catastrophe, ne peut plus se concevoir comme une continuité. C’est pour cette raison que le travail de la mémoire procure de la félicité à la narratrice de Moi qui… : au lieu de « viv[re] dans un perpétuel présent » (Moi qui…, 11), l’écriture du récit permet de donner à sa vie une continuité, avec un avant, un pendant et un après[26]. Dans Choir, l’effet est encore plus saisissant car le récit s’écrit dans le « pendant », sans jamais établir de continuité ; il s’agit d’un présent cyclique, sans cesse recommencé :
Les gestes liés d’Ilinuk, ses pas formant foulée, la fluide évidence de sa vie tout d’une traite, voilà ce qui nous exalte et nous confond, nous autres qui ne savons pas enchaîner, qui à chaque instant recommençons, repartons de zéro. Le récit de Yoakam rejoue incessamment pour nous ce destin implacable. Nos existences heurtées, velléitaires, hésitantes, cette danse des coudes et des genoux qui nous étourdit sur place, nous nous en libérons dans le grand fleuve de la geste d’Ilinuk le Brave qui à notre tour nous entraîne et décide pour nous de l’origine, de la suite et de la fin.
Choir, 59
Le récit les empêche d’être captifs de l’instant puisqu’il leur donne un passé et leur ouvre un avenir (Choir, 77-78). Or, le présent est le temps du corps : la mise à distance est le résultat de l’effort fait pour arracher le corps à son environnement, pour empêcher que cet environnement le consume tout à fait. Dans Moi qui…, la narratrice, restée seule, fait l’effort de parler à haute voix, écrire et lire pour ne pas sombrer dans l’adéquation totale avec l’environnement. Le présent est l’unique temps du corps ; toute autre notion temporelle est un arrachement à la nature, arrachement qui permet l’avènement de la culture.
Les livres, signes de civilisation et de culture, sont présents, comme dans presque toutes les dystopies[27], de manière sporadique (ils sont en général mentionnés une seule fois). Dans Moi qui…, les livres sont présents pour leur aspect utilitaire (c’est ainsi qu’elle apprend à lire, et à écrire sa chronique) et également pour souligner la fissure béante entre ce monde et l’autre :
Ai-je mieux compris le théâtre de Shakespeare ? ou l’histoire de don Quichotte de la Manche ? ou ce qui se passe dans les livres de Dostoïevski ? Je ne crois pas. Tout cela parle d’expériences que je n’ai pas connues : […] les sentiments me restent mystérieux.
Moi qui…, 178
La référence très tardive et unique à des livres d’avant la catastrophe (et existant dans le monde contemporain du lecteur) reste très imprécise : au même titre que les autres objets du lieu, les livres mentionnés sont censés représenter la quintessence de ce que l’humanité a fait de mieux au niveau artistique dans « le passé de l’humanité » (Moi qui…, 176). La cave luxueuse dans laquelle la protagoniste termine ses jours est ainsi un condensé du meilleur de l’humanité avant la catastrophe[28] : « J’étais suffoquée d’admiration. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau, parce que je n’avais jamais rien vu de beau qui fût l’oeuvre de l’homme » (Moi qui…, 175), ce qui permet en quelque sorte à la protagoniste de toucher du bout des doigts le mystère de l’être humain civilisé et éduqué qu’elle-même croit ne pas être. Même constat pour Choir :
Il n’en va pas de même des leçons que nous trouvons dans les livres des rescapés : elles ne valent pas pour Choir. Touchant aussi bien la physique que la philosophie, toutes nos expériences les infirment. Nous les détournons quelquefois pour tirer tout de même profit de leur appareil logique et le faire servir nos fins. Dans un essai sur les qualités de l’âme, j’ai copié les plans de ma savonnerie.
Choir, 59
Cette impossibilité de concilier le monde fictionnel et le monde du lecteur vise à réveiller chez lui un sentiment de malaise et d’inquiétude, lié à la perte de ses repères. Les deux romans, dans leur volonté de ne pas reconstruire un sens, sont magistraux dans cet aspect-là. Plutôt que de construire un monde dystopique avec des règles (différentes, mais des règles tout de même) qui donneraient des repères différents aux personnages et aux lecteurs, les auteurs choisissent de mener jusqu’au bout l’idée d’un monde auquel il est impossible d’apposer un sens ; la dystopie ne prend pas ici la forme d’un nouveau monde infernal (dictature, lutte pour la survie, etc.) mais montre que la fin de l’humanité survient dans une sérénité vide de sens (Moi qui…) ou dans un silence stupéfait (Choir). L’absurdité et l’insignifiance de la vie humaine sont ici travaillées et montrées dans toute leur ampleur, laissant planer en retour le doute sur le sens de la vie humaine dans n’importe quelle circonstance.
Le corps ancré dans un lieu désolé
Le corps est seul survivant ancré dans le présent, quand l’esprit s’envole vers les souvenirs du passé tout autant que vers l’espoir d’un renouveau futur. Les dernières Ève et les derniers Adam, dans des enfers infamants, font l’expérience de l’adéquation totale avec leur environnement, et tendent à se rapprocher du sol, et cela pourrait signer la fin de l’humanité si la culture – du moins un petit reste d’elle – ne les en arrachait pas. La culture, par la distance qu’elle instaure entre l’humain et la nature, est ce qui permet l’harmonie, la distance adéquate, avec la nature.
C’est le corps qui transforme le monde extérieur en environnement. L’environnement écodystopique ne l’est donc pas per se ; il est créé et présenté comme tel par le corps des protagonistes. La distanciation actuelle de la nature et de l’être humain, perçue comme trop extrême, a pour conséquence une distanciation de l’être humain avec son propre corps, ce qui explique les tentatives de retour au corps à travers le yoga, la méditation, le massage, les médecines douces : « Se rendre sensible à son corps implique des techniques pour rendre au corps ses sensibilités[29]. » Il y a donc une perte partielle de l’identité humaine, dans la mesure où le soi n’est pas incarné mais corporel[30]. Or, « le soi corporel n’est [...] pas entièrement naturel, il est le résultat d’une construction bioculturelle et sociale qui le transforme peu à peu en le singularisant comme un sujet[31] ». C’est pourquoi le corps agit comme seuil entre la nature et l’être humain, comme point d’intersection de deux cercles, à la fois porte d’entrée vers la nature et refuge séparé de celle-ci, conduisant à deux constructions extrêmes de l’imaginaire quant au futur de l’humanité : ultratechnologique (absence totale de nature, oubli du corps et transformation de celui-ci pour en finir une fois pour toutes avec les limites corporelles et naturelles : c’est l’hypothèse post-humaniste et transhumaniste) et survivaliste (absence totale de technologie mais aussi d’art et de culture, oubli de la civilisation et abandon total aux exigences et limites naturelles et corporelles). Sans doute la juste distance est-elle à trouver entre les deux extrêmes.
Dans Moi qui…, le corps de la narratrice est considéré comme un allié lui permettant de s’ouvrir à l’humanité par les émotions, de mesurer le temps et l’espace en même temps qu’explorer la terre sur laquelle elle chemine. Le corps des autres femmes est considéré par elles plutôt comme un obstacle car elles ne s’adaptent pas à leur nouvel environnement, prises dans les réminiscences de l’« avant ». « Moi, je n’avais connu que l’insensé, je pense que cela m’avait rendue profondément différente d’elles » (Moi qui…, 76-77).
Dans Choir, le corps est englué dans l’environnement hostile et plusieurs actions sont menées contre lui (mutilation, flagellation…) puisqu’il se révèle incapable de s’extraire de Choir. Les habitants de Choir ont même construit des jardins de portes pour se sentir fuir :
Plutôt fuir, et pour cela nous multiplions les portes. C’est à chaque fois laisser derrière soi un bout de Choir. Nous avons des jardins de portes où nous circulons avec fracas car il faut qu’elles claquent dans notre dos pour que nous nous sentions partir, enfin, et tout quitter. Et sitôt une porte franchie, nous courons vers la suivante tant ce nouveau séjour nous afflige. Certains consument leurs jours dans ces jardins afin de goûter encore et encore ce bref sentiment d’évasion que nous éprouvons au passage d’un seuil. D’autres choisissent plutôt l’immobilité, n’ayant guère le désir d’explorer cette terre inhospitalière.
Choir, 54-55
Les romans post-apocalyptiques ont ceci d’intéressant qu’ils ancrent leurs personnages dans un lieu vidé de sens et de racines. C’est précisément le rôle de l’apocalypse que de détruire ce qui, dans un lieu, était investi d’un sens jugé « mauvais ». Dans le cas qui nous a occupée, le récit est post-apocalyptique parce que les protagonistes manquent de lien avec le lieu où ils sont nés ; cela rend palpables la fragilité du monde et la difficulté de la tentative de recréer un sens. Ce sens est inaccessible dans le roman de Chevillard, mais on peut l’apercevoir dans celui d’Harpman, puisque la narratrice trouve dans le travail de la mémoire à la fin de sa vie la possibilité de se rapprocher de ce qu’elle considère être un être humain ; avec un bémol, cependant, puisqu’il est fortement probable qu’il n’y ait personne, dans le monde fictionnel, pour la lire.
Les deux romans posent, chacun à leur manière, la question de la chute de l’humanité après une catastrophe, que l’on peut relier à la crise environnementale que nous vivons aujourd’hui et qui, plus qu’une crise de la relation à notre lieu le plus fondamental, est une crise identitaire concomitante à la recherche d’une nouvelle définition de l’humain, d’un nouvel humanisme. Cette chute de l’humanité et de l’humanisme dans sa définition actuelle, héritée de la Renaissance, s’imprime dans le corps et s’exprime par lui. Part intégrante de la nature, ce dernier abrite également la possibilité de l’en arracher en partie et ainsi d’éveiller l’être à « autre chose » – de faire advenir ce que l’on nomme « culture ». Le corps agit ainsi comme pivot entre nature et culture et est présenté comme le premier jalon d’une reconstruction d’un lien autre avec l’environnement.
Parties annexes
Note biographique
Laurence Pagacz est docteure en langues et lettres, collaboratrice scientifique de l’Université catholique de Louvain et directrice de la maison d’édition scientifique Peter Lang à Bruxelles. Mexicaniste, elle a publié Edenes subvertidos. La obra en prosa de Homero Aridjis (Mexico : Bonilla Artigas, 2018), la première monographie en espagnol sur l’oeuvre de cet auteur mexicain contemporain. Dans la suite de cet ouvrage, ses recherches actuelles ont pour objet l’écocritique, l’esthétique grotesque et la question du corps dans les littératures contemporaines.
Notes
-
[1]
Greg Garrard, Ecocriticism, Londres / New York, Routledge, 2004.
-
[2]
Christian Chelebourg, Les Écofictions. Mythologies de la fin du monde, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2012, p. 227 : « Amor Fati, tel est le message de clairvoyance et d’espoir que diffusent les écofictions, l’appel volontariste qu’elles nous font entendre. »
-
[3]
James Berger, After the End. Representations of Post-Apocalypses, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999, p. 34 : « Apocalyptic writings respond to social crisis or, more accurately, to perceived crisis. »
-
[4]
Izabella Zatorska, « Utopiser en catastrophe. Utopie et colonisation (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.), Utopie et catastrophe. Revers et renaissances de l’utopie (XVIe-XXIesiècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 45.
-
[5]
Jacqueline Harpman, Moi qui n’ai pas connu les hommes, Paris, Éditions Stock, 1995 ; désormais, les références à ce roman seront indiquées entre parenthèses dans le texte par l’abréviation Moi qui…, suivie du numéro de la page.
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[6]
Éric Chevillard, Choir, Paris, Éditions de Minuit, 2010 ; désormais, les références à ce roman seront indiquées entre parenthèses dans le texte sous le titre Choir, suivi du numéro de la page.
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[7]
Une terre déserte et vide, sans doute extraterrestre, pour le premier roman et une île grise semblant exister dans une autre dimension du temps et de l’espace, pour le second.
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[8]
Pierre Schoentjes, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, Marseille, Éditions Wildproject (Tête nue), 2015, p. 49 : « Contrairement à ce qui s’observe chez les romantiques, la nature n’est pas […] quelque chose dont on peut faire l’expérience à distance. »
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[9]
Lawrence Buell, Writing for an Endangered World, Cambridge / London, The Belknap Press of Harvard University Press, 2001, p. 59 : « “Place” as opposed to “space” implies […] “space to which meaning has been ascribed,” assigned distinctness and value. » Un espace se transforme en lieu une fois qu’il est habité et imprégné d’un sens propre par une société d’êtres humains. Buell construit son raisonnement sur la pensée de Neil Smith, qui estime que l’avènement des sociétés fondées sur l’échange économique a modifié profondément le rapport fusionnel entre société et espace naturel (rapport qui transformait donc celui-ci en « lieu »), en séparant lieu et nature. La société a donc créé des lieux séparés de la nature : « With the development of social economies based on commodity exchange, a second nature emerges and with it a crack in the unity of place and nature. […] This conception of space is not tied to immediate place but implies the possibility of […] the conceiving of spatial extension beyond the immediate experience. As a result the conceptual fusion of space and society is broken, and space begins to develop an independent conceptual existence » (Neil Smith, Uneven Development : Nature, Capital, and the Production of Space, Athens [Georgia], University of Georgia Press, 2010 [1984], p. 107-108).
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[10]
Ce mouvement d’abolissement de la distance entre la nature et l’être humain est à l’exact opposé de la grande utopie technologique des sociétés industrielles et post-industrielles qui visent l’affranchissement de la dépendance à l’environnement. Comme la plupart des dystopies « écologiques » (au sens où la relation nature-homme est questionnée plutôt qu’au sens militant du terme), les récits ici étudiés montrent à travers ce mouvement inverse que cet affranchissement est illusoire.
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[11]
Ou, si l’on veut, « l’interaction biosubjective du corps avec le monde » (Bernard Andrieu, « Philosophie du corps », dans Bernard Andrieu [dir.], Philosophie du corps : expériences, interactions et écologie corporelle, Paris, Vrin, 2010, p. 13).
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[12]
Dans les deux cas, le monde fictionnel se caractérise par l’imprécision du temps, du lieu et de la catastrophe passée et l’attente interminable de la post-apocalypse et d’une vie qui s’écoule en perte de sens pour se concentrer sur « autre chose » qui aurait un rapport avec la chute de l’humanité.
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[13]
Audrey Camus évoque cette « impossibilité […] pour le lecteur de suspendre son incrédulité » (« Roman et antiroman : Chevillard, Senges, Volodine », Littérature, n° 180 [2015], p. 100).
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[14]
La catastrophe est à entendre au sens d’événement qui bouleverse, inverse le cours des choses, comme l’indique le suffixe στροφη. Les premières caractéristiques des mondes fictionnels étudiés ici sont leur absurdité et leur manque de sens, qui découlent entre autres de l’absence de continuité logique avec un « avant » (Moi qui…) ou un « ailleurs » (Choir).
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[15]
La catastrophe consiste en une prise de pouvoir par des radicaux qui instituent une théocratie.
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[16]
L’état du monde, en ruines, est dû à ce qui semble être une explosion nucléaire.
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[17]
Voir, par exemple, p. 203 : « [I]l [Calmar] cherche, il fouille et ratisse les galaxies, uniquement préoccupé d’Ilinuk. »
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[18]
Par exemple : « Englue-nous dans tes Glaires, Ilinuk ! Darde ta Langue, ô Caméléon chatoyant, gobe les mouches que nous sommes ! Et que tes Sucs gastriques nous dissolvent ! » (Choir, 22).
-
[19]
Michael O’Donovan-Anderson (dir.), The Incorporated Self. Interdisciplinary Perspectives on Embodiment, Boston, Rowman & Littlefield Publishers, 1996.
-
[20]
Une nuance ici : la stérilité de la protagoniste est en réalité supposée, car celle-ci n’a pas d’interaction sexuelle avec un homme. L’absence de règles mentionnée dans le roman n’est pas un signe absolu de stérilité. Je mentionne cette stérilité auto-déclarée par contraste avec beaucoup de récits (post-)apocalyptiques qui, eux, soulignent la fécondité comme rédemption de la race humaine après la catastrophe (à commencer par The Road de Cormac McCarthy).
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[21]
Selon les théories écoféministes, l’exploitation, par le corps masculin, de la nature et du corps féminin permet à la fois d’expliquer les dérives environnementales contemporaines (surexploitation des ressources et surpopulation) et de les résoudre par un système de pensée « matriarcal » qui associe le féminin et la nature (voir notamment Françoise d’Eaubonne, Le Féminisme ou la mort, Paris, Pierre Horay, 1974, et Les Femmes avant le patriarcat, Paris, Payot, 1976). Cette réflexion sur le genre des corps jetterait une autre lumière sur les oeuvres étudiées et dépasserait ma réflexion qui, dans le cadre de cet article, s’interroge de façon plus générale sur le corps humain dans un environnement post-apocalyptique.
-
[22]
« Nous étions libres. En réalité, nous n’avions fait que changer de prison » (Moi qui…, 77).
-
[23]
Alexis L’Allier, « La déambulation, entre nature et culture », dans André Carpentier et Alexis L’Allier (dir.), Les Écrivains déambulateurs. Poètes et déambulateurs de l’espace urbain, Montréal, Université du Québec à Montréal / Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, 2004, p. 13-44.
-
[24]
L’auteure a d’ailleurs écrit un recueil de nouvelles intitulé Ève.
-
[25]
« [J]e me rendis compte que je ne pensais jamais au passé, je vivais dans un perpétuel présent et j’étais en train d’oublier mon histoire. […] Au moment où j’écris ces lignes, mon récit est achevé » (Moi qui…, 12).
-
[26]
Pour contrer le fait qu’entre ses parents et elle, « tout a été rompu, il n’y a pas de continuité et le monde dont je suis la descendante m’est totalement étranger » (Moi qui…, 121).
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[27]
Beaucoup de dystopies comportent d’ailleurs un épisode de « bibliocauste », où les livres sont brûlés, détruits ou disparus.
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[28]
L’art imprégnant les lieux (l’architecture, la lumière, le travail du bois, les tableaux, les sculptures, les couleurs, etc.), « conçu pour le plaisir de celui qui y vivrait » (Moi qui…, 176), provoque chez la protagoniste une forte réaction : « [J]e vis seulement un jeu de lignes, de formes et de tons harmonieux, une configuration incompréhensible qui me bouleversait, qui me mettait les larmes aux yeux à cause d’un sentiment de calme et d’équilibre qui évoquait le chant des femmes, jadis, quand il se répandait sur la plaine » (Moi qui…, 176).
-
[29]
Bernard Andrieu, « Philosophie du corps », dans Bernard Andrieu (dir.), op. cit., p. 57.
-
[30]
Suivant la démonstration convaincante de Dorothée Legrand (« Le soi corporel », dans Bernard Andrieu (dir.), op. cit., p. 294-314), le soi incarné, c’est-à-dire « un soi mental placé dans un corps » (p. 294) n’existe pas. Seul existe un soi corporel « qui est (partiellement) le corps » (p. 294) et non (partiellement) dans le corps (définition du soi incarné).
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[31]
Bernard Andrieu, « Philosophie du corps », dans Bernard Andrieu (dir.), op. cit., p. 17.
Références
- Andrieu, Bernard (dir.), Philosophie du corps : expériences, interactions et écologie corporelle, Paris, Vrin, 2010.
- Berger, James, After the End. Representations of Post-Apocalypses, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999.
- Buell, Lawrence, Writing for an Endangered World, Cambridge / London, The Belknap Press of Harvard University Press, 2001.
- Camus, Audrey, « Roman et antiroman : Chevillard, Senges, Volodine », Littérature, n° 180 (2015), p. 92-104.
- Chelebourg, Christian, Les Écofictions. Mythologies de la fin du monde, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2012.
- Chevillard, Éric, Choir, Paris, Éditions de Minuit, 2010.
- d’Eaubonne, Françoise, Le Féminisme ou la mort, Paris, Pierre Horay, 1974.
- d’Eaubonne, Françoise, Les Femmes avant le patriarcat, Paris, Payot, 1976.
- Garrard, Greg, Ecocriticism, Londres / New York, Routledge, 2004.
- Harpman, Jacqueline, Moi qui n’ai pas connu les hommes, Paris, Éditions Stock, 1995.
- L’Allier, Alexis, « La déambulation, entre nature et culture », dans André Carpentier et Alexis L’Allier (dir.), Les Écrivains déambulateurs. Poètes et déambulateurs de l’espace urbain, Montréal, Université du Québec à Montréal / Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, 2004, p. 13-44.
- O’Donovan-Anderson, Michael (dir.), The Incorporated Self. Interdisciplinary Perspectives on Embodiment, Boston, Rowman & Littlefield Publishers, 1996.
- Schoentjes, Pierre, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, Marseille, Éditions Wildproject (Tête nue), 2015.
- Smith, Neil, Uneven Development : Nature, Capital, and the Production of Space, Athens (Georgia), University of Georgia Press, 2010 [1984].
- Zatorska, Izabella, « Utopiser en catastrophe. Utopie et colonisation (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.), Utopie et catastrophe. Revers et renaissances de l’utopie (XVIe-XXIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 43-52.