Résumés
Résumé
À partir de la généalogie et de l’explicitation de la formule de la note 6 « transformer vieux ennemis en loyaux adversaires », cet article se propose de mettre en évidence la tension, plutôt que la dialectique, entre l’action et le verbe qui structure les Feuillets d’Hypnos – comme elle structurait déjà le recueil précédent, Seuls demeurent – et qui définit ce qu’on peut appeler la « poéthique » de René Char.
Abstract
Based on the genealogy and the clarification of the turn of phrase in note 6 “transforming old enemies into loyal adversaries”, this article proposes to highlight the tension, rather than the dialectic, between the action and the language that structures the Feuillets d’Hypnos (Leaves of Hypnos) – as it already structured the previous collection of poems, Seuls demeurent – and that defines what can be called René Char’s “poethics.”
Corps de l’article
Poète combattant, René Char a renoncé à toute publication pendant la durée de la guerre pour se vouer à l’action directe des maquis de la Résistance et devenir le capitaine Alexandre de l’Armée Secrète, responsable départemental de la Section Atterrissage Parachutage des Basses-Alpes. Mais ce refus de publication ne signifie pas pour autant le renoncement à l’écriture, comme en témoignent les oeuvres qui paraîtront après la Libération, Seuls demeurent en 1945 et Feuillets d’Hypnos en 1946, repris dans Fureur et Mystère en 1948. C’est dans ces oeuvres, dont la plus grande part a été écrite dans les années noires, celles des « ténèbres hitlériennes[1] », qu’on s’interrogera, non pas de façon abstraite mais au plus près du texte, sur les rapports entre la poésie et l’action tels que les thématise, directement ou plus souvent de façon cryptée, l’écriture toujours à la fois poétique et méta-poétique de Char[2].
On partira pour cela de la note 6 des Feuillets d’Hypnos :
L’effort du poète vise à transformer vieux ennemis en loyaux adversaires, tout lendemain fertile étant fonction de la réussite de ce projet, surtout là où s’élance, s’enlace, décline, est décimée toute la gamme des voiles où le vent des continents rend son coeur au vent des abîmes.
Que sont donc ces vieux ennemis qu’il s’agit de transformer en loyaux adversaires ? Le lecteur de Fureur et mystère sait que Les Loyaux Adversaires sert de titre à la section qui suit les Feuillets d’Hypnos, mais il n’est pas sûr qu’à la lecture de cette section il se fasse une idée beaucoup plus claire de l’identité de ces loyaux adversaires, qui ont toute une histoire dans l’oeuvre de Char.
Pour renouer cette histoire, il faut faire le détour par un paratexte, la correspondance de Char avec Gilbert Lély. Le 25 avril 1941, alors qu’il envisage encore de publier Seuls demeurent, le recueil qui précède les Feuillets d’Hypnos, Char écrit à Lély :
Je vais tout de même essayer de faire paraître mon recueil de poèmes dont le titre définitif est Seuls demeurent. J’ai craint que Loyaux adversaires fasse faussement actualité. D’ailleurs le petit morceau-préface demeure avec son titre « Loyaux adversaires » et directement au-dessus : 1938[3].
Loyaux adversaires devait donc être le titre originel de Seuls demeurent, puis, à défaut, demeurer au moins dans le recueil comme le titre de son « Argument ». Or, on le sait, Char renonça finalement à publier Seuls demeurent pendant la durée de la guerre, et lorsque le recueil parut en 1945, si l’on se reporte à l’ « Argument » qui l’ouvre, on trouve bien la date de 1938, mais le titre est tout simplement « Argument » :
ARGUMENT
1938
L’homme fuit l’asphyxie.
L’homme dont l’appétit hors de l’imagination se calfeutre sans finir de s’approvisionner, se délivrera par les mains, rivières soudainement grossies.
L’homme qui s’épointe dans la prémonition, qui déboise son silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second c’est le faiseur de pain.
Aux uns la prison et la mort. Aux autres la transhumance du Verbe.
Déborder l’économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière.
Nous tenons l’anneau où sont enchaînés côte à côte, d’une part le rossignol diabolique, d’autre part la clé angélique.
Sur les arêtes de notre amertume, l’aurore de la conscience s’avance et dépose son limon.
Aoûtement. Une dimension franchit le fruit de l’autre. Dimensions adversaires. Déporté de l’attelage et des noces, je bats le fer des fermoirs invisibles[4].
Mais si le titre a disparu, cet argument n’en développe pas moins, de façon plus cryptée, la logique des vieux ennemis et des loyaux adversaires.
Au point de départ de cet « Argument », un conflit essentiel qui dépasse de loin la situation historique, celui de l’homme et de l’asphyxie qui nomme toutes les formes de « l’anti-vie », tout ce qui empêche le souffle vital en même temps que le souffle poétique.
Mais après cette position initiale à valeur universelle, la figure de l’homme connaît, par le recours à deux relatives déterminatives, une dichotomie, qui oppose deux humanités (non pas successives mais concurrentes). La première humanité, qui convoque l’image d’une rivière en crue, est celle dont l’excès d’appétit ou de désir, faute de trouver une dérivation dans l’imagination, se délivre par les mains : c’est celle de l’homme d’action, voire de l’action criminelle[5]. Sur le manuscrit, Char avait d’abord écrit : « Aux uns l’action, la prison et la mort[6] », avant de supprimer le terme trop explicite d’action.
Cette image de la crue est, comme l’a montré Jean-Claude Mathieu, séminale dans l’écriture de Char au temps du nazisme : elle suggère, à défaut de nommer « l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés[7] », la réalité de l’entreprise nazie, cette anti-vie qui apparaît comme une submersion absolue, un nouveau déluge.
La définition de l’homme d’action comme celui dont le désir accumulé se délivre par les mains faute d’imagination suggère donc en creux, implicitement, une définition de l’homme du Verbe comme celui qui sublime son désir par l’imagination, mais cette définition implicite se double d’une définition explicite qui recourt à d’autres métaphores : « L’homme qui s’épointe dans la prémonition, qui déboise son silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second c’est le faiseur de pain. »
Si l’homme du Verbe est celui qui déboise son silence intérieur, le Verbe, dans la logique de cette métaphore, est la clairière aménagée dans la forêt du silence intérieur. Et l’on notera que pour définir le poète, Char recourt à des figures allégoriques qui appartiennent toujours à l’univers agro-pastoral d’une France encore paysanne et artisanale, celles du bûcheron (« qui déboise son silence intérieur »), du boulanger (« le faiseur de pain »), du berger (« la transhumance du Verbe ») ou encore, plus loin, du forgeron ou du maréchal-ferrant[8] (« Je bats le fer de fermoirs invisibles »).
L’homme d’action et l’homme du verbe, tels sont donc les vieux ennemis, dont les destins sont évidemment divergents, mais entre lesquels Char ne marque aucune hiérarchie, qu’elle soit de l’ordre de l’efficacité ou de la morale, comme le montre la fin, supprimée dans la version imprimée, du troisième paragraphe dans le manuscrit original :
Aux uns la prison et la mort. Aux autres la transhumance du Verbe. Leur mérite actif est égal[9].
Qu’est-ce qui définit alors ces vieux ennemis et qui les voue à des destins contraires ? C’est l’économie d’une création, d’un ordre divin traditionnel fondé sur l’opposition du Bien et du Mal. C’est cette étroitesse de vue, ce manichéisme moral, qui ne pense la réalité qu’à l’aide de deux fausses clés complémentaires, « le rossignol[10] diabolique » et « la clé angélique », et donc cette opposition entre l’homme d’action et l’homme du verbe, que la situation historique impose de dépasser, ou de déborder, de façon à opposer au débordement mortifère de la terreur nazie un débordement vital, par-delà le bien et le mal[11].
L’image de l’arête, qui émerge seule du déluge nazi comme le mont Ararat biblique[12], marque à la fois cette volonté de dépassement par le haut et désigne la ligne où se rejoignent les deux versants opposés, les « dimensions adversaires ». Quant à l’autre image, celle de l’aoûtement (terme d’horticulture qui désigne à la fois l’accélération de la maturation des fruits par forte chaleur et la lignification des jeunes bois avant l’hiver), elle dit aussi la croissance accélérée et l’endurcissement de l’humanité nouvelle qu’exigent les circonstances historiques.
Cette conjonction sous le signe du dépassement (« une dimension franchit le fruit de l’autre ») fait que de la dualité de l’homme d’action et de l’homme du verbe résulte un « nous » qui devient in fine un « je » ; mais elle ne signifie pas l’annulation des différences ni la fusion des contraires ; elle maintient les contradictions selon un modèle qui n’est pas celui de la synthèse hégélienne, mais celui de la tension héraclitéenne.
L’ouverture de Seuls demeurent est en tout cas une fermeture : « Je bats le fer de fermoirs invisibles. » Le poète déporté des noces de la poésie devient le forgeron d’un artisanat moins furieux que mystérieux, qui enferme à tout le moins les fausses clés d’une création condamnée.
Cette contradiction non dialectique de l’action et du verbe structure donc Seuls demeurent, comme en témoignent ces quelques extraits :
CHANT DU REFUS
Début du partisan
Le poète est retourné pour de longues années dans le néant du père[13]. […]
PLISSEMENT
[…] Vers ta frontière, ô vie humiliée, je marche maintenant au pas des certitudes, averti que la vérité ne précède pas obligatoirement l’action. Folle soeur de ma phrase, ma maîtresse scellée, je te sauve d’un hôtel de décombres.
Le sabre bubonique tombe des mains du Monstre au terme de l’exode du temps de s’exprimer[14].
HOMMAGE ET FAMINE
[…] Le grillon chanta. Comment savait-il, solitaire, que la terre n’allait pas mourir, que nous, les enfants sans clarté, allions bientôt parler[15] ?
LA LIBERTÉ
Elle est venue par cette ligne blanche […].
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau.
Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s’inscrivit mon souffle[16]. […]
Si « Chant du refus », qui marque le début du partisan et de l’action clandestine, marque en même temps le retrait du poète (le chant du refus est en somme le refus du chant), « Plissement » et « Hommage et famine » tendent à restituer la perspective d’un retour du Verbe et du chant, qui se réalisera avec l’ultime poème, « La Liberté ».
Deux remarques à propos de ces extraits : le retrait du verbe fait du poète un enfant, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire celui qui ne parle pas encore (in-fans) ; la définition de ce temps de retrait du verbe comme « l’exode du temps de s’exprimer » justifie la formule de « la transhumance du Verbe ». Parler d’exode du temps de s’exprimer, ce n’est pas simplement dire que ce « temps d’algèbre damnée » (20) est une traversée du désert de la parole ; c’est convoquer plus directement la connotation biblique du mot : l’Exode est bien une transhumance, de la terre d’Égypte à la Terre promise, et la figure charienne du poète-berger, qui rappelle (pour s’y opposer) le bon pasteur de l’Évangile, suggère aussi en filigrane la figure d’un autre poète-berger, Moïse.
Il est temps, après ce préambule nécessaire sur les loyaux adversaires, d’en revenir aux Feuillets d’Hypnos, en passant, là encore, par une lettre à Gilbert Lély, du 17 juillet 1945, dans laquelle Char apprend à son ami comment un carnet de notes de la guerre est devenu le recueil central de Fureur et mystère :
Je me suis mis violemment au travail. Cela s’appelle Carnet d’Hypnos (Hypnos est un nom d’homme) 1943-1944. J’ai été assez heureux pour retrouver récemment le journal que je tenais à Céreste, enfoui à mon départ pour Alger dans un trou de mur. C’est ce journal que je vais publier (une sorte de Marc-Aurèle !). Je mets de l’ordre dedans, j’abrège ou je développe suivant les cas. Ci-inclus l’avertissement […]. À la fin du mois j’aurai terminé […]. C’est en tout cas nouveau dans mon oeuvre (rien du papier résistant, cocardier, récital et tout)[17].
Comme le montre clairement cette lettre, les Feuillets d’Hypnos ne sont pas le carnet de guerre de René Char : si ce carnet est le point de départ, il a subi une double transformation, par le détachement des feuillets qui permet la recomposition des notes d’une part, par le travail de réélaboration qui supprime, ajoute et corrige d’autre part. Et si Char est devenu au maquis le capitaine Alexandre, le capitaine Alexandre du Carnet est devenu Hypnos, figure, par antiphrase ou par alchimie, d’un contre-sommeil et d’une contre-hypnose[18], figure du veilleur nocturne, mot qui dit la vigilance de la conscience, mais qui doit se lire aussi comme le masculin de la veilleuse, cette petite lampe qu’on tient allumée pendant la nuit, comme dans Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour, le tableau éponyme du poème de La Fontaine narrative. C’est cette métamorphose née de la confrontation d’Hypnos et de l’hiver que dit l’épigraphe :
-
Hypnos saisit l’hiver et le vêtit de granit.
-
L’hiver se fit sommeil et Hypnos devint feu.
-
La suite appartient aux hommes
Suspension du verbe
Comme dans Seuls demeurent, on peut lire dans les Feuillets d’Hypnos un chant du refus qui est un refus du chant, chant du refus qui peut s’entendre par exemple dans la note 114 :
Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement.
ou dans la note 151 qui rappelle, comme « L’Absent » de L’Avant-monde, la contradiction du poète à la fois présent et absent :
Réponds « absent » toi-même, sinon tu risques de ne pas être compris.
L’avertissement qui précède les deux cent trente-sept notes des Feuillets d’Hypnos sonne en tout cas comme une dénégation de la littérature, et met en avant une justification essentiellement éthique de ces notes :
Ces notes n’empruntent rien à l’amour de soi, à la nouvelle, à la maxime ou au roman. Un feu d’herbes sèches eût tout aussi bien été leur éditeur. La vue du sang supplicié en a fait une fois perdre le fil, a réduit à néant leur importance. […]
Ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela.
Beaucoup de notes thématisent ainsi l’impossibilité du verbe ou la nécessité du silence :
La source est roc et la langue est tranchée. (57)
Conduire le réel jusqu’à l’action, comme une fleur glissée à la bouche acide des petits enfants. Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie). (3)
La source est dans l’oeuvre du poète de l’Isle-sur-Sorgue une figure du jaillissement poétique, comme la Sorgue qui jaillit du rocher à Fontaine de Vaucluse, source et Sorgue ayant le même étymon latin, surgere, jaillir. La transformation de la source en roc a donc à la fois la dimension négative d’un tarissement de la source poétique, et la dimension positive d’une force de résistance comme le « rocher de braves gens » de Forcalquier « est la citadelle de l’amitié » (17). C’est donc en deçà de la parole que le poète résistant, redevenu petit enfant ou nouveau primitif dans ce nouvel âge des cavernes[19], se voue à l’action, non pas la fleur au fusil, mais la fleur à la bouche, cette floraison qui ferme la bouche étant le signe d’une connaissance, qui ne peut pas passer par les mots, de la vie.
À cette suspension du verbe s’ajoute la suspension corollaire de ce qui est inséparable, comme le suggérait l’ « Argument » de Seuls demeurent, de la poésie, l’imagination :
Remettre à plus tard la part imaginaire qui, elle aussi, est susceptible d’action. (18)
« Les souris de l’enclume. » Cette image m’aurait paru charmante autrefois. Elle suggère un essaim d’étincelles décimé en son éclair ; (L’enclume est froide, le fer pas rouge, l’imagination dévastée.) (52)
C’est plus particulièrement l’image gratuite, ou simplement charmante, celle des temps surréalistes et peut-être, comme le suggère la parenthèse, du Marteau sans maître, qui est récusée désormais par celui qui connaît le prix du sang.
Une éthique de l’action
L’action, qu’elle soit racontée ou théorisée, apparaît donc au premier plan dans les Feuillets d’Hypnos, avec sa syntaxe jussive, qui définit une véritable éthique.
Cette éthique de l’action se réfère au stoïcisme (« une sorte de Marc Aurèle ! » disait la lettre à Gilbert Lély plus haut citée, et il y a évidemment dans les Feuillets d’Hypnos quelque chose des Pensées pour soi-même de l’empereur philosophe), mais elle s’y réfère pour s’en distinguer (comme le suggère déjà la virtualité ironique du point d’exclamation dans la référence à Marc Aurèle) :
Être stoïque, c’est se figer avec les beaux yeux de Narcisse. Nous avons recensé toute la douleur qu’éventuellement le bourreau pouvait prélever sur chaque pouce de notre corps ; puis le coeur serré, nous sommes allés et avons fait face. (4)
Si l’interprétation de cette note (et en particulier du verbe se figer) peut prêter à discussion (éloge ou critique du stoïcisme), il semble bien que Char désigne ici la tentation narcissique du stoïcisme (que manifeste un titre comme Pensées pour soi-même). Il y a bien, chez le poète, une forme aussi de retour sur soi, comme l’indique la première partie de la deuxième phrase, mais ce retour sur soi ne relève pas de l’auto-complaisance ; il se donne comme le nécessaire inventaire physique des capacités et des risques qui n’a de sens que de préparer, dans un deuxième temps, le détournement de soi qui permet de faire face.
À partir de là, l’éthique charienne de l’action, ce stoïcisme qui se confond avec la vertu de résistance, peut se résumer en trois impératifs :
1– Nécessité de limiter l’action.
Cette nécessité première se formule dans la note inaugurale des Feuillets d’Hypnos :
Autant que se peut, enseigne à devenir efficace, pour le but à atteindre mais pas au delà. Au delà est fumée. Où il y a fumée il y a changement. (1)
Encore faut-il bien voir que cette nécessité de la limite est immédiatement corrigée par la note 2, pour que la dimension positive de la limite ne serve pas d’alibi à sa dimension négative :
Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats. (2)
Cette positivité de la limite est illustrée par la destinée d’Arthur le Fol :
Arthur le Fol, après les tâtonnements du début, participe maintenant, de toute sa forte nature décidée, à nos jeux de hasard. Sa fringale d’action doit se satisfaire de la tâche précise que je lui assigne. Il obéit et se limite, par crainte d’être tancé ! Sans cela, Dieu sait dans quel guêpier final sa bravoure le ferait glisser ! Fidèle Arthur, comme un soldat de l’ancien temps[20] ! (9)
2– Nécessité de simplifier, c’est-à-dire de réduire à l’essentiel.
[L]es convaincre qu’à partir d’un certain point l’importance des idées reçues est extrêmement relative et qu’en fin de compte « l’affaire » est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir […]. (38)
Je m’explique mieux aujourd’hui ce besoin de simplifier, de faire entrer tout dans un, à l’instant de décider si telle chose doit avoir lieu ou non. L’homme s’éloigne à regret de son labyrinthe. Les mythes millénaires le pressent de ne pas partir. (153)
Le poète, susceptible d’exagération, évalue correctement dans le supplice. (154)
Il y a sans doute quelque chose comme un aveu personnel dans l’affirmation que l’homme s’éloigne à regret de son labyrinthe, figure de la complexité intellectuelle et surtout psychique, pour le poète qui s’identifiait volontiers au Minotaure.
Mais cette nécessité de simplifier peut se manifester d’une autre façon, par une parenthèse à valeur d’épanorthose :
Ce qui peut séduire dans le néant éternel c’est que le plus beau jour y soit indifféremment celui-ci ou tel autre.
(Coupons cette branche. Aucun essaim ne viendra s’y pendre.) (49)
Simplifier, c’est en somme un travail d’élagage mental, d’élagage des branches mortes de l’esprit, pour celui qui ne se dit pas pour rien frère de l’élagueur dans la note 11, l’élagueur lui-même n’étant que la variante allégorique de celui qui déboise son silence intérieur.
Ainsi prend tout son sens, quand on la rapproche de la note 49, la note 117 :
[…] Il sera toujours temps d’apprendre à Claude qu’on ne taille pas dans sa vie sans se couper. (117)
Rien n’est moins simple en somme, ni plus douloureux, que cet élagage de soi.
3– Nécessité (pour l’homme) de se transformer.
Cette nécessité se fonde sur la conviction que, même dans une modernité post-cartésienne qui a multiplié, de Darwin à Marx en passant par Freud, les déterminismes biologiques, psychologiques ou sociaux, l’homme n’est pas réductible à la somme de ses déterminismes, et que subsiste en lui un espace, si réduit soit-il, qui lui permet de changer sa destinée. Cet espace irréductible, c’est la liberté :
[…] (Le libre arbitre n’existerait pas. L’être se définirait par rapport à ses cellules, à son hérédité, à la course brève ou prolongée de son destin… Cependant il existe entre tout cela et l’Homme une enclave d’inattendus et de métamorphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le maintien.) (155)
La terreur nazie est alors ce moment propice aux choix décisifs :
[…] L’heure est propice aux métamorphoses. Mettez-la à profit ou allez-vous-en. (76)
Une métaphore agricole dit aussi la responsabilité du chef, du poète-paysan, dans cette transformation de l’homme, qui est précisément une transplantation :
L’arracher à sa terre d’origine. Le replanter dans le sol présumé harmonieux de l’avenir […]. (51)
Archiduc, comme Arthur le Fol, représente l’exemple privilégié de cette transformation ou de cette métamorphose qui est proprement une alchimie de l’homme, une alchimie dont l’homme est à la fois l’acteur et l’objet :
Archiduc me confie qu’il a découvert sa vérité quand il a épousé la Résistance. Jusque-là il était un acteur de sa vie frondeur et soupçonneux. […] Aujourd’hui il aime […]. J’apprécie beaucoup cet alchimiste. (30)
Mais cette transformation peut relever aussi d’une alchimie à rebours. Juste avant que soit évoquée, dans la note 9, la transformation d’Arthur le Fol en fidèle Arthur, la note 8 constate l’alchimie inverse, l’effondrement du plus grand nombre :
Des êtres raisonnables perdent jusqu’à la notion de la durée probable de leur vie et leur équilibre quotidien lorsque l’instinct de conservation s’effondre en eux sous les exigences de l’instinct de propriété. […] (8)
Il reste que les Feuillets d’Hypnos ne sauraient se résumer à cette éthique de l’action occupant toute la place laissée vacante par la suspension du verbe, mais définissent une nouvelle alliance entre l’action et le verbe.
Une « poéthique »
S’il est vrai que « l’effort du poète vise à transformer vieux ennemis en loyaux adversaires » (6), on ne saurait s’en tenir à cette vision trop simple d’une suspension du verbe poétique dans un temps tout entier voué à l’action résistante.
Même dans les énoncés les plus évidemment gnomiques ou injonctifs, qui définissent l’éthique de l’action, et qui peuvent apparaître, du point de vue du sens, comme des énoncés fermés, une image, même discrète, produit un effet d’ouverture, notamment lorsqu’elle fait apparaître en filigrane une des identités allégoriques du poète. On a vu l’exemple de la note 49 où « Coupons la branche » renvoie au poète élagueur. Il en va de même de la note 53, strictement narrative, qui se termine par cette mise en garde à soi-même : « Prends garde à l’anecdote, c’est une gare où le chef de gare déteste l’aiguilleur » (on imagine que le poète n’est pas du côté du chef de gare, c’est-à-dire de l’arrêt et de la voie de garage, mais de l’aiguilleur, ou du mouvement), et de la note 32 : « Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses. Il ne m’intéresse pas. / (Règle de sourcier et d’inquiet.) », où le poète s’identifie au sourcier, celui qui cherche à retrouver la source (poétique) souterraine. Mais on retrouvera aussi le boulanger, le faiseur de pain de l’ « Argument » de Seuls demeurent, qui devient ainsi l’homme d’une nouvelle eucharistie, ou d’une nouvelle communion : « Guérir le pain. Attabler le vin[21] » (184), et bien entendu le berger : « Il n’est plus question que le berger soit guide. Ainsi en décide le politique, ce nouveau fermier général » (216). Cette protestation du poétique contre la mainmise du politique oppose le berger (nomade) au fermier (sédentaire), le guide au général et ce berger guide (le poète chef de maquis) au fermier général, ce collecteur d’impôt de l’Ancien Régime. Est ainsi visée, par l’homme de la résistance intérieure, la résistance extérieure incarnée par les généraux d’Alger.
Mieux, les notes qui évoquent l’action peuvent acquérir une dimension méta-poétique, comme en témoignent les notes 97 et 98 :
L’avion déboule. Les pilotes invisibles se délestent de leur jardin nocturne puis pressent un feu bref sous l’aisselle de l’appareil pour avertir que c’est fini. Il ne reste plus qu’à rassembler le trésor éparpillé. De même le poète… (97)
La ligne de vol du poème. Elle devrait être sensible à chacun. (98)
Inversement, une note méta-poétique peut devenir, par la métaphore, une forme d’action, comme dans la note 194 qui retrouve la métaphore du Verbe-bélier de « La Liberté » :
Je me fais violence pour conserver, malgré mon humeur, ma voix d’encre. Aussi, est-ce d’une plume à bec de bélier, sans cesse éteinte, sans cesse rallumée, tendue et d’une haleine, que j’écris ceci, que j’oublie cela. Automate de la vanité ? Sincèrement non. Nécessité de contrôler l’évidence, de la faire créature. (194)
Dans ces conditions, il n’y a pas d’un côté une éthique de l’action et de l’autre une poétique, mais, pour emprunter ce mot de Jean-Claude Pinson[22], une « poéthique ».
Cette « poéthique » se définit par la nécessité du laconisme :
J’écris brièvement. Je ne puis guère m’absenter longtemps. S’étaler conduirait à l’obsession. L’adoration des bergers n’est plus utile à la planète. (31)
Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer. (96)
Lyre pour des monts internés. (182)
(Cette lyre pour des monts internés fait aussi surgir la figure du poète comme un nouvel Orphée pour un nouvel enfer.)
Le laconisme n’est pas seulement imposé par les circonstances de la clandestinité ; il n’est pas circonstanciel, mais essentiel : tel est bien en effet le mot qui définit la « poéthique » des Feuillets d’Hypnos. La poésie, ce sont les mots essentiels, « la parole du plus haut silence » qu’incarne l’ange (intérieur) de la note 16 ou celui du tableau de Georges de La Tour évoqué dans la note 178 :
[…] Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. […]
Cette notion d’essentiel n’est pas seulement ce qui qualifie les mots dans la note 16, elle devient un substantif dans la note suivante : « […] Nous nous sommes épousés une fois pour toutes devant l’essentiel », où l’essentiel prend la place de ce devant quoi l’on s’épouse, traditionnellement : Dieu.
C’est à partir de cette notion d’essentiel que la parole poétique n’est pas seulement la compagne forcée de l’action.
L’en avant de la parole
Le poète qui fait de l’hiver 1943-1944 sa Saison en enfer a fait sienne l’une des plus célèbres formules de celui qui a pensé aussi, dans la lettre dite du voyant, le rapport de la poésie et de l’action : « La Poésie ne rythmera plus l’action ; elle sera en avant[23]. »
Considérons par exemple la note 19 :
Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans son ordre. (19)
Si la stratosphère s’oppose évidemment à l’atmosphère dans laquelle nous vivons, cette stratosphère du Verbe n’est pas nécessairement négative : il y a de brefs moments, d’extase poétique, où le poète a le sentiment d’accéder à la stratosphère du Verbe[24] (voir par exemple la note 203). Il ne s’agit donc pas de la refuser a priori, mais de ne pas s’y attarder, sous peine de se couper du réel. Il y a donc une descente nécessaire, du Verbe stratosphérique au Verbe atmosphérique, et cette descente prend la forme d’une incarnation (le Verbe se fait chair) ou d’une renaissance, dans la douleur, comme le suggère le verbe se lover qui évoque la position foetale à partir de laquelle une nouvelle croissance est possible, non pas celle de l’homme d’action, mais du poète « dans son ordre ». Ce thème d’une régression prénatale qui prélude à une renaissance est essentiel dans l’oeuvre de celui pour qui son prénom est tout un programme : René.
La Résistance, dans un pays qui fait office de nouveau pays natal, est l’expérience de cette réincarnation de la poésie, ou de sa renaturalisation, dont les résistants fournissent le modèle, par l’image juste, « le mot de la situation » :
Un officier, venu d’Afrique du Nord, s’étonne que mes « bougres de maquisards », comme il les appelle, s’expriment dans une langue dont le sens lui échappe, son oreille étant rebelle « au parler des images ». Je lui fais remarquer que l’argot n’est que pittoresque alors que la langue qui est ici en usage est due à l’émerveillement communiqué par les êtres et les choses dans l’intimité desquels nous vivons continuellement[25]. (61)
« Le voilà ! » Il est deux heures du matin. L’avion a vu nos signaux et réduit son altitude. La brise ne gênera pas la descente en parachute du visiteur que nous attendons. La lune est d’étain vif et de sauge. « L’école des poètes du tympan », chuchote Léon qui a toujours le mot de la situation. (148)
Ce matin, comme j’examinais un tout petit serpent qui se glissait entre deux pierres : « L’orvet du deuil », s’est écrié Félix. La disparition de Lefèvre, tué la semaine passée, affleure superstitieusement en image. (94)
Voilà la poésie naturelle, et véridique, que parlent ces poètes qui n’ont pas été dénaturés par toutes les formes d’artificialisme.
La renaturalisation de la poésie affecte aussi les noms propres, eux-mêmes remotivés : les pseudonymes du maquis (Archiduc, Arthur le Fol, Carlate, Esclabesang, l’ami des blés, sans parler d’Hypnos) sont en réalité des aléthonymes : ils cachent moins l’identité des êtres qu’ils n’en révèlent la vérité profonde[26].
Cette renaturalisation de la poésie est inséparable d’une renaturalisation de la Vérité, tant il est vrai, comme le rappelle le fragment XVII de Partage formel, que « poésie et vérité, comme nous savons, [sont] synonymes ».
Encore faut-il s’entendre sur ce mot de vérité : les vérités qui dominent l’époque sont les vérités abstraites ou formelles, produites par les idéologies, qui sont des vérités assourdissantes et mortifères :
Le génie de l’homme, qui pense avoir découvert les vérités formelles, accommode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer. Parade des grands inspirés à rebours sur le front de l’univers cuirassé et pantelant ! Cependant que les névroses collectives s’accusent dans l’oeil des mythes et des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice sans qu’il paraisse lui en coûter le moindre remords. La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs dans la chair folle du soleil. (18)
Symbole de cette vérité dénaturée, la croix gammée du nazisme, fausse fleur ou fleur dénaturée qui dénature le soleil (on sait que la croix gammée est un symbole solaire).
Face à cette vérité dénaturée, la vérité selon Char ne peut être que naturelle. En témoigne cette apostrophe de la note 204 :
Ô vérité, infante mécanique, reste terre et murmure au milieu des astres impersonnels ! (204)
Si le poète désigne la vérité comme une infante, c’est d’abord parce qu’infante est le féminin d’enfant : elle est celle qui, contre les vérités formelles tonitruantes, est en deçà de la parole. Mais l’infante est aussi celle qui, en Espagne, est appelée à devenir une reine toute-puissante, sauf qu’ici, le royaume dans lequel la vérité, cette « infante mécanique », est appelée à devenir reine est celui de la machine, ou de la technique, ce royaume de la dénaturation de l’homme. Par cette apostrophe, le poète implore ainsi la vérité de rester « terre et murmure », c’est-à-dire de rester une vérité humble (au sens étymologique du mot, à ras de terre) et qui parle à voix basse, de résister en somme à son destin programmé de trôner un jour au milieu des vérités impersonnelles et abstraites, aussi éloignées des hommes que les astres célestes. Ajoutons que ces astres impersonnels, comme le signale Jean-Claude Mathieu[27], sont aussi une allusion aux généraux (étoilés) d’Alger.
C’est chez Claude Bernard, le fondateur de la médecine expérimentale, que Char trouvera la caution de cette vérité dans un texte publié en 1946, « La liberté passe en trombe » :
Des mots échangés tout bas au lendemain de 1940 s’enfouissaient dans la terre patiente et devenaient progressivement des hommes debout… Miracle de la conscience, de cette sensation de l’évidence qui, selon Claude Bernard, a nom vérité[28].
Telle est la vérité, celle qui parle à voix basse, et qui se donne sous le double signe de la sensation (contre l’abstraction) et de l’évidence, qu’invoquent les Feuillets d’Hypnos :
[…] Qu’ils apprennent à chanter bas et à ne pas siffler d’air obsédant, à dire telle qu’elle s’offre la vérité[29]. (87)
[…] Surtout ne pas entièrement leur supprimer ces sentiers pénibles, à l’effort desquels succède l’évidence de la vérité à travers pleurs et fruits[30]. (135)
Il faut dire que Char sollicite un peu le propos de Claude Bernard, qui distingue deux ordres de vérités, les vérités subjectives et les vérités objectives. Ce ne sont bien entendu, pour celui qui se recommande de la science et des vérités objectives validées par l’expérimentation, que les vérités subjectives qui apportent « le sentiment d’une évidence absolue et nécessaire[31] ».
La renaturalisation de la poésie s’accompagne aussi, bien évidemment, d’une renaturalisation de l’imagination, qui restitue à la réalité immédiate de l’action sa part d’inconnu, de mystère, sa puissance d’en avant :
Imagination, mon enfant. (101)
Ensoleiller l’imagination de ceux qui bégaient au lieu de parler, qui rougissent à l’instant d’affirmer. Ce sont de fermes partisans. (60)
Dans ton corps conscient, la réalité est en avance de quelques minutes d’imagination. Ce temps jamais rattrapé est un gouffre étranger aux actes de ce monde[32]. […] (218)
L’imagination rouvre une espérance (« Résistance n’est qu’espérance » [168]), rapatriée dans l’horizon terrestre, ou s’ouvre à ce que Char nomme la chance, qui est une forme de providence sans Dieu :
La perte de la vérité, l’oppression de cette ignominie dirigée qui s’intitule bien (le mal, non dépravé, inspiré, fantasque est utile) a ouvert une plaie au flanc de l’homme que seul l’espoir du grand lointain informulé (le vivant inespéré) atténue. Si l’absurde est maître ici-bas, je choisis l’absurde, l’antistatique, celui qui me rapproche le plus des chances pathétiques. […] (174)
C’est là la fécondité paradoxale de la nuit, qui retourne, comme la contre-terreur retourne la terreur, les ténèbres hitlériennes :
La couleur noire renferme l’impossible vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus, de tous les paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare les hommes d’action. (229)
C’est ce mystère fondamental qu’incarne l’ange de la note 16, ou la Femme, « cette terrestre silhouette d’ange rouge » du Prisonnier de Georges de La Tour qui est à la fois la poésie, la vérité, la liberté :
L’intelligence avec l’ange, notre primordial souci.
(Ange, ce qui, à l’intérieur de l’homme, tient à l’écart du compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signification qui ne s’évalue pas. Accordeur de poumons qui dore les grappes vitaminées de l’impossible. Connaît le sang, ignore le céleste. Ange : la bougie qui se penche au nord du coeur.)[33] (16)
[…] Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore. (178)
Et c’est au nom de ce mystère par lequel la poésie est l’en avant de l’action, ou l’espérance qui la fonde, qu’il faut relire la laconique note 67 :
Armand, le météo, définit sa fonction : le service énigmatique. (67)
Char aurait pu ajouter, comme dans la note 97, « De même le poète ». Mais il n’est pas besoin de cette explicitation pour faire une lecture méta-poétique de cette note, et y voir la plus juste définition de la poésie des Feuillets d’Hypnos, qui est sans doute au service de l’homme, mais un service énigmatique, non pas tant par son obscurité (réelle) que parce qu’il confronte son lecteur à un mystère plus essentiel, celui de notre condition.
Parties annexes
Note biographique
Bertrand Marchal est professeur de littérature française du XIXe siècle à Sorbonne Université. Il a principalement travaillé sur Mallarmé dont il a édité les Œuvres complètes en deux volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade. Il a fréquenté René Char dans les quinze dernières années de sa vie.
Notes
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[1]
René Char, Feuillets d’Hypnos, Paris, Gallimard, 1946, p. 76. C’est à cette édition que renverront nos citations des Feuillets d’Hypnos, suivies entre parenthèses du numéro de la note.
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[2]
Ces remarques, comme tout travail sur la poésie de Char des années de guerre, doivent beaucoup au livre de Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char, Paris, José Corti, 1984 et 1985, 2 t. On les complétera par deux articles : Bertrand Marchal, « Le tableau pulvérisé : le prisonnier, la lampe, l’ange. René Char et Georges de La Tour », L’Information littéraire, n° 5 (1989), p. 14-19, et « Les yeux ouverts, les yeux fermés : René Char dans les ténèbres hitlériennes », dans Charles D. Minahen (dir.), Figuring Things – Char, Ponge and Poetry in the Twentieth Century, Lexington (Kentucky), French Forum Publishers (French Forum Monograph Series), 1994, p. 53-64. Sur le contexte historique et sur la résistance dans les Basses-Alpes, voir Jean Garcin, De l’Armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944, Chronique. Essai sur l’histoire de la Résistance avec un prologue 1935-1940 et un épilogue 1944-1945, Digne, Imprimerie B. Vial, 1983.
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[3]
Cité par Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char, t. II, op. cit., p. 111.
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[4]
René Char, Seuls demeurent, Paris, Gallimard, 1945, p. 9.
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[5]
Derrière cette évocation de l’action criminelle transparaît en filigrane la figure de Lacenaire, le poète assassin cher aux surréalistes, auquel Char a consacré un poème, « La main de Lacenaire », dans L’Action de la justice est éteinte (Paris, Éditions Surréalistes, 1931).
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[6]
René Char, Oeuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1995, p. 1200.
-
[7]
René Char, « Billets à Francis Curel. I », Oeuvres complètes, op. cit., p. 632.
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[8]
Figure évidemment héritée du Marteau sans maître (Paris, Éditions Surréalistes, 1934).
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[9]
René Char, Oeuvres complètes, op. cit., p. 1200.
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[10]
Char joue ici sur le sens argotique du mot rossignol, instrument qui sert à crocheter les serrures.
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[11]
Cet « Argument » justifie aussi, plus indirectement, le titre de Seuls demeurent. La formule « Déborder l’économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière » est en effet reprise presque littéralement dans un texte d’hommage à Picasso écrit en 1939 mais qui ne sera publié qu’en 1966, « Mille planches de salut » : « [D]éborder l’économie de la création, agrandir la sensibilité des gestes de l’homme, le pousser à plus d’exigence, de connaissance et d’invention. […] Mais… la terreur nous cerne et une antivie artistique, le nazisme, peu à peu s’empare de tous les leviers de l’activité et du loisir ; il se prépare à gouverner en absolu équarrisseur. L’oeuvre de Picasso, consciemment ou involontairement prévoyante, a su dresser pour l’esprit, bien avant qu’existât cette terreur, une contre-terreur dont nous devons nous saisir […]. Face au pouvoir totalitaire, Picasso est le maître-charpentier de mille planches de salut. […] » ; je souligne. Voilà donc une nouvelle figure allégorique du poète ou du peintre qui, face à un absolu équarrisseur, se fait le charpentier de mille planches de salut. Et quand il s’apprêtera à publier Seuls demeurent, Char écrira à Gilbert Lély, le 15 mars 1944 : « À la réflexion et sous réserve d’un meilleur titre non trouvé encore je garde Seuls demeurent, titre-conjonction qui traduit je crois l’ascension de cette goutte d’homme et de chose parmi le chaos et la nausée, cette goutte rescapée chargée comme l’arche légendaire. » En somme, ces mille planches de salut sont l’arche d’un nouveau Noé dans le déluge nazi.
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[12]
La référence au déluge biblique est bien en filigrane dans cet « Argument » (voir la note qui précède).
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[13]
René Char, Seuls demeurent, op. cit., p. 48.
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[14]
Ibid., p. 50 ; je souligne.
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[15]
Ibid., p. 51 ; je souligne.
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[16]
Ibid., p. 52 ; je souligne.
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[17]
Cité par Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char, t. II, op. cit., p. 211. La parenthèse finale vise évidemment Aragon.
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[18]
Cette contre-hypnose se manifeste tout particulièrement dans la longue note 128.
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[19]
Voir la laconique note 124 : « La France-des cavernes », formule à la fois négative (régression historique) et positive (retour à une primitivité nécessaire : « Agir en primitif et prévoir en stratège » [72]).
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[20]
Je souligne.
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[21]
Cf. dans « Chant du refus » de Seuls demeurent cette autre image du poète-boulanger, pétrisseur d’âme : « Celui qui panifiait la souffrance n’est pas visible dans sa léthargie rougeoyante » (p. 48).
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[22]
Jean-Claude Pinson, Poéthique : une autothéorie, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
-
[23]
Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, édition établie par André Guyaux, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2009, p. 347.
-
[24]
Sur la mystique (poétique) de Char, voir le livre de Paul Veyne, René Char en ses poèmes, Paris, Gallimard, 1990.
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[25]
L’argot ici visé est celui de l’officier qui parle des « bougres de maquisards ».
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[26]
Archiduc dit la noblesse du personnage, Arthur évoque le roi Arthur de la légende médiévale, Carlate est « un infra-rouge gras », Esclabesang est celui dont les cibles sont éclaboussées de sang, L’ami des blés est celui qui a fait du silo à blé d’Oraison une cache d’armes, mais qui est aussi un « faiseur de pain » en puissance.
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[27]
Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char, t. II, op. cit., p. 270.
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[28]
René Char, Oeuvres complètes, op. cit., p. 650.
-
[29]
Je souligne.
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[30]
Je souligne.
-
[31]
Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, J. B. Baillière et fils, 1865, p. 51.
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[32]
Je souligne.
-
[33]
Voir mon article cité à la note 2 : « Le tableau pulvérisé : le prisonnier, la lampe, l’ange. René Char et Georges de La Tour ».
Références
- Bernard, Claude, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, J. B. Baillière et fils, 1865.
- Char, René, Feuillets d’Hypnos, Paris, Gallimard, 1946.
- Char, René, L’Action de la justice est éteinte, Paris, Éditions Surréalistes, 1931.
- Char, René, Le Marteau sans maître, Paris, Éditions Surréalistes, 1934.
- Char, René, Oeuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1995.
- Char, René, Seuls demeurent, Paris, Gallimard, 1945.
- Garcin, Jean, De l’Armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944, Chronique. Essai sur l’histoire de la Résistance avec un prologue 1935-1940 et un épilogue 1944-1945, Digne, Imprimerie B. Vial, 1983.
- Marchal, Bertrand, « Les yeux ouverts, les yeux fermés : René Char dans les ténèbres hitlériennes », dans Charles D. Minahen (dir.), Figuring Things – Char, Ponge and Poetry in the Twentieth Century, Lexington (Kentucky), French Forum Publishers (French Forum Monograph Series), 1994, p. 53-64.
- Marchal, Bertrand, « Le tableau pulvérisé : le prisonnier, la lampe, l’ange. René Char et Georges de La Tour », L’Information littéraire, n° 5 (1989), p. 14-19.
- Mathieu, Jean-Claude, La Poésie de René Char, Paris, José Corti, 1984 et 1985, 2 t.
- Pinson, Jean-Claude, Poéthique : une autothéorie, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
- Rimbaud, Arthur, Oeuvres complètes, édition établie par André Guyaux, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2009.
- Veyne, Paul, René Char en ses poèmes, Paris, Gallimard, 1990.