Présentation[Notice]

  • Laure Michel et
  • Anne Tomiche

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  • Laure Michel
    Sorbonne Université

  • Anne Tomiche
    Sorbonne Université

La Seconde Guerre mondiale et le nazisme ont cristallisé la question de la responsabilité de l’écrivain et de son engagement dans l’action. La position exprimée par Sartre dans l’immédiat après-guerre est bien connue : dans la « Présentation » du premier numéro des Temps modernes qui paraît en octobre 1945, il dénonce « l’héritage d’irresponsabilité » qui caractérise les écrivains depuis un siècle et qui repose sur un mythe puisque, jusque dans sa lointaine retraite, tout écrivain est « marqué », « compromis », « dans le coup ». Les formulations de 1945, reprises et développées à partir de 1947 dans Qu’est-ce que la littérature, conduiront à réaffirmer la dimension fondamentalement éthique de l’écriture, le rôle social de la littérature et à définir pour cette littérature engagée un périmètre qui exclut la poésie, au motif que la langue poétique n’est pas utilitaire, que seule la prose l’est, et que c’est en utilisant les mots que l’écrivain prosateur s’engage. Par là Sartre évacue d’un revers de main la poésie de la Résistance, jugeant dans « Situation de l’écrivain en 1947 » qu’elle n’a « pas produit grand chose de bon ». À cette date, le sort de celle-ci dans l’histoire littéraire est scellé : après deux ans de vifs débats sur la valeur de cette « jeune poésie », dans Les Lettres françaises en particulier, débats avivés par la parution en 1945 du pamphlet de Benjamin Péret Le Déshonneur des poètes, les revues de la Résistance cessent de paraître et la position de Sartre l’emporte dans le champ littéraire. René Char, une fois passé le front commun de la Libération et son implication dans les revues issues de la Résistance entre 1944 et 1946, condamne lui aussi sans ambages cette production de la guerre, traitant de « comique » « la parade des poètes de la Résistance », mais c’est de Georges Bataille dont il est le plus proche, lorsque ce dernier soutient contre Sartre, dans une réponse à une enquête lancée par Char précisément, « l’incompatibilité de la littérature et de l’engagement » : la littérature ne peut qu’être incompatible avec le mouvement général de la société, où règne « l’activité utile ». Char défend une position semblable, par exemple dans le « Bandeau de Fureur et mystère » : « réfractaire aux projets calculés », le poète refuse de soumettre le poème à la logique de l’utile et s’oppose au principe de la subordination des moyens aux fins revendiqué par les idéologies politiques de son temps. Char semble par là se situer dans une parfaite continuité avec les choix qu’il opère pendant la guerre. Le poète, on le sait, devenu chef de maquis, renonce à toute publication. Une telle attitude entérine une incompatibilité entre l’action par la poésie et l’action du combattant. Bien plus, elle fait de l’écriture poétique un geste « dérisoirement insuffisant » lorsqu’il s’agit de combattre les ténèbres hitlériennes. Dans un passage célèbre d’un texte de 1941, Char écrit à son ami Francis Curel que les poèmes auxquels il travaille resteront inédits aussi longtemps que la situation d’oppression durera ; il ajoute que cette attitude lui est « dictée par l’assez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels […] ». Char, au fond, maintient la position avant-gardiste qui a été la sienne du temps du surréalisme : l’action du poème est distincte de celle du poète, seul un rapport d’homologie noue l’une à l’autre. Pour le Char d’après-guerre, toutefois, qui a connu la lutte contre le nazisme, qui a de lourds griefs envers les communistes, nul …

Parties annexes