Résumés
Résumé
L’expression de l’américanité chez Jules Supervielle est l’objet de plusieurs récidives littéraires. À mesure qu’il se dégage de l’influence romantique et parnassienne, encore prégnante dans Brumes du passé et Comme des voiliers, le poète apprend à « plier à son goût » la Muse uruguayenne. De Poèmes à Débarcadères, l’américanité se révèle plus encore inséparable d’une quête de l’identité. Elle traduit l’exigence d’une signature, capable enfin d’assigner à l’oeuvre ce que Supervielle appelle le « ton réel ». La question de la manière – cette mesure personnelle de l’écriture, conquise au terme des quatre premiers recueils – ne se distingue pas chez lui de la question de la culture, et réciproquement.
Abstract
The expression of Americanism in Jules Supervielle is the subject of several literary recurrences. As he emerges from the romantic and Parnassian influence, still prevalent in Brumes du passé and Comme des voiliers, the poet learns to “shape the Uruguayan Muse to his liking”. From Poèmes to Débarcadères, Americanism reveals itself to be even more inseparable from a quest for identity. It reflects the need for a signature, capable at last of assigning to the work what Supervielle calls the “real tone.” The question of manner – this personal process of writing, mastered by the end of the first four collections of poems – does not differ in his work from the question of culture, and vice versa.
Corps de l’article
De Poèmes à Débarcadères, l’expression de l’américanité chez Supervielle se révèle inséparable d’une quête de l’identité et de l’exigence d’une signature capable de traduire le « ton réel[1] » de l’oeuvre. Et tandis que Poèmes propose un voyage ludique et satirique, Débarcadères le charge d’une dimension moins exotique que barbare. Dans tous les cas, l’américanité trouve sa condition originelle dans l’avènement d’une subjectivité propre et irréductible. Pourtant, ce n’est qu’après plusieurs récidives, Brumes du passé et Comme des voiliers dans lequel apparaissent sous une facture encore romantique et parnassienne les premières impressions de la Pampa, que l’auteur essayant chaque fois « de dire ou de mieux dire[2] » parvient à « plier à son goût[3] » la Muse américaine et mêle notamment l’Uruguay à la France. La question de la manière – cette mesure personnelle conquise au terme de quatre recueils – ne se distingue pas chez lui de la question de la culture, et réciproquement.
D’un côté, et sans être placés absolument aux marges de l’oeuvre, les premiers textes de l’écrivain n’ont guère éveillé l’intérêt des lecteurs, qui en associent plutôt le nom à Gravitations et Oublieuse mémoire. Ils ont suscité également quelques réserves chez les critiques, suivant le désaveu dans lequel, en guise de verdict personnel, l’auteur a tenu de son vivant ses premiers travaux. Au moment où se forme le projet de L’Escalier qui paraît en 1956, Supervielle envisage de réunir Poèmes et Débarcadères, volumes alors presque épuisés, en une édition significative : D’où je viens[4]. Il est tentant de comprendre cette rétrospective comme un effet de bouclage de l’oeuvre sur elle-même. Il est non moins essentiel de souligner que ce retour au passé appelle en soi une comparaison avec les recueils ultérieurs. Il importe surtout de retenir que l’origine déclarée résulte du regard intime de l’auteur et se place d’emblée sous le signe de l’élection et de l’exclusion, de la coupure et de l’oubli. Car bien que dans certaines de leurs pièces « perce l’originalité », la majorité des vers n’étant pas « dictés par des vues intérieures[5] » mais par le goût des autres, Supervielle écarte soigneusement de son projet Brumes du passé et Comme des voiliers. Selon un geste qu’il répétera fidèlement, l’auteur attache plutôt le temps fondateur de son oeuvre aux Poèmes de l’humour triste[6].
De l’autre côté, et sans nier le régime imitatif qui gouverne de tels écrits, il convient de noter que l’instance poétique travaille très tôt à défaire et refaire sa manière. En effet, c’est en « relisant [l]es vers des premières années[7] » dans Poèmes que les « ratés » s’exhaussent au rang de « ratures », non simplement dans l’optique d’une variance mais de variations, désénonciations et réénonciations ouvertes et sensibles aussi bien à travers la migration ponctuelle d’un texte (de « La Fumée » à « Du toit léger d’une cabane… » ou « Les vieux airs » par exemple) qu’à travers l’insistante déprise et reprise d’un motif identique, « La Pampa (Impressions d’Amérique) » (Comme des voiliers), « La Pampa » (Poèmes) et Débarcadères.
Ce principe de continuation doit être mis au compte de l’« opiniâtreté inconsciente » par laquelle Supervielle reformule dans Naissances le mythe de l’inspiration sous l’espèce d’une éthique :
Stendhal ne croyait qu’à l’opiniâtreté chez l’écrivain. Je pense qu’il songeait aussi à cette opiniâtreté involontaire qui est le fruit d’une longue obsession. Parfois ce qu’on nomme l’inspiration vient de ce que le poète bénéficie d’une opiniâtreté inconsciente et ancienne qui finit un jour par porter ses fruits. Elle nous permet de voir en nous comme par une lucarne ce qui est invisible en temps ordinaire[8].
Sans doute une telle éthique n’est-elle à son tour que le produit d’un regard rétrospectif qui trouve son soutien dans les réalisations antérieures, contes, théâtre, proses et vers. Mais si, comme le relève l’écrivain, le temps en est à la fois la condition primitive et le principal allié, et qu’il engage un processus nécessaire de réévaluation et de maturation, c’est précisément à l’état latent ou inconscient que cette éthique investit les premiers textes et s’y rend perceptible. Les récidives poétiques depuis Brumes du passé opèrent, en l’occurrence, au coeur des accidents et des inachèvements mais aussi des indigences de la manière. À cette date, celle-ci se place moins en effet sous le signe d’un phrasé, à la voix clairement identifiée, que d’une « phrase indécise » – moins informulée et silencieuse qu’inaboutie ou fragmentaire –, qui exige pour cette raison même de « recommencer[9] ».
Le locuteur de Débarcadères se ressaisit expressément de l’enjeu lorsqu’il convoque cette unité particulière de la langue. En effet, s’il cherche la phrase qui le rassemblerait « tout entier », il la mesure aussitôt à des « phrases mutilées », expressions discontinues et défaillantes de moi eux-mêmes multiples et « dispersés » (OPC, p. 151). Tout à l’inverse et à contretemps, sa phrase jusqu’à Poèmes s’y trouve lestée de l’expression du commun ; elle se tient au lieu le plus précisément dévalorisé par les modernités auxquelles, de Rimbaud et Whitman à Apollinaire et Claudel, l’auteur avoue avoir « été long à venir[10] ». À partir des Poèmes de l’humour triste et mieux encore de Débarcadères, le sujet se retrouve « nu » dans « la brousse de l’être », confronté à lui-même dans l’écart et la décentration, après s’être cherché pendant « plus de trente ans » :
OPC, p. 153Plus de trente ans je me cherchai
Toujours de moi-même empêché,
Hier enfin je me vis paraître
Debout dans la brousse de l’être ;
J’étais nu, le coeur apparent
Avec sa courbe et son tourment.
Je donnai à l’autre moi-même
(Aussitôt nous nous reconûmes)
Une poignée de main sereine
Ayant un petit goût posthume.
Il n’y eut pas même une larme,
Ce fut grave torride calme,
Et je me tendis une palme
Que je gardais depuis trente ans
Pour ce purissime moment.
En l’occurrence, la singularité s’oppose moins au commun qu’elle ne vise à en retourner l’ambiguïté première. « Hier enfin je me vis paraître » (OPC, p. 153) : sans doute cette scène primitive s’accompagne-t-elle réflexivement d’une amicale et ironique « poignée de main sereine » (OPC, p. 153) avec « l’autre moi-même » (OPC, p. 153), dissipant cette inquiétude de « n’être que l’écho brisé d’une autre voix[11] », la parole sous influence qui caractérisait les volumes précédents. Elle est néanmoins essentielle en ce qu’elle ouvre du même geste l’oeuvre à une perspective dialogique. L’expérience que décrit Débarcadères engage la possibilité d’un nom propre, une signature localisée dans l’évidence d’une identité jusqu’alors « empêché[e] » par le commun du sujet : « [N]ous nous reconnûmes » (OPC, p. 153). Cette connaissance de soi a posteriori, effet sur le long cours d’opiniâtres et involontaires récidives, ne désigne pas simplement une connaissance à nouveau ou connaissance répétée de ce qui préexistait, mais une connaissance du nouveau, de ce qui était en dedans de soi et à soi-même invisible.
C’est cette même connaissance qui permet à Supervielle de déchiffrer et de s’approprier l’Amérique. Dans le paysage uruguayen, la vache par exemple comme ailleurs le gaucho n’est pas par hasard ce symbole insistant de l’oeuvre. Elle l’est même deux fois, non seulement parce qu’elle est l’une de ces « figures difficiles[12] » proposées au poète, qui, sous l’espèce d’une « communication incompréhensible » et « toujours brouillée[13] » en lien avec l’agonie et le néant, porte le « poids » et la « responsabilité[14] » de l’espace sud-américain, mais surtout parce qu’elle indique la différence à inventer : « Entre toutes les bêtes du monde, je le dis comme si vous ne vous en étiez pas aperçus, j’aime la vache des pampas – maigre, bâtarde, errante – et qui ressemble si peu à celle de Victor Hugo[15]. » Et Supervielle de déplorer plus loin « pour la poésie » que les espèces européennes aux « belles manières » ont dans l’Uruguay moderne remplacé les « sauvages “criollas”[16] ». En fait de différence, il s’agit plutôt d’un pluriel, des différences, et plus largement d’une altérité à porter au coeur de l’identité poétique à inventer. Car par-delà la dissonance humoristique qui s’établit entre l’éloge de la rusticité animale et ces manières qui servent normalement à décrire la vie de l’homme en société (ici dans l’ordre de la correction et de la distinction), c’est plutôt à l’allure maigre, bâtarde et errante de l’animal que l’instance s’assimilerait. Deux questions s’entremêlent donc, résolument solidaires : l’une qui articule la culture sous l’espèce de l’américanité au goût (dont le marqueur « j’aime » dans Boire à la source constitue l’éloquent rappel) ; l’autre qui congédie l’illusion de l’originalité (« Ah ! croire que l’on dit pour la première fois[17] ») en marquant la nécessité de (se) redire. La maigreur, la bâtardise et l’errance : trois options pour décrire une parole naissant à elle-même.
Poétique de la culture
Si la maigreur est appelée à devenir cet indice problématique de la parole, la raison n’est pas tant qu’elle s’oppose, pour qui en serait dépourvu et la rechercherait, à cette plénitude des moyens dont Hugo représente effectivement l’un des parangons en poésie. Il s’agit assurément d’un véritable marqueur dans l’oeuvre. De retour à Paris, le voyageur de Débarcadères note par exemple « l’embonpoint moral » de la marchande de l’avenue du Bois qui prodigue joie et « réconfort » (OPC, p. 152). Il lui oppose aussitôt le « corps maigre » du gaucho comme la « maigre couverture desséchée » (OPC, p. 131) de la pampa, ou encore les colons « amaigris, épineux sous la chaleur qui lime » (OPC, p. 146). De nature à la fois physique et éthique, la maigreur est également d’ordre artistique s’il est vrai qu’en face de Hugo l’auteur se situe dans les termes du débat classique que le poète romantique déjà retournait, entre la « grande manière », et la « manière maigre » souvent dévaluée, mais que Supervielle investit précisément d’un autre sens de la grandeur. Or cette singulière étisie verbale qualifie simultanément le délestage critique des références, mise en tension du poème et de la culture qui accompagne les récidives de Brumes du passé à Débarcadères au nom du « dépouillement » : les « terres pauvres » que prétend cultiver le poète lui épargnent sans doute la richesse des « ornements[18] » rhétoriques – cette langue poétique qu’approchait le débutant ; elles sont en tous cas l’homologue des bêtes faméliques qui hantent le paysage uruguayen. En l’occurrence, l’essai de dépouillement implique un travail de discernement qui, liant écriture et lecture dans l’individuation, vise aussi bien l’instance créatrice que les voix dont elle se ferait l’écho, mise au crible de la tradition et mise au crible de soi puisqu’il n’y a de parole et de phrasé qu’en « se retourn[ant] » en soi et « contre soi » (OPC, p. 564). À cette double condition simultanée la manière passe d’un régime de l’imitation à un régime de l’appropriation. Pourtant si, comme il l’assure, Supervielle est en poésie « parti de rien[19] », c’est au phénomène d’acculturation consubstantiel à la lecture qu’il doit en premier lieu d’avoir sinon enrichi du moins nourri sa matière de départ.
Dettes et alliances
Sur ce point précis, les réponses de l’auteur sont, mises ensemble, quelque peu instables ou ambivalentes. Dans un premier temps, Supervielle établit une nette corrélation entre sa découverte tardive des oeuvres de la modernité, celles qui ont déplacé son regard, et la peur constante de « plonger en [s]oi[20] ». C’est à une reformulation plus positive du problème qu’il s’attache en réponse à l’Enquête sur les maîtres de la jeune littérature, les « dettes spirituelles » permettant de sortir tout créateur de ses « frontières habituelles » et d’« annexer des territoires[21] ». Il peut sembler toutefois surprenant, venant d’un auteur qui aspire au dépouillement après s’être exposé au commun des redites, de lire :
André Gide, dans les Prétextes, nous a montré qu’il ne fallait pas craindre les influences. Laissons-nous envahir. Ce n’est pas l’invasion qui est à craindre : elle provoquera en nous des réactions combatives, la bataille des rues et, si nous la méritons, une victoire profitable[22].
Sans doute le propos se situe-t-il après la première édition de Débarcadères, en un temps où s’affirment une conscience et une maîtrise plus sereines de l’art. Mais il substitue à une logique passive de l’écriture, l’assujettissement aux « maîtres », les « suggestions d’autrui » filtrées en forme d’« alliances[23] ». Si la lecture n’exerce plus cette emprise négative mais a le pouvoir contraire de féconder, c’est qu’elle est conçue comme une « collaboration avec ce qu’il y a de vraiment particulier en chacun de nous[24] », ce qui révèle au lieu de l’effacer le sujet à lui-même.
C’est pour cette raison que Supervielle précise également que l’argument des influences (déjouant à ce niveau les tics professionnels des critiques) ne saurait prendre le pas sur la vie elle-même et ses événements. Et parmi ceux-ci, des plus dépaysants aux plus infimes :
Tel de mes poèmes fut écrit au sortir d’un concert, tel autre en wagon, celui-ci sur l’invitation d’un moustique qui me réveilla à trois heures du matin. Mon embarras serait grand s’il me fallait dire si je dois davantage à Homère qu’à la ligne de transatlantiques faisant le service entre Bordeaux et Montevideo[25].
La poésie naissant de telles infiltrations souvent réciproques ou confusément liées, c’est au coeur de cette nuance que s’installe l’auteur, avouant à Étiemble pour mieux le souligner, qu’il demeure malgré tout un « petit liseur[26] ». Une telle déclaration pourrait être mise en soupçon et rapportée à une stratégie de dénégation. Après tout, les oeuvres postérieures à Débarcadères, dans leur indépendance, poursuivent même discrètement le dialogue avec les poésies anciennes et modernes dont Supervielle se dit par ailleurs « conciliateur » et « réconciliateur[27] » en son écriture même. De plus, en faisant passer au premier plan l’expérience, l’image du petit liseur décrirait un usage privatif, sorte d’insuffisance naturelle (ce qui ne veut pas dire volontaire) qui libérerait des modèles encombrants et préserverait l’univers intérieur du sujet. En vérité, elle retire seulement aux oeuvres le rôle prépondérant qu’il leur est accordé dans l’acte de création, espèce de critère a priori de la valeur. En ce sens, le petit liseur ne serait pas éloigné de la leçon laforguienne et pratiquerait à sa façon une « mise en jachère[28] ».
L’abeille et le jardin
Ce n’est donc pas d’un manque que parle l’auteur mais plutôt de l’ethos personnel qui le met aux prises avec la culture. Car le petit liseur y répond tout autant au nom propre de l’écriture, que ce soit la « petite place[29] » qu’il réclame au même Laforgue à l’époque de ses Poèmes, ou la voix du « Modeste Supervielle[30] » dans l’hommage à Claudel pour Le Corps tragique. En miroir, l’adjectif minorant et la majuscule vertueuse ne se dispensent pas d’ironie. En effet, dans le mouvement continu qui unit la lecture et l’écriture, la valeur de l’oeuvre à réaliser et la valeur de l’oeuvre accomplie se trouvent l’une et l’autre en débat. Or s’il y a une singularité à reconnaître, ce ne peut plus être dans les termes traditionnels de la banalité et de l’originalité. Celle-ci se trouve étonnamment démise :
Je n’ai guère connu la peur de la banalité qui hante la plupart des écrivains mais bien plutôt celle de l’incompréhension et de la singularité. N’écrivant pas pour des spécialistes du mystère j’ai toujours souffert quand une personne ne comprenait pas un de mes poèmes[31].
Déclaration inintelligible sans le débat ouvert autour de la Terreur depuis Les Fleurs de Tarbes, une crise du langage marquée par l’obsession de l’originalité chez les modernes, et l’insistance chez Paulhan à retrouver la force des lieux communs dont l’ancienne rhétorique se portait garante.
Or c’est d’un point d’équilibre, capable de déborder l’opposition, que se prévaut Supervielle dans une lettre du 27 septembre 1936 à Paulhan :
Je n’ai jamais connu tout à fait la terreur, mais plutôt une inquiétude, une peur inavouée. J’ai toujours évolué entre le désir d’être moi-même et la crainte de l’être trop, c’est-à-dire de devenir incompréhensible pour autrui […] je n’ai pas la terreur des lieux communs[32].
À contre-modernité, Supervielle a débuté par le lieu commun, pour s’en dépouiller et y installer sa singularité, ce qui le préserve de l’écueil inverse des contemporains, et le rend modestement moderne parmi les modernes, sinon plus moderne qu’eux à cause de cette lucidité même. D’un côté, il cible peut-être l’héritage symboliste et spécialement mallarméen (mais la filiation rimbaldienne n’est pas à exclure), la tradition de l’hermétisme qui en est issue. De l’autre, il perçoit dans la rupture du sens le risque de la sacralisation et de l’essentialisation du littéraire. Le souci constant d’être compris, c’est le souci de l’autre et même des autres. Il n’y a pas de terreur de l’originalité ni de terreur du lieu commun parce que le commun découle structurellement du singulier. Ou si l’on veut, la condition du sujet (« être soi-même »), sans laquelle il n’est pas de poème, s’accomplit par l’autre et les autres, qui en bornent aussitôt le « désir » et ses possibles excès.
Ainsi prend sens la distinction établie entre « l’originalité singulière », qui verse exactement dans les défauts dénoncés (malgré Lautréamont ou Michaux), et cette « originalité moins consciente » à l’oeuvre « chez nos classiques[33] » dont se revendique Supervielle. Là encore, il est remarquable que l’écrivain manoeuvre à rebours un concept, devenu certes incontournable depuis la période romantique, en ce qu’il a servi à penser pour deux siècles la dimension doublement individuée et individuante des textes, mais qui échappe à l’épistémè classique, dominée en ce domaine par la théorie de l’imitation. À l’originalité que les auteurs classiques tiennent aux marges de la belle nature, parce qu’elle est d’abord l’expression du bizarre, de l’extravagant, du maniéré, ils devraient cependant d’avoir été malgré eux et, pourquoi pas, de nous être restés. Or si elle défausse les avant-gardes et leurs programmes artistiques et politiques, comme certaines des phrases-emblèmes des modernités (« Il faut être absolument moderne », « Faire de l’original à tous prix ») dont l’ironie n’a pas toujours été perçue, l’originalité moins consciente motive chez Supervielle un circuit métaphorique emprunté aux classiques pour rendre compte adéquatement du travail du sujet vers le phrasé. Ainsi est-ce encore au topos de l’innutritio que s’adresse la « ruche visitée par la poésie[34] », à laquelle s’identifie l’instance au moment d’envisager sa propre fin, au demeurant inséparable de la continuation des vivants (« des enfants aux aïeux », OPC, p. 430). Le sujet n’y figure plus une simple abeille, butinant et pollinisant ; il est devenu la fabrique bourdonnante de la parole[35]. Ce moi-ruche qui est littéralement visité s’illustre encore par le jardin, lieu privilégié de la création en parallèle aux terres de pauvre culture : « J’aime à écrire sans trop le savoir et de préférence dans un jardin où c’est la nature qui a l’air de faire tout le travail[36]. »
Cet espace clos s’oppose en tous points aux horizons maritimes, aux déserts de la pampa évoqués dans Poèmes et Débarcadères. La nature matérialise néanmoins cette originalité moins consciente. Non en ce que les paroles y seraient dictées par quelque processus psychique incontrôlé, mais en ce qu’elles s’ouvriraient plus simplement à la valeur en laissant venir. « Sans trop le savoir » : la déprise du sujet n’est jamais absolue puisqu’il se ressaisit, au contraire, de ce qui, en lui, arrive. Mais Supervielle décrit là le risque accepté de l’inconnu, lequel déjoue à la fois l’intention de poéticité, qui reconduit au commun par l’imitation à l’image de Brumes du passé et Comme des voiliers, et l’intention de modernité qui rompt avec le commun par l’incommunication à l’image de plusieurs contemporains. Du moins le paradigme de la nature dans la culture fait-il de l’innutrition une activité critique. Ce n’est pas un hasard si, de manière dissonante voire oxymorique, Laforgue se voit qualifié de « furtif nourricier[37] ». Tandis que l’inspirateur a pu donner vie à l’oeuvre, le dialogue par ailleurs sensible de l’humour à la matière cosmique chez Supervielle serait peut-être en partie déjoué. Concordant avec le thème à venir de la maigreur, l’excès de nourriture aurait un effet exactement contraire et néfaste : « Vois-moi, je dépéris, daigne enfin me sevrer[38]. » Il est difficile de se dérober au modèle comme il est également nécessaire de lui emprunter pour une brève durée. Il est non moins légitime sur la plus longue durée de s’en détourner.
L’innutrition prend sens en regard de la liberté de devenir « Supervielle » et de « faire un Poète » à « [s]a tête[39] ». Il s’agit bien de modeler l’écriture à sa dimension, visage et esprit, de sorte qu’elle consacre enfin un portrait fidèle de soi-même. En sous-texte, l’expression lexicalisée (n’)en faire (qu’)à sa tête laisse également entendre l’une des premières formulations de l’opiniâtreté. À celui qui récidive et persévère il appartient seul de s’émanciper du modèle et de sa « tutelle[40] », dont il s’approprie ici l’humour pour mieux lui rendre la pareille. C’est en tous cas à cette force d’émancipation que l’auteur doit de « pouvoir remonter le dur fleuve des ans » et, relisant ses premiers vers, de « boire à sa propre source[41] » en lui donnant autrement forme.
L’américanité barbare
À cette source s’attache spécialement l’américanité dont l’expérience n’est dicible toutefois qu’à la condition d’en avoir « digéré » la culture ou les cultures, ainsi que le montrent les tentatives répétées depuis Comme des voiliers. Un discernement comparable à la mise au crible de la tradition française s’est exercé à ce niveau comme le rapporte Michel Collot : à cette date, de retour à Paris, Supervielle a déposé en Sorbonne un sujet de thèse sur « le sentiment de la nature dans la poésie hispano-américaine » ; après enquête, et malgré les modernistes Rubén Darío et José Enrique Rodó trop marqués de gallicisme et d’atticisme, il ressort déçu par une poésie globalement soumise aux rhétoriques et à la mythologie européennes, et comprend « qu’il ne trouvera ni la nature ni l’Amérique dans les livres[42] ». Cette préoccupation gouverne explicitement « Retour [à l’estancia] » dans Débarcadères :
OPC, p. 128Je fais corps avec la pampa qui ne connaît pas la mythologie,
avec le désert orgueilleux d’être le désert depuis les temps plus abstraits,
il ignore les Dieux de l’Olympe qui rythment encore le vieux monde.
Je m’enfonce dans la plaine qui n’a pas d’histoire et tend de tous côtés sa peau dure de vache qui a toujours couché dehors
et n’a pour végétation que quelques talas, ceibos, pitas,
qui ne connaissent ni le grec ni le latin,
mais savent résister au vent affamé du pôle,
de toute leur ruse barbare
en lui opposant la croupe concentrée de leur branchage grouillant d’épines et leurs feuilles en coup de hache.
Pourtant, c’est aussi sur la scène littéraire que Supervielle a pu anticiper un tel geste, dans les Feuilles d’herbe de Walt Whitman qu’il découvre au cours du premier conflit mondial. Au nom d’une autre américanité, écrivant la contre-épopée d’une « drôle de race, de mode nouvelle[43] », le poète y pastiche le motif de la translatio studii, exigeant de la Muse qu’elle « émigre de Grèce et d’Ionie » pour célébrer « un domaine vaste, inexploré[44] ». Whitman oppose les nouvelles coordonnées de la parole, « aujourd’hui et ici[45] », à ce passé « monde jadis si puissant » mais devenu « vide, inanimé, fantôme[46] ». Avant d’hypothéquer les « récits » et « pièces » tirés de « l’histoire des cours étrangères » comme les « vers d’amours sucrés de rimes[47] », il passe notamment en revue les légendes fondatrices de l’ancien monde :
Finies à jamais les épopées des guerriers casqués de l’Asie, de l’Europe, finie la voix primitive des Muses,
La voix de Calliope pour toujours silencieuse, Clio, Melpomène, Thalie, mortes.
Fini le rythme pompeux d’Una et d’Oriana, finie l’aventure du Saint-Graal,
Jérusalem poignée de cendres emportées par le vent, éteintes,
Les défilés de Croisés, en troupes spectrales, ont fui, telles des ombres de minuit, au lever du soleil,
Amadis, Tancrède, bien partis, Charlemagne, Roland, Olivier, partis[48] […].
Sans doute l’attitude n’est-elle pas si subversive chez Supervielle ni destinée à héroïser la vie d’un peuple, des petits métiers de l’artisanat aux conquêtes de la révolution industrielle. Mais une géopoétique de la parole s’y trouve également en débat dont la nature établit à la fois le transfert et la spécificité à rebours des cultures occidentales. Cette nature que le sujet intériorise physiquement, à ce point qu’il n’en est plus lui-même qu’un élément, est d’abord le cadre d’une mise en crise du savoir : « [N]e connaît pas » ; « ignore » ; « n’a pas » ; « n’a […] que » ; « ne connaissent ni… ni…[49] » – scansion négative qui met à découvert le principe d’inconnaissance faisant le poème. Du savoir il ne subsiste guère que la sensibilité pratique (« savent résister »), donnée en partage aux règnes animal et végétal, exposée aux brutalités d’un monde qui, entre « les coups de haches » et le « branchage grouillant d’épines », s’éloigne définitivement de la nature domestiquée et idéalisée de l’Europe. Activant de nouveau les signes de la maigreur, les plantes et les essences y résistent donc « au vent affamé du pôle ».
Ce savoir de résistance, qui s’enracine dans les corps (de quelque nature qu’ils soient), est ce que Supervielle appelle la « ruse barbare », visant à première vue les détours pratiques, c’est-à-dire l’adaptabilité au milieu, de la vie ou même de la pensée sauvages. Dans le contexte immédiat, s’il se mesure en plus aux deux langues de culture (« ni le grec ni le latin »), inséparables de l’Europe et de son histoire, le terme barbaros se déplie néanmoins de manière polysémique. Il y figure aussi bien l’être primitif voire cruel et inhumain à l’exemple de ce désert des pampas, que l’étranger placé en dehors de la civilisation (par opposition au xenos), sur la base de la race et du peuple à cause de sa langue inaudible tissue de borborygmes. Bien entendu, l’énumération des « talas, ceibos, pitas » (dont l’italique maintient par contre l’extranéité, sans l’intégrer à la langue du texte) enchérit-elle localement par rapport aux « racines gréco-latines[50] ». En outre, le procédé de mention contrefait probablement les nomenclatures du domaine botanique qui recourt aux appellatifs savants. Mais la « ruse barbare » désigne cette même résistance et adaptation par le milieu de la parole poétique, rendue par lui étrangère à la culture importée.
En assignant au sujet une nouvelle modalité exploratoire et réflexive (« je m’enfonce »), cette ruse barbare n’en défend pas moins « une plaine sans histoire » et des « temps plus abstraits » loin des rythmes de « l’ancien monde[51] ». Or sur ce point, le texte apparaîtrait comme investi d’un reste d’idéologie coloniale. En vérité, si le moi se « mêle » à une « terre qui ne rend de comptes à personne », c’est précisément qu’elle s’interdit de « ressembler » à l’Europe – et le verbe ressembler implique, du langage à la culture, des oeuvres à la nature, l’interaction éthique du sujet avec sa manière. En l’occurrence, la culture sous l’espèce des cultures d’Europe se révèle inséparable d’une histoire dont elle n’est pas parvenue à empêcher les tragédies, des paysages modelés par l’homme mais « saignés par les souvenirs » (OPC, p. 129). Terre sans histoire, au sens strict qui la distingue de « l’humus harcelé[52] » enfantant les morts, dans le temps qu’elle congédie les langues, mythes et divinités de l’ancien monde la « nature exténuée[53] » des pampas est néanmoins propice à inventer l’histoire dans la mesure où par elle – lieu et milieu confondus – l’oeuvre peut faire l’histoire.
Cette histoire est l’« ici mille fois différent[54] » de la parole, qui porte à la fois la bâtardise et l’errance du sujet. Lorsque Supervielle se classe avec Laforgue et Lautréamont parmi « les trois Montevidéens », c’est pour décliner son identité paradoxale : « Je suis un Basque, un Béarnais, / Un mâtiné d’Uruguayen[55]. » Entre le territoire linguistique qui s’étend aux zones espagnoles, la géographie traditionnelle d’une province française et la nation sud-américaine, l’auteur confond le biologique et le culturel, l’adhésion à la localité et l’appel de la migration. En l’occurrence, ce multiple des origines déborde le champ autobiographique pour devenir une fiction du sujet. Au « Moi de Montevideo » succèdent ainsi le « Moi de Pologne et d’Autriche » puis tous « ceux qui furent et seront », autant d’instances qui, « cherchant à vivre[56] », constituent les variations et l’historicité de la parole. De façon non moins humoristique, dans Poèmes le moi piqué par une « mouche transatlantique » prend les traits mythiques d’un « Ulysse montevidéen[57] » qui serait destiné à l’exil. Sous le signe du voyage perpétuel, dont les raisons seraient à lui-même obscures et inexplicables, le sujet traite par la dérision sa condition d’errant, à la fois errant par le monde et « errant en soi-même[58] ».
En effet, l’ici de la parole n’est pas séparable chez Supervielle du sentiment aigu et continu de « la partance[59] ». À ce niveau, l’oeuvre se ressent bien sûr de l’ascendance rimbaldienne. Mais elle se concentre dans une tension contradictoire entre le retour au pays, attaché aux souvenirs, aux biens matériels et affectifs accumulés – la « rente fumeuse des voyages[60] » qui voue la retraite du sujet à l’évanescence ou à l’inconsistance –, et l’obsession de « repartir » (OPC, p. 152) entretenue par des « images de tous les formats » (OPC, p. 151) qu’il lui est impossible de conjurer. Tandis qu’il n’y a pas d’ici sans là-bas, le lieu de la parole s’inscrit par conséquent dans un leitmotiv plus général de l’oeuvre qui donne au poète « le goût de la terre et de l’exode[61] », opposant en lui la « patrie » (la France) et son « domicile[62] » géographiquement plus indéterminé (Paris ou Montevideo). De sorte qu’à force d’être pris dans un « mouvant exil[63] », il peut déclarer être de « cent patries[64] » ou être « partout à la fois[65] ». Cette extension, que concentre avec malice la rime comique :: cosmique dans Le Corps tragique, menacerait le sujet d’atopie s’il ne se reconnaissait finalement pour « demeure » sa « maison Poésie », ne vivant alors « plus qu’en vers[66] ». Aux coordonnées sans cesse changeantes, l’ici du sujet se rapporte néanmoins toujours à l’intériorité dans laquelle s’incorpore son phrasé. Du moins est-il certain que, dans le cas particulier de Débarcadères, plus d’un trait unit à ce niveau la pulsion migratoire du poète-voyageur et ces figures de l’américanité que sont les gauchos dont « la patrie est, bien plus qu’un morceau de la terre, leur cheval même, véritable foyer ambulant[67] » enfoncé au coeur des pampas.
Chez Supervielle, l’ici ne sert donc pas une localisation, déplaçable et transitoire, mais une déterritorialisation. Or, comme indicateur discursif, c’est par l’aller du voyage dont il est inséparable que l’adverbe doit de révéler sa valeur déictique qui défie spécialement la logique de l’écrivain : « Ici peut-il avoir une place dans un bateau en mouvement ? Sans doute a-t-il autant de sens dans l’espace que n’en a dans le temps une expression telle qu’“en ce moment” alors que le temps avance aussi à la façon de ce navire[68]. » Car ici n’est pas le lieu où je est, ce que serait dans sa permanence a priori déterminable et repérable un simple endroit (le navire ou l’océan sont ces endroits) ; il désigne plutôt le lieu où je s’énonce. L’auteur vérifie ainsi par l’absurde, en rendant coextensifs l’espace et le temps, le caractère indéfiniment changeant de la parole à l’image de la traversée. Le phrasé que se cherche le sujet est l’historicité (espace et temps conjugués) d’une voix sans cesse déterritorialisée. Du moins est-ce cette même mutabilité de la phrase qui sous-tend la scène de l’écriture en conclusion du « Voyage au Paraguay » :
C’est donc là tout ce qui reste au bout de plusieurs années d’un voyage aux tropiques : quelques têtes humaines, un grand fleuve, une vache, et toutes ces fenêtres ouvertes sans espoir de fraîcheur. Et je me retrouve écrivant à ma table de Paris, avec la même main qui prenait des notes là-bas. Mais est-ce bien la même[69] ?
Du « voyage en soi[70] » au voyage réel, l’ici toujours différent organise en son entier la relation du sujet au monde, qui pourrait se résumer selon deux adverbes dûment nominalisés par l’auteur, « le loin et le près[71] ». Il s’agit moins de polarités que des termes d’une graduation au sein de laquelle s’établit en priorité le dialogue du « Sud » et du « Septentrion[72] ». Entre le loin et le près se construit néanmoins un écartement plus fondamental, qui procure le sentiment de l’altérité, admis réflexivement par l’instance : « Que de fois je me suis vu comme un étranger[73] ! » Altérité à l’univers physique, dont la campagne uruguayenne est le révélateur premier, occasion « de toucher les choses du monde », moins à vrai dire les choses mêmes que la « leçon de choses[74] » filtrant par la connaissance le physique au sein du discursif. Altérité également aux sociétés et aux cultures comme aux autres et à soi-même. Chez Supervielle, le près et le loin provoquent, sous la forme d’une séparation intime, le « choc » d’un « regard[75] ». D’un côté, il libère les potentialités comiques de Poèmes, dotant le sujet des distances de l’humour en étranger qui évoquerait, face à l’américanité morale, les manières de la société coloniale ; de l’autre, il tend à partir de Débarcadères à défamiliariser par le « luisant Inconnu[76] » l’américanité sauvage contenue depuis Comme des voiliers, décentrant une nouvelle fois le sujet de l’ici de sa manière.
De Montevideo à Créolopolis : l’escale comique de Poèmes
S’il est vrai, comme le suggère Hiddleston, que par l’intermédiaire de l’humour Supervielle « s’approche de son moi » à l’époque de Poèmes, faut-il aussi voir cependant dans « Poèmes de l’humour triste » un « mouvement de recul » et dans « Le Goyavier authentique » de simples « esquisses[77] » ? Tandis que le comique, cet élément nouveau et décisif de l’oeuvre, se partage d’une section à l’autre entre l’humour triste et l’humour gai, dans les faits les deux aspects peuvent interférer. En outre, Supervielle marque un attachement explicite et continu à ce « carrefour de tons[78] », moins concentré peut-être dans sa poésie que dans ses contes par exemple, bien que le tardif « divertissement[79] » du « Mirliton magique » en trahisse sous une autre forme la permanence. S’adressant au seuil de la mort à l’enfance, sous les traits de sa petite-fille Laurence, Supervielle ne se contente pas pour ce texte de puiser dans le mauvais genre, de peu de valeur, et de souffler pour la circonstance dans la flûte à peau d’oignon. Il croise cet art à procédés aussi médiocres que visibles, dont s’étaient emparés les groupuscules fumistes de la fin du XIXe siècle, avec la tradition funambulesque de Banville, ainsi que le prouveraient les rimes passant en revue des noms fondateurs de la littérature (peigne :: Montaigne, soupirer :: Bossuet, chapeau :: Poe, remet :: Mallarmé, chausson :: Villon).
Le voyageur impertinent
Dès Poèmes, l’auteur s’applique à ce type de discordances associatives, « happ[ant] » des mots qui d’abord « tremblent » de se trouver « soudain ensemble » mais « s’accoutument peu à peu[80] » : un phénomène qui, d’après Sabine Dewulf, serait à mettre plus largement au compte de la « pansympathie des signifiants[81] ». À l’origine du rire, les discordances associatives se matérialisent en outre dans l’alternance des suites hétérométriques (« La Filanzane », « L’Arbre de grand restaurant », « Un pantalon, une tunique… », « L’arrivée », « Soir créole », « La surprise quotidienne », etc.) et l’emploi fiable ou suspect de formes codées telles que « Le Front contre la vitre ou le rondel qui n’en est pas un » ou les sonnets : « Mélancolies manutentionnaires, II », « Français en exil » et bien sûr « Le sonnet capital » dont la plaisanterie macabre, réglée sur le titre et la dédicace au bourreau, est préparée en amont par l’ouverture posthume des « Poèmes de l’humour triste » : « Horizontal, sans horizon » (OPC, p. 75) :
OPC, p. 93Les hautes oeuvres dont vous avez le souci,
Vous les exécutez en sage qui s’efface,
Et c’est sot de penser avec la populace
Que vous n’appréciez l’homme qu’en raccourci.
Or les dissonances, issues de formes hétéroclites, se relient à la persona que s’invente le sujet dans « Le Goyavier authentique » : son « rôle » de « voyageur impertinent » (OPC, p. 97), dont le propos se veut décalé quand il ne déjoue pas la raison de l’auteur ou celle des lecteurs.
Car sa parole « dérive incontinent » (OPC, p. 97) selon cette autre équivoque (un continent) qui fait de l’expérience sud-américaine une cible, entre réalité et illusion, aux mains du poète : « Ohé ! l’enchantement créole ! » (OPC, p. 97). D’un côté, l’humour se livre sans retenue, jusqu’à l’ivresse ; de l’autre, à cause de cet excès il met ludiquement (et non moins réflexivement) au jour les liens du comique à l’éthique : « Seigneur ! je suis lucidement irresponsable, / Et je jure ne plus savoir ce que je dis » (OPC, p. 98). Quoi qu’il en soit, l’escale par laquelle on « accoste » les terres, mais par laquelle le moi peut aussi s’« offrir » (OPC, p. 96) obliquement, a une double fonction. Le mouvement du voyageur rompt avec l’image statique du saule, celui qui incurve le « vouloir » (OPC, p. 58) du sujet, ou qui, par « narcissisme », ayant bien « pleuré » sur lui-même, « se plagie en l’eau d’un pré » (OPC, p. 79). Depuis la préface de Paul Fort aux Poèmes, il a été souvent rappelé combien l’humour et spécialement l’ironie se nourrissent chez Supervielle de la mélancolie, dont le saule et son reflet en bord de l’eau constituent parmi d’autres une représentation courante[82]. Il est non moins vrai que cette autre scène spéculaire travaille dans la perspective d’une non-coïncidence du moi avec lui-même pour le soustraire à l’adéquation identitaire de Brumes du passé et Comme des voiliers. En l’occurrence, le verbe « se plagie » ne sépare pas la reconnaissance duplicative et jouissive de soi (« narcissisme ») du geste de l’écriture fondé sur la copie de soi et la copie des autres pour immiscer les brouillages et les altérations de l’humour.
Sans doute le « voyageur ès-mélancolies[83] » répudie-t-il par la simple rime entre « céphalalgies » et « élégies[84] » la tendance de ses premiers recueils, ce que semble annoncer dès les premiers vers de Poèmes et sous un mot à signature laforguienne, la « complainte sourde » (OPC, p. 51). À l’inclinaison méditative d’un sujet « penché sur [s]es instants » (OPC, p. 52), auscultant et épuisant l’intime jusqu’au détail – ce que le locuteur appelle traduire en « langue nette » le moindre de « nos infinitésimaux » (OPC, p. 83) –, l’humour oppose encore le régime de l’incertitude. Une telle instabilité du sens ne permet toutefois de « rire jusqu’au bout » qu’en admettant simultanément la part qui revient à l’« émotion » du « vieillard Lyrisme » (OPC, p. 114). Cette polyphonie est probablement l’héritière des poétiques du XIXe siècle, de Baudelaire et Banville à Laforgue ou Rimbaud. Mais elle est d’autant plus nécessaire qu’elle met l’accent sur le coeur dont l’écrivain demeure malgré tout l’« interprète » (OPC, p. 83), ce coeur qui tour à tour « encombre » et « grimace » (OPC, p. 153) au terme des traversées exotiques et imaginaires de Débarcadères et achève de se dire « très allégé[85] ». Il reste que l’essentiel est encore ailleurs, dans le fait que l’humour constitue d’abord un usage critique de la parole qui tend à instaurer dans Poèmes un contre-sujet et une contre-manière à Brumes du passé et Comme des voiliers.
Ainsi, on ne s’étonne guère que, du « Poète amoureux » à « Un regard de lama », les textes qui concluent en particulier la section du « Goyavier authentique » mais également le volume en son entier sollicitent à contre-emploi la figure de l’artiste et son aptitude à « vraiment finir[86] ». Finir au « sens final, suprême », souligne avec une lourde redondance le locuteur, sans dissimuler quelque autre « commencement » (OPC, p. 119). À l’évidence, cette stratégie métatextuelle ne se limite pas aux mignardises de la rhétorique galante ; elle regarde en direction des recueils précédents, recréant l’historicité de la parole. En précieux ridicule, pauvre ou mauvais, le poète confesse un « absolu mea culpa », à quoi il est dûment répliqué pour lui fermer aussitôt la « bouche mièvre », parce qu’elle est seulement capable de proférer « des lieux communs » (OPC, p. 118-119) :
OPC, p. 119– Bref, après-la-pluie-le-beau-temps.
Pourquoi faut-il mauvais poète,
Que vous ayez mis si longtemps
Pour en venir à ce mot bête ?
À partir de Poèmes, cet anti-portrait agit pour faire apparaître un phrasé plus personnel en le déchargeant de la matière qui l’avait précisément entravé jusque-là. Mais si de tels lieux communs se révèlent d’abord à travers « une poésie de conversation[87] », banale et quotidienne, inspirée notamment des Complaintes comme il apparaît avec « Dialogue conjugal » ou « Le Galant fonctionnaire », ils participent surtout chez Supervielle d’une américanité qui se concentre sur la socialité coloniale.
Les manières coloniales d’une ville sublunaire
En effet, autour des paysages matériels et intérieurs l’occasion est prise d’abord de « badiner[88] » à coups de « petits poèmes décoiffés » (OPC, p. 101), en conjuguant le mode mineur à une apparence négligée, loin en tous cas de la rigueur et de la gravité qu’exigerait a priori le genre dont se réclame l’auteur (par ailleurs moins banalement qu’astucieusement livré à une indéfinition empirique : Poèmes). En plus d’être « sans prix intrinsèque », particulièrement lorsqu’on en compare l’économie symbolique aux échanges financiers réels, « placements en hypothèques » (OPC, p. 102), ou au circuit marchand des colonies, « ballots de laine et coton » (OPC, p. 101), le livre exhibe « les fils » (OPC, p. 102) de sa fiction, pour mieux s’assurer de la connivence de lecteurs démystifiés, en vertu du même principe de (pan)sympathie. Le désordre auquel ceux-ci sont conviés dénonce à l’instar des fumismes fin-de-siècle l’illusio littéraire s’il est vrai que « décoiffés » contient probablement une allusion indirecte aux Hirsutes de Jules Jouy[89] et à leurs non moins tapageurs et éphémères homologues (Je-m’en-foutistes, Hydropathes et Incohérents), dans lesquels l’humour de Laforgue s’était quant à lui enraciné. Mêlée à une voix d’« hurluberlu[90] », cette métaphore qui a trait à l’allure concrète du poème se module cependant à travers le recueil et, logée dans les détails les plus minutieux, y acquiert une valeur sensiblement différente. D’un côté, elle exerce un contrôle sur le lyrisme de la traversée et du retour, le tableau pittoresque : « Je ne sais plus rien qu’un voyage en mer, / Ce rocher au loin qu’une vague griffe / Et, subitement, d’écume ébouriffe / Et l’élément bleu sur l’élément vert » (OPC, p. 93). De l’autre, elle vise la comédie des moeurs locales, comme les préparatifs au miroir de Soledad attendant son soupirant et la « houppe espiègle, échevelée » (OPC, p. 115) de sa boîte de poudre de riz…
En fait de fiction, ce que visitent voyageur et lecteurs, c’est une « cité certes imaginaire » qui a nom Créolopolis, « mais que l’on dirait congénère » de « mainte ville sublunaire » (OPC, p. 102). L’allusion astrale n’est pas d’ordre métaphysique et se rapporte peut-être moins à l’auteur de L’Imitation de Notre-Dame la Lune qu’aux classiques voyages de Cyrano de Bergerac et leur relation dans l’Histoire comique des États et empires de la Lune et du Soleil. Sous l’espèce de l’utopie ou du monde inversé, qui appellent souvent les genres du conte et du roman, l’entreprise satirique s’en trouve explicitée ; et Supervielle de pasticher le pacte référentiel de ces récits : « N’allez pas faire l’enquêteur / Au Nord, au Sud de l’Équateur, / Pour voir où s’inspira l’auteur » (OPC, p. 100). Ce que suggérait par un biais contraire l’enchaînement (certes… mais) au titre d’une concession à la géographie du vague (maint) : la cité sublunaire est non seulement terrestre mais réelle. Créolopolis ne désigne rien d’autre que Montevideo sans toutefois se confondre absolument avec la cité uruguayenne. L’important est de percevoir dans ce microcosme l’« Amérique d’hyperbole » (OPC, p. 100) dont il est la réalisation quintessenciée. Exagérément vraie ou vraiment exagérée, la parole se place donc sous le signe de la déformation, s’il le faut de la traditionnelle caricature[91], parce qu’elle a en charge ce qui est « d’usage » (OPC, p. 76) dans la société coloniale, les rites conversationnels et les « civilités » (OPC, p. 101), ou ce que Débarcadères fixe plus tard sous le terme d’attitudes.
Il existe une différence majeure sur ce point entre les deux recueils. Les colons de Débarcadères forment une entité collective indistincte et conservent régulièrement l’anonymat :
Parmi le rigide envol des palettes de cactus,
c’est un groupe de colons envahis d’âpres espaces,
surveillés par un exil que ne cache pas la tente.
Un homme est monté sur un cheval long,
tenant un enfant à califourchon,
et nul ne bouge.
OPC, p. 145Auprès d’eux, robes claires, tombant droites, nul le vent,
robes claires de percales affrontant les éléments
dans la forestière étreinte,
ce sont femmes près d’un saule,
l’une, un oiseau sur l’épaule,
un cigare éteint à sa lèvre éteinte.
D’un sexe à l’autre, les colons sont saisis physiquement, à travers des schèmes posturaux ou des détails vestimentaires, dans une inertie symbolique, à la fois destructrice et mortelle, qui contraste doublement avec les itinérances continuelles du voyageur : « [A]u garde-à-vous de la mélancolie » (OPC, p. 146) dans « Colons sur le haut Paraná », accablés sous la chaleur, comme l’indique l’enjambement dans « Équateur » ils « n’osent / Bouger de peur de se blesser aux rais » (OPC, p. 127) du soleil. C’est qu’ils sont déjà captifs d’une terre dont ils ont intériorisé profondément la violence. Aux regards « traversés de lianes » comme à « la mémoire feuillue et déchirée de ronce » répond un « coeur attaché par une pauvre ficelle » (OPC, p. 146) : atteints à l’endroit le plus réactif de l’être, les colons renvoient l’image d’une humanité vulnérable et précaire, en état de survie, assimilée à la barbarie d’une nature dont elle n’est plus que le jouet. Par un effet analogue, le sujet préserve toutefois la distance qui le sépare des colons sous l’espèce d’un « nous[92] » non moins collectif mais de nature migrante, porteur des vitalités et des nouveautés de l’ailleurs, villes, pays et continents. Alors que ceux d’ici sont envahis « d’âpres espaces », le sujet projette une frontière, motivant ainsi l’écho qui met en tension « la rive » sur laquelle « pique » le navire et les « gestes » ou « attitudes » des colons qui « rivent » (OPC, p. 145) de leurs yeux les arrivants pour les destiner à la même immobilité fatale qu’eux.
En comparaison, les personnages de Créolopolis dans Poèmes sont résolument incarnés. L’énumération des noms propres, Concha, Célia, Dolorès, Inès, favorise le genre du vers onomastique qui a sa tradition (notamment théâtrale) depuis Hugo (« Que Don Tristan, Don Valentin et Don Arsène[93] ») et des parodies ciblées de Heredia : « Onze heures, c’est Doña Trinidad, de retour / De la messe. Une toque, avec de larges brides, / D’un bleu ciel, frais et doux comme un billet d’amour, / Encadre son visage onctueux et sans rides[94]. » À double entrée, le verbe « encadre » indexe l’optique de la peinture et subordonne encore le poème au primat de la représentation. Les noms propres ressortissent à des types sociaux : la mère de noblesse catholique, les galants, la jeune fille, le poète soupirant, le charcutier, le marchand d’oranges, la mauvaise élève. On mesure ce qu’il est advenu de la poésie réaliste à la manière de Coppée à laquelle Brumes du passé empruntait. On saisit mieux aussi l’écart franchi de Poèmes à Débarcadères. Car dans l’univers « moelleux » (OPC, p. 105) qu’est Créolopolis, trompant l’ennui par la rumeur publique ou les codes amoureux, à l’exemple du mirador dont Trinidad fait un éloge très cornélien :
OPC, p. 113C’est de mon mirador que je connus Arsène
Il y a quelque vingt-cinq ans ;
C’est à son mirador qu’il voyait sa Chimène
Don Rodrigue, le Castillan.
Ce qui compte est le simulacre ou la démonstration de soi : « Señoritas de-ci, Señoritas de-là, / Falbalis, falbalas[95]. » Au fondement des manières, indissociables de valeurs telles que l’apparence ou la distinction, se trouve le principe de l’être-perçu dont le corps est le premier révélateur, le « flux voluté de graisse[96] » de Trinidad inversant les « bras absents » et les « jambes creuses[97] » des colons du Río Paraná.
Le poétique et l’ethnique
Dans la cité, Trinidad endosse le rôle paradigmatique de l’américanité. En plus d’être « virtuose dans l’art de ne penser à rien[98] », elle devient un raccourci de vanité. Mais « si créole » qu’elle apparaisse « en sa sérénité » (OPC, p. 103), elle l’est avant tout par inconscience – une parodie vivante et involontaire. Ses manières qui en imposent au Tout-Créolopolis trahissent, malgré qu’elle en ait l’esprit des « Amériques provinciales » (OPC, p. 101), une imitation dérisoirement locale, détournée et fantasmée, des mondanités et des civilités en cours dans les métropoles. Il reste que, de Poèmes à Débarcadères, Supervielle entend par créolité le sens premier du mot, c’est-à-dire les habitudes et les parlers des Blancs, d’ascendance hispanique mais originaires des colonies, et rattache par conséquent une vision ethnique à l’expression des manières. De l’Uruguay le narrateur de Boire à la source note dans un premier temps l’air « singulièrement racé », « quelle exaltation dans le type brun, très brun, blond, très blond, pâle ou foncé », concluant au « triomphe de la race blanche » ; dominante cependant nuancée par les « mélanges[99] » qui s’y découvrent. Ces mélanges encore perceptibles aux « réminiscences internationales » dont les rues sont pleines, du cocher et son accent de la Corogne aux tramways d’Angleterre ou d’Allemagne, ne sont pas si simplement synonymes de cosmopolitisme. Ils sont plutôt comparables aux « millions d’essences » – ces arbres de Madagascar, de la Chine ou du Canada – qui entourent le voyageur et forment « l’authentique, l’homogène forêt de la Terre[100] ». De même que la nature dans « Retour à l’estancia » sert dans sa ruse barbare d’interprétant à la parole poétique, c’est à cette identité envisagée comme métissage que le sujet se mesure : « Où sommes-nous donc ? Nous sommes partout à la fois[101]. » En sa topographie, ses pays et ses cultures, l’américanité se représente donc comme cette migration perpétuelle qui, on l’a vu, distingue la manière de Supervielle.
Pourtant, cette américanité est traversée à part égale de contradictions. Car les créoles que vise la satire des petits poèmes décoiffés font surtout figure de société oisive et fortunée, sans que Supervielle passe sous silence leurs activités lucratives fondées sur une hiérarchie discriminatoire des races et l’exploitation économique. Lorsque l’auteur déclare inversement aimer « le message différé des noirs », leurs « chansons » et leurs « plaintes », ce n’est pas pour l’agrément exotique du voyageur, ni même seulement par quelque culpabilité liée à l’histoire de l’esclavagisme ; mais à cause de leur « façon de ne pas être, au premier abord », des manières diamétralement opposées aux Blancs de Créolopolis, pour mieux leur rappeler ensuite qu’ils sont « d’une couleur différente[102] ». Cette altérité muette, têtue et persistante, dont Supervielle regrette qu’elle soit devenue plus rare qu’à son époque, lui semble une condition nécessaire des sociétés : « Heureux les pays où il y a aussi des nègres. On se lasse vite des blancs avec leurs visages pâlots de minuit[103]. » Cette couleur déclinée sous le terme péjoratif et raciste, explicitement colonial – « nègres » et non plus « noirs » – n’est pas un supplément aux genres ethniques de l’Europe et de l’Occident ; elle soustrait définitivement l’identité à la logique du même. De la satire des colons à l’éloge des Noirs, il n’y a pas cependant antinomie, et c’est ce qui explique que l’humour est moins acide que sympathique chez Supervielle. Ce qui s’énonce cum grano salis doit se comprendre cum grano amoris : le poème travaille ce par quoi il est travaillé, « tous ces Uruguay qui sont en moi, ou si près de moi », entre lesquels faute de « recul » ou même à distance il est impossible de « choisir[104] ».
Du moins est-il certain que par l’entremise de l’humour le sujet peut se jouer de son « exotique tourment[105] » et des clichés coloniaux, les retournant même symboliquement au profit de l’écriture et de ses valeurs : « Ô bonheur de se montrer franc / Comme un noir en costume de blanc, / Ou comme une goutte de sang » (OPC, p. 101). À la première lecture, cette exclamation au lyrisme feint s’apparente à une antiphrase. De même que le Noir se dénature en s’habillant de blanc, par ses équivoques et ses duplicités l’humour de Poèmes semble l’exact contraire de la franchise et s’abstient de traduire le moi dans sa pleine authenticité, il le retient. Mais par une ironie au carré, l’énoncé s’expose à une lectio difficilior : à cause de sa nature polyphonique, l’humour est peut-être le meilleur des moyens que le sujet ait à sa disposition pour dire la vérité de son identité, comme le Noir ne révèle jamais mieux la sienne qu’en contrefaisant les signes de la race blanche et en se rendant d’autant plus visible. Les variations comiques de Poèmes ne sont ni un accident ni une transition mais les opérateurs même du recommencement et de la continuation dans l’oeuvre de Supervielle. C’est bien parce qu’il est ce carrefour de tons (triste, ludique, satirique, parodique ou gai) que l’humour est à même d’initier la question du ton réel – cette voix juste que (se) cherche l’écrivain. En coordonnant l’ethnique et le poétique, le phrasé en devenir de Supervielle désigne un point d’impureté et de mélange dont procédera dorénavant son identité, une identité tout à la fois éthique et littéraire.
« Labour » et « petit trot » : Débarcadères, un phrasé épique ?
Dans Débarcadères, ce devenir s’accomplit dans la figure héroïque du gaucho, légende vivante et sauvage des plaines désertiques de la pampa. Au coeur de l’espace, ses chevauchées permettent au sujet de « [s]e situer[106] » et lui donnent l’assurance de son identité. À titre plus fondamental, elles lui indiquent le sens de son aventure, cette piste pleine de « trous » et de « crevasses[107] ». Car le retour à l’origine et à soi ne se place pas uniquement sous le signe de la répétition (« retrouve », « revenu », « revoir »), il se combine à une progression ouverte et illimitée : « J’avance sous un soleil qui ne craint pas les intempéries[108]. » La course à cheval désigne une mise à risque de soi, capable d’affronter les dangers, les obstacles et les aléas, et de miser sur l’imprévisible. Mais c’est bien parce qu’il fait corps avec ce qui est devenu désormais son milieu, la nature la plus hostile et la plus désespérante, que le sujet peut lui signifier ce qu’il s’adresse en vérité à lui-même : « [T]u ne ressembles qu’à toi-même » (OPC, p. 128). C’est dans ce cadre que le gaucho représente effectivement le double de l’écrivain. Qu’il soit mobilisé ou en observation, « droit sur son cheval bien forgé[109] » à l’image d’une statue ou d’une effigie glorieuse, en lui réside toujours « le sens de la grandeur », un air « naturel[110] » empreint de solitude et d’indépendance, qui donne à la poésie de Supervielle sa dimension littéralement épique.
Or ce sens de l’aventure se manifeste au rythme nouveau d’un phrasé dont la course révèle là encore le modèle : « Le petit trot des gauchos me façonne[111]. » Il importe de noter que la préoriginale du texte, « Retour dans la pampa », parue le 12 juillet 1921 dans le New York Herald mais datée de février 1920, contient cette variante : « Le petit trot gaucho me rythme. » D’un côté, le nom devenu épithète met au jour l’amalgame par glissement métonymique entre l’animal et le gardien de troupeaux ; de l’autre, la substitution des verbes, de « rythme » par « façonne », fait valoir non certes une équivalence mais une implication voire une réciprocité des termes. Si l’amble du cheval donne au phrasé son allure par mouvements alternatifs, c’est en diminuant aussitôt sa vitesse modérée. Le trot apparaît certes comme un relais éthique de la modestie du poète. Mais il se traduit par un rythme mesuré et équilibré qui, évitant la lenteur et la rapidité, attache au phrasé une attitude de maîtrise. Or ce rythme déroule le processus par lequel l’instance s’individue et prend forme dans les textes. D’un verbe à l’autre, la substitution est tout sauf marginale, elle convoque de multiples résonances. L’acception spécialisée du mot dans le domaine agricole n’est certainement pas à exclure, cette opération qui consiste à ameublir, nettoyer ou retourner le sol pour permettre à une culture de naître et de croître dans des conditions favorables. Mais comment donner des façons à une terre « poussive », sinon sèche et aride, qui « efface, l’hiver, ce qu’elle fit pendant l’été » (OPC, p. 129) ? Comment laisser le phrasé prendre « racine » au lieu d’une « greffe[112] » fragile et provisoire, sa constante déterritorialisation se mesurant à une difficile et nécessaire territorialisation ?
Dans le continuum qui unit nature et culture, le parallèle conserve évidemment chez Supervielle une signification artistique. Au service déjà de la longue allégorie de la création dans La Fable du monde, le Dieu de « Genèse » est encore celui qui « façonnait de sa pensée » à « des distances infinies » ce qu’il n’avait pu créer « de ses mains[113] ». Et l’auteur l’illustre par le topos très classique du deus pictor :
Et Dieu se révéla tout de suite comme un grand peintre de paysages aux perspectives sans fin et qui ne voulaient rien savoir d’un cadre, / Un peintre de portraits en pied autour desquels on pouvait tourner, et si ressemblants, / Qu’ils en étaient doués de la parole et des larmes.
OPC, p. 524
Débarcadères en livre une version moins christianisée, le soleil sous lequel avance le cavalier se servant « de ses pots de couleur locale toute fraîche / pour des ciels de plein vent qui vont d’une fusée jusqu’au zénith[114] ». Rapporté au champ empirique du texte, ce qui « façonne » ne désigne rien d’autre pour Supervielle que la matière se faisant manière par le truchement d’une subjectivité, capable de « défaire » et « refaire » – « à sa guise[115] ». Et c’est encore par ce mot qu’en s’efforçant de bâtir « un vers […] à sa façon[116] », marqué d’une irréductible individualité, l’auteur rend compte du paradoxe de l’art. « Inventer un univers à sa guise, à sa mesure », inspiré par les visages « les plus aimés, les plus quotidiens » est le gage même de la liberté créatrice ; mais cette autonomie a un coût sous l’espèce du retrait et de la solitude, dont l’illusion première serait la souveraineté du moi, la conséquence extrême de « cet égoïsme d’autant plus cruel qu’il est involontaire[117] » et surtout nécessaire étant la rupture et l’isolement. Sous le ton, la guise ou la façon s’établit la mesure d’un sujet qui ne suffit pas au phrasé si elle n’est pas destinée à être finalement la mesure de tous. Il lui faut donc retourner au commun dont elle procède pour créer les conditions à double sens de ce que Supervielle appelle « l’hospitalité du poème » : non seulement les fables, les angoisses, les rêves qui l’accueillent et, par lui, prennent forme mais également ces « lèvres inconnues » qu’il accueille et par lesquelles ses « phrases[118] » à leur tour circulent, l’instance s’ouvrant de nouveau au « monde extérieur[119] » sans toutefois renoncer à sa solitude.
Du moins est-ce à ce niveau que le phrasé charge l’intime d’un sens politique. Car ce qui « façonne » désigne enfin ce qui instruit des coutumes et des comportements, et modèle même une certaine qualité sociale. En lui attribuant son rythme, le gaucho est aussi celui qui donne au sujet plus qu’une façon d’être ou d’agir – des façons entendues comme pluriel interne ou singulier collectif – celles que s’invente et s’attache l’oeuvre. Des façons souvent étrangères à la plupart des « humaines façons[120] » qui expliquent par exemple que, par-delà le mythe romantique de la malédiction, Supervielle tienne les poètes pour ceux qui ne savent rien, sinon que « faire aller à la dérive » et « dérange[r] nos manies[121] », spécialement les manies des pouvoirs et des États. Or ces façons le sujet les apprend moins en société qu’à travers les « figures difficiles[122] » de la pampa, qu’il s’agisse des « os d’un boeuf proprement blanchis par les vautours ou les aigles » ou d’« une odeur de bête fraîchement écorchée[123] » qui tord le nez. La culture du sujet qui s’énonce d’abord comme critique de la culture (et non absence de culture) est à l’image des bouviers illettrés d’Amérique du Sud, ces hommes « simples, solennels et sensibles[124] » qui pensent « avec maladresse », ne disposant que « de quelques centaines de mots[125] ». Si l’« expression » habituelle du gaucho se réfugie dans ses yeux ou autour de sa bouche, c’est qu’à l’instar du poète en ses récidives, saisi dans la gestuelle incertaine d’une continuation depuis Brumes du passé, Comme des voiliers et Poèmes, lui aussi « voudrait pouvoir mieux dire[126] »… C’est en tous cas grâce à cette communication complexe, à la fois empêchée et essayée, que le sujet se tourne vers les « rudes amis d’une autre race, ayant d’autres habitudes, avec lesquels on peut causer[127] » – ciel, soleil et nuages – se dotant d’un nouvel espace commun, le mot « race » impliquant par-delà la diversité anthropologique la diversité élémentaire comme les catégories animales et végétales. C’est par ce dialogue qu’il parvient également à décoloniser peu à peu la culture et la poésie[128], en liant émancipation et dispersion de soi.
Écrire un phrasé enfin « à son goût[129] », susceptible de mettre le sujet à l’écoute de sa « vivante rumeur[130] », voilà qui permet en effet non seulement de reculer ces horizons[131] à l’instar du gaucho « mâch[ant] de l’espace[132] » comme une drogue, mais plus encore d’en « déménage[r] » l’angoissante fermeture ou « fixité[133] ». Il convient sur ce point de lire une dernière fois le texte disposé à l’entame de Débarcadères qui associe l’horizon et la traversée maritimes au principe poétique de la ligne et à la mémoire du vers. Car il s’agit peut-être davantage d’une unité rythmique – visuelle-accentuelle –, liée à l’histoire du vers régulier et du vers-libre, que d’un verset au sens strict, emprunté pour partie à Claudel et démarqué en italiques dans les premières versions du recueil[134]. Dans l’édition de 1922, « Comme un boeuf au labour… » occupait la section liminaire « Centre de l’horizon marin » suivie de « La Pampa » qui comptait « Retour », « Le Gaucho », premier texte en vers composé en 14-s à scansion 7-7, et « La Piste ».
Comme un boeuf bavant au labour
le navire s’enfonce dans l’eau pénible,
la vague palpe durement la proue de fer,
éprouve sa force, s’accroche, puis,
déchirée,
s’écarte ;
à l’arrière la blessure blanche et bruissante,
déchiquetée par les hélices,
s’étire multipliée
et se referme au loin dans le désert houleux
où l’horizon allonge
ses fines, fines lèvres de sphinx.
Les deux cheminées veillant dans un bavardage de fumée,
le paquebot depuis dix jours,
avance vers un horizon monocorde
qui coïncide sans bavures
avec les horizons précédents
et vibre d’un son identique
au choc de mon regard qui se sépare de moi,
comme un goéland, du rivage.
OPC, p. 123-124Ô mer qui ne puise en soi que ressemblances,
et qui pourtant de toutes parts
s’essaie aux métamorphoses,
et vaine, accablée par sa lourdeur prolifère,
se refoule, de crête en crête, jusqu’au couperet du ciel,
mer renaissante et contradictoire,
présence fixe où hier tomba un mousse
détaché d’un cordage comme par un coup de fusil
présence dure qui, la nuit,
par-delà les lumières du bord et la musique cristalline,
et les sourires des femmes,
et tout le navire, rêves et bastingage,
vous tire par les pieds
à six mille mètres de silence
où l’eau rejoint une terre aveugle pour toujours
dans un calme lisse et lacustre, sans murmures ;
Ô mer, qui fait le tour du large,
coureur infatigable,
quelle nouvelle clame-t-elle
dans l’atmosphère avide où ne pousse plus rien,
– pas une escale, pas un palmier, pas une voile, –
comme après une déracinante canonnade ?
Bien entendu, la comparaison du navire au boeuf « bavant au labour », outre qu’elle anticipe les realia sud-américaines, instaure d’emblée une osmose et même un trouble matériels, « désert houleux », « terre aveugle », « atmosphère avide où ne pousse plus rien », que trame le restant du volume depuis les « tanguantes frondaisons[135] » et la boue polluante « où chavirent les lointains[136] » jusqu’aux « mâts » dressés « en pleine ville[137] » de Marseille. Mais le travail lent et pénible de l’animal annexe de manière allusive les sillons du versus, que l’auteur s’abstient de nommer lui préférant une « blessure blanche et bruissante ».
D’un côté, à mesure que le navire « s’enfonce » et « avance » sur la mer « coureur infatigable », comme le fera dans les mêmes termes le chevaucheur de retour à l’estancia, un tempo et un rythme se trouvent impulsés, auxquels le trot du gaucho donnera son allure définitive et adéquate. De l’autre, un tel rythme s’inscrit dans le registre de la mortalité, la blessure appelant le « couperet du ciel » et la chute du mousse au même titre que le coup de fusil suivi de la canonnade finale qui donne au texte sa pointe. Tandis qu’elle met à distance les prosodies traditionnelles, la poétique de la ligne qui s’invente ici à mesure que progresse le dire s’organise sur le mode de la séparation et de la déliaison comme le signale l’écho de « déchirée », « déchiquetée », « détaché » et « déracinante » à « désert ». Si l’enjeu concerne un phrasé défini comme ce « rythme qui devra être d’autant plus exigeant qu’il n’est soutenu ni par la rime ni par un mètre fixe[138] », c’est à lui, au travail de discernement qui le caractérise, qu’est désormais confiée la « ligne de l’horizon » comme « limite précise et pourtant incertaine[139] ». Il reste que dans Débarcadères cet horizon allonge de « fines, fines lèvres de sphinx[140] » : à peine perceptibles, celles-ci font de la ligne une parole en puissance qui conserve le silence de l’énigme et, obligeant le sujet à l’interroger, provoque à rebours la sienne. Il apparaît ainsi que l’énigme de l’horizon achève de se confondre avec l’énigme de soi, dénonçant la part obscure du sujet. Mais il n’en sort guère qu’un effet « monocorde » ou un « son identique », qui en requalifient l’être comme ce lieu non-lieu de la coïncidence parfaite, en cela distinct de l’acte de création. À cette netteté ou pureté « sans bavures » répond très précisément l’effort du paquebot-animal « bavant au labour », l’énergie de la coupure graphique et rythmique qui tient ensemble sens et sujet.
Le phrasé qu’inaugure Débarcadères est ce qui par la ligne introduit au milieu des « ressemblances » cette présence « renaissante et contradictoire » conjuguant l’altération à l’altérité, ce qui « s’essaie aux métamorphoses ». En plus des italiques de la version originale, le facteur discriminatoire majeur du texte est sans conteste sa ponctuation, qui tend dans la suite du recueil à varier fortement : la décapitalisation du vers en ligne et, inversement, le maintien des bornes visuelles (majuscule, point) de l’énoncé. Ce qui suffit à en situer la pratique : d’une part, le primat de la phrase qui « s’étire multipliée » au gré des segmentations et laisse entendre l’« ampleur » d’un phrasé sans les anciennes « amputations[141] » métriques ; de l’autre, le maintien de cette phrase dans un moule classique reconnaissable, auquel s’ajoutent un effet de périodisation signalé pour chaque séquence par un point-virgule et l’inversion de chaque mouvement (majeur – court / long vs mineur – long / court) ainsi qu’une organisation rhétorique binaire (parallélisme du « comme » ; anaphore du « Ô mer »). De fait, à l’exception de quelques décrochements spectaculaires (adjectif « déchirée » ou verbe « s’écarte »), syntaxe et ligne concordent généralement, que ce soit pour les frontières propositionnelles (« la vague palpe durement la proue de fer, / éprouve sa force, s’accroche […] » ; « à six mille mètres de silence / où l’eau rejoint une terre aveugle ») ou les limites syntagmatiques (« le paquebot depuis dix jours, / avance vers un horizon monocorde »), quand les marques de ponctuation ne viennent pas redoubler les discontinuités des blancs ou les joncteurs modérer la technique de l’enjambement (« et se referme au loin […] » ; « et tout le navire, rêves et bastingage […] »).
Cette tension interne au phrasé, travaillant par les contre-rythmes de sa « lourdeur » l’agencement syntaxique et rhétorique d’un modèle traditionnel de la phrase, en fait du même coup l’historicité. Elle traduit une étape critique propre à l’oeuvre de Supervielle. Car entre le « son identique » qu’y rend l’horizon, le « bavardage de fumée » des cheminées et la « musique cristalline » à bord, c’est en priorité au statut et plus encore à l’événement d’une parole qu’à l’évidence s’adresse le texte, une parole dont il guette la « nouvelle » derrière les signaux absents de « l’atmosphère » ou le « silence » macabre et vide des profondeurs. Au fond, il n’importe pas tellement que la phrase de Supervielle « s’étire » en phrasé dans ce texte en particulier. Dans Débarcadères et les ouvrages ultérieurs, elle s’actualise également au moyen de formes brèves de même qu’elle ranime les régularités du vers. Sous l’action rythmique des lignes et des blancs, autant de points virtuels de poéticité, l’essentiel est plutôt qu’elle en ressorte chaque fois « multipliée » et, quelle qu’en soit la forme, qu’elle tienne (et retienne) cette multiplicité interne du sujet en résistance à la logique « monocorde » qui toujours l’encercle et menace par sa fixité de se « referme[r] » sur lui. En passant du labour au petit trot, le sujet se met précisément en chemin de ce phrasé qui l’assure à la fois de sa mort et de sa naissance, ayant pour cette raison même le pouvoir de le « préserver des posthumes faiblesses » comme l’entrevoyait lucidement Poèmes, et de le garantir « d’usure et de vieillesse » pour donner à son « oeuvre inquiète[142] », à ses récidives et à ses continuations, les mots qui lui survivent.
Parties annexes
Note biographique
Arnaud Bernadet est Associate Professor au Département de langue et de littérature françaises de l’Université McGill. Ses travaux portent sur la théorie du langage et la théorie de la littérature, spécialement sur la poésie et le théâtre du XIXe au XXIe siècle. Il a publié « En sourdine, à ma manière ». Poétique de Verlaine (Classiques Garnier, 2014) et dirigé avec Bertrand Degott La Corde bouffonne. De Banville à Apollinaire, Études françaises, nº 51-3 (Presses de l’Université de Montréal, 2015). Son dernier essai, à paraître en 2018 chez Classiques Garnier, s’intitule : La Phrase continuée. Variations sur un trope théorique.
Notes
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[1]
« En songeant à un art poétique », Naissances, dans Jules Supervielle, Oeuvres poétiques complètes, édition publiée sous la direction de Michel Collot, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1996, p. 560. La référence à l’ouvrage sera abrégée désormais en OPC.
-
[2]
« Visages de la rue… », Les Amis inconnus, OPC, p. 339.
-
[3]
« Paysages de France », Poèmes, OPC, p. 63.
-
[4]
Supervielle s’en ouvre à Jean Paulhan dans une lettre du 22 août 1955. Au même destinataire, le 20 février 1956, il fait part d’un ensemble, De tout bois, vers récents et anciens. On se reportera sur ce point à la notice de L’Escalier, OPC, p. 995-996.
-
[5]
Notes manuscrites inédites, OPC, p. 659.
-
[6]
Les Poèmes de l’humour triste, Paris, À la Belle Édition, 1919.
-
[7]
Poèmes, OPC, p. 54.
-
[8]
« En songeant à un art poétique », Naissances, OPC, p. 562.
-
[9]
« Visages de la rue… », Les Amis inconnus, OPC, p. 339.
-
[10]
« En songeant à un art poétique », Naissances, OPC, p. 560.
-
[11]
« Le doute suit mes vers comme l’ombre ma plume », Poèmes, OPC, p. 53.
-
[12]
Boire à la source, Paris, Gallimard, 1951, p. 24.
-
[13]
Ibid., p. 57.
-
[14]
Ibid., p. 58.
-
[15]
Ibid., p. 57-58.
-
[16]
Ibid., p. 126.
-
[17]
« Le doute suit mes vers comme l’ombre ma plume », Poèmes, OPC, p. 53.
-
[18]
« En songeant à un art poétique », Naissances, OPC, p. 564.
-
[19]
Lettre à Étiemble du 22 décembre 1944, dans René Étiemble et Jules Supervielle, Correspondance (1936-1959), Paris, SEDES, 1969, p. 158. Abrégé désormais en E.
-
[20]
Lettre du 16 juillet 1938, E., p. 17.
-
[21]
Dans Pierre Varillon et Henri Rambaud, Enquête sur les maîtres de la jeune littérature, Paris, Librairie Bloud & Gay, 1923, p. 199.
-
[22]
Id.
-
[23]
Id.
-
[24]
Lettre du 7 juin 1948, E., p. 141.
-
[25]
Dans Varillon et Rambaud, op. cit., p. 200.
-
[26]
Voir la lettre du 8 décembre 1939 et celle reçue mais non datée le 17 octobre 1940, E., p. 37 et p. 55.
-
[27]
Naissances, OPC, p. 560.
-
[28]
Dans ses Notes, le poète des Complaintes consigne : « Aujourd’hui tout préconise et tout se précipite à la culture exclusive de la Raison, de la logique, de la conscience – / La culture bénie de l’avenir est la déculture, la mise en jachère. Nous allons à la dessication : squelettes de cuir, à lunettes, rationalistes, anatomiques » (Jules Laforgue, Oeuvres complètes. Oeuvres et fragments posthumes, édition établie par J.-L. Debauve et al., Lausanne, L’Âge d’homme, 2000, t. III, p. 1159).
-
[29]
Dans Les Dits modernes, nº 1, août 1919, extrait d’un poème-hommage à Laforgue cité par Tatiana W. Greene, Jules Supervielle, Paris / Genève, Droz / Minard, 1958, p. 70.
-
[30]
« L’Arbre-Fée », Le Corps tragique, OPC, p. 621.
-
[31]
Naissances, OPC, p. 561.
-
[32]
Rapportée par Michel Collot dans sa notice de Naissances, Archives Paulhan / IMEC, OPC, p. 992. Voir également la lettre à Étiemble du 8 août 1941, E., p. 82.
-
[33]
Naissances, OPC, p. 562-563.
-
[34]
« Sans nous », 1939-1945, OPC, p. 429 : « Et que je ne serai plus une ruche visitée par la poésie. »
-
[35]
Autre métaphore classique, dans une réponse à la revue Messages d’Orient publiée au Caire, en 1926 : « Je vous avouerai que je n’ai pas subi jusqu’ici l’appel de l’Orient. Peut-être étais-je trop occupé à digérer la France et l’Amérique du Sud » (cité dans E., p. 184). Le mot souligné par Supervielle traduit en même temps que les rapports de la poésie à la culture cette difficile et lente assimilation qui le conduit à Débarcadères et L’Homme de la pampa.
-
[36]
Naissances, OPC, p. 565.
-
[37]
Les Dits modernes, nº 1 (août 1919), dans Tatiana W. Greene, op. cit., p. 70.
-
[38]
Id.
-
[39]
Id.
-
[40]
Id.
-
[41]
« Je relisais mes vers… », Poèmes, OPC, p. 54.
-
[42]
« Supervielle entre deux mondes », OPC, p. XV et, sur la même question, les notices de Comme des voiliers, Poèmes et Débarcadères.
-
[43]
« Chant de l’exposition » (traduction de Louis Fabulet) dans Walt Whitman, Poèmes, Paris, Gallimard (Poésie), 1992, p. 127. Il s’agit de la reprise de l’édition de 1918, Oeuvres choisies, qui contient des traductions de Jules Laforgue, Francis Vielé-Griffin, André Gide, Jean Schlumberger, Valery Larbaud et Louis Fabulet. En 1914, Louis Balzagette donne une version française de Poèmes pour le compte des Éditions de l’Effort libre / Rieder et Cie, et assure une traduction intégrale d’après l’édition définitive des Feuilles d’herbe en 1922 au Mercure de France.
-
[44]
Ibid., p. 125.
-
[45]
Ibid., p. 132.
-
[46]
Ibid., p. 126.
-
[47]
Ibid., p. 131.
-
[48]
Ibid., p. 126.
-
[49]
Débarcadères, OPC, p. 128.
-
[50]
« Débarcadères. Notice », OPC, p. 714.
-
[51]
OPC, p. 129.
-
[52]
Poèmes, OPC, p. 70.
-
[53]
Débarcadères, OPC, p. 129.
-
[54]
« Dialogue avec Jeanne », 1939-1945, OPC, p. 426.
-
[55]
« Prière à l’inconnu », Le Corps tragique, OPC, p 612.
-
[56]
Le Forçat innocent, OPC, p. 272.
-
[57]
« Dialogue avant le voyage », OPC, p. 84. Cette identité ludiquement empruntée au héros grec doit être rapportée à la « ruse barbare » de « Retour à l’estancia ».
-
[58]
La Fable du monde, OPC, p. 368.
-
[59]
« Colons sur le haut Paraná », Débarcadères, OPC, p. 147.
-
[60]
« Retour à Paris », Débarcadères, OPC, p. 151.
-
[61]
« Terres rouges », Débarcadères, OPC, p. 135.
-
[62]
Propos tenus à René Richard, « Les Débarcadères de Jules Supervielle », Revue de l’Amérique latine, nº 3 (1er mars 1922), p. 264. Cité dans OPC, p. 704. Voir également Boire à la source (op. cit., p. 37) : « J’ai beaucoup trop rôdé dans d’autres parties du monde et ne me sens vraiment d’aucune province. »
-
[63]
« Serai-je un jour… », Débarcadères, OPC, p. 139.
-
[64]
Le Corps tragique, OPC, p. 612.
-
[65]
Naissances, OPC, p. 563.
-
[66]
« Mes veines et mes vers », 1939-1945, OPC, p. 461.
-
[67]
Boire à la source, op. cit., p. 64.
-
[68]
Ibid., p. 166.
-
[69]
Ibid., p. 222.
-
[70]
Poèmes, OPC, p. 51.
-
[71]
« Le Mort en peine », 1939-1945, OPC, p. 446.
-
[72]
« À mes filles restées en France », Le Corps tragique, OPC, p. 614.
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[73]
« Je serai franc… », Poèmes, OPC, p. 52.
-
[74]
Boire à la source, op. cit., p. 56.
-
[75]
Débarcadères, OPC, p. 123.
-
[76]
« Terres rouges », OPC, p. 135.
-
[77]
James A. Hiddleston, L’Univers de Jules Supervielle, Paris, José Corti, 1965, p. 23-24.
-
[78]
Lettre du 7 juin 1954, E., p. 152.
-
[79]
Le Corps tragique, OPC, p. 628.
-
[80]
« Mais voici venir les Créoles… », OPC, p. 100.
-
[81]
Sabine Dewulf, Jules Supervielle ou la connaissance poétique, Paris, L’Harmattan, 2000, t. II, p. 202.
-
[82]
Voir par exemple Jean Starobinski, La Mélancolie au miroir. Trois lectures de Baudelaire, Paris, Julliard, 1989.
-
[83]
« Dialogue avant le voyage », OPC, p. 84.
-
[84]
« Il est mort le temps des céphalalgies / Et des élégies » (« Vers les pays créoles », OPC, p. 93).
-
[85]
« La Chanson du baladin », OPC, p. 156.
-
[86]
Poèmes, OPC, p. 119.
-
[87]
« Retour d’Uruguay », dactylogramme d’une conférence donnée au musée de l’Homme, 4 février 1947, cité dans OPC, p. 682.
-
[88]
Poèmes, OPC, p. 114.
-
[89]
Voir le récit de fondation du groupe par Léo Trézenik, Les Hirsutes, Paris, Léon Vanier, 1884.
-
[90]
Poèmes, OPC, p. 114.
-
[91]
Ainsi du charcutier Ducasse « le gilet bedonnant », « la joue en galantine » et « le nez cuit de vin » (« Français en exil », OPC, p. 107).
-
[92]
« Colons sur le haut Paraná », OPC, p. 145. À noter que ce « nous » contraste avec « tous ces agglomérés humains » que forment les passagers de « Paquebot » (OPC, p. 125).
-
[93]
« Soir créole », OPC, p. 105.
-
[94]
« Doña Trinidad », OPC, p. 103.
-
[95]
« Éloge du mirador par Doña Trinidad », OPC, p. 112. Il est possible de songer également ici à la parodie de Georges Fourest, La Négresse blonde, parue chez Messein pour la première fois en 1909. C’est de son mirador que Chimène en deuil aperçoit « l’assassin de Papa ! ». Merci à Bertrand Degott pour cette suggestion.
-
[96]
« Soir créole », OPC, p. 105.
-
[97]
Débarcadères, OPC, p. 146.
-
[98]
« Soir créole », OPC, p. 105.
-
[99]
Boire à la source, op. cit., p. 100-101.
-
[100]
Ibid., p. 102.
-
[101]
Id.
-
[102]
Ibid., p. 189.
-
[103]
Ibid., p. 190.
-
[104]
Ibid., p. 125.
-
[105]
« Le Filanzane », Poèmes, OPC, p. 77.
-
[106]
« Retour à l’estancia », OPC, p. 128.
-
[107]
« La Piste », OPC, p. 131.
-
[108]
« Retour à l’estancia », OPC, p. 129.
-
[109]
« Le Gaucho », OPC, p. 130.
-
[110]
Boire à la source, op. cit., p. 94.
-
[111]
« Retour à l’estancia », OPC, p. 128.
-
[112]
« Le doute suit mes vers comme l’ombre ma plume », Poèmes, OPC, p. 53.
-
[113]
Oublieuse mémoire, OPC, p. 523.
-
[114]
OPC, p. 129.
-
[115]
« Derrière trois murs… », La Fable du monde, OPC, p. 393.
-
[116]
« Interrogations », Oublieuse mémoire, OPC, p. 532.
-
[117]
« Chercher sa pensée », Le Corps tragique, OPC, p. 654.
-
[118]
Les Amis inconnus, OPC, p. 300.
-
[119]
OPC, p. 654.
-
[120]
« Lui », L’Escalier, OPC, p. 576.
-
[121]
« Anniversaire. Hommage au poète Julio Herrera Y Reissig (pour l’anniversaire de sa mort) », Oublieuse mémoire, OPC, p. 525.
-
[122]
Boire à la source, op. cit., p. 24.
-
[123]
Débarcadères, OPC, p. 128.
-
[124]
Boire à la source, op. cit., p. 93.
-
[125]
Ibid., p. 91.
-
[126]
Id.
-
[127]
Débarcadères, OPC, p. 129.
-
[128]
C’est aussi probablement dans cette optique que doit s’interpréter dans « Retour à Paris » le refus de mettre en ordre, à l’imitation d’un collectionneur, les souvenirs qui assaillent pourtant le sujet au même titre que les accessoires de son âme, emblématiquement ce « masque des colonies » offert par « une famille d’indigènes » (OPC, p. 152).
-
[129]
« Denise, écoute-moi… », Poèmes, OPC, p. 63.
-
[130]
« Voyageur, voyageur… », Débarcadères, OPC, p. 139.
-
[131]
Sur ce motif capital de l’oeuvre, souvent commenté, voir l’étude séminale de Michel Collot, « Du vertige de l’horizon aux horizons verticaux », L’Horizon fabuleux, Paris, José Corti, 1988, t. II, p. 71-100.
-
[132]
Boire à la source, op. cit., p. 91.
-
[133]
« Le Gaucho », Débarcadères, OPC, p. 130.
-
[134]
Sur le statut formel du verset chez Supervielle, voir OPC, p. 709.
-
[135]
« Vers la ville », OPC, p. 126.
-
[136]
« Retour à l’estancia », OPC, p. 129.
-
[137]
« Marseille », OPC, p. 141.
-
[138]
Réponse à l’enquête de Varillon et Rambaud (op. cit., p. 201).
-
[139]
« Impressions de haute mer », Poèmes, OPC, p. 61.
-
[140]
« Comme un boeuf bavant… ». Dans l’édition de 1922, sphinx comportait une majuscule.
-
[141]
Dans Varillon et Rambaud, op. cit., p. 201.
-
[142]
« Ô mots, mots bienheureux… », Poèmes, OPC, p. 54.
Références
- Collot, Michel, « Du vertige de l’horizon aux horizons verticaux », L’Horizon fabuleux, Paris, José Corti, 1988, t. II, p. 71-100.
- Dewulf, Sabine, Jules Supervielle ou la connaissance poétique, Paris, L’Harmattan, 2000, t. II.
- Étiemble, René et Jules Supervielle, Correspondance (1936-1959), Paris, SEDES, 1969.
- Grenne, Tatiana W., Jules Supervielle, Paris / Genève, Droz / Minard, 1958.
- Hiddleston, James A., L’Univers de Jules Supervielle, Paris, José Corti, 1965.
- Laforgue, Jules, Oeuvres complètes. Oeuvres et fragments posthumes, édition établie par J.-L. Debauve et al., Lausanne, L’Âge d’homme, 2000, t. III.
- Starobinski, Jean, La Mélancolie au miroir. Trois lectures de Baudelaire, Paris, Julliard, 1989.
- Supervielle, Jules, Boire à la source, Paris, Gallimard, 1951.
- Supervielle, Jules, Les Poèmes de l’humour triste, Paris, À la Belle Édition, 1919.
- Supervielle, Jules, Oeuvres poétiques complètes, édition publiée sous la direction de Michel Collot, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1996.
- Trézenik, Léo, Les Hirsutes, Paris, Léon Vanier, 1884.
- Varillon, Pierre et Henri Rambaud, Enquête sur les maîtres de la jeune littérature, Paris, Librairie Bloud & Gay, 1923.
- Whitman, Walt, Poèmes, Paris, Gallimard (Poésie), 1992.