Entretiens

La revue Critique : contribution à une République mondiale des lettres. Entretien avec Philippe Roger[Notice]

  • Fang Zhang et
  • Jia Zhao

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  • Fang Zhang
    Université de Zhejiang, Chine

  • Jia Zhao
    Université de Zhejiang, Chine

Dans cet entretien, Philippe Roger, directeur de la prestigieuse revue française Critique, a retracé l’histoire de cette revue, depuis sa création en 1946 par l’écrivain français Georges Bataille, jusqu’à son évolution de nos jours, en passant par les années durant lesquelles elle était dirigée par Jean Piel. Philippe Roger dessine la ligne conductrice de cette revue tout en précisant la politique renforcée à chaque étape de l’histoire de la revue. Il s’agit non seulement d’un rappel de l’histoire de la revue, mais aussi de celle des vicissitudes de la vie culturelle française depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous nous intéressons particulièrement au sort de la revue actuelle et au rôle qu’elle joue dans la vie intellectuelle de France. Il a participé aussi à d’autres revues, notamment à La Critique sociale de Boris Souvarine, non sans y susciter des tensions qui, dans le cas de Souvarine, allèrent jusqu’à la rupture. Dans l’avant-guerre, il lui plaisait d’intervenir dans un style et sur des sujets qui ne pouvaient pas vraiment être reçus dans les organes de presse déjà existants. Donc, il fallait créer les revues. C’est alors vraiment l’idée d’intervention qui prime pour lui. Mais il faut distinguer ces revues d’avant-guerre de Critique. Avant la guerre, pour reprendre une métaphore de Michel Foucault − qui parlait de la « vérité-foudre » −, on pourrait dire que c’étaient des « revues-foudre». C’est très vrai de Documents et c’est encore plus vrai d’Acéphale. Après la guerre, Bataille sait que le paysage intellectuel est bouleversé ; et lui-même sans doute a changé. Si les revues d’avant-guerre étaient des « revues-foudre », on peut dire de Critique que c’est une revue-bibliothèque − et aussi une revue de bibliothécaire… Dans son principe d’abord, puisque c’est le principe du compte rendu. Son titre a failli être très austère : Bataille voulait d’abord l’appeler Critica, en latin. On lui a objecté − ses éditeurs en particulier − que, tout de même, un titre en latin, c’était peu moderne ; et donc il est passé à Critique. Mais il n’a pas cédé sur le sous-titre, qui figure encore aujourd’hui sur la couverture : « Revue générale des publications françaises et étrangères »… Nous avons gardé ce sous-titre, nous avons gardé le principe bibliographique, tout en « thématisant » davantage nos numéros. Partir des parutions, cela fait partie intégrante du projet de Critique et cela reflète aussi le désir « bibliothécaire » de Bataille, à la Libération. Bataille, on le sait, a exercé toute sa vie le métier de bibliothécaire, à Orléans, à Carpentras, à Paris. Il se donne donc, après la guerre, un modèle qui est très inattendu pour ceux qui ont connu le Bataille d’avant-guerre. Dans le petit milieu qui connaît Bataille, on est surpris de ce passage des « revues-foudre » à une revue qui a un modèle explicitement érudit : le fameux Journal des savants. Le Journal des savans (on écrivait savans sans t, à l’époque) est la plus vieille revue d’Europe encore existante ; il est né en 1665. Bataille, en 1944-1945, fait donc un nouveau rêve, à l’autre extrémité de l’éventail des revues, un rêve d’austérité, si j’ose dire. Critique sera aux antipodes de l’originalité graphique de Documents, ou du caractère cryptique de certains textes de Minotaure ou d’Acéphale, ou des analyses politiques de La Critique sociale. Ce sera une revue savante. Ce qui veut dire aussi une revue qui exclut les textes dits « de création »… Sur l’extrême difficulté des premières années, nous disposons depuis peu d’un témoignage passionnant, grâce à la …

Parties annexes