Présentation[Notice]

  • François-Emmanuël Boucher,
  • Sylvain David et
  • Maxime Prévost

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  • François-Emmanuël Boucher
    Collège militaire royal du Canada

  • Sylvain David
    Université Concordia

  • Maxime Prévost
    Université d’Ottawa

Le monde a peur. L’imaginaire social occidental se définit aujourd’hui, en grande partie, par la terreur : nos discours (et, de plus en plus, nos pratiques) sont ceux de l’État d’exception, voire de l’État de siège, c’est-à-dire ceux de la guerre perpétuelle contre un ennemi dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est fuyant. Giorgio Agamben estime que les démocraties occidentales évoluent actuellement « vers quelque chose qu’il faut, d’ores et déjà, appeler État de sécurité », ce dernier mot ayant si profondément pénétré le discours politique que « l’on peut dire, sans crainte de se tromper, que les “raisons de sécurité” ont pris la place de ce qu’on appelait, autrefois, la “raison d’État” ». Force est de constater qu’une telle évolution avait été annoncée par tout un pan de l’invention romanesque, porteuse mais surtout révélatrice d’inquiétudes latentes et historiquement déterminées. Luc Boltanski remarque à cet égard que : Le présent dossier prend pour hypothèse que le roman d’espionnage institue, dès ses origines, les mécanismes d’un tel imaginaire de la terreur et préfigure ses glissements ultérieurs. L’histoire de cette littérature objective que la terreur a été intériorisée, de telle sorte que ce qui devait, à la Belle Époque, être clairement présenté comme anxiogène est désormais tenu pour acquis, posé a priori comme horizon sur lequel se découpent les luttes, les enjeux, les conflits nationaux et supranationaux ; l’État, voire la paix sociale, est par essence menacé. Qu’est-ce que la terreur ? C’est l’idée, avalisée par le collectif anonyme, selon laquelle nous sommes menacés ; là où il y a collectivité, il y a menace, face à laquelle on accepte le principe qu’il faille réagir, qu’on ne puisse la laisser suivre son cours naturel sans que l’ensemble du corps social ne soit compromis. Elle se manifeste initialement dans le roman, puis, de manière exponentielle, dans le cinéma, les informations télévisées, l’ensemble du discours journalistique et géopolitique. Elle est un phénomène fondamentalement narratif qui engendre du discours à l’infini. En cherchant à la rationaliser, on ne peut que générer de l’anxiété, donc de la terreur ; la terreur est, forcément, circulaire. Comment cette évolution est-elle liée à celle du roman d’espionnage ? L’auteur d’Énigmes et complots souligne avec raison que les récits porteurs d’un tel imaginaire de la terreur figurent parmi les représentations les plus répandues, et donc les plus significatives, que nous nous sommes collectivement données : Comme Jacques Dubois avant lui, il invite, de manière très convaincante, à traquer la modernité à travers le roman policier puis le roman d’espionnage : le « paradigme de l’indice », et donc de l’enquête (Arthur Conan Doyle, A Study in Scarlet, 1887), se double ainsi d’un paradigme du terrorisme (Joseph Conrad, The Secret Agent, 1907) et du complot (John Buchan, The Thirty-Nine Steps, 1915), dont la durable fascination révèle une angoisse collective qui ne prend pas toujours conscience d’elle-même, face à la marche du monde et de ses transformations successives au cours de la modernité. Qu’en est-il de notre postmodernité ? Si le mythe est bien « l’objectivation de l’expérience sociale de l’humanité », comme le voulait Ernst Cassirer, on pourra se demander ce qu’objective la vitalité d’une telle mythologie au sein de l’imaginaire social contemporain. Dès l’oeuvre de Jules Verne, le personnage du terroriste pénètre la littérature, et qui plus est la littérature destinée à la jeunesse, donc celle qui forgera l’imaginaire des jeunes lecteurs de la Troisième République (Vingt mille lieues sous les mers, 1870 ; Face au drapeau, 1896). Cet imaginaire est celui de la menace collective issue de « savants fous …

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