Résumés
Résumé
En replaçant dans l’histoire de la critique – et, plus largement, dans celle des conceptions musicales – les premiers textes que Jacques Rivière consacre à l’œuvre de Claude Debussy, je me propose de (re)lire ces derniers comme les traces discursives des processus de mutations qui ont lieu dans la presse musicale à l’orée du XXe siècle. Je postule d’abord que Rivière, héritier des conventions rhétoriques mises en place au XIXe siècle, use de sa connaissance de la littérature symboliste comme d’un tremplin d’accès vers la musique de Debussy. Par la façon dont le mouvement de son écriture vient épouser la forme et la ligne mélodique de l’esthétique du compositeur, Rivière parvient, d’une part, à adapter son discours à l’objet qu’il décrit – ce que j’ai appelé le « dévouement à l’objet » –, et d’autre part, à outrepasser la dialectique d’une critique impressionniste ou techniciste tout en transformant le texte en un « donné-à-entendre ». La critique musicale acquiert dès lors une nouvelle fonction, intermédiaire entre l’expérience du concert et les lecteurs de La NRF, de sorte que les modalités du discours se modifient elles aussi. Cependant, comme partout chez Rivière, celles-ci ne peuvent se passer du filtre nécessaire à tout accueil esthétique : l’amour.
Abstract
In the context of the history of critique and, more broadly, that of the musical discourse, this article looks at Jacques Rivière’s early writings on Debussy’s music, viewed here as illustrating the evolution of music critique at the turn of the 20th century. Starting with the argument that Rivière, a student of 19th C. rhetorical conventions, draws on his knowledge of symbolist literature as a springboard to Debussy’s music, this article reveals how the writer matches his words to the composer’s aesthetics. In so doing, Rivière not only adapts his discourse — devoting himself — to its topic, he also frees himself from the dialectics of impressionist or technical critique by turning his text into an “as-heard” account. Music critique thus takes on the added role of buffer between concertgoers and readers of La NRF, altering discursive modalities in the process. However, as with everything Rivière, these must be infused with the one prerequisite to aesthetical acceptance: love.
Parties annexes
Références
- Alain-Fournier, [Henri], Le Grand Meaulnes, Miracles, Paris, Garnier (Classiques Garnier), 1986.
- Barthes, Roland, Fragment d’un discours amoureux, Paris, Éditions du Seuil (Tel quel), 1977.
- Barthes, Roland, L’Obvie et l’Obtus, Paris, Éditions du Seuil (Points essais), 1982.
- Benveniste, Émile, « Sémiologie de la langue », Semiotics, vol. I, n° 1 (1969), p. 1-12.
- Bratfisch, Juliana, « “L’envie de l’intermezzo” : une métaphore pour l’écriture barthésienne » [en ligne], Revue Roland Barthes, n° 1 (2014) [http://www.roland-barthes.org/article_bratfisch.html].
- Cerisier, Alban, Une histoire de La NRF, Paris, Gallimard (NRF), 2009.
- Corneau, André, « Musique », Le Matin, 1er mai 1902, p. 2.
- Debussy, Claude, « La Revue blanche, 1er avril 1901 », Monsieur Croche et autres écrits, Paris, Éditions Gallimard (NRF), 1971.
- de Schloezer, Boris, « Jacques Rivière et la musique », La Nouvelle Revue française, vol. 24, n° 139 (avril 1925), p. 618-629.
- Escal, Françoise, « Le debussysme de Jacques Rivière », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 87, n° 5 (octobre 1987), p. 837-857.
- Feyel, Gilles, La Presse en France des origines à 1944. Histoire politique et matérielle, Paris, Ellipses (Infocom), 2007 [1999].
- Furness, Raymond, Wagner and Literature, New York, Manchester University Press / St. Martin’s Press, 1982.
- Gaboriaud, Marie, « La critique musicale au début du XXe siècle : discours spécialisé ou littérature ? » [en ligne], intervention lors de la journée d’étude des doctorants de l’école doctorale 3, Formes de la critique littéraire (Paris-Sorbonne, 4 février 2012) [http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/Gaboriaud_critique_musicale.pdf].
- Jarrety, Michel, La Critique littéraire française du XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
- Kelly, Barbara L., « Originalité et tradition : Pelléas et la bataille pour la musique française (1902-1920) », dans Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin (dir.), Pelléas et Mélisande cent ans après : études et documents, Lyon, Symétrie (Palazzetto Bru Zane : centre de musique romantique française), 2012, p. 113-124.
- Koffeman, Maaike, Entre classicisme et modernité : La Nouvelle Revue française dans le champ littéraire de la Belle-Époque, Amsterdam, Rodopi (Série Faux titre), 2003.
- Koffeman, Maaike, « La naissance d’un mythe. La Nouvelle Revue française dans le champ littéraire de la Belle-Époque », Études littéraires, vol. 40, n° 1 (2009), p. 17-36.
- Lockspeiser, Edward, Claude Debussy, Paris, Fayard, 1980.
- Macé, Marielle, « “Nous attendons un roman qui sera…” : histoire littéraire et imminence dans le premier XXe siècle », The Romanic Review, vol. 100, n° 1-2 (2010), p. 55-66.
- Mauriac, François, « Je dois quelques explications… », La Table ronde, no 76 (avril 1954), p. 126.
- Molino, Jean, « Quelques hypothèses sur la rhétorique au XIXe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 80, n° 2 (1980), p. 181-192.
- Raymond, Marcel, Études sur Jacques Rivière, Paris, Librairie José Corti, 1972.
- Reibel, Emmanuel, L’Écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, Paris, Librairie Honoré Champion (Musique – Musicologie), 2005.
- Rivière, Jacques, Études (1909-1924) – L’oeuvre critique de Jacques Rivière à La Nouvelle Revue française, édition établie par Alain Rivière, Paris, Gallimard (Cahiers de la NRF), 1999.
- Rivière, Jacques, « Reprise dePelléas et Mélisande », La Nouvelle Revue française, no 28 (avril 1911), p. 623-625.
- Schopenhauer, Arthur, Le Monde comme volonté et comme représentation, Paris, Gallimard (Folio essais), 2009.
- Sève, Bernard, L’Altération musicale, ou ce que la musique apprend au philosophe, Paris, Éditions du Seuil (Poétique), 2002.
- Stravinsky, Igor, Chroniques de ma vie, Paris, Éditions Denoël, 2000 [1935].
- Wagner, Richard, « Beethoven », La Revue blanche, vol. XXVI (1901), p. 37-54.