Débat

Réponse à Alain Vaillant[Notice]

  • Mathieu Belisle

Je tiens à remercier Alain Vaillant d’avoir accepté de lire mon livre et de se prêter à cet échange. C’est un honneur de lui répondre dans les pages d’Études littéraires. Ses commentaires témoignent de l’ampleur de sa pensée et de la richesse de sa culture. J’ai été frappé par la finesse de ses remarques et par l’attention généreuse qu’il accorde aux détails de mon argumentation, à laquelle il offre des perspectives très larges, qui embrassent aussi bien l’histoire de la littérature que l’histoire de la culture et de la civilisation. Sans lui être interdites, de telles perspectives ne sont pas toujours d’un accès facile au jeune doctorant, lui qui travaille le nez collé sur son objet de recherche (et sur son écran d’ordinateur), au milieu des liasses de notes et des piles de romans qui jonchent son bureau en désordre, compagnes muettes de son quotidien. En ce sens, les remarques de Vaillant, y compris lorsqu’elles prennent la forme de réserves ou d’objections, témoignent toujours d’un point de vue ouvert, offrant à mes travaux un éclairage précieux dont je compte profiter lors de recherches futures. Je suis particulièrement reconnaissant du sort que Vaillant réserve à la drôlerie, notion dont il atteste la valeur théorique, en ce qu’elle pose, écrit-il, « le problème crucial du lien entre l’énergie du rire et les processus imaginatifs ». La drôlerie n’est pas un concept hégélien, loin s’en faut, mais elle a le mérite de décrire un phénomène qui demeure largement sous-estimé dans les études portant sur le rire, phénomène qui veut que les oeuvres comiques ou humoristiques soient aussi le plus souvent des oeuvres irréalistes. Les romans d’Aymé, de Cohen et de Queneau, tout comme, d’ailleurs, ceux de Rabelais, de Cervantès, de Voltaire et d’Anatole France, se distinguent par ce que l’on pourrait appeler, à la suite de Leo Spitzer, leur « irréalisme bouffon ». Jusqu’ici, la critique a plutôt eu tendance à voir dans le rire le moyen d’accéder à un réalisme plus saisissant ou plus âpre. Cela vient du fait que les oeuvres comiques traitent de la dimension prosaïque de l’existence, de ce que Bakhtine appelle le « bas matériel », qu’elles ont pour fonction de mettre en évidence les travers et les vices humains. Certes, le rire met au jour les illusions, les mensonges, les tromperies ; il jette sur la réalité une lumière crue. On le sait, la « laideur », aussi bien physique que morale, est le domaine privilégié de la comédie. Pourtant, de manière générale, le rire parvient à ce dévoilement de la manière la moins réaliste qui soit, c’est-à-dire par le jeu, par la liberté revendiquée à l’égard des « lois » de la réalité, par l’expression du non-sérieux. Cette observation oblige notamment à repenser la définition que Lukács donne du roman, dans lequel il voit « la forme de la virilité mûrie ». L’étude du drôle de roman montre que le genre est aussi le lieu d’expression de l’immaturité, que l’ardeur juvénile s’affirme aussi bien dans le traitement de la réalité que dans son étonnante capacité de renouvellement formel. Les principales objections et réserves d’Alain Vaillant à l’égard de mon travail soulèvent des questions très fortes, des questions que j’ai dû affronter tout au long de mes recherches et qui touchent essentiellement aux orientations théoriques et méthodologiques. La première objection, à laquelle je répondrai plus loin, concerne le rapport à l’histoire de la littérature et, plus spécifiquement, la primauté accordée au temps long sur le temps court. La seconde objection, à laquelle je souhaite m’attarder en premier lieu, concerne le privilège donné à l’approche …

Parties annexes