Postface

L’architecture « à même »[Notice]

  • Élodie Laügt

Le problème que posent à tout auteur ou à tout éditeur la préface et la postface d’un livre est que, situées à l’orée des textes qu’elles ont pour fonction d’encadrer elles signalent leur appartenance à l’ouvrage, sans jamais toutefois faire réellement partie de l’ensemble. C’est ce que signale Jacques Derrida dans ce qu’il appelle un « archipel d’aphorismes », d’abord conçu, justement, comme préface à d’autres textes portant eux-mêmes sur la relation de la philosophie et de l’architecture. Or cette préface est maintenant reproduite, sans ce qu’elle avait d’abord pour fonction de préfacer, dans l’ouvrage publié par Galilée, Psyché. Inventions de l’autre II, rassemblant divers textes du philosophe, la référence à son contexte de départ étant seulement maintenue par une note de bas de page. Ce geste par lequel l’édition s’empare des textes de Derrida et les repositionne, à la fois par rapport à ceux des autres et entre eux, réactive tout particulièrement la question de la préface telle que le philosophe la pose : Parallèlement, ou à l’autre bord du livre, pourrait-on dire, dans un jeu de miroir dont tout ce qui les sépare aura travaillé à décaler la perspective de vis-à-vis, la postface elle aussi, est habitée par la question de son auteur, sa fonction, son sens. C’est ce que rend visible — dans une sorte jeu de répons de Nicholas Royle à Jacques Derrida, d’un genre à un autre et d’une langue à une autre — l’afterword de Quilt : « (…) une postface [afterword] (celle que je commence à imaginer ici) est une chose assez folle dans laquelle tout peut arriver. Elle peut aller n’importe où. » À travers la question du sens de la préface et de la postface se pose alors celle de savoir de quel ensemble les textes font eux-mêmes à leur tour partie. En effet, tout en participant à constituer l’ensemble, les textes n’ont de cesse, de par leur caractère hétérogène et les différences qui ont justement motivé leur rassemblement, de lui échapper. Chacun des textes de ce volume, et cela est d’autant plus prégnant que son auteur est chaque fois différent, ne cesse ainsi de dessiner un horizon nouveau à l’ensemble. De fait, si chaque texte s’organise autour de la notion d’architecture, la définition qu’il en propose peut lui être singulière et le texte littéraire dont il offre l’analyse est différent. L’on peut même concevoir que la définition de l’architecture que chaque article propose est différente des autres, du fait, justement, que le texte dont il est la lecture (par exemple Kamouraska, À la recherche du temps perdu ou encore Le pays) est lui-même singulier. Ce que l’architecture reçoit de la littérature dans le même mouvement qu’elle rend elle-même possible l’agencement des mots, des phrases et des chapitre, est ce qui fait de la visibilité de tel ou tel ouvrage, sa lisibilité. En outre, si les horizons ainsi constitués paraissent, et ce nécessairement, sinon reculer du moins se redéfinir à mesure que le lecteur avance, le lieu par rapport auquel ces horizons se meuvent, point que l’on pourrait qualifier de lieu de départ, semble devoir échapper à toute localisation. Ainsi, l’endroit où le lecteur entamait le premier texte — et peut-être n’a-t-il pas commencé par le premier texte du recueil ; peut-être « son » premier texte n’était-il pas le nôtre — n’était pas le seul possible. La liberté du lecteur à l’endroit de l’ouvrage serait donc en un sens la même que celle du visiteur d’un bâtiment qui aurait plusieurs entrées. Voilà quelques-unes des interrogations auxquelles, après Jacques Derrida en particulier, aucun texte, …

Parties annexes