Études

Présentation : Écrire rougeDe la guerre perpétuelle en Afrique francophone[Notice]

  • Alexie Tcheuyap

L’observation de la production culturelle contemporaine donne le net sentiment que la consommation de la violence semble être l’une des conditions primordiales de l’émergence des oeuvres de l’esprit. Les records de vente et d’écoute ne semblent jamais plus garantis que lorsque la violence est au tableau, et le volume des jouets ou autres gadgets militaires conçus ou commercialisés l’atteste encore davantage. Cette culture de la mort est encore renforcée par l’actualité exceptionnellement convulsive de ces dernières années qui a révélé deux faits principaux : le déchaînement d’intégrismes en tous genres et l’exacerbation de la vocation expansionniste de l’empire américain. L’insécurité devient la chose la mieux partagée, les « guerres intelligentes » sont diffusées en direct, ce qui permet de mieux conditionner les esprits en dépit des innombrables « dégâts collatéraux » étonnamment invisibles dont sont victimes les faibles, par ailleurs presque toujours coupables. L’Afrique elle-même n’est pas en reste. Elle compte les guerres les plus longues et les plus anciennes du monde. Si l’Érithrée est devenue paisible après son indépendance, si l’Afrique australe a fini par se libérer, il demeure toujours des zones chaudes dont on ne peut prévoir l’avenir avec certitude : le Soudan et le Congo « Démocratique ». Il faut également y inclure des pays où une paix fragile tente de s’instaurer après certains drames qui peuvent redémarrer à chaque instant : le Congo, le Rwanda, le Burundi. D’autres pays sont menacés de secousses diverses en permanence : l’Algérie ou le Sénégal, par exemple. Ne mentionnons pas les déchaînements quotidiens liés aux revendications démocratiques dans de nombreux pays. Dans un tel contexte, les écrits francophones africains, et principalement le roman, n’échappent pas totalement à ce schéma et offrent leur part au rendez-vous esthétique de l’horreur. Certes, la culture des pays développés offre, par ses gadgets et sa culture de masse, des images terribles de violence, comme dans Le Seigneur des anneaux. Mais on peut relever d’emblée une différence fondamentale : la violence dans les faits culturels au Nord peut être interprétée comme le résultat d’un « surdéveloppement » qui conduit à l’invention d’un nouveau type de récits et de représentations où le fantastique est important. Il s’agit d’une violence surtout ludique, alors que les romans africains font de la violence une expérience humaine parfois fatale, et non pas forcément culturelle. Le spectateur ou le lecteur du Nord voit, regarde la violence qu’il ne vit pas forcément comme celui d’Afrique. Dès lors, le discours romanesque devient porteur de cette expérience de la douleur, « des limites », du sang. La littérature se confirme de plus en plus, et on le voit depuis quelques années, comme une littérature de la guerre. Des écrivains comme Chinua Achebe, Mongo Beti ou Matala Mukadi Tshiakataumba avaient déjà romancé leur remarquable vision, parfois au prix de leur existence, en annonçant de grandes catastrophes avec une rare acuité. Il existe aussi, désormais, une série d’écrits « documentaires » qui ont plutôt suivi les tempêtes qui se sont abattues sur le continent où la guerre se fait aussi bien avec les canons, les avions et les gaz importés qu’avec les machettes comme au Rwanda. De telle sorte qu’on peut désormais établir, et c’est l’un des arguments de ce dossier, les éléments constitutifs d’une rhétorique du sang comme principe récurrent de nombreux romans africains francophones. Au vu de cela, lier l’avènement du guerrier ou le limiter aux productions récentes ne rend pas justice à une littérature qui est née dans la violence et qui semble y être acculée par la conjugaison du (néo)colonialisme, des dictatures imbéciles, des dérives « ethniques » et des enjeux …