Volume 34, numéro 3, été 2002 Émile Ollivier Sous la direction de Christiane Ndiaye
Sommaire (12 articles)
Études
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Émile Ollivier : enracinerrant de Notre-Dame-de-Grâce
Thomas C. Spear
p. 15–27
RésuméFR :
Cette étude met en question le statut de l’écrivain « marginal », choisissant le nom d’un quartier de Montréal pour décrire la « marge » d’où il écrit, se situant comme un trait d’union entre Haïti et le Québec, le rêve et la réalité. L’oeuvre d’Émile Ollivier est considérée dans son ensemble, imbriquant les frontières entre l’essai et la fiction, entre le concret et l’imaginaire. Le terme « enracinerrant » (de Jean-Claude Charles) est employé pour décrire cette oeuvre où l’on trouve « l’enracinement dans l’errance ». « Enracinerrant » comme beaucoup de ses personnages, Ollivier est un auteur plus « migrant » que « marginal », un explorateur de la parole aux appartenances différentes et multiples.
EN :
The title of this essay uses Jean-Claude Charles’s neologism, “ enracinerrant ”, to describe Emile Ollivier’s writings (taken as a whole) that are both “ rooted ” and “ wandering ” between spheres of the real and the imaginary, in works of fiction as well as in critical essays. The name of the Montreal neighbourhood where the author lives is used to question his “ marginal ” status and to focus on the hyphenated identity of this “ rooted migrant ” who operates, as do many of his characters, from a standpoint of differing, multiple identities and imaginations, both Haitian and Québécois.
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Quand Erzulie investit l’espace de Maria Chapdelaine…
Éloïse A. Brière
p. 29–37
RésuméFR :
Les nouvelles de Regarde, Regarde les lions, dernière oeuvre d’Émile Ollivier, reflètent une logique de la non-identité. Déterritorialisation, mémoire, et tentatives de recentrement en sont leur moteur. Comment narrer l’errance et ses suites ? Ollivier nous offre une nouvelle figure narrative : sorte de passeur culturel, néo-québécois et haïtien à la fois, qui assure la lisibilité du palimpseste haïtien désormais incorporé à la culture néo-québécoise.
EN :
Émile Ollivier’s final collection of short stories, Regarde, regarde les lions, reflects a logic of non-identity. Their driving forces are deterritorialization, memory, and attempts at re-integration. How is one to narrate restless wandering and its consequences ? Ollivier offers us a new narrative figure : a sort of cultural smuggler, both neo-Québécois and Haitian, who makes intelligible the Haitian palimpsest now inscribed with neo-Québécois culture.
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On ne revient pas indemne de l’étonnement haïtien
Yves Chemla
p. 39–48
RésuméFR :
Mille eaux, le recueil de souvenirs d’enfance d’Émile Ollivier, montre de façon exceptionnelle qu’on ne revient pas indemne de l’étonnement haïtien. Inscrivant au coeur du texte, comme au coeur de son existence initiale, dans la thématique et dans l’écriture, les nombreuses failles qui ravinent les représentations du champ social haïtien, l’auteur se situe résolument dans un entre-deux des langues et des cultures qui fonde une solitude paradoxale : cette situation lui permet d’approcher au plus près et de nommer ces représentations, mais en même temps l’oblige à s’en détacher. Les figures marquantes de la séparation et de l’exil, de l’écart et de la marginalisation vont ainsi de pair avec celles de l’exubérance lyrique de la description, illustrée notamment par les images du flux et de l’écoulement traversé, celui des Mille eaux.
EN :
Mille eaux, the collection of Émile Ollivier’s childhood memories, demonstrates exceptionally well that one does not shake off the commotion of Haiti without a scrape or two. In terms of theme and the handling of theme, the author inscribes, at the very centre of both the text and his first existence, the numerous fault lines running through representations of Haitian society. So doing, Ollivier resolutely locates himself in a no-man’s-(is)land between languages and cultures that is the basis of a paradoxical solitude : this locus is the scene of a “cleaving” in both, opposing senses of the word, wherein he is able to embrace and name these representations while having, simultaneously, to detach himself from them. The signature figures of separation and exile, of distance and marginalization, go hand-in-hand with the figures deriving from the lyrical exuberance of description, as illustrated in particular by the thousand waters of Mille eaux and its images of the movements of the tides and the outpassage.
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Au-delà de l’île : Haïti dans l’oeuvre d’Émile Ollivier
Joëlle Vitiello
p. 49–59
RésuméFR :
Cet article examine les diverse figures de l’exil, les transformations de celui-ci, et les transformations de la représentation d’Haïti dans l’oeuvre romanesque d’Émile Ollivier. C’est tout un roman familial qui se tisse entre le récit autofictif Mille eaux et les romans à travers une quête archéologique, archivale, ethnologue où s’entrecroisent l’imaginaire et le symbolique. À travers l’écriture, la transcription de récits entendus, inventés, imaginés, l’île natale se transforme, et la chronique, familiale et historique, voyage également à travers des images spécifiques.
EN :
This article examines the various figures of exile, the transformations of exile, and the transformations of the representation of Haiti in the novels of Émile Ollivier. Quite a “ Familienroman ” (saga novel) is woven out of the autofictional narrative Mille eaux and Ollivier’s novels, via an archaeological, archival, and ethnological quest in which the imaginary and the symbolic intertwine. Through the writing and the transcription of accounts heard, invented, and imagined, the native island is transformed, with the familial and historical chronicle travelling abroad by means of specific images.
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Ollivier : le baroque au féminin (Vers une nouvelle esthétique du roman haïtien)
Christiane Ndiaye
p. 61–71
RésuméFR :
L’oeuvre d’Ollivier présente plusieurs caractéristiques pouvant être qualifiées de « baroques ». Cette étude examine le rôle que jouent les personnages féminins dans la construction du baroque dans Mère-Solitude et Les urnes scellées. Par ailleurs, pour mieux évaluer l’évolution de l’esthétique du roman haïtien telle qu’elle se manifeste dans ce baroque chez Ollivier, cette lecture cherche à faire ressortir l’écart qui se manifeste par rapport à la représentation du personnage féminin dans l’esthétique du réalisme merveilleux. Ainsi apparaît-il que le féminin participe à l’élaboration d’un univers imaginaire déchiffrable, sensé et porteur d’espoir, dans le réalisme merveilleux, alors que le baroque crée des « urnes scellées » impénétrables à travers lesquelles s’exprime l’angoisse devant l’inconstance du monde, un monde insaisissable, insensé. Le baroque apparaît alors, chez Ollivier, comme une esthétique de l’incertain et du questionnement qui déconstruit les discours rassurants par une technique de fabrication d’images incongruës.
EN :
Ollivier’s works have several characteristics that can be considered “ baroque ”. This study examines the role of female characters in the construction of this baroqueness in Mère-Solitude and Les urnes scellées. At the same time, and in order to better assess the evolution of the aesthetics of the Haitian novel, as manifested in the baroque aspect of Ollivier’s works, this analysis seeks to contrast the representation of female characters in his oeuvre with that typifying the aesthetics of marvellous realism. It would appear that in marvellous realism the feminine contributes to the elaboration of a decipherable, imaginary world, one that makes sense and creates hope, whereas the baroque creates impenetrable “ sealed urns ” serving to express the anxiety generated by an inconstant, elusive, senseless world. Thus, the baroque appears in Ollivier’s works as an aesthetics of the uncertain and of a form of questioning that deconstructs reassuring discourses by means of fabricating incongruous images.
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Théâtre et ostentation dans Mère-Solitude
Joubert Satyre
p. 73–86
RésuméFR :
En dépit des controverses qu’il suscite, le baroque n’a cessé de prouver sa validité opératoire sur le plan littéraire. L’application de cette esthétique à l’oeuvre romanesque d’Émile Ollivier a, une fois de plus, confirmé cette validité et montré qu’on peut sortir avec succès le baroque de son cadre historique et géographique.
Notre article analyse les manifestations de la théâtralité dans Mère-Solitude. La théâtralité est liée à l’ostentation qui constitue avec la métamorphose les deux traits que les théoriciens ont reconnus au baroque littéraire. Elle exprime la propension du baroque à valoriser le paraître, comme pour masquer son échec à saisir l’essence des êtres et des choses. Dans Mère-Solitude, les lieux privilégiés de la théâtralité et de l’ostentation sont la demeure des Morelli, les habits d’apparat qu’exhibent les personnages et le carnaval, fête au cours de laquelle le baroque tente d’exorciser l’angoisse que suscite l’annihilation des êtres et des choses. La théâtralisation de la vie illustre également l’idée bien baroque que la vérité s’avance masquée. Ainsi, par un paradoxe qui lui est propre, le baroque nous invite à aller au-delà des apparences, mais nous savons que cette course est vertigineuse et que tout ce que nous trouverons, ce sont d’autres apparences. C’est là l’un des ressorts du tragique dans le baroque que fait sien l’oeuvre d’Ollivier.
EN :
In spite of the controversies surrounding it, “ baroque ” has proven its validity as a theoretical tool in literary studies. The application of this aesthetic notion to Émile Ollivier’s novels has confirmed this validity once again, and shown that the baroque can be successfully freed from its historical and geographical limits.
This article analyses how “ theatricality ” (théâtralité) is manifested in Mère-Solitude, one of Émile Ollivier’s first novels. Theatricality is linked to ostentation, which, alongside of metamorphosis, has been identified by theoreticians as one of the two main characteristics of Baroque literature. Theatricality expresses the Baroque tendency to emphasize appearances as a way of masking the inability of theatre to grasp the essence of things and beings. In Mère-Solitude, theatricality and ostentation appear primarily in the Morelli family’s home, the finery sported by the characters, and the carnival scenes, during which the Baroque mind attempts to exorcise the feelings of terror aroused by the forces of destruction. Such efforts indeed embody the Baroque’s attempts at stemming the flowing away of beings and things. The theatricalizing of life illustrates the Baroque idea that truth is not naked, but masked. Thus, in a paradox of its own, the Baroque invites us to go beyond appearances, even though we know it is a headlong, vertiginous race, for all we shall find are but other appearances. Therein lies one of driving forces of the tragic according to its Baroque conception.
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L’enracinement et le déplacement à l’épreuve de l’avenir
Analyses
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Le temps à l’oeuvre dans l’écriture du deuil : L’amant de la Chine du Nord de Marguerite Duras
Keling Wei
p. 101–114
RésuméFR :
L’amour et la mort traversent le monde fictif de Marguerite Duras. Dans leur entrelacement, le Temps surgit. L’écriture du deuil et de la perte, L’amant de la Chine du Nord, retraçant le fil d’intrigue de L’amant, marque une narrativité plus mouvante. Le temps cinématographique et le temps narratif se fondent en temps scriptural de l’écriture où a lieu l’événement sublime : non pas une histoire d’amour, mais l’histoire de l’amour, de la mémoire, de l’oubli, sans fin.
EN :
The fictional world of Marguerite Duras is run through and through by love and death. Time emerges from their intertwining. As the writing of bereavement and loss, L’amant de la Chine du Nord, following the storyline plotted in L’amant, marks a more unstable kind of narrativity. Cinematographic time and narrative time blend into a scriptural time of writing in which the sublime event unfolds : the resulting fiction is not a story of love, but the unending story of love, memory, and forgetting.
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Le sanglier ou le romanesque de l’insolite
Alain Tassel
p. 115–126
RésuméFR :
L’insolite est une catégorie esthétique pertinente pour appréhender l’effet d’étrangeté propre aux récits d’Henri Bosco, parmi lesquels figure l’énigmatique Sanglier (1932). La principale spécificité de l’insolite bosquien tient à son double ancrage dans l’histoire (la fiction) et dans la narration. Dans un premier temps, cette étude s’attache à repérer les indices d’une phénoménologie de l’insolite, au nombre desquels figurent l’émergence d’une foule de phénomènes inexpliqués, le sentiment d’une présence diffuse et l’expérience de l’extrême. Ces événements donnent lieu à des interprétations assumées par le narrateur. Leur analyse montre que l’intégration du discours dans le récit est l’un des ressorts de l’effet d’insolite, car les repères fournis au lecteur sont régulièrement remis en question. En outre, les modulations de la perspective et de la voix narrative concourent au brouillage de l’information. Dans ce récit à la facture apparemment classique, Bosco privilégie une écriture de l’énigme fondée sur le discontinu et l’indéterminé qui rejoint les préoccupations des romanciers contemporains.
EN :
The “ unearthly ” is a relevant aesthetic category for comprehending the effect of strangeness peculiar to Henri Bosco’s narratives, among which figures the enigmatic Sanglier (1932). Bosquian unearthliness stands out primarily on account of its dual anchoring in the story (the fiction) and in the narration. To begin with, this article focuses on locating the indices of a phenomenology of the unearthly, including the manifestation of a host of unexplained phenomena, the feeling of some vague presence, and the experience of the extreme. These events give rise to a series of interpretations that are couched in the narrator’s words. An analysis of these interpretations shows that the integration of this discourse into the narrative contributes strongly to the impression of unearthliness, as it constantly throws into question the reader’s reference points. Furthermore, modulations of perspective and narrative voice combine to “ scramble ” the information thus conveyed. In this apparently classically crafted narrative, Bosco relies heavily on a riddle-like approach to writing that is based on the discontinuous and the indeterminate, thus meshing with the concerns of contemporary novelists.