Résumés
Résumé
Fondé sur une enquête de terrain dans le nord-ouest du Groenland, cet article présente les stratégies et les équipements utilisés par les Inughuit chasseurs de narval dans la zone réglementée du fjord Inglefield au sud-est de Qaanaaq. Encore construit et utilisé actuellement dans la région de Qaanaaq, le kayak permet aux chasseurs d’approcher discrètement les troupeaux de narvals. Des harpons à propulseur et à tête basculante, ainsi que des systèmes de flotteurs et de freins perfectionnés pour une meilleure adaptation au contexte de la chasse au narval, donnent aux chasseurs l’opportunité de chasses fructueuses. Après une description ethnographique des chasseurs à la poursuite des narvals dans le fjord Inglefield, j’analyserai la stratégie de la chasse et la technique de lancer du harpon à propulseur depuis leurs kayaks. Je décrirai aussi la conception exceptionnellement sophistiquée de leurs armes et de leurs kayaks. Enfin, je discuterai de l’appropriation et de la redistribution du gibier capturé, ainsi que de l’évolution de la pratique de la chasse et de l’impact de nouvelles réglementations visant à protéger les narvals dans cette zone de reproduction.
Abstract
Based on fieldwork in northwest Greenland, this article presents the strategies and equipment that Inughuit narwhal hunters use in the regulated area of Inglefield Fjord southeast of Qaanaaq. Kayaks are still built and used in the Qaanaaq area, and they enable hunters to approach schools of narwhals discreetly. Harpoons with throwing boards and toggle heads, together with sophisticated buoy and brake systems that are better suited for narwhal hunting, provide hunters with opportunities for fruitful hunting. After an ethnographic description of hunters as they pursue narwhals in Inglefield Fjord, I will analyze the hunting strategy and the technique for spear throwing from their kayaks. I will also describe the exceptionally sophisticated design of their weapons and kayaks. Finally, I will discuss how the captured narwhals are appropriated and the meat redistributed, how hunting practices have changed over time, and how people are affected by new regulations to protect narwhals in this breeding area.
Corps de l’article
Au nord-ouest du Groenland vit la communauté des Inughuit au sein de laquelle 43 chasseurs chassent le narval en bordure de la banquise ou dans les fjords en kayak (qajaq), avec des technologies et des stratégies transmises de génération en génération par les aînés (Walls, Knudsen et Larsen. 2016). Jusqu’au siècle dernier, la capture d’un narval procurait à la communauté de la viande pour se nourrir, des tendons pour coudre les vêtements et de l’ivoire pour fabriquer des outils (Gilberg 1984). La richesse en vitamine C de son épiderme, le maktaaq, contribuait à l’équilibre alimentaire des Inughuit. Les meilleurs chasseurs jouissaient du statut de piniaqtoq, « grand chasseur », ainsi que du respect de chacun. Le « grand chasseur » était non seulement respecté en tant que pourvoyeur mais également pour son habileté à la chasse au gros gibier et pour le nombre de narvals, d’ours, de baleines et de morses qu’il avait capturés. Le respect, en tant que chasseur, se gagnait par l’habileté, par la capacité à manier le kayak et par la force physique. De nos jours, être chasseur de narval est une activité professionnelle choisie librement, mais administrativement encadrée. La capture d’un narval, qilalugaq qirnitaq,[1] reste cependant un évènement émotionnel fort dans la communauté. Jusqu’en 2009, date du rattachement du district d’Avannaa à la municipalité de Qaasuitsup, le narval figurait sur le blason de Qaanaaq.
Le narval, cétacé odontocète (Monodon monoceros), apprécie les eaux fraîches et profondes de l’Arctique. C’est un animal craintif, vivant en groupes en constante migration selon les saisons. En hiver, pour ne pas se retrouver emprisonnés par les glaces, des groupes de narvals se dirigent vers le Sud et hivernent dans la baie de Disko près d’Uummannaq. À la fonte des glaces, en suivant les bancs de morues et de flétans dont ils se nourrissent, ils repartent vers le Nord à travers la baie de Melville jusqu’à la lisière de la banquise côtière de la région de Qaanaaq et viennent se reproduire en été dans le fjord Inglefield (Born 1986). Les comptages d’animaux menés dans le fjord Inglefield sous la direction du Greenland Institute of Natural Resources,[2] notent le passage d’en moyenne 2000 narvals par an, avec des variations d’une année à l’autre (Heide-Jorgensen et al. 2010). Les accouplements ont lieu en avril ou mai et les naissances, l’année suivante, se font entre juin et août dans le fjord (Heide-Jorgensen 1994).
Un ensemble de mesures définies par la NAMMCO[3] assure la protection et la sauvegarde des narvals du fjord Inglefield, dans la limite des quotas et des règles locales. Ainsi, sachant que la nuisance sonore des canots à moteur en période de reproduction perturbe les narvals (Richardson et al. 1995), l’utilisation des bateaux à moteur est restreinte aux déplacements entre les camps et la chasse au narval n’est autorisée qu’au harpon à propulseur[4] à partir des kayaks.
Par ailleurs, les Inughuit déplorent l’amputation de leurs territoires de chasse depuis 1999 par la création du Nunavut, assortie de l’interdiction d’y pénétrer par le détroit de Smith. Jusqu’à cette date, les chasseurs de Qaanaaq allaient chasser dans les fjords de l’île d’Ellesmere où d’autres groupes de narvals migrent pendant l’été (Gad 1971). En 2000, le gouvernement canadien a renforcé ses frontières, resserrant encore les limites des territoires de chasse des Inughuit. Cette restriction est venue se conjuguer au recul de la banquise annuelle sur laquelle les chasseurs se déplacent en traîneaux à chiens (Figure 1).
Dans le cadre de ma recherche doctorale sur les techniques et les adaptations environnementales des chasseurs de narvals inughuit, j’ai effectué trois séjours dans la région de Qaanaaq entre 2009 et 2015. En accompagnant les chasseurs de narvals, je voulais comprendre les stratégies mises en oeuvre dans le déroulement de la chasse, ainsi que les technologies des équipements utilisés. Mads Ole Kristiansen et son beau-père Kristian Eipe, des chasseurs inughuit, m’ont permis de les suivre à la chasse au narval dans le fjord Inglefield. Ukujaq Duneq et Thomas Qujaukitsoq les rejoignaient au gré de leurs propres chasses. Dans cet article, je présenterai une description ethnographique de la chasse aux narvals et analyserai la technologie utilisée. Plus particulièrement, je décrirai la conception des armes et des kayaks, ainsi que les techniques du corps propres à ces derniers. Enfin, je discuterai de l’appropriation et de la redistribution du gibier capturé, ainsi que des transformations de la pratique de cette chasse et de l’impact de nouvelles réglementations visant à protéger les narvals.
Une chasse au narval dans le fjord Inglefield
Au printemps, pour se rendre en bordure de la banquise où se regroupent les narvals, les chasseurs chargent leur kayak sur les traîneaux à chiens. Mais en été, au mois d’août, lorsqu’ils quittent Qaanaaq et Qeqertaq pour rejoindre les camps de chasse du fjord Inglefield, ils transportent leur kayak sur leurs canots à moteur (Tableau 1).
Les chasseurs partent généralement à deux et rejoignent rapidement les camps de chasse en canot avec moins d’efforts physiques que ne l’exigeait auparavant le trajet en kayak. Ils ne séjournent dans les camps que quelques jours, le temps d’une chasse, puis reviennent au village. Parfois, d’autres chasseurs les rejoignent et partagent les longues heures d’attente de la venue des troupeaux de narvals. Par expérience, Mads Ole sait que les narvals ont l’habitude de venir s’ébrouer, de « jouer » comme il le dit, au fond du fjord devant le front du glacier Tracy. En compagnie de Kristian, j’accompagne Mads Ole dans cette zone au mois d’août. Nous partons en canot à moteur vers le camp de chasse de Tikerauhaq. Contrairement à ce qui était la pratique avant l’introduction des canots à moteur, les chasseurs chassent généralement en binôme, l’un dans le kayak, l’autre l’assistant de loin à bord du canot. En tant que propriétaire du canot à moteur utilisé, l’initiative de la chasse est revenue à Mads Ole.
Les chasseurs ont deux stratégies pour localiser les troupeaux de narvals. Soit les animaux sont recherchés de façon active en parcourant le fjord en kayak dans l’espoir de les apercevoir au loin ou d’entendre leur souffle lorsqu’ils remontent respirer en surface, soit les narvals sont attendus de façon passive, mais infiniment patiente, en scrutant avec des jumelles pendant de longues heures les eaux du fjord depuis des promontoires au-dessus du camp. Des risées à la surface de l’eau indiquent de façon certaine la présence et l’approche des narvals. Mads Ole a fait appel à la technologie moderne pour conjuguer les deux stratégies : recherche active et attente passive. Par le bateau de ravitaillement du mois de juillet, il a fait venir de Copenhague un talkie-walkie, pâle fleuron de la modernité quand il faut patienter jusqu’à la venue du bateau de l’année suivante pour obtenir les piles nécessaires à son fonctionnement ! Néanmoins, Mads Ole en a expliqué à Kristian les avantages potentiels pour communiquer pendant la chasse. En attendant les hypothétiques piles, l’appareil a chu dans une caissette en bois au fond du canot, à côté des kamiit (bottes en peau, ici de phoque).[5]
Les kayaks ont été déposés sur la plage à quelques mètres des tentes. Sur leur pont sont fixés un harpon à propulseur et à tête détachable, une ligne avec un flotteur et un frein. Le canot à moteur est à l’ancre. Perché sur des rochers surplombant le camp, Mads Ole a veillé toute la nuit dans la lumière permanente du soleil, les jumelles à la main, tous les sens en alerte, attentif à la moindre risée, au moindre souffle de narval. À plusieurs reprises Mads Ole s’est écrié : « Qilalugaq ! Qilalugaq ! » (« Narval ! Narval ! »), réveillant son compagnon assoupi. Mais à chaque fois, la distance et la direction prise par le groupe d’animaux ont dissuadé les chasseurs de les poursuivre. À la troisième alerte, un troupeau de narvals accessible est repéré. En quelques minutes les chasseurs ont chaussé leurs kamiit, repris les jumelles et scrutent l’horizon. Mads Ole, aidé d’Ukujaq qui nous a rejoints dans la « nuit » avec Thomas, son compagnon de chasse, met rapidement son kayak à l’eau et part à la poursuite des animaux. Kristian tire sur l’amarre du canot à moteur pour être prêt à sauter dedans et à assister Mads Ole. Thomas, comme une vigie, suit l’action depuis un promontoire.
Mads Ole s’éloigne en kayak. En pagayant silencieusement, il poursuit les narvals par derrière, hors de leur champ visuel latéral. Depuis la plage, Kristian et moi le suivons avec des jumelles. Arrivé à proximité du groupe, Mads Ole accélère la cadence pour le rattraper. D’un vigoureux coup de pagaie, il place son kayak sur le côté d’un narval, pose rapidement la pagaie sur le pont tout en la tenant de la main gauche en position d’équilibre. De la main droite, il saisit le propulseur emboîté sur le manche du harpon, lève le bras armé. Par un mouvement de bascule du poignet, l’ensemble propulseur-harpon pivote. La tête de harpon se trouve alors dirigée vers l’avant du kayak et vers la cible. En empoignant fermement le propulseur, Mads Ole lance vigoureusement le bras vers l’avant. Le lancer est fulgurant (Figure 2). Il peut arriver que ce geste soit d’une telle force qu’il déséquilibre le kayak et contraigne le chasseur à esquimauter, c’est-à-dire dessaler et faire une sorte de tonneau sous l’eau avec son kayak. La ligne qui était lovée sur le pont du kayak file à la suite du harpon et de sa tête. Dès que le narval est atteint par le harpon, il plonge, entraîne la ligne, essaie désespérément de fuir pour s’en libérer.
Il n’y a pas une seconde à perdre. Immédiatement Mads Ole, par une rotation du buste, saisit le flotteur (avataq) placé juste derrière lui, le lance au loin, ainsi que le frein. Toute hésitation dans la réalisation de ses mouvements serait sanctionnée par une secousse brutale, due à la traction de l’animal, qui pourrait faire chavirer le kayak. Tout décalage dans la synchronisation de ses gestes – lancer le harpon, libérer la main du propulseur, poser le propulseur sur le pont, reprendre très fermement la pagaie, larguer la ligne, le flotteur et le frein – pourrait déséquilibrer le chasseur et le mettre en danger.
Mads Ole récupère rapidement le manche du harpon flottant sur l’eau. Le narval a plongé et peut réapparaître à plusieurs centaines de mètres de là, ralenti dans ses efforts de fuite et de plongée par le flotteur et le frein (Heide-Jorgensen et al. 2001). Le chasseur dans son kayak s’élance alors à sa poursuite en se fiant à la direction prise par l’avataq qui permet de repérer visuellement la position de l’animal. Il faut absolument éviter que le narval touché ne soit perdu par sa fuite ou que, blessé à mort, il ne coule.
Depuis la berge nous avons vu le lancer de l’avataq. Kristian a immédiatement compris. « Qilalugaq ! Qilalugaq ! » me crie-t-il. Nous sautons tous les deux dans le canot à moteur pour rejoindre Mads Ole et approcher au plus près le narval touché. Pour éviter des souffrances inutiles à l’animal, Kristian, depuis le canot, l’achève d’un tir de carabine.
Le corps du narval maintenu en surface par le flotteur de la ligne de Mads Ole est arrimé au canot à moteur. Pour faciliter le remorquage de l’animal, des flotteurs supplémentaires sont fixés avec des cordes autour de son corps. La dépouille, suivie par Mads Ole en kayak, est alors remorquée, puis halée et hissée sur la plage la plus proche, où, comme l’exige la réglementation du Ministère des Pêches et de la Chasse, ses dimensions sont relevées et notées (Figure 3). Le narval est ensuite dépecé et partagé entre les chasseurs selon ce qui a été convenu entre eux auparavant. Mads Ole, qui a harponné le narval, récupère la tête et la dent en ivoire, ainsi qu’un flanc et un morceau de nageoire caudale. Kristian, qui a achevé le narval à la carabine, a droit à la partie arrière et à l’autre morceau de la nageoire caudale. Ukujaq et Thomas, qui ont assisté mais n’ont pas participé de façon active à cette chasse, se partagent la partie centrale. La plupart des chasseurs, comme Mads Ole et ses compagnons, préfèrent dépecer et effectuer le partage dans le camp de chasse, à l’écart des villages où selon eux la plage est trop polluée par des déchets de toutes sortes.
Les équipements des chasseurs en kayak
Le harpon à propulseur que Mads Ole et ses compagnons utilisent pour chasser le narval est semblable à ceux collectés par l’explorateur Robert Peary dans le fjord Inglefield, lors de son expédition de 1891-1892, et décrits par VanStone 80 ans plus tard (Peary 1892 ; VanStone 1972). Chaque chasseur a fabriqué le sien. C’est un objet personnel qui lui appartient. Dans le geste du lancer, ce propulseur apporte au harpon un gain de vitesse, de précision et d’énergie. Complété par une série d’accessoires et lancé depuis le kayak, le harpon fait partie d’un ensemble et forme un tout complexe (Figure 4). Sur son manche en bois s’emboîtent le propulseur, une hampe amovible et une tête détachable reliée à une ligne. Sur la ligne sont amarrés un flotteur et un frein destinés à gêner l’animal touché dans ses efforts de fuite.
Le propulseur (nurhaq), fixé au manche du harpon, est une pièce en bois de forme trapézoïdale. Lors de sa confection, le chasseur en détermine la longueur par référence à la longueur d’un de ses bras, ce qui en fait un élément anthropométrique et ergonomique. Sur les côtés, de part et d’autre de la base, des encoches facilitent une préhension ferme et assurent au chasseur une position de la main et un point d’équilibre constants à chaque lancer. La pièce de bois est creusée d’une légère gouttière longitudinale s’emboîtant sur le manche du harpon. Deux ergots la maintiennent en place sur le harpon (Figure 5). Lors du lancer, le propulseur est libéré du pivot antérieur et s’ouvre comme une charnière en basculant sur le pivot postérieur incliné (Nansen 2005[1893]). Le propulseur a une fonction amplificatrice du geste de la main et du bras qu’il prolonge. Par son intermédiaire, les impulsions du torse, du bras et de la main, avec appui des genoux du chasseur sous le pont du kayak, opèrent à distance sur le gibier convoité.
La hampe (iimaq) du harpon est une pièce en ivoire de morse ou de narval. Dans sa partie postérieure, un ergot (oqummiarattaq) s’emboîte dans une mortaise (qaateq) creusée dans un capuchon d’ivoire couronnant l’extrémité du manche de bois. Une lanière de cuir maintient la hampe en place en passant dans deux trous percés dans l’extrémité du manche. Cette lanière a suffisamment d’élasticité pour permettre à la hampe de pivoter comme autour d’une rotule, lorsque le harpon frappe le gibier (Figure 6). Ce basculement de la hampe évite au manche du harpon de se briser lorsque le narval atteint se débat (Holtved 1967).
Une tête détachable (tuukkaq) couronne la hampe (Figure 7). Dans le bloc de la tête est fixée une lame (ulu) soigneusement affûtée, taillée dans de l’acier récupéré d’une scie usagée ou de quelque morceau de ferraille inutilisée.
L’encoche de la tête de harpon s’emboîtant sur la hampe doit être très minutieusement et précisément confectionnée de façon à ce que la tête ne fasse pas vaciller le harpon dans sa course, ce qui le ferait retomber prématurément. La ligne est attachée à la tête. Dans son ouvrage, Le corps inuit, Therrien (1987) souligne que la dénomination de plusieurs des parties du kayak fait référence au corps humain ou animal. Chez les Inughuit, il en est de même pour les substantifs relatifs à la tête du harpon : les yeux (ihi), la bouche (torveq) et la queue (pamiuq) - (Figure 8).
Quand le harpon armé de sa tête est prêt à être lancé, la ligne est maintenue le long de la hampe par un cavalier semi-ouvert. Au moment du harponnage, la tête se fiche dans la chair du narval en se libérant de la hampe qui, sous le choc, a basculé et s’est déboîtée du manche auquel elle reste reliée par une lanière (Figures 9 et 10). L’animal est alors piégé par la tête du harpon fichée dans son corps et reliée à la ligne.
Le chasseur love directement sur le pont, en face de lui, la ligne de nylon (aglunaaq) longue de 15 à 20 mètres. Mads Ole préfère l’enrouler soigneusement sur un petit promontoire fixé devant lui.[6] Ce promontoire préserve la ligne des vagues qui peuvent déferler sur le pont du kayak. À l’autre extrémité de la ligne, un flotteur (avataq) empêche le narval de plonger ou de couler, et un frein (niutaq), sorte d’ancre flottante, le gène dans ses efforts de fuite. L’avataq maintient à flot la prise du chasseur et sert de balise pour localiser le narval harponné. Avataq et niutaq sont placés sur le pont du kayak, côté poupe, derrière le chasseur (Figure 11).
L’avataq est constitué d’une seule dépouille de jeune phoque annelé, vidée, amincie et épilée (Holtved 1967). Lorsque, arpentant le fjord Inglefield, je trouvais le cadavre d’un jeune phoque mort échoué sur une berge, Qitdluttooq Duneq, un chasseur de Qeqertaq, me dit en riant : « Le phoque est à celui qui l’a trouvé ! Tu devrais en faire un avataq ! ».
Une fine lanière, naqatarut, passée autour du flotteur relie celui-ci à la ligne à l’extrémité de laquelle est attaché le frein (Figure 12). Le « frein », niutaq, est une nacelle de bois carrée d’environ 50 centimètres de côté, fixée à la ligne par quatre liens noués en pyramide (Figure 13). Sur ce cadre est tendue une peau de phoque épilée, percée d’un petit trou, qui forme le fond de la nacelle. Quand le frein subit une traction, l’eau s’échappe par le trou, ce qui maintient le cadre en position de freinage.
Si l’animal harponné tente de s’enfuir ou de plonger, la nacelle du niutaq ajoutée au flotteur oppose une résistance à ses mouvements et contribue à le fatiguer (Figure 14). De plus, lorsque l’animal commence à épuiser ses forces, il a tendance à revenir vers le frein et le flotteur pour atténuer leur résistance, ce qui facilite sa récupération par le chasseur.
Placés sur le pont du kayak, à portée de main du chasseur, la ligne, le flotteur et le frein sont prêts à être lancés. Puis, lorsqu’il s’agit d’achever le narval harponné, un coup de carabine est tiré par l’assistant du chasseur depuis le canot. Jusqu’au début du XXe siècle, époque de l’apparition des armes à feu au comptoir de Thulé, les chasseurs utilisaient une lance (agluhiut) pour achever l’animal ; celle-ci est cependant toujours présente dans le canot.
Le kayak des chasseurs de narvals
Le chasseur n’utilise le harpon à propulseur que depuis son kayak, en position assise, en disposant d’appuis fermes au niveau des genoux et du bassin contre la coque. Ces appuis constituent un socle pour les mouvements du torse, ce qui permet au chasseur de reprendre immédiatement sa poursuite du narval. Être debout sur une rive diffèrerait la poursuite et la capture et ne permettrait pas d’avoir les points d’appui suffisants pour assurer la puissance et la précision du lancer.
Le kayak des chasseurs du fjord Inglefield est adapté aux eaux calmes du fjord (Petersen 1986). Il permet d’approcher discrètement, silencieusement, le narval, un animal extrêmement craintif, et de le harponner par surprise en évitant qu’il ne coule. Fin, léger et court, conçu pour se déplacer rapidement et en silence, le kayak est un objet personnel et personnalisé (Heath et Arima 2004). Au sein de la communauté, chaque chasseur construit son kayak et façonne ses équipements en fonction des spécificités de son corps, selon ce que Bril (2010 : 255) qualifie « de variations interindividuelles pour une même technique à l’intérieur d’une culture ». Pour sa part, Henriette Rasmussen inclut le chasseur et son kayak dans l’écosystème. « Lorsqu’un chasseur construit son kayak, il l’adapte à son propre corps. Il devient une partie de l’embarcation, laquelle est elle-même une partie de l’océan. Les Inuit font partie intégrante de l’écosystème » (Rasmussen in Barshediv 2008 : 115). Comme chaque chasseur de narval, Mads Ole a bâti lui-même son kayak pour un maximum de stabilité et de maniabilité dans l’action. Il se souvient d’avoir construit son premier kayak à l’âge de dix ans, conseillé par son père, puis d’avoir acquis les techniques de chasse au harpon à propulseur depuis le kayak en suivant ses aînés.
Le kayak est constitué de deux éléments essentiels : la structure en bois, travaillée par les hommes, et la couverture en toile, cousue et ajustée par les femmes (Holtved 1967). Le chasseur utilise des références à son propre corps (un de ses bras, ses mains, ses doigts, etc.) pour déterminer les dimensions de son kayak qu’il va intégrer dans son schéma corporel lors de son utilisation future. Au final, le chasseur doit faire corps avec son kayak, conçu comme une extension amphibie de lui-même. « Il suffit de bouger les orteils pour le faire osciller » affirme Kristian ! Les kayaks recouverts de toile sont peints en blanc ou bleu clair. Outre une fonction de protection du revêtement pouvant perdurer un an ou deux, la peinture assure un rôle de camouflage au milieu des icebergs et glaces flottantes. Lorsqu’un incident survient, tel une déchirure, ce qui est fréquent au printemps le long des berges de glace, le chasseur a un nécessaire de couture avec des aiguilles, du fil et une petite boîte de peinture pâteuse qu’il peut étaler avec ses doigts sur la réparation. Ainsi, le kayak est de nouveau rapidement opérationnel. Lors de sa construction, le kayak est conçu et organisé par le chasseur comme un « micro-atelier ». Il l’équipe de lanières de pont et de supports en os ou en plastique qui maintiennent à portée de main tous les équipements nécessaires pour naviguer et chasser avec une grande précision et une économie de gestes (Golden 2006). Ses outils et équipements sont disposés de façon ergonomique pour lui (Figure 15).
L’hiloire (qainnap paanga), par laquelle le chasseur entre dans son kayak, emprunte à la modernité avec un cerclage en plastique. Sur ce cerclage, qui a une fonction de raidisseur de la structure, est cousu ou lacé le revêtement du kayak.
Après s’être installé dans son kayak, le chasseur fixe sa jupe d’étanchéité sur le pourtour de l’hiloire. Ses bras, ses doigts et ses pouces lui ont servi de référence pour façonner sa pagaie qui est adaptée de cette façon à sa morphologie, à sa force et au volume de son kayak. Cependant, si le kayak est rapide, silencieux et bas, il est particulièrement instable. Mads Ole évite de sortir en kayak lorsque la mer est agitée. D’une part, parce qu’il n’a plus, comme ses ancêtres, la même urgence absolue de trouver de la nourriture (le magasin peut pallier quelques jours de pénurie) ; et d’autre part, parce que les canots à moteur, même s’ils sont petits, permettent de gagner rapidement un havre en cas de changement soudain des conditions météorologiques. L’esquimautage, chavirage volontaire et maîtrisé, qui constituait une technique de survie lors de conditions de navigation défavorables ou d’incidents inopinés, n’est maintenant plus guère pratiqué que comme un sport.
Les techniques du corps des chasseurs
Pour se mouvoir en kayak vers un troupeau de narvals ou poursuivre un animal convoité, le chasseur pagaye. Pagayer met en jeu ce que Leroi-Gourhan (1965) définit comme une « chaîne opératoire », c’est-à-dire l’ensemble des séquences de la réalisation d’un objectif, la succession des gestes techniques permettant de l’atteindre. Cette succession de gestes techniques découle de l’expérimentation qui fait que « l’outil n’est réellement que dans le geste qui le rend techniquement efficace » (Ibid. : 35). De même, la pagaie n’est que l’outil rendu efficace par la mobilisation d’une chaîne d’opérations musculaires antagonistes incluant des mouvements de traction et d’appui (Figure 16). Les enjeux en sont l’équilibre, donc la sécurité, la translation spatiale et la rapidité par l’économie de moyens, ainsi que la discrétion sonore, donc la réussite de la poursuite. Au-delà de ces enjeux, pagayer incorpore le chasseur au kayak dans une dialectique avec son environnement aquatique. Warnier (1999) souligne que dans ses gestes, ses mouvements, un sujet utilisateur intègre la dynamique qu’il applique aux objets. Il « incorpore non seulement les objets eux-mêmes, mais leur dynamique » (Ibid. : 17). Le chasseur, en appliquant une dynamique à sa pagaie qui la transmet au kayak, devient lui-même dynamique par rapport à son environnement.
Pagayer, assurer l’équilibre du kayak et lancer le harpon, cela s’apprend par imitation, expériences et tâtonnements dès le plus jeune âge, d’abord sous forme de jeu, puis par essais-erreurs lors des chasses avec les aînés (Figure 17). Ces gestes expérimentés, appris, transmis de génération en génération, créent des liens entre l’individu, sa communauté et son milieu, c’est-à-dire entre intégration corporelle et socialité. Pour Bidet (2007 : 27), « c’est dans l’élément de la motricité que s’éprouve l’insertion sociale ».
Les gestes du récit de la chasse
La chasse suscite toujours un grand intérêt dans la communauté. Quand le chasseur revient au village, on attend de lui qu’il partage sa chasse, qu’il la raconte par le menu détail, qu’il fixe en mots l’action, la chasse et les gestes maintes fois répétés. Uqujaq, comme Mads Ole, Kristian et les autres chasseurs, excelle dans ce genre de verbalisation : il refait les gestes du harponnage, un oeil fermé, le bras droit tendu en avant, le coude gauche relevé… il parle, il dit, il raconte, il partage son acte de chasse, n’omettant aucun détail. Souvent même, un de ses compagnons lui demande de recommencer le récit. Chacun écoute, le regard attentif, en ponctuant avec des hochements de tête et des « Yéééé… Yéééé… » graves et tranquilles.
La narration de la chasse s’apparente alors à une sorte de cérémonial. En la racontant, Ukujaq l’inscrit dans les savoirs traditionnels. En identification avec son acte de chasse, ses gestes sont précis. Son regard observe, discrimine, estime, suit. Faisant appel au sens kinesthésique qui renseigne sur la position du corps dans l’espace, il apprécie le vent, l’équilibre, les courants ou sa propre force. Il perçoit la pertinence d’un bruit, d’un silence. Étant transmis oralement et analogiquement, son récit nourrit la mémoire collective en chacun, renforçant les liens communautaires garants du partage des savoirs. Leroi-Gourhan (1965 : 22) note que « le langage assure dans chaque communauté ethnique la conservation et la transmission ». Ukujaq raconte la patience de l’attente, la rapidité de la décision, l’adresse du lancer, l’entraide avec son compagnon de chasse, le respect de la femelle gravide. Son langage intervient « comme support des actes à exécuter […] [dont la] conservation repose souvent sur la mémoire de quelques individus » (Ibid. : 32). Ukujaq transmet le système de valeurs dans lequel il a grandi et dans lequel il est devenu chasseur.
Évolution de la pratique et de la réglementation de la chasse aux narvals
Depuis l’établissement, en 2005, d’une réglementation de la chasse par le gouvernement central du Groenland, une partie de la viande du narval capturé doit être vendue pour attester de la pratique professionnelle de la chasse. Autrefois communautaire, la chasse est devenue une activité économique à visée personnelle. Au retour des chasseurs, la vente aux villageois accourus sur la plage avec des sacs en plastique s’effectue très rapidement. Le partage et le don de viande à la communauté, tels que décrits par Birket-Smith (1937) au début du siècle dernier, se limitent maintenant à la mise à disposition des villageois présents de quelques morceaux d’épiderme du narval, le maktaaq.
Ainsi, le 3 mai 2015, Arqiunguaq et Ilannguaq Qaerngaq ont rapporté à Qaanaaq le premier narval de la saison capturé en bordure de la banquise. Les deux frères avaient tué ce narval au harpon, depuis leurs kayaks, dans une polynie (aukarneq) au sud-ouest de l’entrée du fjord Inglefield. Le groupe migrant de narvals attendait la dislocation de la banquise pour rejoindre le fond du fjord. Lorsqu’il a arrêté ses chiens sur la plage de Qaanaaq et déchargé du traîneau son kayak et la dent du narval, Arqiunguaq a été applaudi et photographié par les villageois venus attendre son retour avec le traîneau chargé de viande. Le chasseur a déposé du maktaaq à l’intention de tout un chacun sur un sac en plastique (Figure 18). La symbolique de son geste, si minime soit-il, s’inscrit dans une affirmation des valeurs traditionnelles (le partage, le don) et du respect de l’animal qui a offert sa vie. Chacun a coupé à l’envi des petits cubes d’épiderme dégustés sur la pointe du couteau. Une partie de la viande a été pesée à l’aide d’un peson mécanique rudimentaire et vendue aux villageois présents. Les chasseurs se sont réservés l’autre partie pour leur consommation personnelle (incluant leur famille) et pour la nourriture de leurs chiens (cette dernière partie étant stockée dans un coffre en bois sur la plage).
Le chasseur exerce un métier, comme tout autre habitant du village en âge de travailler. Les chasseurs sont fédérés en un syndicat, le KNAPK,[7] et doivent avoir un permis de chasse et une licence. Ils ont l’obligation de faire un rapport après chaque capture à l’administration ce qui permet au Ministère de la Pêche et de la Chasse de garder le contrôle sur le nombre de licences à délivrer et de gérer les quotas par région. Si un chasseur ne respecte pas cette obligation ou n’a effectué aucune capture, il perd son statut et sa licence de chasse. La licence octroie au chasseur le droit non cessible de capturer cinq narvals par an dans la limite du quota. Le quota encadrant la chasse aux narvals est fixé annuellement par la NAMMCO.
À partir de 2014, un maximum de prises de 485 animaux sur cinq années a été autorisé pour la région de Qaanaaq. En 2015, le quota accordé pour l’année était de 85 narvals mais les captures, y compris celles d’animaux touchés et perdus, ont été de 75. Ce résultat, en dessous du quota, signifie qu’en 2015, sur les 43 chasseurs professionnels ayant obtenu une licence, certains ont atteint les cinq prises et ont dû s’arrêter de chasser, alors que d’autres ont été moins performants. Le nombre de chasseurs chassant à temps plein diminue d’année en année. De 2005 à 2015, le nombre de licences professionnelles délivrées dans la région de Qaanaaq a chuté de 50 à 43.
Les Inughuit chasseurs de narvals s’adaptent à d’autres moyens de subsistance car les revenus de la chasse ne leur permettent plus de faire face aux dépenses de leur foyer : loyer, électricité, etc. (Tableau 2). Mads Ole, Kristian, Ukujaq, Thomas, Arqiunguaq et Ilannguaq continuent à chasser le narval en kayak avec leur harpon à propulseur dans le fjord Inglefield. Mais comme la majorité des chasseurs de la région, ils doivent se tourner vers d’autres sources complémentaires de revenus.
En effet, les quotas encadrant les prises de narvals et l’embargo sur les produits issus des mammifères marins décrété par la communauté internationale privent les chasseurs d’accès à des ressources commerciales et font que les chasseurs de narvals de la région de Qaanaaq se trouvent maintenant confrontés à de nouveaux défis, tant économiques que culturels. Acculés à des difficultés financières, ceux-ci en viennent à diversifier leurs sources de revenus en délaissant des savoir-faire et des technologies transmis de génération en génération (Grønnow 2016). Parallèlement aux efforts d’adaptation à un environnement socio-culturel et économique en mutation, le processus de perte des savoirs portés par les aînés s’accélère. La chasse au narval par les Inughuit s’est transformée (Tableau 3).
Alors que l’exportation des produits issus du narval est interdite depuis 2006, l’exploitation des ressources halieutiques du fjord s’intensifie. De février à fin mai, les lignes des pêcheurs assurent aux ménages des revenus plus fiables que la ligne de harpon des chasseurs. Au printemps, Kristian délaisse souvent son harpon pour pêcher des flétans qu’il vend à la coopérative installée à Qaanaaq par Royal Greenland, leader mondial des pêcheries de flétans et crevettes. Les flétans lui sont achetés 15 DKK/kg et lui rapportent en moyenne 1500 DKK par journée de pêche. Pour le même montant quotidien, avec ses chiens et son traîneau, il accompagne des scientifiques, des journalistes ou des touristes jusqu’au bord de la banquise. « Quand nous chassons, nous ne savons pas ce que nous attraperons ou combien de temps cela prendra. Mais quand nous conduisons les traîneaux ou sortons les kayaks, nous savons que nous serons payés », dit-il.
Conclusion
Kayak, harpon, propulseur, flotteur et frein allient et portent dans leur conception et dans leur maniement des notions esthétiques et éthiques, telles que la personnalisation de l’objet et le respect des animaux, propres aux chasseurs de narvals. Chasser le narval requiert une habileté, des équipements et une méthode qui sont de l’ordre des techniques du corps, de l’ingéniosité artisanale et de savoirs transmis de génération en génération, d’individu à individu. La technologie et l’usage du harpon à propulseur depuis le kayak sont à considérer comme des pratiques dépendant de savoirs traditionnels et écologiques incorporés dans des chaînes opératoires, développées et affinées à travers l’expérience de plusieurs générations dans la communauté. Cependant, leur efficacité pour subvenir aux besoins de subsistance d’une communauté en transformation est de plus en plus relative.
La chasse au narval, telle que pratiquée par les Inughuit selon des règles communautaires, se trouve maintenant confrontée à d’autres règles et normes édictées par des organismes centraux et internationaux, auxquelles les chasseurs doivent se soumettre sans toujours en comprendre la justification. Contraints par des nécessités économiques, les chasseurs se tournent vers d’autres techniques de chasse et formes d’organisation communautaire, et s’adaptent à des règles inspirées par une ouverture vers une société de marché et un rapport différent à l’environnement. D’une chasse de subsistance obligée mais libre demandant des efforts collectifs et des aptitudes physiques, la chasse au narval s’est transformée en une activité en binôme choisie mais administrativement encadrée. D’un acte à visée communautaire, elle est devenue un acte à visée d’économie personnelle. En à peine plus d’un siècle, la communauté des Inughuit chasseurs de mammifères marins, vivant dans une quasi-autarcie fragile, a évolué vers une organisation sociétale protéiforme subventionnée, réglementée par des instances qui lui sont extérieures.
Parties annexes
Remerciements
J’adresse mes plus vifs remerciements à l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) qui m’a permis de réaliser plusieurs terrains d’étude dans la région de Qaanaaq, au Laboratoire d’anthropologie sociale (Université Paris Sciences et Lettres), à sa directrice, Brigitte Derlon, et à Carole Féret qui ont soutenu mon projet avec conviction face aux aléas matériels. Ma profonde reconnaissance à Odile Journet et Charles Stépanoff, mes co-directeurs de thèse au sein de l’École doctorale 472 de l’École pratique des hautes études ; leurs précieux conseils, leurs patientes relectures et leur confiance m’ont sans cesse guidée et encouragée. Ma gratitude à Hans Jensen, de Qaanaaq, toujours présent pour répondre à mes multiples interrogations. Mads Ole Kristiansen et sa famille, ainsi que Kristian Eipe m’ont généreusement fait partager leur vie quotidienne. Ukujaq Duneq, Nukapianguaq et Padloq Hendriksen n’ont pas ménagé leurs efforts pour m’expliquer ce que des difficultés de langage rendaient obscur. Mes chaleureux remerciements à Paulus, Peter Simigaq, Tukumeq Hendriksen, Alekatsiak Peary, sa tante Pauline Kristiansen-Peary, Puto et Putdlaq Uvdloriaq, aux chasseurs et aux habitants de Siorapaluk, Qaanaaq, Qeqertaq, qui m’ont accueillie avec bienveillance.
Notes
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[1]
Qilalugaq qirnitaq, « béluga noir », désigne le narval, bien que souvent les chasseurs du fjord Inglefield fassent l’élision du qualificatif, nommant d’un même terme, qilalugaq, le béluga de couleur blanche et le narval.
-
[2]
Institut Groenlandais des Ressources Naturelles.
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[3]
La NAMMCO (North Atlantic Marine Mammal Commission) est un organisme international ayant pour vocation d’assurer la gestion et l’étude des mammifères marins de l’Atlantique Nord.
-
[4]
Des observations faites par Nicklen (2007) au Canada, où la chasse au harpon à propulseur a cédé la place à la carabine, ont mis en évidence le nombre important d’animaux touchés par balle et perdus. S’il est tué sur le coup (ce qui est rarement le cas), un narval tiré à la carabine coule presque immédiatement et s’il n’est que blessé, il s’enfuit.
-
[5]
Les termes recueillis auprès des chasseurs seront orthographiés par référence au lexique établi par Fortescue (1991).
-
[6]
Technique répandue dans l’ouest du Groenland et peu utilisée par les Inughuit.
-
[7]
Kalaallit Nunaanni Aalisartut Piniartullu Kattuffiat (Association des pêcheurs et chasseurs du Groenland).
Références
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