Résumés
Résumé
La compréhension de la fonction réelle des outils retrouvés en contexte archéologique offre un accès privilégié aux modes de vie et aux organisations socioéconomiques du passé. La fonction peut être retracée grâce à l’analyse des dynamiques d’usure et des combinaisons diagnostiques de traces d’utilisation (tracéologie). La notion de fonction ne réfère pas seulement à ce à quoi un objet a servi, mais également au rôle qu’il a pu jouer au sein d’une organisation socioéconomique donnée, constituée de chaînes opératoires techniques. La fonction qu’occupe un outil au sein d’une chaîne opératoire est représentative de choix techniques appliqués dans le cadre d’un ensemble culturel, évoluant dans un contexte physique spécifique. La quête de la fonction exige non seulement la constitution d’une base de données des dynamiques d’usure réalisée en milieu contrôlé mais également des expérimentations ethnoarchéologiques. L’étude de la représentation matérielle de la chaîne opératoire de traitement des peaux sur trois sites paléoesquimaux du Nunavik, Pita (KcFr-5), Tivi Paningayak (KcFr-8A) et Tayara (KbFk-7), a permis d’interpréter et de comprendre la fonction réelle des catégories d’outils sélectionnées, pour finalement identifier des activités féminines dans la société dorsétienne et son économie.
Abstract
By understanding the real function of tools found in an archaeological context, we gain privileged access to lifestyles and socio-economic organizations of the past. Tool function can be recreated by analyzing the dynamics of wear and through diagnostic combinations of traces of use (use-wear analysis). The notion of function refers not only to the use of an object, but also to the role it could play in a given socio-economic organization, which is composed of technical reduction sequences. The function of a tool in a chaîne opératoire (“reduction sequence”) is representative of technical choices made in the context of a cultural group, which is acting in a specific physical environment. The search for a function requires not only creating a database of the dynamics of use-wear in a controlled setting, but also carrying out ethnoarchaeological experiments. By studying the physical representation of the chaîne opératoire for processing of hides at three Palaeoeskimo sites in Nunavik, i.e., Pita (KcFr-5), Tivi Paningayak (KcFr-8A), and Tayara (KbFk-7), it became possible to interpret and understand the real function of the selected tool categories and ultimately identify women’s activities in Dorset society and its economy.
Corps de l’article
Introduction
Notre compréhension des contextes d’occupation des sites paléohistoriques et de l’organisation socioéconomique des groupes culturels est tributaire des fonctions attribuées aux objets trouvés sur place. Or, en préhistoire de l’Amérique du Nord, la fonction est principalement interprétée suivant des critères strictement morphologiques, appuyés par des analogies ethnographiques. En ce qui concerne l’étude des assemblages lithiques attribués à la période paléoesquimaude, l’intérêt pour la documentation des choix techniques et des modes de fabrication suivant le concept de chaîne opératoire[1] émerge avec les travaux de Patrick Plumet dans les années 1970. Ce dernier développe une méthode de description détaillée, prenant en compte des variations relatives au degré de façonnage et certaines de ses modalités (Plumet 1979). Cependant, les études technologiques des assemblages lithiques du Nunavik demeurent à ce jour peu courantes (p. ex., Alberton 2006; Desrosiers 2009; Dionne 2005). L’étude de la fonction des outils lithiques de ce contexte culturel fut quant à elle inexistante jusqu’à aujourd’hui (Dionne 2013).
La quête de données fonctionnelles requiert de prendre en considération le caractère multidimensionnel de la fonction d’un outil. Il faut donc déterminer la position spécifique de l’outil au sein d’une chaîne opératoire pour, de manière ultime, accéder aux stratégies de mise en oeuvre des phases opératoires caractéristiques de l’organisation socioéconomique du groupe étudié (Beyries 2008: 43-44; Carrell 1992: 5; Folorunso 1993: 94; Hodder 1983: 29; Inizan et al. 1995: 14-15; Tixier 1991: 392). Pour ce faire, les différents facteurs inhérents à la variabilité technologique doivent être pris en compte: les contraintes physiques, techniques ou environnementales, ainsi que les facteurs socioculturels, idéologiques et cognitifs (Dobres 2000: 2; Hodder 1987: 425).
La compréhension de la fonction passe non seulement par une documentation systématique des modalités d’utilisation et des stigmates caractéristiques des différents choix appliqués en cours d’utilisation (Ibanez-Estevez et Gonzalez-Urquijo 1996; Keeley 1973, 1979; Semenov 1964; Van Gijn 2010), mais également par une appréciation personnelle de l’efficacité de l’outil dans l’application d’une tâche prédéterminée. Autrement dit, l’expérimentation archéologique est primordiale, tant au niveau de l’acquisition de données contrôlées en laboratoire que des expériences répertoriées par l’expérimentateur (Beyries 2008: 43-44; Folorunso 1993: 94).
Pour ma thèse de doctorat (Dionne 2013), j’ai entrepris une analyse tracéologique des outils associés à la chaîne opératoire du travail des peaux et l’ai appliquée au contexte paléoesquimau au Nunavik. Dans le présent article, je démontrerai comment l’analyse tracéologique a permis de mieux comprendre la fonction de l’outillage en chert et en quartz. L’interprétation des données fonctionnelles obtenues sera suivie d’une analyse de la microéconomie domestique de trois sites paléoesquimaux permettant d’accéder aux relations de genres et surtout à la contribution féminine aux activités de subsistance.
Identifier la fonction: référentiels expérimentaux
Le terme fonction doit être compris suivant ses différentes facettes. La détermination de la fonction implique de considérer « […] l’ensemble complet des finalités exactes pour lequel l’instrument est mis en oeuvre » (Sigault 1991: 23). L’outil est porteur d’une signification technologique (moyen technique employé pour travailler la matière), économique (phase opératoire spécifique dans un système d’exploitation des ressources), mais aussi idéologique puisque les modalités de son utilisation sont tributaires d’une organisation sociale et culturelle spécifique. Par conséquent, les fonctions identifiées lors de l’analyse tracéologique seront composées d’un ensemble d’aspects (matière travaillée, mode d’utilisation), correspondant à une phase particulière d’une séquence technique.
Pour obtenir un diagnostic fonctionnel de l’outil, il est primordial de documenter l’utilisation de l’outil et les combinaisons de stigmates qui lui sont associées (Ibanez-Estevez et Gonzalez-Urquijo 1996: 7; Siegel 1985: 47). Les expérimentations archéologiques visent à reproduire l’utilisation de l’outillage dans l’accomplissement des différentes tâches qui constituent une chaîne opératoire. En tracéologie, le référentiel expérimental utilisé pour l’analyse du matériel archéologique doit être adapté au contexte à l’étude (matières premières lithiques, type d’outil, mode d’utilisation de l’outil et nature des tâches accomplies) afin de pouvoir établir une série de critères diagnostiques et identifier la fonction de l’outil (Beyries 1997: 186; 2008: 43-44; Ibanez-Estevez et Gonzalez-Urquijo 1996: 64; Unger-Hamilton 1988: 29). Ce sont ces critères qui, par leurs combinaisons, mènent à l’identification d’une fonction spécifique.
Tant pour l’observation du matériel expérimental qu’archéologique, la méthodologie employée à l’aide d’un microscope métallographique consiste à combiner les observations à faible (50X-60X) et à fort (100X à 200X pour le chert; 400X-500X pour le quartz) grossissement. La complémentarité de ces deux approches permet l’identification et la caractérisation d’un plus large éventail de traces (Ibanez-Estevez et Gonzalez-Urquijo 1996: 17). Les observations faites sur le matériel expérimental génèrent une série de critères qui sont à la base de l’élaboration d’un système de diagnostic fonctionnel.
La documentation ethnographique et les références ethnoarchéologiques ayant trait au processus de traitement des peaux et à la notion de genre chez les peuples inuit doivent être sollicitées à deux reprises: lors de l’élaboration du protocole d’expérimentation servant à constituer un référentiel de formation des traces ainsi que lors de l’interprétation et de la remise en contexte des données tracéologiques (Beyries 1997: 190; Longacre 1992). Alors que l’ethnoarchéologie et l’ethnographie permettent d’appréhender les contextes des activités techniques et leurs conséquences matérielles, l’expérimentation offre un aperçu concret de la mise en application des différentes phases de la chaîne opératoire, le degré et la durée de l’efficacité des outils ainsi que la dynamique de formation des traces.
L’appréciation personnelle ou expérientielle de l’utilisation des différents outils par l’expérimentateur, que ce soit lors des expérimentations contrôlées en laboratoire ou sur le terrain en compagnie de membres du groupe culturel étudié, sera également sollicitée (Folorunso 1993: 95). Ainsi, l’expérimentateur se doit de consigner ses impressions personnelles en cours d’utilisation des outils (efficacité de l’outil pour une tâche donnée, selon sa forme et son mode de préhension; durée d’efficacité de l’outil; processus d’usure observable à l’oeil nu). L’observation de certaines variables sera plus particulièrement favorisée par les expérimentations sur le terrain. Par exemple, la nécessité de remplacer aisément un outil abîmé en cours de travail, ou encore l’avantage de disposer d’un outil multifonctionnel pour accomplir une série de tâches lors de l’acquisition de ressources hors du campement. Les impressions partagées avec des intervenants de la communauté inuit, qui trouvèrent la microlame en chert emmanchée (Figure 1) d’une très grande utilité pour écharner un caribou, constituent également une source d’information inestimable (Figure 2).
Les trois catégories d’outils choisis étaient les grattoirs, les microlames (transformées ou brutes) et les éclats (classés comme « retouchés » ou « utilisés »). Ces catégories sont associées à des activités comme le dépeçage et la préparation des peaux, en plus d’être représentées en quantité suffisante dans les assemblages à l’étude. Le processus d’identification de la fonction comprend cinq niveaux d’interprétation:
identification d’une combinaison de traces (zone active);
action (mouvement);
texture de la matière travaillée (souple, assez souple, assez rigide, rigide, très rigide);
matière travaillée;
phase opératoire de traitement des peaux représentée ou autre fonction.
Lorsqu’il est possible d’obtenir un diagnostic pour les quatre premiers niveaux, l’amalgame de ceux-ci doit permettre de rattacher l’objet analysé à une phase de la chaîne opératoire de traitement des peaux ou à une autre fonction. À cause de cette contrainte, la fonction ne pourra être interprétée que pour une portion restreinte du corpus analysé.
La chaîne opératoire ethnographique de traitement des peaux, à la base de la constitution du référentiel expérimental, est ici remplacée par une chaîne opératoire tracéologique de traitement des peaux. Il s’agit d’un outil conceptuel servant à classifier les données suivant les étapes du processus de transformation d’une peau qui recèle un potentiel de visibilité tracéologique (Figure 3). La détermination des étapes identifiables par leur signature tracéologique se base donc sur le référentiel expérimental constitué préalablement à l’analyse.
Phase initiale: retrait et nettoyage de la peau
Le retrait de la peau de la carcasse et le nettoyage de la peau fraîchement retirée (pour enlever les résidus de chair et de gras) sont les tâches qui constituent la phase initiale. En effet, elles impliquent les mêmes attributs dans la dynamique d’usure de l’outil: séquence de gestes, humidité et souplesse de la peau, types de matières en contact. Ainsi, les outils rattachés à cette phase se voient généralement attribuer les diagnostics suivants:
action: séquence racler-couper;
texture: souple à assez souple/indices d’humidité de la matière;
matière travaillée: stigmates indiquant un contact avec de la viande, du gras et/ou de la peau fraîche (Figure 4).
Phase d’assouplissement: primaire ou secondaire
La phase d’assouplissement de la peau se divise en deux catégories, relatives à son degré de rigidité: l’assouplissement primaire et l’assouplissement secondaire. La phase primaire constitue la première intervention pratiquée sur la peau à la suite de son nettoyage initial et de son séchage. Par conséquent, l’outil travaille sur une peau sèche et relativement rigide afin d’en casser les fibres et d’en retirer l’hypoderme. L’assouplissement peut ensuite se poursuivre au moment où la peau a acquis un certain degré de souplesse, afin de l’assouplir davantage et d’en préserver l’élasticité. Il peut également survenir une phase d’assouplissement accompagnée d’une réhumidification de la peau par trempage. Ainsi, l’outil travaille cette fois sur une peau relativement souple, pouvant avoir un certain degré d’humidité. Les outils associés à cette phase comprendront donc les diagnostics suivants:
action: gratter ou racler;
texture: rigide à assez rigide (assouplissement primaire)/souple à assez souple, parfois indices d’humidité (assouplissement secondaire);
matière travaillée: peau sèche (assouplissement primaire), plus ou moins sèche et assouplie, ou peau humide (assouplissement secondaire) (Figure 5).
Phase de confection
Cette étape consiste à transformer la peau assouplie, traitée et stabilisée, en un produit utilitaire (fournitures ou vêtements). Le type d’intervention qui laissera des stigmates tracéologiques observables sur un outillage en pierre consiste à percer, à couper ou à découper la peau. Ainsi, les diagnostics posés sur un outil pouvant être rattachés à cette tâche sont les suivants:
action: percer ou découper;
texture: assez souple à rigide;
matière travaillée: peau sèche, assouplie ou cuir (Figure 6).
Il est donc possible d’associer une partie de l’outillage à trois grands types d’interventions techniques nécessaires à la transformation d’une peau afin qu’elle acquière les propriétés qui la rendront apte à la production d’objets usuels et de vêtements (durabilité, souplesse, imperméabilité ou légèreté).
Autres fonctions: dépeçage et travail de matières dures (os, andouiller)
Deux activités techniques, le dépeçage et le travail de matières organiques dures, ont pu être identifiées. Pour le dépeçage, les diagnostics posés sont:
action: couper;
texture: très souple, parfois présence de zones ayant été en contact avec une matière très rigide;
matière travaillée: viande ou mixte (viande et os).
Dans le cas du travail sur de l’os ou de l’andouiller:
action: graver, buriner ou racler (retirer la couche externe);
texture: très rigide;
matière travaillée: stigmates associés à l’os ou à l’andouiller (Figure 7).
Interpréter les données fonctionnelles
L’obtention d’un diagnostic fonctionnel repose sur la compréhension des combinaisons de traces. Par conséquent, il est primordial que l’outil et ses surfaces soient dans un état de préservation adéquat afin d’être en mesure de lire les traces et de disposer d’une quantité suffisante de stigmates démontrant une organisation spécifique (orientation, état, localisation). La reconnaissance de tendances entraîne un processus de réflexion permettant de les traduire en interprétations tangibles des activités pratiquées par l’outil.
Les différents niveaux d’interprétation (action posée, texture de la matière travaillée, matière travaillée et fonction) ne sont accessibles que par l’analyse raisonnée de la relation entre les combinaisons de traces, la morphologie de chacun des stigmates ainsi que leur position et leur orientation (Figure 8). Toutefois, bien que le processus de raisonnement soit le même, la nature des critères et des combinaisons diagnostiques varie suivant la matière première. Par exemple, dans la présente étude, les spécimens en chert et en quartz ont été analysés de façon distincte.
Il convient de souligner ici que les données tracéologiques ne constituent pas un résultat, mais bien une donnée brute à interpréter dans un cadre précis (Grace 1990: 9; Thorsberg 1990: 47-50). Les analyses fonctionnelles sont primordiales pour une compréhension approfondie de l’organisation socioéconomique de la préhistoire. Ainsi, une fois les fonctions des outils identifiées, il est possible d’étudier leur relation à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace domestique grâce à la répartition spatiale des objets dans leur contexte d’abandon (Hendon 2006: 173; Sorensen 2000: 160; Tringham 1991: 100-101). Pour chaque site archéologique, les modes de gestion de l’espace domestique sont donc mis à contribution pour analyser les interactions sociales (p. ex., relations de genre) et caractériser la microéconomie domestique (Gosden 1999: 123; Sorensen 2000: 74).
La chaîne opératoire de traitement des peaux implique l’intervention de choix relatifs à différents aspects techniques, qui pourront varier d’un groupe à l’autre suivant les contextes culturels et environnementaux. L’interprétation de la chaîne opératoire passe donc par une compréhension du contexte socioéconomique dont elle découle. L’ethnoarchéologie et l’analogie relationnelle (Friesen 2002: 339) permettent de définir l’organisation socioéconomique de la période paléoesquimaude dans le détroit d’Hudson. Pour la présente étude, j’ai utilisé diverses sources ethnographiques et archéologiques (par ex., Boas 1907; Hatt 1969; Labrèche 2003; Le Mouël 1973; Mason 1892; McGhee 1977; Oakes 1991; Palsson 2001; Saladin d’Anglure 1967; Spiess 1979; Stenton 1991; Turner 1894; Vézinet 1980; Woollett 1999). J’ai ensuite distingué trois aspects techniques qui influencent différents choix:
approvisionnement: choix du lieu et du moment d’exploitation (la qualité des peaux varie d’une saison à l’autre et d’une espèce à l’autre);
produit à fabriquer: choix d’une espèce (la peau de caribou à l’automne pour les vêtements, la peau de caribou à l’hiver pour les couvre-sols ou les revêtements, la peau de phoque pour les abris, les bottes ou les vêtements d’été);
processus de traitement (qui vise à accentuer les qualités et à corriger les défauts d’une peau): choix de l’outillage et des modes d’utilisation, de la séquence opératoire.
Malgré l’intervention de ces choix, le processus de traitement des peaux reste tout de même, dans son ensemble, universellement uniforme (Leroi-Gourhan 1971: 240). Le type d’outils associés aux étapes de préparation des peaux chez les peuples inuit sont généralement les suivants: des grattoirs tranchants, des grattoirs émoussés, des couteaux et des ulus[2]. Cependant, leur morphologie, leur emmanchement, leur mode d’utilisation et la matière avec laquelle ils sont fabriqués pourront varier (Beyries 2008; Hatt 1969; Leroi-Gourhan 1971; Oakes 1991).
Trois études de cas à partir de sites archéologiques du Nunavik
La représentation matérielle de la chaîne opératoire de traitement des peaux a été identifiée pour trois sites du littoral sud du détroit d’Hudson: Pita (KcFr-5), Tivi Paningayak[3] (KcFr-8A) et Tayara (KbFk-7) (Figure 9). Initialement, tous les outils en chert et en quartz appartenant aux catégories fonctionnelles représentatives des interventions techniques associées au processus de traitement des peaux (grattoirs, microlames et éclats[4]) ont été présélectionnés dans les assemblages des sites. Le total était de 1476.
Ensuite, seuls les outils recelant un potentiel tracéologique élevé furent conservés. Les critères de sélection étaient les suivants: 1) dimensions adéquates (longueur de plus de 2 cm et largeur de plus de 0,5 cm); 2) bonne préservation des surfaces (absence de patine ou d’altérations post-dépôt qui masqueraient les traces d’utilisation); 3) absence de verni (marquage) sur ou trop près des zones actives[5]; 4) intégrité de l’objet ou présence minimale de la partie active de l’outil (p. ex., exclusions des parties proximales de grattoirs ou des fragments de microlames ou d’éclats sans bord utilisable). Cette première sélection représente 235 outils ou 16% de ceux présélectionnés.
L’observation microscopique de ces 235 outils en a retenu 190 sur lesquels on pouvait identifier une zone active démontrant une combinaison de traces interprétables. Cette deuxième sélection correspond à 82% des outils choisis lors de la première sélection, représentant 13% des outils présélectionnés initialement, et a permis d’accéder à un ou plusieurs niveaux d’interprétation (Tableau 1). Le Tableau 2 montre la répartition finale des trois grandes catégories d’outils pour chaque site.
La constitution d’un référentiel expérimental adapté aux interventions techniques nécessaires à la transformation et à la conservation des peaux ainsi que l’analyse tracéologique d’une sélection d’outils ont contribué à l’établissement d’un classement fonctionnel plus détaillé. Ainsi, les catégories typologiques (grattoirs, microlames, éclats) de départ peuvent être subdivisées en catégories fonctionnelles (grattoirs à peaux fraîches, grattoirs à peaux sèches, microlames à écharner, microlames-racloirs, microlames à découper, éclats grattoirs) suivant les diagnostics tracéologiques (Tableau 3).
Les catégories fonctionnelles constituent un outil de travail pour l’identification des activités d’acquisition et de production sur les sites mais aussi dans le temps et l’espace (Tableau 4). En effet, comme le soulignent Brumbach et Jarvenpa (1997; 2006a), l’acquisition et le traitement des ressources animales doivent être perçus comme les deux phases successives d’un même processus. La phase d’acquisition consiste à tuer et à disposer des proies en un lieu donné, plus ou moins éloigné du campement spécialisé. Ces ressources seront par la suite acheminées au campement spécialisé où seront effectuées des tâches comme le dépeçage secondaire, le traitement des peaux et la production d’équipement ou de vêtements.
Tendances techniques observées
Les trois sites à l’étude ont démontré des tendances variées quant à la représentation des activités techniques liées à la séquence de traitement des peaux (Tableau 4). Dans cette section, chacun des sites sera brièvement présenté avec les résultats de l’analyse tracéologique.
Le site Pita (KcFr-5) fut initialement daté de la période dite de transition entre le Prédorsétien et le Dorsétien (2800 à 2600 AA) et ses vestiges fauniques l’associent à une occupation printanière et du début de l’été (Nagy 2000: 35, 74). Toutefois, de nouvelles datations au radiocarbone ont récemment démontré que le site avait aussi été occupé plusieurs fois pendant tout le Prédorsétien, depuis possiblement 4420 cal AA, jusqu’à 2350 cal AA[6] (Nagy, ce volume). Il comportait quatre structures d’habitation dont deux tentes et deux structures rectangulaires (ibid.). L’analyse tracéologique a identifié une majorité d’outils liés aux phases initiales de traitement des ressources (travail de la viande ou de la peau fraîche). Cette tendance associe l’occupation des lieux à la première phase du processus global d’approvisionnement, qui comprend l’acquisition et le traitement initial de la viande et des peaux fraîches.
Le site Tivi Paningayak (KcFr-8A) n’a pas été daté mais ses outils lithiques ressemblent à ceux du Dorsétien, probablement du Dorsétien moyen (2000 à 1000 AA) et ses vestiges fauniques indiquent une occupation printanière et estivale (Nagy 2000: 51, 93). Les outils analysés provenaient de l’aire du site comprenant trois des cinq structures d’habitation qui y avaient été identifiées: une structure semi-souterraine et deux tentes (ibid.). L’analyse tracéologique a démontré que les phases initiales sont bien représentées, suivies de la phase de confection, puis de l’assouplissement des peaux. Toutefois, l’amalgame des phases de confection et d’assouplissement est associé à la portion « traitement » du processus global d’approvisionnement en ressources (Brumbach et Jarvenpa 1997; 2006a). De cette façon, les activités liées à la production occupent une place plus importante que celles associées à l’acquisition des ressources.
Enfin, le niveau II du site Tayara (KbFk-7) est daté entre 2125±41 à 1886±40 AA (Desrosiers 2009: 256) et attribué au Dorsétien moyen (ou classique tel que défini par Desrosiers 2009). Il est associé à une occupation entre les saisons chaude et froide. Aucune structure d’habitation n’y a été trouvée bien qu’une série de trois foyers alignés dans l’axe nord-sud y soit présente (ibid.: 256). L’analyse tracéologique des outils sélectionnés révèle des tendances particulières. En effet, les phases initiales d’assouplissement et de confection y sont presque équitablement représentées (les phases initiales ont une légère majorité). Toutefois, comme dans le cas du site Tivi Paningayak (KcFr-8A), la phase de traitement des ressources du processus global d’approvisionnement domine. De plus, le travail des matières dures d’origine animale, probablement par rainurage, semble constituer une activité importante sur le site, principalement représentée par des microlames en quartz ainsi qu’un spécimen unique de microlame-burin[7] en quartz (Figure 10).
D’après la représentation des interventions techniques révélée par les données tracéologiques, les trois sites semblent donc correspondre à des fonctions spécifiques dans l’accomplissement d’un processus d’approvisionnement. Le site prédorsétien Pita (KcFr-5) se distingue puisque les activités d’acquisition en viande et en peaux fraîches y sont davantage représentées que celles de production. Cette distinction est possiblement attribuable à sa position au sein du cycle saisonnier (ouverture de la glace et accessibilité des ressources après l’hiver) et elle contraste avec la spécificité de l’organisation socioéconomique dorsétienne. En effet, les sites dorsétiens Tivi Paningayak (KcFr-8A) et Tayara (KbFk-7) démontrent une spécialisation axée sur les activités de production. Le premier met en évidence le traitement des peaux sèches et la confection d’équipement ou de vêtements à partir des peaux traitées, tandis que le second semble spécifiquement consacré aux activités d’assouplissement, de confection, mais aussi de fabrication d’objets en matière dure d’origine animale.
Interprétation des résultats
Dans une étude comparant la gestion de l’espace domestique chez les Inuit avec celle observée sur des sites dorsétiens, LeMoine (2003) expose la possibilité d’une coopération féminine plus prononcée chez les seconds. En effet, cette analyse de la représentation des relations de genres à travers les vestiges architecturaux dorsétiens met en relief une tendance au partage des tâches qui impliquerait une coopération entre plusieurs unités domestiques.
Dans la société inuit traditionnelle, la conception et la disposition des structures d’habitation mettent l’accent sur la famille nucléaire, qui correspond à une unité de production. La coopération masculine s’exprime par le biais des expéditions de chasses à l’extérieur de l’espace domestique. La phase de traitement des ressources, qui a lieu sur le site, correspond plutôt à un travail individuel de la part de chacune des unités de production. L’architecture dorsétienne, avec aménagement axial, suggère quant à elle une coopération entre unités de production lors de la phase de traitement des ressources. En effet, plus d’une famille nucléaire pouvaient oeuvrer autour d’un foyer communautaire aménagé au centre de la structure d’habitation (LeMoine 2003: 130-134).
LeMoine (2003) propose la possibilité d’un partage des tâches chez les Dorsétiens qui ressemblerait un peu à une chaîne de production réalisée par des groupes de spécialistes travaillant en complémentarité. Ainsi, la microéconomie domestique dorsétienne pratiquée sur les sites spécialisés se distinguerait de celle de la tradition inuit par le travail coopératif et organisé d’un groupe de « spécialistes » dans l’accomplissement de la phase de traitement des ressources.
L’analyse des modes de gestion de l’espace permet donc d’aborder la question de la microéconomie domestique et, par conséquent, d’évaluer la nature de la participation féminine au processus global d’approvisionnement. Comme nous le verrons, les tendances observées sur deux des sites étudiés pourraient conforter l’hypothèse de LeMoine (2003) d’une coopération des femmes dorsétiennes dans l’accomplissement des tâches, telle une chaîne de production communautaire.
Répartition spatiale des activités et interactions sociales
Sur le site prédorsétien Pita (KcFr-5), les activités identifiées sont principalement associées à l’acquisition de ressources (peaux fraîches, viande) (Figure 11: cercles). Elles ne semblent pas répondre à un mode de gestion préférentiel de l’espace. Une seule structure se démarque tant par la nature de l’assemblage qui lui est associée que par la fonction des outils qui y furent diagnostiqués (structure A). En effet, celle-ci pourrait être davantage associée à des activités de production (assouplissement et confection) (Figure 11: rectangles) que les autres structures sur le site.
Par contre, la représentation matérielle de ces activités sur les deux sites attribués à la période dorsétienne, Tivi Paningayak (KcFr-8A) et Tayara (KbFk-7), ainsi que leur répartition spatiale, suggèrent la possibilité d’une coopération entre unités domestiques dans la réalisation des activités de production sur les sites spécialisés du Dorsétien. Le site Tivi Paningayak (KcFr-8A) se distingue par une représentation des activités associées à l’acquisition des ressources légèrement plus faible que les tâches associées à leur transformation. La dynamique observée est tout à fait particulière, puisqu’il est possible d’identifier une zone circonscrite sur le site consacrée au traitement des peaux sèches (assouplissement). Il semble qu’il y avait une gestion préférentielle de l’espace domestique, où les secteurs internes et externes aux structures étaient voués à des vocations distinctes. En effet, les microlames associées au découpage de la viande ou à l’écharnage de peaux fraîches sont réparties à l’intérieur de trois structures d’habitation, tandis que les grattoirs ayant travaillé la peau sèche se regroupent dans un espace qui fait face à ces structures. L’activité identifiée à l’intérieur des structures pourrait correspondre au travail de peaux fraîches ou à la consommation de viande (Figure 12: cercles), tandis qu’une zone externe serait consacrée au traitement des peaux sèches (Figure 12: rectangles).
Les tendances observées au site Tivi Paningayak soutiennent la proposition de LeMoine (2003) concernant la possibilité d’une coopération féminine au Dorsétien moyen. Plutôt que d’être déterminée à l’échelle de la famille nucléaire, la répartition des tâches serait effectuée suivant l’organisation d’une chaîne de production nécessitant l’intervention d’un groupe de spécialistes, en l’occurrence les femmes.
L’analyse des données tracéologiques de Tayara a permis de confirmer la prédominance des activités de production sur le site par rapport aux activités d’acquisition en ressources. Cette particularité observée pour Tayara, en cohérence avec sa position au sein du cycle saisonnier (automne), pourrait correspondre à l’exploitation de l’ivoire de morse sur place ainsi qu’une intensification des activités de production en vue de constituer des réserves pour l’hiver. La représentation matérielle de la chaîne opératoire complète d’exploitation du morse sur le site concorde bien avec cette proposition (Monchot et al. 2013).
La dynamique de répartition spatiale des activités diagnostiquées suggère l’existence de deux zones de concentration de microlames aux fonctions variées: travail de peaux fraîches, consommation de viande (Figure 13: cercles), préparation des peaux, découpage de peaux traitées (Figure 13: rectangles), rainurage de matières dures (Figure 13: triangles). Les activités de production liées à l’exploitation des peaux démontrent tout de même une tendance à être regroupées en marge de ces zones, tandis que l’industrie des matières dures d’origine animale semble se disperser dans l’espace (Figure 13).
Bien qu’il soit possible que les deux zones de concentration de microlames à fonctions variées puissent correspondre à des zones de déposition secondaire, il n’empêche que la répartition spatiale des outils au niveau II de Tayara tend à démontrer un regroupement des activités liées à la phase de traitement et de consommation des ressources (dépeçage secondaire, découpage de viande, traitement et découpage des peaux), orienté dans un axe opposé à celui emprunté par la dispersion des microlames ayant travaillé les matières dures. Dans l’optique où la phase de traitement des ressources serait principalement exercée par la sphère des activités féminines, ce phénomène de regroupement pourrait indiquer une tendance au travail coopératif. Il est intéressant de noter que l’industrie des matières dures, souvent associée à la sphère des activités masculines (Brumbach et Jarvenpa 2006b: 510), semble se dissocier de la zone de production collective. L’organisation socioéconomique de l’espace domestique dorsétien pourrait-elle se caractériser par un regroupement des activités féminines et une dispersion des activités masculines?
En somme, la chaîne opératoire de traitement des peaux semble s’articuler dans le temps comme dans l’espace suivant un système organisé en fonction du cycle saisonnier de disponibilité et d’accessibilité des ressources particulier à la région du littoral sud du détroit d’Hudson. Le Dorsétien se démarque au point de vue archéologique par la formation d’une série de sites à vocation très spécifique, où l’intervention d’une gestion préférentielle des activités témoignerait de la contribution économique des femmes en tant que spécialistes.
Vers une définition fonctionnelle des campements « spécialisés » paléoesquimaux
Le modèle du collector system élaboré par Binford (1978a, 1978b, 1980), à la suite des observations ethnographiques chez les Nunamiut de l’Alaska, sert souvent de base à la compréhension de la fonction des sites et de l’organisation socioéconomique en préhistoire nord-américaine. Dans cette optique, un site spécialisé est principalement un lieu d’approvisionnement logistique (Binford 1978b: 421). Les activités qui s’y dérouleront seront de l’ordre du dépeçage, une consommation in situ limitée, la constitution de réserves à emporter et la préparation des éléments exploitables (peaux, tendons, os, etc.) (Binford 1978b: 298-299).
Les sites faisant partie de la présente étude sont des campements spécialisés, associés à différentes phases du processus global d’approvisionnement en ressources animales (acquisition ou abattage des proies, traitement des ressources et production d’équipement), à divers moments du cycle saisonnier. L’un d’eux, Pita (KcFr-5), se distingue des deux autres sites concernant trois aspects: appartenance culturelle (Prédorsétien et possiblement transition entre le Prédorsétien et le Dorsétien[8]), vocation du site (phase d’acquisition) et mode de gestion de l’espace (dispersion des activités). Les deux autres sites, associés au Dorsétien, démontrent quant à eux une prédominance des activités de production (associées à la deuxième phase du processus global d’approvisionnement) ainsi qu’une gestion préférentielle des activités dans l’espace.
La relecture de ces résultats à la lumière d’une analyse de genre permet d’aborder les dynamiques d’interaction sociales qui, encore une fois, répartissent les sites en deux ensembles distincts. D’un côté, l’occupation de Pita (KcFr-5) se caractérise par une possible participation féminine et de l’autre, Tivi Paningayak (KcFr-8A) et Tayara (KbFk-7) semblent démontrer une tendance au travail coopératif des femmes (Figure 14).
Les distinctions observables entre les microéconomies domestiques du site Pita et des deux autres sites (Tivi Paningayak et Tayara) peuvent être interprétées d’au moins deux façons: des stratégies différentes associées à la fonction du site au sein du cycle saisonnier ou des différences culturelles. Si la variabilité observée est due à l’attribution culturelle du site, l’organisation socioéconomique du Dorsétien se caractériserait alors par une gestion préférentielle de l’espace domestique indiquant une tendance au travail coopératif exercé par un groupe de spécialistes. Dans le cas présent, la notion de « spécialiste » est étroitement liée à la phase de traitement des ressources, généralement attribuée à la sphère féminine.
Par conséquent, une redéfinition de la notion de campement spécialisé semble pertinente, du moins en ce qui concerne le Dorsétien et l’exploitation du littoral. Non seulement il s’agit de campements associés à l’exploitation des ressources marines, mais il est fort probable que chacun d’entre eux soit associé à une vocation particulière au sein d’une organisation socioéconomique complexe. Celle-ci était basée sur une connaissance approfondie du cycle de disponibilité et d’accessibilité des ressources, ainsi que sur une logistique de répartition des tâches où intervient la participation d’un groupe de spécialistes travaillant en coopération: les femmes dorsétiennes.
La perception de l’organisation socioéconomique dorsétienne comme un système optimal, adapté aux contraintes de l’environnement et au cycle saisonnier de disponibilité des ressources, caractérisé par une tendance à la spécialisation et à une exploitation intensive, a été mise de l’avant par plusieurs auteurs (par ex., Maxwell 1985; McGhee 1996; Nagy 2000). Il est aussi plausible que certains sites aient été spécialement consacrés à l’acquisition en peaux et/ou à la production de matériel nécessaire à la survie en contexte arctique (Renouf et Bell 2008).
Le mode de gestion de la chaîne opératoire de traitement des peaux à travers ce système ainsi que la vocation spécialisée des sites étudiés, tels qu’observés grâce aux catégories fonctionnelles identifiées, ne fait que confirmer cette tendance. L’analyse des interactions de genre illustrées par la gestion préférentielle des espaces domestiques et communs valide l’existence d’un travail coopératif des femmes dorsétiennes et illustre leur contribution active en tant que spécialistes au sein du système de production.
La visibilité de la femme dorsétienne sur les sites archéologiques serait étroitement liée aux assemblages d’outils ad hoc[9] (représentatifs d’une utilisation brève et ponctuelle), aux outils associés à la phase de traitement des ressources ainsi qu’à l’approvisionnement ponctuel in situ en petites proies (Brumbach and Jarvenpa 2006a; Jolles 2006). Les catégories d’artéfacts associées à la préparation de la nourriture ainsi qu’à la fabrication des vêtements et des ornements sont aussi potentiellement représentatives des activités féminines, tel qu’observé chez les Thuléens par Whitridge (1999: 304). Par conséquent, identifier la fonction réelle des outils par la tracéologie pour ensuite en évaluer le mode de répartition spatiale et les interactions sociales sous-jacentes constitue un moyen efficace de favoriser la visibilité des femmes de la préhistoire de l’Arctique.
Conclusion
L’interprétation des activités techniques pratiquées sur des sites archéologiques et, par extension, des schèmes d’établissement ou des modes de subsistance préhistoriques, ne peut être envisageable que si l’utilisation de l’outillage est connue. La compréhension de la fonction des outils retrouvés en contexte archéologique est donc incontournable et se réalise grâce aux analyses tracéologiques qui rendent les activités techniques visibles. Les outils et les combinaisons de traces caractéristiques observables sur certains d’entre eux sont une représentation matérielle tangible des matières travaillées disparues, des gestes pratiqués, des interactions sociales et des choix culturels. En ce sens, l’analyse tracéologique constitue un moyen privilégié d’exploiter au maximum cette source d’information.
L’analyse tracéologique combinée à l’étude des chaînes opératoires, de la gestion de l’espace domestique et des interactions de genre a permis de générer des propositions quant aux comportements techniques, aux choix culturels et aux modes d’organisation socioéconomique des Paléoesquimaux du Nunavik. L’identification de la fonction des outils associés à la chaîne opératoire du travail des peaux a raffiné la typologie existante en comprenant mieux la fonction de l’outillage lithique. Les catégories fonctionnelles établies sont la représentation matérielle des activités pratiquées sur le site. Leur répartition spatiale a aussi révélé les modes de gestion des activités techniques ainsi que des interactions sociales.
Les résultats présentés ici reflètent une gestion de la chaîne opératoire de traitement des peaux qui témoigne d’un système organisé en fonction du cycle saisonnier de disponibilité et d’accessibilité des ressources en vigueur dans la région du littoral sud du détroit d’Hudson. De surcroît, le Dorsétien semble correspondre à l’utilisation de sites à vocation très spécifique, caractérisés par une gestion préférentielle des activités et la contribution économique des femmes en tant que spécialistes.
Parties annexes
Remerciements
Merci à mes directeurs de thèse à l’Université Laval, James Woollett et Jacques Chabot. Je dois également souligner la contribution majeure de Kjell Knutsson et de son associée Helena Knutsson, pour m’avoir permis de bénéficier d’une formation intensive sur l’analyse tracéologique du quartz dans leur laboratoire (StonesLab) à Uppsala, en Suède. Merci à l’Institut culturel Avataq et à son projet Sivulitta inuusirilaurtangit atuutilaurtanigillu. Le temps et l’espace chez les Inuit du Nunavik (programme ARUC du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada) pour le prêt des collections et les opportunités de travailler sur le terrain avec des intervenants inuit. Mes recherches furent rendues possibles grâce à une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. La fabrication des reproductions d’outils paléoesquimaux nécessaires aux expérimentations fut effectuée par Frédéric Hottin (grattoirs en chert), Elfshot reproductions (microlames) et Patrick Eid (emmanchement composite de la microlame en chert). Enfin, je suis extrêmement reconnaissante à tous les étudiants de l’Université Laval qui se sont portés volontaires pour venir participer aux expérimentations.
Notes
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[1]
Définie par Leroi-Gourhan (1964, 1988: 225), la notion de chaîne opératoire constitue un outil conceptuel permettant une compréhension raisonnée des séquences techniques qui sous-tendent les activités de production.
-
[2]
Les ulus sont des couteaux au tranchant en forme de demi-lune utilisés par les femmes inuit.
-
[3]
Le site Tivi Paningayak (KcFr-8) comprend les sections A, B et C mais seuls les outils de la section A (KcFr-8A) ont été étudiés ici.
-
[4]
Ces catégories typologiques sont extraites des études préalables faites sur les assemblages (Desrosiers 2009; Nagy 2000). La catégorie microlame inclus les microlames retouchées, à soie et brutes. La catégorie éclats comprend les éclats dits utilisés et/ou retouchés.
-
[5]
Le verni utilisé pour couvrir le numéro d’identification marqué sur l’outil peut être retiré avec du dissolvant, mais une mince pellicule luisante persiste sur la surface. Ces objets furent donc éliminés afin de réduire la marge d’erreur des observations tracéologiques.
-
[6]
Il s’agit de dates calibrées (cal) à 2 sigmas (95% de probabilité). « AA » veut dire « avant aujourd’hui », mais en fait il s’agit d’avant 1950.
-
[7]
La fonction de « burin » réfère ici à une combinaison de traces caractéristique du burinage d’une matière dure, et non à une technique de taille (coup de burin). La comparaison de la disposition et l’agencement de ces traces avec les observations de Knutsson (1988: 60-61) sur des burins confirment le diagnostic.
-
[8]
Voir Nagy (ce volume) à ce propos.
-
[9]
Outil n’ayant subi que très peu ou aucun façonnage (p. ex.: éclat retouché ou éclat brut utilisé tel quel).
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